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La volonté de Macron et Pécresse de forcer les allocataires du RSA à travailler pour un salaire de misère (moins de 500 euros par mois) nous a mis sacrément la rage à Frustration, car nous savons ce que c’est de vivre avec quelques centaines d’euros par mois, la précarité et la pauvreté. C’est pourquoi à la fin de notre article sur le sujet, nous vous avions demandé de nous envoyer vos témoignages, pour faire voir dans le réel les situations des personnes qu’on interviewe jamais sur ces sujets alors qu’elles sont les premières concernées. Les témoignages ont afflué. La majorité des témoignages proviennent de femmes, cela n’est pas un hasard car la majorité des allocataires sont des femmes (environ 54%), et quasi-exclusivement lorsqu’il s’agit du RSA majoré (pour les parents seuls). La plupart du temps ces témoignages sont anonymes, donc avec des noms d’emprunt afin de préserver leurs autrices et auteurs des répressions patronales et bureaucratiques. Les prénoms d’emprunt sont indiqués par des astérisques. Merci à tous ceux et toutes celles qui ont eu le courage de se dévoiler ainsi. Témoignages recueillis par Rob Grams.

Pour des raisons de lisibilité, nous avons malheureusement dû raccourcir les témoignages les plus longs, en ayant toutefois à cœur d’en garder l’essentiel – les passages coupés sont indiqués avec des “(…)”.


“Si on me supprime le RSA, comment vais-je pouvoir subvenir aux besoins de ma famille ?”, *Louise, au RSA afin de s’occuper de son fils en situation de handicap. 

Bonjour, j’ai un fils qui a un handicap, il n’est pas autonome, il a 12 ans, je suis dans l’impossibilité d’aller travailler et de le laisser seul à la maison. Je dois être présente pour ces gestes au quotidien si on me supprime le RSA comment vais-je pouvoir subvenir aux besoins de ma famille ?


“Une obligation de travailler aurait juste été une mise à mort”, *Gabriel, en situation de handicap. 

J’ai été au RSA depuis le jour de mes 25 ans jusqu’à presque 28 ans. Je suis handicapé et il m’aura fallu 15 ans d’errance médicale pour obtenir mes diagnostics et pouvoir entamer les démarches pour obtenir l’allocation adulte handicapé. 

Cette errance ayant été prolongée par mon manque de moyens financiers et la pression des médecins vis-à-vis de mes parents ( “ce n’est rien, ça va passer etc”) 

Une obligation de travailler aurait juste été une mise à mort dans mon cas.


“J’étais à la fois micro-entrepreneuse, à bosser entre 20 et 40 heures par semaines ET au RSA”, *Teresa, 34 ans, artisane et micro-entrepreneuse au RSA 

Il y a 4 ans, j’ai décidé de créer mon auto-entreprise (artisanale). Cela m’a pris plusieurs mois pour réussir à faire un business plan, faire des formations à la chambre des métiers, constituer mon réseau, faire mes premières créations etc. J’étais à la fois micro-entrepreneuse, à bosser entre 20 et 40 heures/semaine ET au RSA. 

Je n’arrivais pas à m’en sortir, mais par chance, ma mère, infirmière à la retraite, a pû m’aider: 300 euros/mois. 200 euros pour payer mon atelier, 100 euros pour faire les courses. 

Pas de sorties, pas de repas à l’extérieur, pas de weekend entre amies, pas d’activité créative ou sportive, pas de bouffe bio. Je n’ai pas utilisé ma voiture pendant 1 an, je n’avais pas assez d’argent pour mettre de l’essence. Je n’ai pas fait l’entretien de ma chaudière pendant 2 ans. Je ne pouvais pas participer aux cagnottes d’anniversaire. Par chance, le covid est arrivé à ce moment-là: je n’avais plus d’excuses à donner pour ne pas aller aux soirées ou au restaurant !

