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Désireux d’en savoir plus sur le fonctionnement de la société coopérative, que nous pensons pouvoir devenir l’une des bases d’un nouveau modèle économique non capitaliste, il nous a paru naturel de nous tourner vers une librairie avec qui nous travaillons depuis longtemps, Les Volcans, à Clermont-Ferrand. Cette institution de la ville, qui avait fermé en février 2014 suite à la liquidation judiciaire du groupe Chapitre, a été reprise par une douzaine de salariés qui sont aujourd’hui les heureux sociétaires d’une librairie coopérative qui a rouvert en août 2014 et qui marche. Ils seront bientôt rejoints en tant que sociétaires par les 24 salariés. Nous avons donc dépêché un membre de notre collectif à la rencontre de deux libraires, avec une montagne de questions. Valériane et Philippe lui ont expliqué l’histoire de la Scop et son fonctionnement. Nous avons retenu principalement les spécificités de l’entreprise coopérative et non ce qui relève de l’expérience du collectif, que beaucoup de personnes peuvent connaître par l’engagement dans des associations ou autre. Il a beaucoup été question de partage : partage d’une aventure, mais aussi partage du capital, de la décision et des compétences.

Dans le patio – le nouvel espace aux couleurs chaudes dédié aux rencontres-dédicaces –, on peut boire un thé « 1336 », la marque des anciens salariés de l’usine Fralib qui produisaient le thé Éléphant, qu’ils ont nommée ainsi pour rappeler leur lutte de 1336 jours (plus de 3 ans) pour parvenir à reprendre leur outil de travail devenu Scop-TI. Un discret soutien au mouvement coopératif. Car, si beaucoup de Français ont pu entendre parler de l’épopée des ex-Fralib, nous savons moins que l’entreprise coopérative n’est pas si rare que ça. Selon le réseau « Les Scop », à la fin de l’année 2014, les sociétés coopératives et participatives étaient 2 680 en France et employaient près de 51 000 salarié(e)s. 26 900 d’entre eux sont des coopérateurs ou associés. Le nombre de ces sociétés est en constante augmentation car elles appliquent une stratégie solidaire de développement, ou plutôt d’essaimage : une part de leur chiffre d’affaires doit être reversée au réseau. Les Unions régionales des Scop ont ainsi les moyens d’accompagner les personnes qui ont un projet de reprise ou de création de société coopérative.

 

L’aventure de la reprise

« Sans eux, rien n’aurait été possible. Ils sont formidables. ». Je suis accueilli par Valériane, aux Volcans depuis 2007, qui s’occupe du rayon politique et histoire (et assure donc le suivi de Frustration), et Philippe, ici depuis 2005, qui gère la partie scolaire/universitaire. D’emblée, ceux-ci en viennent à rendre hommage à l’Union régionale des Scop d’Auvergne. En effet, quand les salariés apprennent la fermeture prochaine de leur librairie – fermeture effective en février 2014 bien que le directeur leur ait fait croire jusqu’au dernier moment à une reprise imminente par un grand groupe tout en noircissant le tableau auprès de ces repreneurs potentiels –, deux d’entre eux, Christian et Rosa (syndicaliste CGT), parlent à leurs collègues du mouvement coopératif. Le directeur de l’Union régionale vient alors présenter les Scop. À l’issue de cette réunion, 13 employés se disent intéressés et vont travailler ensemble pendant plusieurs mois à la mise en place de leur projet, au terme duquel ils seront 12 à rester. L’Union régionale étudie avec eux la faisabilité économique, les aide à créer leur organisation juridique (forme de la société – Scop, Scic –, rédaction des statuts, …), appuie leur plan de financement et, plus simplement mais pas moins utilement, leur fournit des locaux pour se réunir.

Un intervenant, conseillé par le directeur de l’Union régionale, fait avec eux un travail de coaching de groupe, afin de leur apprendre à se connaître, à travailler ensemble, à se dire les choses, bref, à former une équipe soudée. Tous ne se montrent pas favorables à cette idée au départ. Pourtant, aujourd’hui, ce moment apparaît d’autant plus important que le stress de la situation, les clivages avec les opposants à la reprise par les salariés et l’absence de dénominateur commun entre les futurs sociétaires ne les prédisposent pas forcément à une entente harmonieuse. Car les coopérateurs occupaient auparavant des postes divers – cadre, librairie ou caissier – et ne se côtoyaient pas forcément de près, chacun s’occupant uniquement de ses tâches.

