Emmanuel Macron a annoncé ce lundi 14 décembre, devant les 150 citoyens tirés au sort à la suite du mouvement des gilets jaunes (pour trouver des propositions de mesures de lutte contre le changement climatique, la “convention citoyenne”), qu’il provoquerait un référendum. Ce sera le premier de son quinquennat et il posera aux Français ayant le droit de vote la question suivante : “Voulez-vous inscrire dans la constitution la phrase suivante : “La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique.” Oui ou non. Il ne sera pas possible de répondre, par exemple, “mais tu nous prends pour des grosses buses, en fait !”.
“Grand Débat National”, “Convention citoyenne”… et maintenant un référendum
Car c’est bien ce qu’il se passe. Macron et son gouvernement agissent de façon autoritaire depuis qu’ils sont arrivés au pouvoir, après avoir réuni des centaines de milliers d’euros de dons auprès des riches français et étrangers et s’être glissés au second tour en jouant la carte du “tout sauf Le Pen”. Sans le moindre complexe après cette victoire à l’arrachée, ils ont multiplié les lois de destruction de notre modèle social et d’intensification de l’exploitation capitaliste des hommes et de la nature. Ils ont réprimé avec force toutes les contestations. Les cheminots, les gilets jaunes ou les citoyens opposés à la destruction de notre système de retraite en ont fait les frais.
Parallèlement à cela, Macron et ses sbires ont multiplié les formes de pseudo-consultation. Tout d’abord, un “Grand Débat National” a été lancé en réponse au mouvement des gilets jaunes. Partout en France, des débats ont été organisés, chapeautés par des maires et des députés. Le président s’y est même rendu pour mener de grands shows qui n’auraient pas déplus à des nostalgiques des régimes soviétiques. Le simulacre de débat poussé à son paroxysme n’a pas choqué la presse qui a salué le caractère courageux et innovant du procédé. Une cinquantaine d’intellectuels, chercheurs, économistes, se sont prêtés au jeu et sont venus « débattre » avec le président, deux minutes chacun pour poser une question, des heures pour écouter le grand dialogueur leur répondre. Pour un résultat… inexistant. Déçue, France Télévision constate, après l’avoir particulièrement bien couvert, un an plus tard, qu’il n’y eut aucune synthèse des milliers de contributions émanant des débats : « En Corrèze, à Tulle, ils sont conservés dans des cartons nichés au 3e étage, sur une étagère. Et c’est pareil pour les 16 337 cahiers : pour en avoir une vue d’ensemble, il faudrait donc faire le Tour de France ! »
Premier foutage de gueule donc, ce “Grand Débat National” dont il ne reste rien.
Est venue ensuite la “Convention citoyenne”. 150 citoyennes et citoyens tiré.e.s au sort pour faire des propositions. Macron leur avait assuré, les yeux dans les yeux, le 10 janvier 2020 : “Si ce qui sort de cette convention c’est un texte quasiment rédigé, précis et qui peut être appliqué, il sera appliqué sans filtre”. Moins d’un an plus tard et face à des propositions un peu trop ambitieuses et qui nuiraient à ses amis du CAC 40, comme un moratoire sur le développement de la 5G, Macron a déclaré au média Brut : “J’ai 150 citoyens, je les respecte comme des parlementaires, mais je vais pas dire parce que ces 150 citoyens ont écrit un truc : “C’est la Bible””. Ce “truc”, pas aussi gnangnan et consensuel que Macron ne l’espérait au moment du lancement de cette “Convention citoyenne”, tombe donc aux oubliettes pour être remplacé par cette proposition de référendum.
Pourtant, le principe du référendum, Macron et son gouvernement sont farouchement contre. Lors du mouvement contre la réforme des retraites, la motion parlementaire réclamant la tenue d’un référendum sur le sujet, soutenue par deux français sur trois, a été largement rejetée. Un an plus tôt, une des revendications phares des gilets jaunes, le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) a été combattu par le président qui expliquait, en avril 2019 : “Le RIC me semble remettre en cause la démocratie représentative”. Ah, mais pas son référendum à lui alors ?