J’estime que le RSA me permet de survivre et me donne le droit et le temps de pérenniser mon activité professionnelle. Si j’avais dû bosser entre 15 et 20 heures, à l’époque, jamais je n’aurais eu le temps de monter mon entreprise. 

Aujourd’hui, j’arrive à “vivre” de mon activité (mais j’ai beaucoup moins qu’un SMIC, tout est relatif !!), et mes revenus sont toujours très aléatoires : j’alterne donc entre des périodes au RSA et/ou avec prime d’activité, voire avec aucune aide lorsque je fais des bons trimestres (ça arrive, et quel bonheur de se dire qu’on ne dépend plus de la CAF !!).

Pour info : j’ai un loyer de 520 euros (30m2). D’après mes calculs, j’ai besoin de 900 euros pour (sur)vivre (assurance, charges, courses – pas de restau, pas de shopping). Avec APL+RSA et/ou prime d’activité, le maximum dont je bénéficie de la part de la CAF est de 680 euros. Je n’ai jamais eu 500 euros de RSA. Il faut savoir que lorsqu’on a des APL, le montant du RSA diminue. (…) C’est-à-dire que le trimestre qui suit, si je ne travaille pas assez, je n’ai pas assez pour compléter (ma mère ne m’aide plus). Lorsque je déclare un certain chiffre d’affaires, je reçois une prime d’activité. C’est une vraie prime pour les salariés (elle s’ajoute à leur salaire), mais pas pour les personnes qui bénéficient du RSA : quand on a “bien travaillé”, on est “récompensé” par la prime d’activité, mais en contrepartie (faut pas déconner !), on retire quasiment le montant de cette prime au montant du RSA. En gros, même en ayant travaillé et payé des cotisations, on se retrouve parfois avec moins de 700 euros/mois pour vivre. Difficile donc d’épargner dans ces conditions. J’estime que le RSA me permet de survivre et me donne le droit et le temps de pérenniser mon activité professionnelle. Si j’avais dû bosser entre 15 et 20 heures, à l’époque, jamais je n’aurais eu le temps de monter mon entreprise. 

Quand j’ai assez de commandes, j’arrive à me verser un complément, mais d’un trimestre à l’autre, c’est parfois très difficile. Inutile de dire que je ne veux absolument pas me mettre en couple et habiter avec quelqu’un: dans la situation actuelle, je n’aurais ni APL, ni RSA ! “Démerdez-vous!”


Manifestation des gilets jaunes, Paris, décembre 2018. Par Serge D’Ignazio

“Les réformes sociales de ce pays sont le contraceptif parfait !”, Lys, 27 ans, au RSA quand elle cherchait du travail dans une région agricole après sa démission

Je m’appelle Lys, j’ai 27 ans, je travaillais comme surveillante d’internat dans un lycée, 3 nuits et une journée par semaine. Évidemment, payée pas grand-chose, et certainement pas les heures que je faisais. On était dirigées par un CPE alcoolique et un autre un tantinet harceleur sexuel (…). En même temps, je faisais mon Master. J’étais épuisée, l’idée d’aller au travail le soir me donnait envie de pleurer… Alors, je n’ai pas beaucoup tergiversé quand, à la fin de mes partiels, mon compagnon a eu l’opportunité d’aller travailler dans l’exploitation agricole familiale en vue de sa reprise : j’ai démissionné et je l’ai suivi à l’autre bout de la France. Quand je suis arrivée là-bas, l’exploitation agricole ne pouvait pas se permettre d’embaucher deux personnes. Mon compagnon travaillait déjà trois fois plus que ce pour quoi il était payé. Impossible de trouver un travail dans le coin car je n’avais pas le permis : mes parents n’avaient pas voulu me le payer et je n’en avais jamais eu besoin pour travailler jusque-là. Impossible de toucher le chômage non plus car démission, évidemment. Je décide donc de demander le RSA afin de pouvoir financer mon permis et trouver du travail. Entre deux leçons de conduite, je déposais des CV et j’aidais à la ferme.

