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“Antisocial tu perds ton sang-froid !” Ce refrain est largement connu dans la culture populaire française. C’est celui d’Antisocial, le titre phare du groupe de hard rock français Trust. Mais connaissez-vous d’autres de leurs chansons ? Et notamment Police Milice apparu sur leur premier album et qui parle du rôle de la police en France ?

Trust : un groupe de hard rock français

Trust est fondé à la fin des années 1970 et est un des rares groupes de hard rock français, notamment inspiré par ACDC (Trust a d’ailleurs fait une reprise de Ride On et le chanteur était un ami personnel de Bon Scott), mêlé à d’autres influences, en particulier le métal, le blues et le punk (engagé). 

Concert de Trust au Hellfest 2017 (Selbymay, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons)

Les paroles de Trust délivrent souvent un message politique.
Dans leur troisième album, Marche ou crève (1981) on trouve par exemple des titres comme La Grande Illusion, où “Bernie” (chanteur et auteur) dénonce le système électoral (“je ne suis qu’un bulletin qu’on intoxique ! (…) Allez couchez, va voter !”) perçu comme un instrument de pacification. On y découvre également La Junte qui parle des juntes fascistes soutenues par les puissances occidentales en Amérique latine ou encore Misère qui crie contre la politique antisociale et coloniale de la néolibérale Margaret Thatcher (“En République d’Irlande circulent tes chars (…) Angleterre, Angleterre. Thatcher te coûte cher”).   

L’Élite (1979) : premier album de Trust

L’Élite (que l’on trouve aussi parfois sous le titre de Trust) est le premier album de Trust, qui sort en 1979, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), à la fin d’une décennie marquée par l’influence de mai 68 et le discours de défiance envers le pouvoir, les institutions et la police. Le contexte social est également explosif avec la grève des sidérurgistes (1978-1979), ou la mort de Vital Michalon, jeune professeur de physique tué par la police lors d’une manifestation anti-nucléaire en 1977

C’est dans cet album, qui fut un succès commercial, que l’on trouve le titre qui nous intéresse aujourd’hui : Police Milice 

La Milice c’est quoi ?

Le titre même de la chanson est provocateur et semble faire écho à un autre slogan célèbre, lui issu de mai 68 “CRS SS”.

La rime “police” avec “milice” renvoie à la Milice Française, formation paramilitaire fasciste créée par Vichy en 1943.

En effet la rime “police” avec “milice” renvoie à la Milice Française, formation paramilitaire fasciste créée par Vichy en 1943. Elle était une police, obéissant aux nazis, qui traquait les “ennemis de l’intérieur” (les macronistes reprennent aujourd’hui cette pensée en parlant “d’Anti-France”) que constituaient pour eux les résistants, les juifs, les franc-maçons et les communistes. Elle fut constituée de 30 000 volontaires

“Police Milice” : une critique radicale et énervée de la police

Le premier couplet est déjà sans appel : 

“Arrivé à vingt ans tu t’engages dans la police
T’as bien raison mon gars la France a besoin de milices
T’iras te pavaner au milieu des carrefours
Histoire de diriger les gens et de jouer au bourg”

Police Milice, Trust

Trust insiste sur l’âge du futur policier, montrant qu’il s’agit d’un choix délibéré mais presque contradictoire avec l’idée de jeunesse. En disant, ironiquement, que “la France a besoin de milices”, le groupe insiste, au-delà du renvoi à la milice vichyste, sur le fait que la police semble agir, plutôt que comme outil de protection des populations, comme un instrument de répression et de contrôle. Il s’intéresse également à l’affect autoritaire à l’œuvre dans l’engagement au sein de la police : ce qui intéresserait le jeune flic, ce serait avant tout de “se pavaner” avec arrogance et de dominer la population (“histoire de diriger les gens”). 

Le refrain enfonce le clou :

“Police Milice Organisées
Police Milice Prêtes à tirer
Police Milice Tout est factice”

Police Milice, trust

Celui-ci insiste sur l’idée que la police serait une milice “organisée” pour défendre les intérêts du pouvoir en place, via la violence, ou la menace de la violence, y compris mortelle (“prêtes à tirer”). “Tout est factice” prétend ainsi dévoiler le véritable rôle de cette institution répressive. 

