logo_frustration
U

Théo est salarié dans l’hôtellerie-restauration et il a répondu à notre appel à témoignage dans le cadre de notre enquête sur la “pénurie” de personnel dans le secteur. Nous publions avec son accord son texte, révoltant, puissant et mobilisateur. Nous adressons au passage toute notre sympathie et notre soutien aux travailleuses et travailleurs de la restauration qui, ces derniers mois, nous ont écris pour confirmer l’état d’exploitation et de détresse avancée dans lequel ils se trouvaient. Cela doit changer, et vite.


Je suis du Pays Basque, une région où beaucoup d’emplois sont saisonniers et où foisonnent les emplois précaires : CDD, intérim, contrats étudiants. Elle est considérée par Pôle Emploi comme une « zone tendue », c’est-à-dire que beaucoup de postes sont à pourvoir. Cette rhétorique est utilisée par les conseillers Pôle Emploi oralement lors de nos échanges, mais pas sur le site officiel ou dans les offres, peut-être est-ce une expression utilisée par les dirigeants pour mettre la pression aux conseillers pour nous mettre au boulot.

Des conditions inacceptables

Dans la restauration où je travaille, les conditions sont difficiles depuis toujours : des contrats de 39 heures au minimum, des coupures (bosser de 11h à 15h et reprendre à 18h jusqu’à la fermeture), un taux horaire au SMIC pour la plupart des postes, alors que l’inflation est là. Ne parlons pas des loyers dans la région et de cette pénurie de logement, due aux locations saisonnières et aux parcs immobiliers géants de riches parisiens qui ont des maisons et appartements secondaires vides. (Et comme il y a peu de CDI, dur de se loger bref). 

Le discours méritocratique est omniprésent quotidiennement. Même une partie des employés est « matrixée » par ce discours.

Dans ce secteur, l’expérience n’est jamais mise en valeur, j’ai 8 ans d’expérience dans les bars, restaurants, hôtels et j’ai fait une école hôtelière, on ne m’a pourtant que rarement proposé un poste bien payé. Les salaires n’ont pas augmenté depuis des années, fiches de paie à l’appui.

Il y a très peu de représentation syndicale, car, historiquement dans ce métier, le discours des patrons est trop influent selon moi. Ce que je veux dire par là, c’est que le discours méritocratique est omniprésent quotidiennement. Même une partie des employés est « matrixée » par ce discours. Par exemple, les arrêts maladie n’étant jamais remplacés, il est mal vu de ne pas venir remplacer si on est en repos, et on est aussitôt accusé de « foutre l’équipe dans la merde ». La plupart des patrons affirment ne pas pouvoir augmenter les salaires à cause des charges salariales trop lourdes. Ils affirment être eux aussi “passés par là”, et disent que c’est normal de commencer en bas de l’échelle pour justifier nos salaires si bas. 

Pour ma part, j’ai travaillé sans contrat pendant plusieurs semaines et c’était la meilleure alternative pour avoir une meilleure rémunération nette. En étant bien évidemment conscient que je ne cotisais ni pour la retraite, ni pour le chômage et que je n’étais pas couvert en cas d’arrêt. En bref, une alternative précaire aux contrats précaires proposés. Dans mon entourage, ce genre de cas est récurrent. Parfois, seule une partie des heures sont déclarées et les autres ne le sont pas et nous sommes payés de la main à la main, ce qui est plus avantageux pour nous à court terme et est une pratique répandue chez les patrons, qui y gagnent quant à eux à long terme.

J’ai travaillé sans contrat pendant plusieurs semaines et c’était la meilleure alternative pour avoir une meilleure rémunération nette. En étant bien évidemment conscient que je ne cotisais ni pour la retraite, ni pour le chômage et que je n’étais pas couvert en cas d’arrêt.

Actuellement demandeur d’emploi, je suis contraint de participer à des formations pour apprendre à faire un CV, à me « mettre à la place du recruteur », « apprendre à valoriser mon image ». Des formations qui sont d’ailleurs sous traitées à des boîtes privées. Personnellement j’en ai fait une obligatoire, et j’ai pu échapper à l’autre grâce à mon contrat de travail récent. Fun fact : hier, une de mes collègues est allée faire une formation obligatoire à Pôle Emploi, elle a ensuite rencontré son conseiller qui voulait savoir où elle en était dans son parcours… et le soir même, le conseiller est venu manger au restaurant peut être pour vérifier la véracité de ses propos, une situation que nous avons tous trouvé étrange et qui a mis tout le monde mal à l’aise.