Une saison agricole plus tard, le printemps est de nouveau arrivé et avec lui une facture d’électricité astronomique. La maison que l’on occupait sur la ferme n’était pas particulièrement un modèle d’isolation, c’était la première année, on ne s’y attendait pas ! Je n’avais toujours pas le droit de demander le chômage et mon RSA miséreux ne me permettait pas d’aider à la payer.

Me voilà donc forcée de partir, je déménage à 400 kilomètres de mon compagnon en le laissant seul sur la ferme afin d’aller péniblement rassembler quelques euros… Car je n’ai malheureusement pas encore mon permis, et tout mon RSA y est passé.

Voilà, je ne suis donc plus au RSA. Et je n’ai franchement pas l’impression d’avoir profité du système et d’avoir été feignante quand j’y étais. Je n’imagine même pas ce que notre vie aurait été si l’on avait des enfants ! Mais pas d’inquiétude pour ça, les réformes sociales de ce pays sont le contraceptif parfait : hors de question d’infliger ça à une personne de plus.

Mais bon, on garde courage.


“Je suis obligé de ne me nourrir qu’avec de la merde surgelée” *Raphaël, au RSA

Simple : si on me retire le RSA alors que je vis en campagne, j’ai pas le permis j’ai pas le choix de survivre avec 500 euros de merde ! je suis obligé de me nourir qu’avec de la merde surgelée, je peux rien faire ! Donc simple si on me le retire je deviens SDF (…) Déjà que j’ai pas d’avenir si en plus on m’empêche de vivre avec le minimum (…)


“Je ne souhaite à personne le RSA, même à mon pire ennemi”, *Martha, au RSA suite à la rupture de sa période d’essai par son employeur

J’ai été au RMI pendant un an, suite à la fin de mes droits au chômage. 

Je m’étais entendu à l’époque avec mon employeur pour une rupture conventionnelle afin de reprendre mes études : BTS Assistant de Gestion. C’était une formation sur un an et demi, financée par la région, et le chômage m’a permis de subsister.

A l’obtention du BTS j’ai rapidement trouvé un travail. Cela dura la période d’essai, ne convenant pas à mon employeur. N’ayant plus de droits, j’étais au RMI. Outre le sentiment d’échec suite à ma période d’essai, j’avais l’humiliation d’être descendue tout en bas de l’échelle sociale.

J’ai été sans doute en dépression. Survivre, car il s’agit bien de cela lorsqu’on touche 400€ par mois (à l’époque en 2006), a été une épreuve de tous les jours. J’arrivais à m’en sortir grâce à mes économies (100€ par mois qui me manquaient) et grâce à mes parents qui me faisaient quelques courses.

J’ai remonté la pente au bout d’un an. Après un an sans avoir le goût et l’envie de « chercher un travail ». Grâce à une association qui m’a prise en « contrat aidé » création de poste.  Deux ans, deux contrats puis « au revoir » suivant/e.

Aujourd’hui tout va bien, et je ne souhaite à personne le RSA, même à mon pire ennemi.


Manifestation des gilets jaunes, Paris, mars 2022. Par Serge D’Ignazio

“Je pense avoir fait sécession avec leur monde nauséabond” *Louis, à l’ASS suite à une rupture conventionnelle négociée avec son employeur

Je ne suis pas, en toute rigueur, au RSA mais à l’ASS (…), mais concrètement ma situation serait probablement la même si j’étais au RSA (peut être quelques euros en moins contre un peu moins de pression de Pôle emploi pour me radier ?).