On pourrait d’ailleurs craindre que les seuls à avoir osé s’engager dans l’aventure aient été les moins en difficulté financière, ceux qui, par exemple, avaient un conjoint qui gagnait bien sa vie ; eh bien cela n’a pas été du tout le cas. Déjà car la continuation de l’entreprise leur assurait à tous leur future paie (supérieure aux indemnités chômage donc), ensuite parce que le plan de financement excluait l’apport personnel et enfin parce que le statut des Scop instaure l’égalité entre les coopérateurs, quelle que soit leur part du capital.

Ce sont donc des mois intenses, d’un travail que celui qui a toujours été salarié ne connaît pas, puisqu’il s’agit de monter un dossier de reprise qui devra être accepté par le tribunal de commerce de Paris. Les nouveaux coopérateurs investissent leurs indemnités de licenciement (qui varient selon leur ancienneté) et leurs droits au chômage dont 45 % peuvent être versés (en deux fois) par Pôle emploi, dans le cadre de l’aide à la reprise ou à la création d’entreprise (ARCE), soit 300 000 euros. Auxquels s’ajoutent : une campagne de financement participatif qui rapportera près de 70 000 euros, quelques subventions publiques comme celle du Conseil régional (72 500 euros), un prêt à taux zéro du Centre national du livre, des prêts des banques « coopératives », 200 000 euros du Crédit coopératif et autant du Crédit mutuel, et de l’organisme France Active. C’est un total de 1,5 million d’euros qui est réuni grâce à 12 financeurs.

Entrer dans les détails du plan de financement a son importance car, pour qu’une librairie fonctionne, il lui faut non seulement payer un loyer (revu à la baisse avec le propriétaire) et employer des travailleurs (il y avait 33 salariés à la fermeture), mais aussi acheter un stock de livres. Et, face à la concurrence des géants d’Internet qui contournent la loi en proposant des livraisons à 1 centime en 24 ou 48 heures, il faut un stock important pour que le client trouve ce qu’il recherche sur place. 1,5 million d’euros était nécessaire pour faire fonctionner cette immense librairie de 1 700 m2, sur deux étages, qui comportait, et comporte toujours, des rayons papeterie, disque et vidéo, et se trouve sur les boulevards mais proche du cœur commercial de la ville, la place de Jaude.

 

« À Clermont, on dit “Je vais aux Volcans” et tout le monde comprend », explique Valériane. « Et pourtant des commerces qui s’appellent ainsi, on en trouve à chaque coin de rue », précise Philippe. La librairie est ce qu’on appelle une institution. Elle a ouvert en 1974, dans le quartier de la nouvelle faculté de lettres de l’université Blaise Pascal, peu avant que la maison de la culture ne soit construite en face. Un environnement favorable donc, mais les coups durs se succèdent au début des années 2000 : dans le quartier (fermeture de la gare routière et de l’Hôtel-Dieu, travaux de construction du tramway) et dans le groupe Chapitre (standardisation des librairies qui s’avère un échec, cession du groupe à un fonds d’investissement qui vend le siège parisien et place le reste en liquidation judiciaire). Le tiers des 57 librairies Chapitre ferment définitivement leurs portes.

Les repreneurs potentiels ne croient pas à l’avenir de la librairie pour plusieurs raisons : sa superficie, son loyer, les conditions du tribunal qui impose de reprendre tous les salariés et aussi à cause de la politisation supposée de ces derniers. Pourtant, la situation des Volcans n’était pas désastreuse. Mais les aberrations étaient nombreuses dans un secteur qui pâtit rapidement de l’appauvrissement de la population : Les Volcans versaient 100 à 200 000 euros par an pour faire fonctionner le siège de Chapitre mais aussi 30 centimes sur chacun des ouvrages envoyés par la centrale ! Le fonctionnement indépendant était donc pour les repreneurs une question de rationalité économique et de survie.

