Quand le président de la République parle de prise d’otage sur France info, on monte le son, le souffle court, en pensant qu’il y a quelque part des êtres humains terrorisés, retenus contre leur gré et craignant pour leur vie. C’est donc un soulagement de comprendre que les seules prisonnières sont des copies de bac et que la prise d’otage en question n’est que l’exercice légitime du droit de grève par les enseignant.e.s qui s’opposent à la mise en place de la réforme du lycée et du baccalauréat à la rentrée prochaine.
Les profs se sont mobilisé.e.s toute l’année contre la réforme du lycée et du baccalauréat parce qu’ils savent qu’elle va considérablement accroitre des inégalités déjà fortes, en dégradant les conditions d’enseignement des élèves des milieux populaires et des zones rurales. Sans être jamais écoutés par le ministre. Raison pour laquelle certains d’entre eux ont décidé de bloquer le bac en faisant la grève le jour du retour des copies. Les enseignant.e.s ont décidé de bloquer le bac pour le sauver, parce que la réforme de Blanquer le met sérieusement en danger.
- Le bac prévu par Blanquer, c’est un bac avec davantage de contrôle local, ce qui signifie des sujets choisis et des corrections faites par les profs du lycée. Tous les lycéens ne passeront pas le même bac, sa valeur dépendra donc de la réputation du lycée. Aujourd’hui, une mention très-bien au lycée Henri IV ou à Stains, c’est la même chose, parce que les sujets sont les mêmes, les copies sont brassées et anonymisées. Ce ne sera plus le cas et les élèves de Stains qui sont aussi bons que ceux d’Henri IV n’auront jamais l’occasion de le montrer. Le bac obtenu dans les lycées les moins cotés (oui, il y a une côte des lycées… et c’est déjà un problème mais l’effet en est atténué par l’existence d’un diplôme commun) n’ouvrira pas les mêmes opportunités de poursuite d’études. Rappelons que depuis 2018, toutes les formations du supérieur ont la possibilité de sélectionner leurs élèves avec les critères de leur choix, dont le lycée d’origine… Il existe déjà des formations parisiennes qui éliminent les candidatures des lycéens de Seine-St-Denis, les choses ne vont pas s’arranger s’il n’y a plus de diplôme national pour attester de leur niveau réel.
- Le bac prévu par Blanquer, c’est celui de l’évaluation permanente. Les élèves vont passer leur temps à réviser et à composer pour le bac. Il y aura des épreuves communes à plusieurs moments dans l’année, dès la classe de Première, et les notes des bulletins seront elles aussi prises en compte. Pas de répit pour les élèves. Pas le temps de se tromper pour progresser. Et le prof ne sera plus là pour accompagner les élèves vers une épreuve finale mais sera leur évaluateur permanent.
- La réforme touche aussi la structure du lycée avec une mesure phare : le choix de spécialités en fin de Première puis de Terminale. Cette mesure est en réalité une énorme arnaque. Toutes les spécialités ne sont pas disponibles dans tous les lycées et les élèves ne pourront pas forcément changer d’établissement pour suivre un enseignement qui n’est pas offert dans le leur. Ce ne sont pas les vœux des élèves qui priment mais les places disponibles. Le ministre encourage les élèves à choisir selon leurs goûts mais ce ne sera pas possible pour tous. Et les familles les mieux informées auront vite compris que ce n’est pas une bonne idée de laisser leurs enfants choisir ce qui leur plait. La réforme permet à tous ceux qui n’aiment pas les maths de ne plus en faire dès la Première. Mauvaise idée en réalité car les maths restent indispensables pour de nombreuses formations du supérieur. Les familles des enfants les plus favorisés préfèreront certainement payer des cours particuliers plutôt que de laisser leurs rejetons sacrifier leur avenir… Encore faut-il avoir compris que le ministre fait un cadeau empoisonné aux lycéens en leur permettant de choisir le menu. Pas facile de repérer les bons choix quand on connait mal le système scolaire.
Bref, la réforme Blanquer se fera à l’avantage des mieux informés et de ceux qui ont accès aux lycées les mieux côtés. Pour les autres, ce sera un diplôme au rabais. Face à la grève des enseignants, le ministre a préféré donner des résultats provisoires et bricolés plutôt que d’en reporter la publication, quitte à briser l’égalité entre les candidats et à faire du bac 2019 un bac en carton-pâte. Suite aux consignes du ministre de donner les résultats coûte que coûte alors que de nombreuses copies n’avaient pas été rendues, de nombreuses irrégularités ont eu lieu. Des candidats absents à une épreuve ont tout de même été notés et ont obtenu le diplôme. D’autres ont eu des notes purement inventées… Quelle valeur pour un bac obtenu cette année en sachant tout ce qui s’est passé dans les jurys ? En attendant de casser définitivement le bac pour la session 2021, celle de la réforme, le ministre s’est déjà bien entraîné avec la session 2019…