Cela fait maintenant un an et demi que je vis avec 524 € par mois, après 2 années de chômage. Avant cela, mon salaire net était de 2 300 €/mois. C’est la seconde fois que je négocie une rupture conventionnelle et bénéficie de mon droit d’être indemnisé pour prendre des vacances. La première fois avec la fin de mes indemnités, l’oubli de ce qu’est le monde de l’emploi et l’illusion que cela sera différent si je bossais pour une petite société (environ 10 salarié·e·s) m’avaient motivé à retrouver un emploi. J’ai tenu un an. Cette fois-ci j’ai donc fait en sorte de limiter mes dépenses au strict nécessaire pour avoir assez de ce maigre pécule. Même si je garde en tête qu’il serait bien de trouver une mission de temps en temps (juste histoire que Pôle emploi me foute la paix), je pense avoir fait sécession avec leur monde nauséabond alors que j’étais plutôt sur le chemin de la sous-bourgeoisie (salaire net de 2 600 € sorti de la fac à bac +5, et mes parents sont multi-propriétaires). Je reste tout de même privilégié, car j’ai un capital qui m’assure une certaine tranquillité d’esprit, un domaine de compétence où le travail ne manque pas.

Mais désormais je préfère passer du temps à faire du bénévolat, prendre soin de mes proches, de ma famille et simplement arrêter de détruire ce monde.

Merci pour votre travail à Frustration magazine, vous lire est toujours très enrichissant


“Coupe-nous le RSA, Manu, on viendra crever de faim sous tes fenêtres !”, *Léo, ancien aide-soignant, au RSA

J’ai été aide-soignant en maison de retraite pendant quelques années. Je peux témoigner que la galère vécue par les soignants ne date pas d’hier. Les conditions de vie des résidents et les conditions de travail du personnel étaient déjà très largement dégradées quand j’ai lâché l’affaire, épuisé, il y a 13 ans maintenant. Je ne supportais plus de me faire mal et de faire du mal à des vieux qui n’avaient rien demandé, au nom de la rentabilité de l’entreprise.

Une semaine avant Noël, ma compagne m’a annoncé qu’elle se tirait avec un autre mec, je me suis cassé le poignet en rentrant du boulot sous la pluie en mobylette et la clinique qui m’employait m’a annoncé qu’elle ne renouvellerait pas mon contrat. Faut dire que je l’avais un peu trop ouvert sur les conditions de travail. J’aurais pas dû, manifestement…

Depuis, je n’ai pas rebossé, et à plus de quarante balais, les chances qu’un employeur se penche sur mon semblant de « CV » sont de plus en plus infimes. Rien que l’idée d’un entretien d’embauche me donne des sueurs froides. De toute façon, je n’ai plus la moindre motivation, car le travail a perdu tout sens de nos jours : c’est soit produire de la merde pour le capital, soit aider l’Etat à passer la serpillère sur la catastrophe qu’il a provoqué dans les services publics et la population. Je ne serai plus jamais leur petit soldat obéissant. Je ne retournerai pas dans leur bagne volontairement. Advienne que pourra…

Je suis prêt à l’inévitable confrontation avec le capital. Elle viendra forcément, tôt ou tard. Mais je ne me mettrai pas à genoux pour les implorer de continuer à m’octroyer leur obole patronale.

Ca va faire maintenant treize ans que je n’ai pas allumé le chauffage, mon appart est un vrai taudis (même rangé), plein d’humidité, pas de fenêtres orientées au soleil, et où il fait plus froid qu’au dehors. Même en plein hiver, il faut ouvrir les fenêtres quand on prend une douche sinon de vrais gros champignons se mettent à sortir des murs les jours suivants. Au fond, je me sens un peu comme un SDF, mais avec un toit sur la tête. Un toit à quatre cent boules par mois, quand même. Quand on te dit que cinq euros en moins sur les APL, c’est pas grand-chose… 5 euros, c’est ce qui me reste à la fin du mois, quand tout se passe « bien ».