À Clermont, personne n’avait intérêt à la fermeture des Volcans. Ni les employés qui ne retrouveraient pas facilement un travail en librairie, encore moins dans la région (certains sont encore malheureusement au chômage), ni les clients, ni les pouvoirs publics. Le maire PS, ancien adjoint à la culture et par ailleurs client de la librairie, a l’ambition de faire de la ville la capitale européenne de la culture en 2028. Avoir la FNAC pour seule grande librairie, ça ferait tache. Aujourd’hui, le quartier devient un pôle culturel avec, en plus de la maison de la culture et la librairie, la construction de la scène nationale de La Comédie à la place de l’ancienne gare routière.

Au soutien du maire s’ajoute celui d’autres pouvoirs publics qui se montrent sensibles à la pérennisation de la librairie. Récemment, Les Volcans a remporté les trois appels d’offre de la région pour les livres scolaires auxquels la librairie a participé. Certainement grâce à la qualité de son offre conçue par le service collectivités, mais devant le groupe Decitre basé à Lyon qui remporte généralement ces marchés. C’est un soutien officieux car la législation, adaptée du droit européen de la concurrence, exclut tout critère de proximité dans les choix. Seule la régulation des prix (connue sous le nom de « prix unique du livre ») permet aux librairies de limiter les dégâts de la concurrence des géants, puisqu’on trouvera le même livre au même prix aux Volcans, sur Amazon, dans un Espace culturel Leclerc ou dans une toute petite librairie de quartier. Il y a aussi la nouvelle ministre de la Culture qui a choisi Clermont-Ferrand pour son premier déplacement, le 3 mars dernier, et a commencé la journée par une visite des Volcans. Symboliquement, le pouvoir soutient ce type d’initiative, du moins dans le secteur culturel, soutien qui s’est aussi traduit par la remise de la médaille du mérite à Martine Lebeau, la gérante de la Scop, pour l’ensemble des coopérateurs.

 

La réalité de la coopération

« Une entreprise qui appartient à ses salariés, est-ce que ce n’est pas ça l’innovation ? » Philippe répond à une question sur l’innovation dans la Scop (utilisation de logiciels libres par exemple) en m’expliquant que, si les choses n’ont pas été foncièrement révolutionnées aux Volcans, ce sont les rapports de travail et l’engagement des travailleurs qui ont changé du tout au tout.

Quand les coopérateurs récupèrent les clés, en juin 2014, ensemble, ils décident de s’approprier, optimiser et rendre plus agréable leur lieu de travail et l’accueil des clients, prenant eux-mêmes en charge une partie des travaux. Ensemble, ils repeignent les bureaux et les espaces logistiques, installent des faux plafonds, créent un espace d’accueil à l’entrée du magasin, et font de la place pour circuler dans les rayonnages – ce qui s’avère également pratique pour l’accessibilité des personnes en fauteuil roulant en toute indépendance. Ils décident aussi de créer un espace dédié aux rencontres. Il y a désormais 300 rencontres par an, organisées par chacun des rayons et coordonnées. Un budget est alloué pour recevoir les auteurs, ce qui permet de travailler dans de bonnes conditions.

On voit bien que le passage en coopérative a encouragé les initiatives et notamment l’intégration à l’environnement local. Dans le contenu, la librairie reste généraliste et ce moment de politisation n’influe que peu sur le choix des livres présentés qui reste à la discrétion de chaque responsable de rayon qui doit privilégier l’éclectisme. Par contre, ceux-ci favorisent désormais plus facilement des petits éditeurs, locaux (comme Page Centrale, maison d’édition coopérative) ou non (Valériane a pris soin d’exposer Frustration en vitrine). Dans son rayon scolaire, Philippe a lui indiqué le nom des profs devant les piles de livres au programme.

Mais, si la coopération ne correspond pas à une révolution du magasin (Valériane déplore l’absence d’initiative de recyclage), la mise en pratique des valeurs qui y sont liées a lieu avant tout dans les rapports de travail et dans l’organisation de la structure.

