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Depuis mai dernier, les femmes de chambre de l’hôtel de luxe Radisson Blu à Marseille sont en grève pour dénoncer leurs conditions de travail et exiger de meilleures rémunérations. Employées par la société sous-traitante Acqua, elles subissent des salaires de misère à 12,30 euros brut de l’heure, des heures supplémentaires non payées, et des clauses de mobilité abusives. Malgré les intimidations et les abus de pouvoir de leur employeur, elles restent résolues à faire valoir leurs revendications. Alors que les Jeux olympiques approchent, elles espèrent que cette pression supplémentaire fera fléchir la direction. Des avancées commencent à émerger grâce à leur persévérance.

Les buts de la lutte des femmes de chambre de l’hôtel Radisson Blu ont été clairs dès le début de leur grève: augmentation de leur rémunération horaire, instauration d’un 13ème mois, prime de pénibilité et de saison, mais aussi amélioration de leurs conditions de travail.  Elles dépassent très souvent les horaires prévus dans leur contrat de travail et subissent une clause de mobilité, qu’utilise leur employeur pour les envoyer sans préavis d’un hôtel à l’autre et sans leur payer les déplacements. « On nous rajoute des chambres à faire au dernier moment, on ne nous rémunère pas nos heures supplémentaires. Pour être payée, il faut souvent qu’on demande l’aide de notre syndicat », nous raconte Ansmina Houmadi, femme de chambre de l’hôtel Radisson Blu et déléguée syndicale de la CNT-Solidarité Ouvrière, qui syndique essentiellement dans le secteur de l’hôtellerie, du nettoyage et de la restauration,  et dont les quinze grévistes de l’hôtel sont membres, sur un total de 23 femmes de chambres.

Un employeur richissime qui met en œuvre des projets pharaoniques

La société qui les emploie n’est pas Radisson Blu, mais Acqua, une entreprise sous-traitante spécialisée dans le nettoyage, détenue par le groupe Accelis, qui a largement les moyens de mieux rémunérer le travail : il dépasse les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et détient des participations dans de nombreuses entreprises et sociétés immobilières. Il met en œuvre des projets pharaoniques, dont par exemple l’aménagement du château de Ferrière, pour la bagatelle de 25 millions d’euros en 2015.  Le propriétaire de la totalité de ce groupe est Khalil Khater, soupconné de « pratiques mafieuses ». Le site internet d’Accelis comprend des pages entières rédigées à sa gloire.

Sa présentation sur le site de la BPI (Banque Publique d’Investissement) est à l’avenant, le montrant comme un employeur modèle : « Même chose pour ses collaborateurs directs : pas question de les déranger en dehors des heures de travail. La seule fois où il les a appelés un weekend, cela a été après la lecture d’ouvrages sur la disruption et l’intelligence artificielle, il y a quelques mois. » Le moins que l’on puisse dire c’est que les femmes de chambre qu’il exploite quotidiennement pour financer son mode de vie luxueux ne sont pas logées à cette enseigne. Elles sont constamment intimidées et victimes d’abus de pouvoir. « J’ai été convoquée à un conseil de discipline simplement pour avoir organisé une réunion de cinq minutes avec mes collègues », nous raconte Ansmina Houmadi. Plusieurs salariées ont peur de perdre leur carte de séjour, la plupart étant étrangères (Cap Vert, Madagascar, Comores, etc.), situation qu’utilise l’employeur pour les exploiter. Les femmes de chambre accumulent les tâches qui ne font pas partie de leur poste : faire la plonge, s’occuper du linge, vérifier soi-même le bon nettoyage des chambres, etc. Ansmina Houmadi nous explique qu’elles utilisent du matériel détérioré. Par exemple, l’une d’entre-elle a dû être hospitalisée, car un chariot usagé s’est renversé sur elle. Elle est en arrêt de travail depuis trois ans, et n’a jamais été indemnisée par l’entreprise.

« Les JO ne servent qu’à cela : faire pression pour obtenir des avancées sociales »

Julien Ollivier, secrétaire de l’Union départementale CNT Solidarité Ouvrière 13

Les Olympiades de la grève

Alors, une partie des femmes de chambre ont décidé de déployer leur piquet de grève en mai dernier suivant l’exemple d’autres luttes qui ont fonctionné,  comme celles d’autres salariés d’Acqua à l’hôtel AC Marriott Vélodrome, qui ont obtenu un treizième mois. « Depuis une dizaine d’années, on a organisé une vingtaine de grèves dans les hôtels », nous précise Julien Ollivier, secrétaire de l’Union départementale CNT Solidarité Ouvrière 13. Souvent des avancées sociales sont obtenues. « Ce ne sont pas uniquement des grèves défensives, mais également offensives, pour vraiment améliorer la situation des salariées », ajoute-t-il.

Pendant les Jeux olympiques, la pression mise sur les employeurs peut être démultipliée. Les retombées économiques des JO reposent en grande partie sur l’exploitation du travail. « Les JO ne servent qu’à cela : faire pression pour obtenir des avancées sociales », nous explique Julien Ollivier. Avec son syndicat, il tracte en faveur des Olympiades de la lutte. : organiser des grèves pour saisir cette période particulière pendant laquelle les hôteliers craignent particulièrement de perdre du chiffre d’affaires et de voir leur image être détériorée. Cela commence à fonctionner : le directeur d’exploitation d’Acqua, Nazim Almi, a proposé une prime exceptionnelle de 250 euros, l’instauration d’un treizième mois mis en place progressivement sur quatre ans, et une réduction de la mobilité forcée à trois fois par mois sans délai de prévenance.

Les grévistes continuent à résister pour que l’ensemble de leurs revendications soient satisfaites (changement d’hôtel réduite à deux fois par mois avec 48 heures de délai de prévenance, augmentation des salaires de 11 centimes de l’heure via la hausse de la classification conventionnelle, et prime pénibilité et de saison à 350 euros annuels), ayant bien en tête qu’avec l’arrivée des épreuves de football et de voile à Marseille, la direction va finir par plier. Les pouvoirs publics sont fébriles : le préfet a exigé une médiation de l’inspection du travail et de futures négociations vont reprendre dans les prochains jours.

Les prix de l’hôtel Radisson Blu au moment où nous rédigeons cet article. Sérieux, il n’y a pas moyen d’augmenter les salaires de 11 centimes?

Il est urgent de soutenir cette lutte, par exemple en contribuant à la caisse de grève, et en se rendant sur place pour ceux qui le peuvent, ou auprès de toute autre lutte actuelle. Comme nous l’avons écrit dès le début d’année, les JO sont le moment idéal pour construire du rapport de force par la grève. De multiples préavis ou menaces de grèves ont été déposés : dans les aéroports, chez les artistes recrutés pour les cérémonies d’ouverture,  chez les pompiers, chez les agents de sécurité, etc. Cela peut permettre d’obtenir des avancées immédiates concrètes pour les salariés, ce qui est l’enjeu prioritaire du moment. Chaque lutte remportée peut servir de modèle à d’autres grèves, ce qu’organisent ainsi les femmes de chambre de l’hôtel Radisson Blu nous concerne tous. Quant à Ansmina Houmadi, elle garde le moral et se battra jusqu’au bout. « Les actionnaires devraient davantage partager l’argent que nous générons par notre travail. Nous sommes des êtres humains comme eux, nous méritons le respect.  Nous, nous avons des courbatures, des bleus, quand nous rentrons du travail. Qu’ils arrêtent de nous regarder de haut et de nous parler comme à des enfants », résume Ansmina Houmadi, à l’énergie toujours intacte, après plus de soixante jours de grève.


Guillaume Etiévant


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