Des collèges qui ne prennent pas l’eau à la première averse ? Une carte scolaire revue ? Des ordinateurs qui fonctionnent ? Des effectifs supplémentaires ? Une revalorisation salariale des enseignants ? Brigitte Macron a une bien meilleure idée pour faire avancer l’égalité dans l’éducation ! Le 11 janvier dernier, dans une interview au Parisien, elle a affirmé « être pour le port de l’uniforme à l’école ». Cette déclaration a évidemment fait parler dans les milieux médiatiques. Rien de surprenant, c’était fait pour. Une vraie respiration pour les éditorialistes, épuisés d’expliquer à des masses décidément bien inconscientes les avantages de la réforme des retraites. [Edit 11 septembre 2023] : depuis, la proposition a été remise sur la table par les macronistes, obsédés par le besoin de parler d’autre chose que du chiffre hallucinant d’au moins un professeur absent dans la moitié des collèges et lycées du pays. Mais au delà de la diversion, pourquoi cette obsession ? Que dit-elle ?
Le désir conservateur de figer les identités
Le premier argument avancé par les défenseurs du port de l’uniforme est celui de la laïcité. Mais comme bien souvent, il est utilisé n’importe comment et dévoie complètement son esprit originel. La laïcité est un principe en vigueur à l’école publique, qui a vu en 1882 ses programmes débarrassés des contenus religieux et son personnel enseignant religieux remplacé par des laïques. Si en 2004 la loi a encadré “le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse”, elle n’est en aucun cas chargée d’habiller qui que ce soit. Et c’est bien méconnaître l’ingéniosité des intégristes de toutes confessions pour détourner ce genre de règles.
D’autant que l’on sait depuis longtemps que le détournement des règles est un principe fondamental de l’opposition à la classe dominante et de l’affirmation de soi. Nous avons tous été un ado dans notre vie, on sait donc à quel point cette question de l’affirmation est un vrai sujet.
Notons d’ailleurs que ce qui est souvent présenté comme un « retour » de l’uniforme n’en serait pas un : il n’y a jamais eu d’uniforme imposé à l’école publique en France. Il est alors intéressant de faire un détour par le Japon, un pays où cette tradition est installée depuis la fin du XIXe siècle. Ce fil Twitter d’une maîtresse de conférences en études japonaises aborde ainsi le détournement systématique des uniformes scolaires au Japon.
Jupes rallongées ou raccourcies, sous-vêtements visibles, portefeuille de marque qui sortent de la poche … Tout est bon pour se distinguer. Sans compter que l’uniforme vu comme signe d’identification à un établissement scolaire devient bien souvent une discrimination entre élèves d’établissements différents. Entre les pensionnaires du lycée privilégié et dont les résultats sont bons, et ceux d’un lycée plus défavorisé, on imagine aisément les regards et les jugements au café du coin.
Le Japon étant un des pays où le harcèlement scolaire est un problème majeur, l’argument d’une paix retrouvée au sein des établissements est sans doute aussi à oublier.
Toujours sur ce modèle japonais, on peut aisément imaginer que cet uniforme serait décliné en deux versions : veston – chemise – pantalon pour les garçons, blouse – jupe – collants pour les filles. Outre le fétichisme, toujours étroitement associé à ces tenues, en particulier féminine, enfermer les adolescents dans des attributs de genre rigides, binaires et de plus en plus remises en question n’est sans doute pas un exemple d’émancipation par l’éducation.
Le fantasme militariste de l’autorité retrouvée
À titre personnel et en tant qu’enseignant, les habits sont également des éléments importants dans la perception que je peux avoir des élèves. S’il faut dire d’enlever sa capuche en entrant, de retirer son manteau, si elle n’a pas de pull en hiver ou il s’habille de la même façon que la veille, ce sont autant d’indices qui peuvent être, doivent être et sont repérés par les profs. Les habits sont autant d’indices sur les conditions matérielles dans lesquelles vivent nos élèves, parfois sur leur état d’esprit du moment. Leur nier ce moyen d’expression serait un manque préjudiciable dans la communication avec eux.
Mais l’attrait bourgeois pour l’uniforme aussi est une réponse directe à une fantasmée autorité perdue. Dans « les quartiers », par la police et à l’école par les profs … Dès lors, la solution de facilité est simple : serrons la vis contre ce « communautarisme » qui s’insinue partout, même dans les vêtements !
Un uniforme « comme à l’armée », qui rassurerait évidemment contre cette peur maladive de potentielles et largement imaginaires dérives communautaristes. Un come-back de la « Grande muette », qui se voit également dans le Service national universel (SNU), embryon de service militaire supposément civil mis en place en 2019, en fait supervisé par … l’armée. Ou quand l’ex-général Pierre de Villiers, chantre d’un traditionalisme autoritaire, n’en finit pas lui aussi de fasciner (fasciser ?) la droite.
Alors, quand l’épouse d’un Président de la République élu pour « faire barrage » à l’extrême droite, évoque une telle mesure, il est impératif de s’inquiéter. L’uniforme a une valeur si symbolique pour le camp nationaliste qu’il va, dans les jours qui viennent, faire l’objet d’une proposition de loi de la part du Rassemblement national. La collusion entre bourgeoisies nationaliste et néolibérale se fait de plus en plus évidente, désormais aussi sur le terrain de l’éducation.
L’école est ainsi attaquée de toute part dans sa fonction traditionnelle, celle de former des citoyens. Imposer un uniforme participerait à installer une vision dangereuse de l’éducation, dont le seul intérêt serait d’adapter les élèves au marché du travail : formons les enfants à se comporter comme en entreprise, enseignons leurs des compétences valorisables et maintenant, habillons-les correctement pour trouver un travail. Égaliser tout le monde par la tenue, ce serait imposer une culture bourgeoise et managériale dès le plus jeune âge.
Détruire le service public de l’éducation ET prôner l’égalité sociale par l’uniforme
Le dernier argument donné en faveur de l’uniforme est bien souvent celui de l’égalité : les écarts de revenu seraient rendus invisibles et les élèves ne brideraient donc plus leurs ambitions scolaires. L’indignité de cette affirmation est frappante lorsqu’elle est mise en perspective de l’état des inégalités scolaires en France. Selon la dernière enquête Pisa publiée fin 2019, nous sommes le pays de l’OCDE où l’origine sociale a le plus fort impact sur les résultats scolaires : “les élèves des familles les plus pauvres ont cinq fois plus de risques d’être en difficulté que ceux venant de milieu aisé”. Alors très certainement, c’est dans la couleur du sweat-shirt du voisin que réside la solution …
Cet uniforme, évidemment, s’adresserait en premier lieu aux classes laborieuses. Les bourgeois, en effet, en portent déjà bien souvent. L’uniforme apparaît dès lors comme l’habit d’une bourgeoisie qui fait d’ores et déjà sécession en envoyant ses enfants dans des écoles où l’entre soi est la norme.
Présenté comme une mesure d’égalité, le port de l’uniforme semble vouloir autant masquer les tenues des élèves que la réalité d’une école de plus en plus inégalitaire. Sauf à l’assortir d’un plan massif d’investissement dans la formation et l’embauche de professeurs, les équipements scolaires, la réorganisation des cartes scolaires ou l’encadrement beaucoup plus strict (voire l’interdiction pure et simple) de l’enseignement privé, les inégalités scolaires perdureront, s’accroîtront et seront de plus en plus visibles par tous. Même cachées sous un uniforme.
Gabriel Gérardin