 

De la souplesse vis-à-vis du droit du travail. Les coopérateurs ont dû faire quelques sacrifices (tickets resto, 13e mois), mais aujourd’hui ils appliquent la convention collective de la branche, ce que ne faisait pas le groupe Chapitre, dans l’illégalité. Un libraire anciennement au SMIC peut gagner désormais autour de 1 350 euros nets. Les écarts de revenus sont très faibles : de 1 à 2. Les salariés sont réellement aux 35 heures. Et les coopérateurs, qui eux sont plus investis, tiennent au respect de bonnes conditions de travail car eux-mêmes ont eu des difficultés familiales tant le projet de reprise a dévoré tout leur temps et leur esprit. Ils ne veulent pas que cela recommence. C’est pour cette raison qu’ils se refusent à ouvrir le dimanche, même si cela pourrait être porteur certains week-ends.

Ils respectent donc le droit du travail et savent faire preuve de souplesse, à rebours du sens que lui attribuent les Macron et consorts, n’y voyant qu’une considération économique. C’est la considération pour les personnes qui conduit les sociétaires à faciliter autant que possible les situations personnelles, par exemple à modifier le planning si quelqu’un a besoin d’aller chercher ses enfants à l’école. Cela vaut aussi pour les traditionnels malmenés de l’entreprise. Cette année, la librairie a recruté une apprentie, ce qui n’était pas le cas chez Chapitre. Mais surtout, les travailleurs décident eux-mêmes éventuellement de recruter un stagiaire et prennent du temps pour l’accompagner, le former et ont soin de ne pas lui faire faire les corvées. La souplesse fonctionne aussi dans l’autre sens : les coopérateurs sont très impliqués dans leur société et n’hésitent pas à travailler beaucoup mais en retour ils ont la fierté d’être propriétaires de leur outil de travail et de se sentir entendus.

 

« On apprend tous les jours, on se responsabilise, en faisant ce qu’on n’est pas censé faire ». Il ne faut pas comprendre la responsabilisation au sens d’avoir des responsabilités, du pouvoir, de devenir chef. D’ailleurs, avec les 24 salariés recrutés par les 12 coopérateurs – dont une seule ancienne des Volcans qui n’avait pas souhaité participer au projet de reprise – il n’y a pas de rapport hiérarchique. Philippe accepte tout au plus de parler de « référents », une question de compétences et non de pouvoir : comme les sociétaires ont plus d’ancienneté et sont à l’origine du projet, les salariés se réfèrent plus facilement à eux.

Car la responsabilisation consiste plutôt à apprendre. Et la mise en place du projet de reprise a été l’occasion d’une redéfinition des buts collectifs mais aussi individuels. Certains ont voulu conserver leur place précédente mais d’autres ont exprimé le désir de changer. Carole, Karen et Stéphanie étaient caissières. Maintenant, Carole s’est formée à la comptabilité, Karen est à l’accueil du magasin et Stéphanie au rayon jeunesse.

La responsabilisation consiste aussi à prendre en charge des tâches qui sortent de l’ordinaire, pour le bon fonctionnement de la collectivité. Par exemple, nous discutons à l’étage, au point accueil de Philippe parti renseigner un client, Valériane propose son aide aux clients qui arrivent alors même que nous ne sommes pas dans son rayon et qu’elle est en pause. De même, Philippe raconte avoir porté des colis à la poste pour que ce soit fait rapidement alors qu’avant, il aurait pu être réprimandé pour une pareille initiative. La sécurité devient elle aussi peu à peu une charge partagée. Car il n’y a de vigiles que lors de la période de Noël et lors d’événements. Mais le « taux de démarque » (vols) important les pénalise car c’est le libraire qui paie le livre volé, pas l’éditeur ni le distributeur. Or les sociétaires sont aussi engagés financièrement et le vol remet en cause la pérennité de leur entreprise. Alors ils commencent à prendre les choses en main. Ils ont déjà installé des caméras qui peuvent au moins dissuader. Ils interviennent lorsqu’ils ont vu un vol. Tous m’ont semblé plus attentifs à cette question que des salariés d’une grande librairie qui dispose généralement de vigiles.