Le deuxième couplet continue d’explorer les affects à l’œuvre chez le jeune flic auquel s’adresse le chanteur. 

“Et fais du zèle tu auras de l’avancement
Tu gagneras de l’argent à faire chier les gens
Tu portes l’uniforme relève le défi”

police milice, trust

Bernie insiste ici sur l’inversement moral qui prédominerait dans l’institution policière, avec une récompense pour les policiers les plus brutaux, les plus arbitraires, les plus soumis à leur hiérarchie. Le policier serait essentiellement rémunéré pour opprimer la population (“faire chier les gens”). 

Ce couplet se termine par une autre expression significative : “société de consommation à base de képis”. Ici Trust fait directement le lien entre la société marchande et la répression policière qui seraient les deux faces de la même pièce, les deux jambes du système capitaliste. La police serait avant tout là pour protéger la propriété privée. 

Trust fait directement le lien entre la société marchande et la répression policière qui seraient les deux faces de la même pièce, les deux jambes du système capitaliste.

Le troisième et dernier couplet achève le portrait du policier avec un humour acerbe : 

“Un jour la retraite que de souvenirs
Entre les putes à racoler les jeunes à tabasser
Prestige de l’uniforme connerie sous toutes ses formes
Là tu pourras crever en paix en toute liberté”

Trust rentre ici davantage dans le détail des comportements abusifs et répressifs de la police. Il évoque d’abord la répression des travailleuses du sexe. Quatre ans avant la sortie de la chanson, en 1975, une centaine de prostituées avaient occupé l’église de Saint-Nizier à Lyon pour dénoncer la répression policière quotidienne dont elles étaient les victimes (avant d’être violemment expulsées par…la police). Cela avait marqué une date importante dans l’histoire des revendications des travailleuses et travailleurs du sexe et visibilisé la brutalité dont elles et ils sont les victimes. C’est d’ailleurs à la suite de cette occupation que le 2 juin devint la “journée internationale des travailleuses-eurs du sexe”. 

En 1975, une centaine de prostituées avaient occupé l’église de Saint-Nizier à Lyon pour dénoncer la répression policière quotidienne dont elles étaient les victimes (avant d’être violemment expulsées par…la police).

Les musiciens parlent également de la violence particulière avec laquelle la police traite une certaine jeunesse. Il y eut bien sûr la répression de mai 68, avec des tués à balles réelles ainsi que celle du mouvement lycéen de 1973. Mais également, avec la construction des HLM, le harcèlement, déjà, des jeunes arabes et noirs dans les banlieues, bien que celui-ci était beaucoup moins documenté qu’aujourd’hui par les médias et la gauche. C’est d’ailleurs en 1979, l’année de la sortie de l’album, que l’on vit les premières révoltes proches de celles que l’on voit maintenant régulièrement, et que les médias dominants appellent “émeutes urbaines”, comme celles de Vaulx-en-Velin. Pour Vice, Fabien Jobard, auteur d’une étude sur les contrôles d’identité, expliquait que c’est au milieu des années 1970 que la pratique des contrôles au faciès est arrivée sur les devants de la scène : “Le ministre de l’Intérieur d’alors avait multiplié les contrôles de la jeunesse en général”. Il évoque d’ailleurs une chanson de… Johnny Hallyday sur le sujet (Flagrant délit). 

Trust se moque enfin du pseudo prestige qu’il y aurait à tirer de toutes ces basses œuvres (“prestige de l’uniforme connerie sous toutes ses formes”) et les mensonges que ce policier se raconte lui-même s’il croit défendre “la liberté”. 

C’est en 1979, l’année de la sortie de l’album, que l’on vit les premières révoltes proches de celles que l’on voit maintenant régulièrement, et que les médias dominants appellent “émeutes urbaines”, comme celles de Vaulx-en-Velin

Avec son titre provocateur Police Milice, Trust ne se contentait pas de critiquer la police française des années 1970 ; il soulevait des points toujours d’actualité sur le rôle des forces de l’ordre, qui continuent de réprimer violemment les jeunes, les personnes racisées ou encore les travailleuses et travailleurs du sexe. En associant la police à une milice fasciste, le groupe criait sa colère contre la brutalité et l’autoritarisme de cette institution. 


Rob grams


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