Un assistant corvéable à merci

Lors de mon dernier poste, j’ai été recruté pour être assistant responsable de restaurant, dans un hôtel-restaurant en bord de mer. J’étais payé 1850 euros net en CDI pour 43h/ semaine, 5j/7, de 8h à 17h, 30 minutes de pause repas (qui n’était jamais respectée car mon rythme était assez intense). 

A quoi ressemble une journée type dans mon dernier poste en date ? Prise de poste à 8h : petits déjeuners de 8h à 10h30, nettoyage du restaurant, mise en place et dressage de la salle avant 11h30 pour manger (quand j’ai le temps), suivi du service du restaurant de 12h à 14h30-15h30 en fonction de l’affluence, puis ménage et re mise en place pour le service du soir avant que mes collègues ne prennent le relai. En hiver je suis seul salarié à effectuer ces tâches, ce qui explique le fait que je ne prends aucune pause de la journée à part 30 secondes pour une clope. Les patrons étaient exigeants et j’avais tout à faire, aspirateur, serpillère, poussières des meubles et des bibelots, réassort des frigos, repassage, passer les commandes des boissons, plonge. Sans parler des check-in et check-out de l’hôtel. La seule fois où j’ai demandé à ce que ma pause déjeuner soit respectée, mon patron m’a menacé de compter mes pauses cigarettes…

La seule fois où j’ai demandé à ce que ma pause déjeuner soit respectée, mon patron m’a menacé de compter mes pauses cigarettes…

Au bout de neuf mois, j’étais épuisé, sans avoir eu une semaine de vacances, je constatais que je n’étais absolument pas responsable dans les faits, que je n’avais le temps de rien améliorer, ni sur le service ou sur la partie bar, ce qui m’avait été promis. J’ai demandé alors à partir. J’ai demandé à mes patrons une rupture conventionnelle car j’ai pour projet d’arrêter la restauration, de prendre du temps pour me reconvertir et que j’ai besoin de ce dispositif pour avoir le droit au chômage. Ils ont refusé au début en disant que casser un CDI coûtait trop cher et m’ont demandé de démissionner. Il n’était pas difficile d’aller sur un simulateur d’indemnisation de fin de contrat sur internet pour voir que je leur coûterais moins de 2000 euros. De la part de restaurateurs qui arrivent à mobiliser plusieurs centaines de milliers d’euros pour acheter leur restaurant, c’est surprenant et la pilule a été très dure à avaler. Je leur ai donc proposé de payer ma rupture. Ils m’ont fait un chèque correspondant au montant de l’indemnisation et je suis allé retirer en espèce le montant que je leur ai rendu… 

La révolte à venir

Dans beaucoup de cas comme le mien, les restaurateurs pensent nous faire un cadeau en nous faisant cette fameuse rupture, car c’est ce qui permet d’ouvrir nos droits à Pôle Emploi. Or, il me semble que c’est la moindre des choses quand le départ se fait d’un commun accord et que nous avons cotisé pour toucher ces droits.

Ce qui est sûr, c’est que nous ne voulons plus nous faire exploiter, il est donc peut-être temps de nous syndiquer comme il faut et d’essayer de démocratiser l’organisation des travailleurs.

Je suis désormais au chômage et, comme beaucoup, j’entame ma reconversion, tout en continuant de recevoir sans cesse sur la plateforme pôle emploi des offres de restauration où il est désormais souvent précisé “heures supplémentaires rémunérées”, comme si ça n’allait pas légalement de soi.

Bref, on entend souvent dire en ce moment que « les gens, surtout les jeunes, ne veulent plus bosser ». Ce qui est sûr, c’est que nous ne voulons plus nous faire exploiter, il est donc peut-être temps de nous syndiquer comme il faut et d’essayer de démocratiser l’organisation des travailleurs. Nous sommes si nombreux dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie, que le pouvoir est désormais entre nos mains, il est temps de s’organiser pour améliorer nos conditions de travail. Il me paraît essentiel de se rapprocher de nos syndicats pour soutenir nos demandes personnelles et d’améliorer cette convention collective « Hôtels Cafés Restaurants » obsolète. Ainsi, passer par des mouvements de grève soutenus par des syndicats peut être un moyen de pression.


Pour répondre au texte de Théo, pour envisager de vous organiser, pour demander des conseils, vous pouvez nous écrire à redaction AT frustrationmagazine.fr


Je m'abonne pour que tout le monde ait accès à Frustration Magazine