Enfin, la responsabilisation consiste à participer aux décisions. Les informations sont partagées ; tous peuvent avoir une vue sur les comptes. Des réunions tous les 15 jours définissent les orientations et le partage des tâches – par exemple Valériane vient d’obtenir la gestion du planning. Les sociétaires sont souvent d’accord et si ce n’est pas le cas, c’est la gérante qui tranche. Le choix de Martine comme gérante est apparu comme une évidence – elle était à la librairie depuis toujours, elle était cadre, responsable des rayons universitaires, mais également conseillère prud’homale (et connaît à ce titre le droit du travail et le monde de l’entreprise) et leader naturelle. Sans compter qu’à 12 le fonctionnement est assuré par la confiance mutuelle et la possibilité de discuter. Mais le problème de la gouvernance se posera bientôt car les salariés ont vocation à devenir sociétaires au bout de 2 ans – ils ont l’obligation d’y postuler – par un mécanisme de prélèvement sur les salaires (2 %) et/ou l’apport au capital de leur participation (bloquée normalement pendant 5 ans), jusqu’à atteindre 7 500 euros. Parler à 36 sera plus compliqué et une réflexion est en chantier sur l’intégration de tous ces travailleurs à la coopérative, intégration qui devra sans doute passer par une plus grande précision des statuts.

Il ne faut pas croire pour autant que la société coopérative est un monde parfait et tout n’est pas toujours facile. Dans le documentaire Tournez la page, filmé pendant la reprise par Marie Serve et Éric Morschhauser, on voit Valériane et d’autres parler de fracture irréparable entre les coopérateurs et leurs gérants élus (Martine et Maxime étant au départ co-gérants). Encore aujourd’hui Valériane n’hésite pas à partager les déceptions vécues et à mettre en garde contre l’idéalisation de l’entreprise coopérative. Elle a pu constater la force de cet idéal dans les 600 candidatures déposées avant la réouverture : beaucoup de personnes rêvent de travailler dans une société coopérative. Certains sont venus de loin, comme cette jeune responsable d’un espace culturel Leclerc en Vendée qui voulait changer de manière de travailler. Certes, les incompréhensions, les inégalités et les souffrances dans les rapports restent humains. Mais, au vu de l’histoire des Volcans, on peut dire que la coopérative est un effort pour maîtriser ces penchants, pour mettre tous les travailleurs sur un pied d’égalité et leur donner intérêt à résoudre leurs problèmes ensemble ; c’est de cette manière que la coopération crée la responsabilité, par la participation volontaire de l’individu à un collectif. Je ne connaissais pas Valériane et Philippe auparavant, mais je devine qu’ils sont changés : leur investissement dans un projet collectif a fait d’eux des travailleurs qui semblent heureux et surtout libres.

 

L’avenir de l’économie coopérative

« La coopérative, sur le chemin du collectif ». C’est l’une des phrases qui agrémente la longue vitrine des Volcans. La coopérative reste une préoccupation constante, rendue visible dans la librairie. Le rayon économie propose un large choix de livres sur l’économie coopérative et le secteur social et solidaire. Les Volcans participe au mois de l’économie sociale et solidaire. En 2015, la librairie y a reçu le Prix de « l’impact local ». Elle peut aussi se joindre à des actions, comme une conférence donnée par la MAIF (mutuelle d’assurance). Difficile de dire si la mise en avant de l’économie coopérative est aussi un argument de vente ou si c’est surtout la médiatisation de la reprise qui a ravivé l’intérêt pour la librairie, en tout cas, les clients soutiennent par l’achat : le panier moyen aux Volcans est plus élevé qu’en moyenne dans les grandes librairies (dites de premier niveau). La nouvelle identité des Volcans peut aussi attirer des personnalités engagées, comme le chanteur auvergnat Jean-Louis Murat qui avait toujours refusé les invitations de la librairie et qui, après la reprise en coopérative, a lui-même téléphoné pour organiser un showcase qui a rassemblée 90 personnes.