Pour manger, c’est pâtes et riz à tous les repas (depuis 13 ans), parfois avec de la sauce. La viande, c’est quand les potes font des grillades, en été, alors je me remonte le moral en me racontant que je suis devenu végétarien malgré moi, c’est mon « petit geste pour la planète », si cher aux capitalo-écologistes…

Pour les soins de santé, ben, les médecins vous prennent pas comme patient si vous avez la CMU, un classique. Il y avait bien un dispensaire près de chez moi, pour les misérables, mais il a fermé pendant le covid, pour se téléporter à l’hôpital, à l’autre bout de la ville, où tout est regroupé désormais, sans aucun doute, pour des raisons d’économies budgétaires. Rhô, c’est vraiment pas de bol…

Quand tu descends dans la rue en bas de chez toi, absolument tout l’espace est dévolu au commerce, dans une ville où pourtant le chômage fait des ravages (une ancienne ville minière dans le sud), et toi, t’as même pas de quoi te payer un foutu café. Alors, tu restes chez toi, tu « fumes des joints en regardant des documentaires », tu clignes des yeux et dix ans se sont écoulés, et tu te demandes combien de temps il te reste encore à tirer avant le cancer. La retraite, je sais pertinemment que je la verrai pas de toute façon, alors pourquoi s’en préoccuper ? Je sais très bien qu’il n’y a plus aucun espoir pour moi, et je m’en tape maintenant. Je suis libre parce que je n’ai plus peur.

Bref, une vraie vie de pacha…

Quand j’entends ce que Macron propose pour nous faire payer notre misère encore plus cher, je ne suis pas surpris du tout, ça fait longtemps qu’on s’y attendait (…). Je suis prêt à l’inévitable confrontation avec le capital. Elle viendra forcément, tôt ou tard. Mais je ne me mettrai pas à genoux pour les implorer de continuer à m’octroyer leur obole patronale. Coupe-nous le RSA, Manu, on viendra crever de faim sous tes fenêtres ! Tu ne sembles vraiment pas te rendre compte de ce dont sont capables ceux qui n’ont plus rien à perdre, pour la simple et bonne raison qu’ils ont déjà tout perdu, alors accroche-toi à ta réforme pour vieux réacs sociopathes, on va « venir te chercher »…


“On découvre chez moi une tumeur aux ovaires de stade 3 (..) je n’ai pas le droit au RSA ni à l’AAH”, *Jade, qui était en incapacité de travailler mais inéligible aux aides sociales

Ce témoignage est plutôt pour illustrer à quel point on tombe vite dans la précarité quand on n’est pas éligible au RSA. Je venais de terminer mon master suite à une reconversion professionnelle (j’étais infirmière), je touchais les allocations chômage pile pendant les 2 ans du master avec comme objectif de travailler dès la fin des études. Petit hic, à ce moment on découvre chez moi une tumeur aux ovaires de stade 3, je n’ai plus d’aides financières, je n’ai pas le droit au RSA ni à l’AAH (je suis reconnue à 80%) car je vis avec mon conjoint et un plafond à ne pas dépasser (qui est très peu élevé surtout en région parisienne, vivre sur un peu plus de 1600 euros à deux avec un loyer à payer…).

Au final, je suis devenue totalement dépendante de mon conjoint durant près de 8 mois, vu que je ne pouvais travailler et que je n’avais aucun contrat en cours me permettant d’être éligible aux indemnités journalières. Bien entendu, impossible d’être en recherche d’emploi tant c’est éreintant. Maintenant je suis dans une bonne situation financière et tout s’est arrangé au niveau médical, mais cela a été une longue période de stress, pas forcément nécessaire pour ma convalescence, et que la précarité arrive plus vite qu’on ne le pense.


Manifestation des gilets jaunes, Paris, décembre 2018. Par Serge D’Ignazio

“J’estime avoir une vie riche, pas une vie de riche”, Paula, modèle, mère de 3 enfants et au RSA

J’ai été mère célibataire à 20 ans après un BTS Tourisme. Vite en galère, restos du cœur, fringues et puériculture d’occasion pour bébé. Et puis une rencontre décisive avec un amoureux étudiant aux Beaux-Arts qui me dit : « si tu es en galère viens poser aux cours du soir comme modèle »  J’ai passé la porte, je ne suis jamais ressortie.