Bien sûr que si, et c’est le but. Macron s’inscrit dans la bonne vieille tradition bonapartiste puis gaulliste qui consiste à mettre le chef de l’Etat face à son “peuple” et lui demander son soutien, en passant outre les affreux “corps intermédiaires”, dont le Parlement. Clairement, on ne va pas pleurer pour cette horde stupide de députés LREM qui peuplent l’Assemblée Nationale et acceptent tout ce que le gouvernement leur propose comme une caisse enregistreuse bien huilée.
Des mots creux écologistes dans la Constitution pour excuser les reculs environnementaux de demain
La presse se régale d’un coup “politicien” certes, mais ingénieux. Un “piège” pour ses oppositions. Dans lequel Yannick Jadot, l’écologiste capitaliste-compatible, s’est tout de suite engouffré, disant à Jean-Jacques Bourdin mardi matin que certes, sur le plan de l’écologie, Macron avait fait tout le contraire que ce que sa petite phrase à introduire dans la constitution disait – par exemple il continue à laisser épandre du glyphosate et il a réintroduit les néonicotinoïdes tueurs d’abeilles – mais qu’il allait quand même voter pour.
Mais nous autres citoyens burinés par les mensonges et les tromperies savons ce que cela vaut. Nos gouvernements bourgeois ont cessé de nous demander notre avis sur les sujets qui comptent depuis 2005. Lors de ce référendum sur le traité constitutionnel européen, ils étaient persuadés que nous allions dire “Oui” car tous les médias faisaient campagne dans ce sens : 71% du temps de parole télévisé durant les trois mois précédents le vote défendait le “Oui”. Et pourtant, nous avons quand même dit “non”. Du coup, ils ont demandé au Parlement de dire “oui” à notre place.
Et dans le fond alors ? Ne risque-t-on pas de retarder la sauvegarde de la biodiversité et la transition énergétique en envoyant Macron promener ? N’est-ce pas pour cela que Yannick Jadot, ami des ours polaires et du quinoa, est forcé de soutenir ce référendum afin d’éviter de perdre toute la peinture verte qui recouvre son corps de bourgeois libéral ? Non, on ne risque rien du tout, car une telle phrase dans la constitution aura autant d’impact que de dire “make our planet great again” à chaque sommet international. On en veut pour preuve que notre constitution comporte un article premier ainsi rédigé : “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion”. Vous avez le sentiment que cela exerce un quelconque effet sur un pays qui met en taule un SDF pour un vol de pain et pleurent pour les Carlos Ghosn, Patrick Balkany, Nicolas Sarkozy ?
Une phrase écologiste dans la constitution d’un pays dominé politiquement par une classe bourgeoise principalement avide de profits et de prestige aura autant d’impact que les politiques vertes et “éco-responsables” menées tambour battant par les grandes entreprises mondiales. Ce sera un affichage de plus, et l’effet marketing qu’il aura sur la classe politique et médiatique, toujours prompt à applaudir frénétiquement les pseudo-succès de Macron, contribuera encore davantage à reléguer une véritable action écologiste – c’est-à-dire qui implique la fin à court ou moyen terme du capitalisme – au second plan.
Dire NON à ce référendum c’est donc refuser un foutage de gueule pseudo-démocratique de plus – rien que le résultat du “Grand Débat National” pour lequel tant de journalistes et d’élus se sont prêtés au jeu devrait les faire trembler de honte. C’est refuser d’être traité comme des enfants à qui l’on demande leur avis que lorsqu’il n’aura aucun impact sur le court des choses. Et c’est surtout soutenir une révolution écologiste et sociale nécessairement anticapitaliste, loin de l’écologie bourgeoise des grandes déclarations creuses, des petits gestes du quotidien, celle qui ne fait que couvrir la fuite en avant productiviste et destructrice de l’air, de l’eau et des animaux que la classe bourgeoise continue, dans ses usines, son libre-échange et sa mondialisation, de mener.