L’économie coopérative est une préoccupation et surtout un engagement. Par exemple, Philippe fait maintenant partie d’une commission liée à l’Union régionale des Scop, qui analyse les projets de reprise par des salariés. Il participe donc au développement de ce type de société et croit à sa diffusion : il faut la faire connaître car elle est possible à plein d’endroits, démontre-t-il. Déjà parce qu’elle est viable : elle ne craint pas la délocalisation ou le rachat et son taux de survie est plus important que celui des entreprises classiques [voir encadré]. Et aussi parce qu’on peut imaginer que des employés, soutenus par l’Union des Scop comme le furent ceux des Volcans, pourraient facilement reprendre des entreprises dont le gérant part en retraite. Mais, pour Philippe, voir plus loin, penser une généralisation de l’économie coopérative, semble compliqué car cette aventure reste une question de motivation des personnes. Une aventure qui demande de s’investir davantage que dans le salariat. Certains ne s’en sentent pas capables et préfèrent être dirigés que décideur. C’est ce qu’il a constaté et c’est également ce que peut montrer le fait qu’un seul projet de Scop a été formé pendant que 23 des 57 librairies Chapitre ont fermé.

Selon nous, ces réticences sont une bonne raison d’organiser et structurer une transition vers l’économie coopérative afin de ne pas compter sur les initiatives individuelles pour changer le système, sinon ce ne seront jamais que ceux qui osent qui pourront changer leurs conditions de travail.

Nous espérons que l’expérience que des sociétaires de la librairie Les Volcans ont bien voulu partager avec nous sera utile au plus grand nombre. Une librairie historique avait été balayée par le capitalisme, ses salariés s’étaient sentis escroqués. L’économie coopérative l’a fait renaître de ses cendres, ses sociétaires sont aujourd’hui tous décisionnaires et savent qu’ils peuvent compter les uns sur les autres. Naturellement, ils ont donné la priorité à l’humain et parviennent pour autant à gérer une entreprise pérenne dans un domaine peu profitable mais ô combien gratifiant. Rien ne les avait préparés à ça. Ils l’ont fait. Alors que pourrions-nous faire en étant préparés ?

 

 

Pour aller plus loin :

Qu’est-ce qu’une Scop ?

La Scop, société coopérative et participative, est une forme d’entreprise coopérative définie par la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. Il existe d’autres types d’entreprises coopératives (CAE coopérative d’activités et d’emploi, SCIC société coopérative d’intérêt collectif).

La Scop repose sur des principes de démocratie (1 personne = 1 voix), de participation économique des membres, d’indépendance, de mise en réseau avec d’autres coopératives, etc.

Ses membres, comme les adhérents à une mutuelle sont des sociétaires, coopérateurs, associés ou même scopeurs et non des salariés. Ils peuvent avoir des salariés mais ceux-ci ont vocation à devenir sociétaires.

 

Changer de vocabulaire

Philippe et Valériane, pourtant d’une grande gentillesse, haussent le ton quand je leur demande s’ils sont un peu des « patrons ». Ils préfèrent le terme de « référents » vis-à-vis des salariés ou simplement « sociétaires ». Par contre, ils ont encore besoin de se reprendre mutuellement pour parler de la « gérante » (élue) et non de la « directrice ». Changer les rapports au travail demande de faire l’effort de changer de vocabulaire.

 

Quelques données

Selon la Confédération générale des scop (<www.les-scop.coop> page « Idées reçues sur les Scop ») :

Fin 2014, on comptait 2 680 Scop en France avec près de 51 000 salarié(e)s dont 26 900 sont associé(e)s. Les Scop génèrent un chiffre d’affaires consolidé de 4,4 milliards d’euros.

À 3 ans, le taux de survie des entreprises créées en Scop s’élève à 82 %, au-dessus de la moyenne nationale (66 % source Insee) ; à 5 ans, le taux de survie est de 65 % contre 50 % pour l’ensemble des entreprises françaises.

En 2014, 40 % des excédents nets ont été distribués aux salariés sous forme de participation, 49 % ont été mis en réserve dans les Scop et 11 % ont rémunéré le capital investi dans les coopératives.