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Rassemblement des Cheminot(e)s devant le Sénat – Paris – Mardi 5 juin 2018, par Serge d’Ignazio

Alors que la SNCF a fermé la plupart de ses services, les conducteurs doivent assurer le fonctionnement des trains. Fortement exposés au Covid-19, ils dénoncent le manque de mesures d’hygiène et pointent l’irresponsabilité du gouvernement qui tarde à fermer les industries non nécessaires, empêchant une réduction drastique du nombre de transports en circulation. 

A bord des trains Transiliens qu’il conduit, Vladimir Perfiloff, 32 ans est équipé d’un masque FFP3. Crise sanitaire ou pas, celui-ci est disponible, risque d’incendie oblige. Sur les lignes qu’il traverse, six cas suspectés de Covid-19 ont été signalés. Outre son masque, Vladimir s’est vu confier un bien maigre attirail de protection. “On nous a fourni deux masques chirurgicaux à usage unique à n’utiliser qu’en cas de crainte de contact avec des personnes contaminées, un flacon de 30ml de gel hydroalcoolique et quelques lingettes désinfectantes, dont l’entreprise manque. Alors, elle nous en donne 3 ou 4, parfois desséchées, dans un petit sachet. L’un de mes collègues a été prendre son service à Rambouillet. Lorsqu’il est arrivé, personne n’était sur place pour lui remettre le nécessaire. On lui a dit par téléphone de mettre le reste qu’il avait de gel sur un sopalin.“

Un nettoyage sommaire, qui s’ajoute à la désinfection des cabines par une entreprise sous-traitante. Problème : “Il a été acté qu’elles ne seraient désinfectées qu’une fois par jour. Une cabine est utilisée par une dizaine de conducteurs au quotidien.” En effet, ceux-ci effectuent un roulement et peuvent emprunter trois rames différentes en une journée. C’est pourquoi Axel Persson, secrétaire de la CGT Cheminots de Trappes, a exercé son droit de retrait le lundi 16 mars. “J’ai demandé quand la cabine avait été nettoyée, et personne n’a su me répondre. C’est anormal. A Versailles, un collègue a été contaminé. A Trappes, un cas est suspecté. Nous demandons de retracer quels matériels ont été touchés, quelles cabines ont été conduites par les personnes qui présentent des symptômes, et avec qui elles ont été en contact. La boîte rechigne à le faire. S’ils lancent une enquête, ils réaliseront à quel point nous sommes exposés, surtout dans les conditions d’hygiène actuelles.”  Selon les syndicats, 328 cheminots ont été testés positifs au Covid-19, 590 en présentent des symptômes et 676 sont confinés. 

Contraints de prendre les transports en commun 

Les risques sont aussi présents en dehors des cabines. Puisqu’ils conduisent plusieurs lignes quotidiennement, les conducteurs doivent habituellement se rendre d’une gare à l’autre par leurs propres moyens. Durant l’épidémie, la SNCF met à disposition un service de taxis afin d’éviter à ses salariés de prendre les transports en commun. Mais beaucoup se sont vus refuser l’envoi d’une voiture, et donc contraints de monter dans des métros encore bondés à la mi mars (les rassemblements de plus de 100 personnes étaient déjà interdits), voire de marcher plus d’une heure pour atteindre leur destination. 

Autre lieu de déplacement à risque : les foyers SNCF où sont envoyés les agents en repos. Ils ont été supprimés pour les TGV, réduits pour les TER. “Ce sont des lieux qui concentrent beaucoup de passage et l’organisation n’est pas prévue pour ce type de pandémies. Les salles à manger sont communes, les douches aussi”, explique Axel Persson.

“C’est bien la réduction du plan de transport dans tous les domaines qui s’impose”

Pour ceux qui doivent garder leurs enfants, le décret présidentiel du 16 mars indique que seul l’un des deux parents doit déposer une demande de congé spécial et signer une attestation sur l’honneur. La SNCF Paris-Rive gauche a ajouté une règle incomprise par ses salariés : prouver par attestation de l’employeur du conjoint que celui-ci il travaille et ne dispose pas du même congé spécial. Si celui-ci est auto-entrepreneur ou en en télétravail, impossible pour lui de fournir ce papier, et donc pour le cheminot de prendre son congé. 

Autre manière de se mettre à l’abri : exercer son droit de retrait. Selon Vladimir Perfiloff, “des salariés de la ligne C du Transilien ont reçu une mise en demeure de reprendre leur poste. Si la direction estime que la raison du retrait n’est pas suffisante, elle peut octroyer des blâmes, des avertissements, etc.”

Trop de monde se déplace sans en avoir réellement besoin. Cela ne cessera que si le gouvernement oblige l’arrêt de l’activité économique superflue

“On nous alerte sur la nécessité d’un confinement total, on nous demande même d’arrêter les footings mais on nous envoie au travail dans ces conditions”, s’offusque Azdine Bouamara, lui aussi conducteur en Ile-de-France. La CGT, dont il est membre, ainsi que d’autres syndicats comme Sud Rail estiment que le discours du gouvernement est contradictoire. Azdine Bouamara l’affirme : “trop de monde se déplace sans en avoir réellement besoin. Cela ne cessera que si le gouvernement oblige l’arrêt de l’activité économique superflue. Les seules industries qui devraient encore fonctionner sont celles qui assurent les chaînes alimentaire, sanitaire, et énergétique.” 

Sur un tract distribué depuis le lundi 23 mars, on peut lire : “Il n’est pas entendable que le Premier ministre interdise de se rendre à l’enterrement d’un grand parent, tout en expliquant que les ouvriers et employés doivent se rendre au travail (…). Au chemin de fer, c’est bien la réduction du plan de transport dans tous les domaines qui s’impose !” Pour l’heure, beaucoup restent. Azdine Bouamara l’explique simplement : “Nous ne pouvons pas laisser des personnels soignants sans transport.” 

Maïlys Khider