J’adore ce métier, atypique, dans lequel je m’épanouis mais que je ne peux pas exercer 35h par semaine évidemment. Mais c’est devenu aussi un choix de vie.

J’ai voulu élever mes enfants (3 au total) ils n’ont jamais connu une nourrice. Les circonstances de la vie ont fait que j’ai été veuve puis séparée à nouveau.

Je n’ai jamais cessé d’être modèle. Je touche peu de RSA, certains trimestres pas du tout, d’autres si car je n’ai pas fait assez d’heures. Pour moi c’est un filet de sécurité mais j’adore ma vie telle qu’elle est. Je fais un métier que j’aime, je pense que ça rend heureux les élèves de dessiner et de sculpter, je choisis quand je travaille, je fais pas un bullshitt job, je vis dans le minimalisme, je suis heureuse avec peu, je suis anticapitaliste dans ma façon de vivre, en accord avec mes principes. Ma plus grande richesse c’est le temps. J’ai le temps de me cultiver, de lire ,de voyager, de rencontrer des gens, de les aider si je le peux. J’estime avoir une vie riche, pas une vie de riche.


“Je veux juste être vivante sans trop souffrir, il ne devrait pas y avoir un prix à payer pour cela”, F., au RSA car en situation de handicap psychologique. 

Je m’appelle F. et suis bénéficiaire du RSA depuis de nombreuses années presque sans discontinuer. J’ai de forts handicaps psychologiques dont une phobie sociale prononcée ainsi que des traits autistiques. Vivant en province, l’accessibilité aux diagnostics et aux praticiens compétents remboursés par la sécurité sociale est quasi inexistante, surtout concernant les adultes et de ce fait, l’AAH est inaccessible pour moi (parcours du combattant pour déposer un dossier + conditions d’attribution très restrictives). 

Mes incapacités ne me permettent pas d’être salariée dans le monde du travail, je suis inapte à beaucoup de choses allant de soi pour la plupart des gens, peu importent mes efforts – qui se soldent toujours par la détérioration de ma santé mentale et même physique.

Cependant je ne suis pas inactive, je suis illustratrice numérique et prévois de me lancer en tant qu’auto-entrepreneur. C’est une voie parfaite car je ne peux travailler qu’en étant seule et à distance. Cela ne me soustraira pas complètement au RSA mais me permettra au moins de gagner un peu d’argent par moi-même sans les contraintes d’un emploi classique – que je ne peux pas assumer, encore une fois.

De par cette activité qui mobilise déjà tout mon temps et de par mes incapacités psychologiques, je fais partie des bénéficiaires qui seront dans l’incapacité totale d’accorder ne serait-ce qu’une demi-heure de travail, salarié ou non (ou même de n’importe quoi d’autre) en échange de cette aide – déjà fortement conditionnée -. J’ai vraiment l’impression d’être encore plus traitée en criminelle du simple fait de mon statut social de précaire. Je veux juste être vivante sans trop souffrir, il ne devrait pas y avoir un prix à payer pour cela.

“Le poids des personnes au RSA dans l’associatif n’est jamais pris en compte”, *Camille 

J’ ai travaillé une partie de ma vie mais cela ne me convient pas. Depuis 4 ans nous vivons à 5 dans une maison à la campagne, de manière la plus autonome possible, eau, électricité, nourriture etc.

Nous servons de famille d’accueil pour plusieurs animaux, à défaut de pouvoir en adopter faute de moyens, nous leur partageons une partie de notre espace et beaucoup d’amour. Le poids des personnes au RSA dans l’associatif n’est jamais pris en compte quand on nous traite de profiteurs.

“Etre au RSA c’est un parcours du combattant”, femme de 34 ans, au RSA suite à un burnout 

Je suis au RSA depuis 4 ans suite à un burnout, j’ai développé une dépression ainsi que des troubles d’anxiété sévères. Je suis en thérapie comportementale et j’ai également un traitement. Avant tout ça, je travaillais dans une grande agence de communication, plus précisément pour leur branche influence et corporate (du « soft lobbying »). (…) Mais face au rythme de travail, au salaire de misère, à l’éloignement familial puis à une situation personnelle foireuse, j’ai pété un câble. J’ai décidé de rompre mon CDD (…). Bref, je suis partie, j’ai déménagé avec mon chat, je suis allée vivre chez mes grands-parents très âgés. J’y suis toujours. Je ne voulais pas du RSA, je me disais que j’allais rebondir dans les 6 mois. Sauf que non, j’étais dans le déni. Inscription Pôle emploi, demande de RSA au département… me voilà inscrite 3 mois après mon arrivée. (…)

Pendant 2 ans et demi j’ai été baladée de conseillers en conseillers, j’ai été intégrée à des parcours qui ne me convenaient pas. Les seules qui m’ont aidé comme elles l’ont pu ont été les assistantes sociales de la structure qui me suit et qui ont compris que j’étais en détresse psychologique, elles m’ont donc orienté dans un parcours santé. Pour justifier le parcours santé, il faut que votre médecin, ici en l’occurrence ma psychiatre, remplisse un document qui atteste votre maladie. Il faut savoir également qu’étant au RSA j’ai obligation d’avoir à jour mon contrat avec le département sinon plus de RSA. Donc tous les 3 ou 6 mois j’ai un rendez-vous avec une assistante sociale pour parler de moi, ma santé, mes projets. Je dois en gros dire ce que je compte faire, c’est comme si j’avais des devoirs à remplir et si je ne l’ai fait pas, le département peut me tomber dessus. A chaque rendez-vous c’est un stress en plus, parce que oui ça va faire 4 ans mais je sors à peine la tête de l’eau depuis quelques mois. Je ne peux pas encore travailler mais je me fixe comme objectif de passer mon permis, pas évident quand on est au RSA mais à 34 ans on demande à maman un « crédit ».

J’ai tout perdu suite à mon burnout, je ne le souhaite à personne. Ma vie est un combat chaque jour contre la maladie et les préjugés

Avec le RSA et Pôle emploi j’ai assisté à des réunions pour une reprise d’activité, j’ai assisté à des visios en groupe avec un cabinet de conseil pour les chômeurs ou en réorientation. J’ai même fait un « stage » type élève de 3ème dans une grande enseigne. Je n’étais pas censée travailler mais observer pendant une semaine mais la manager m’a donné un planning en 35h et m’a fait faire des ventes encaisser des clients alors que c’est illégal. A la fin du « stage » elle m’a proposé un cdd j’ai refusé car cette semaine de travail en 35h m’avait tué psychologiquement parlant, je me suis rendue compte que je n’étais pas prête à reprendre le travail. Quelques mois après cette expérience, je me suis inscrite à un concours de la fonction publique territoriale, je me suis payée une prépa en ligne, je l’ai payée en plusieurs fois. Malheureusement je n’ai pas eu mon concours. La veille de l’examen j’ai eu une grosse crise d’anxiété, j’étais tétanisée j’ai donc pris la décision de ne pas m’y rendre. La prépa a été très lourde car je me suis rendue compte que j’avais perdu beaucoup de capacités intellectuelles alors que je suis d’une formation universitaire de niveau master en science politique. Au dernier rdv en date, mon assistante sociale m’a proposé de faire une demande à la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées, ndlr) afin de préparer en amont un dossier pour travailleuse en situation de handicap.  J’ai du mal avec cette proposition, j’ai même honte. 

Signature de contrat RSA et envoi au département pour contrôle. 

Demain matin j’ai rdv avec ma conseillère Pôle emploi, la 3ème en trois 3 ans, oui ils ont encore changé ma conseillère. Sincèrement, demain je ne sais pas quoi lui dire. 

Bref, être au RSA c’est un parcours du combattant. J’ai 34 ans, je vis chez mes grands-parents. Je ne suis donc pas indépendante. Eux dépendent de moi, donc j’ai cette charge en plus à gérer quotidiennement. J’ai tout perdu suite à mon burnout, je ne le souhaite à personne. Ma vie est un combat chaque jour contre la maladie et les préjugés. Oui même dans le cercle familial il y a des préjugés, surtout quand cela vient de l’un de vos parents, ça fait mal. De plus, quand je vois tous des bourgeois donneurs de leçons qui crachent h24 sur les plus précaires, j’ai la haine et la gerbe.

J’en ai marre de ce système capitaliste, j’en ai marre du libéralisme, j’en ai marre de la droite, enfin pour moi ce sont tous des putains de fachos. (…)


Manifestation des gilets jaunes, Paris, décembre 2018. Par Serge D’Ignazio

“Quiconque n’ayant pas moyen de travailler tous les jours, d’être suffisamment payé et étant parfois incapable de travailler selon ses compétences, a droit au RSA ou à l’AAH sans en rougir”, S., bénéficiaire de l’AAH. 

(…) En 2004, je demandais le RSA pour finir mes études. Le coût des études était pris en charge par Pôle emploi depuis 2002. C’était pendant les deux ans de procès contre mon employeur et enfin j’avais gagné le droit à cette reconversion de la part du Juge. Le problème était qu’en 2004, je ne recevais plus rien du tout car j’étais en fin de mes droits à l’allocation chômage et j’ai divorcé sans recevoir l’aide du mari ou de mon nouveau compagnon. (…)  Avec le RSA, je pouvais divorcer dignement, élever ma fille en maman solo et créer mon entreprise. (…) Finalement, depuis ma crise liée à une pauvreté extrême, en 2009, je suis à l’AAH. Le drame de ma vie est que mon ami s’est suicidé, mon enfant est toujours placé à l’ASE, ma voiture a été vandalisée entre 2017 à 2021 et j’ai à peine de quoi vivre avec l’AAH. (…) Le Bailleur me prélève tout ce que je parviens à avoir en finances, le 20 du mois, j’ai plus de quoi vivre. (…) Je suis devenue handicapée en 2009 et je suis reconnue handicapée à vie depuis 2020. Tout simplement par le degré de violences que je reçois des uns et des autres.  D’une part, je ne peux pas vivre en couple, je perdrais de l’AAH et aucun homme n’a fait son examen de conscience en générosité. D’autre part, créer une entreprise sous tutelle, c’est comme circuler en marche arrière (…). 

Le RSA encourage n’importe qui à travailler d’une manière ou d’une autre, sans avoir à le déclarer et le Gouvernement croit que c’est le moyen qu’une personne au RSA a de travailler régulièrement. (…) 

(…) Quiconque n’ayant pas moyen de travailler tous les jours, d’être suffisament payé et étant parfois incapable de travailler selon ses compétences, a droit au RSA ou AAH sans en rougir. (…)


J’ai le syndrôme d’Ehlers-Danlos, non reconnu par la MDPH”, *Alix, en situation de handicap et allocataire du RSA 

J’ai le syndrome d’Ehlers-Danlos, non reconnu par la MDPH, je vis du RSA, je me nourris grâce aux invendus de la grande distribution (poubelles, fins de marché etc). Je peux travailler environ 1 ou 2 jours par semaine, de façon irrégulière, donc le seul travail qui m’a été accessible est le sexe. Je refuse d’empirer ma santé dans un travail, bon courage à quiconque pour trouver un emploi qui m’accepte dans cet état. 


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