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L’année écoulée a été marquée par une série de revers pour nous tous. La réforme des retraites a été adoptée sans que la mobilisation n’ait le moindre impact sur son contenu. Le mouvement de résistance dans les banlieues après la mort de Nahel Merzouk n’a pas entraîné de changement dans la politique ultra-violente de maintien de l’ordre social en France. Malgré une intense résistance, le projet de méga bassines à Sainte-Soline a été entériné par l’État. Enfin, l’année s’est clôturée par l’adoption d’une loi sur l’immigration qui condamne des milliers de travailleurs à la misère sur notre territoire. Dans ce marasme, un espoir peut surgir. Nous avons tous beaucoup appris de ces luttes collectives, qui ont fait suite à la résistance des Gilets jaunes. En 2024, en utilisant ces expériences, nous pouvons réussir à faire reculer le gouvernement dans son entreprise de destruction de nos vies. Et si les Jeux Olympiques organisés à Paris étaient une belle occasion pour cela? 

Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire, et comme nous le mettons à nouveau en avant dans notre numéro papier qui sort en février, pour modifier la trajectoire imposée par tout pouvoir, pour s’émanciper de toute domination, le seul moyen est de créer un risque pour la force qui nous opprime, de lui faire craindre une diminution de ses privilèges, d’organiser une atteinte concrète à sa capacité de coercition. La naissance de ce risque est le préalable à toute discussion entre celui qui opprime et celui qui est opprimé. Si le premier n’a rien à perdre, il n’accordera rien. Le risque principal pour un pouvoir capitaliste, c’est le blocage de l’économie, c’est-à-dire l’arrêt de la production par la grève, et donc l’arrêt de la création de profits par les salariés pour les actionnaires, comme l’ont montré de nombreuses grèves ayant fait reculer le patronat et les gouvernements  notamment en 1936, en 1948, en 1953, en 1968, en 1995… Plus récemment, c’est grâce aux grèves que, par exemple, les ouvriers raffineurs de TotalEnergies et les travailleuses de VertBaudet ont obtenu des hausses de salaires.

Ce risque qui pèse sur les dominants ne passe pas uniquement par la grève, comme les Gilets jaunes l’ont montré, avec une mobilisation spontanée très large, en dehors des cadres partisans, et allant au-delà des salariés. Le gouvernement a vraiment eu peur à cette période, et est donc revenu en arrière rapidement sur la hausse de la taxe sur les carburants qui était la première cause des débuts de cette mobilisation inédite. Certains témoignages des CRS le disent clairement, l’Élysée aurait pu être envahi lors de certaines journées de mobilisation. « J’ai vu dans les yeux de mes collègues la crainte qu’on ne puisse pas tenir notre position. Si on avait été attaqué là où j’étais, on n’aurait pas pu tenir : l’Élysée tombait. », affirme notamment l’un d’entre eux à propos de la journée du 1er décembre, lors de laquelle, où il se situait, 3000 Gilets jaunes se sont mobilisés face à seulement trois CRS, ces derniers étant très peu nombreux car l’essentiel des forces policières avait été rapatrié à Paris. La journée du week-end suivant, le 8 décembre, ayant conscience du risque, 500 gardes républicains du premier régiment d’infanterie, ainsi qu’une centaine de policiers et de gendarmes ont été prévus pour protéger l’Élysée. Un hélicoptère était prêt à décoller pour exfiltrer Emmanuel Macron.

macron fuit les JO

Pas de retrait des lois, pas de JO

La question aujourd’hui est : de quoi a peur le pouvoir ? Qu’est-ce qui peut le faire reculer ? Une réponse s’impose : le gouvernement craint que les Jeux Olympiques ne puissent pas se dérouler normalement, ce qui serait une humiliation pour lui. Il a d’ailleurs soutenu l’étalement dans le temps de l’ouverture à la concurrence des bus de la RATP pour cette raison. Initialement prévue en 2024, elle n’adviendra finalement concrètement qu’après les Jeux Olympiques pour éviter un conflit social pendant cette période. La lutte a d’ailleurs déjà commencé l’année dernière. Par exemple, avant l’une des manifestations contre la réforme des retraites en juin dernier, des agents de la RATP et des cheminots ont envahi le siège du comité d’organisation des Jeux olympiques à l’appel de la CGT RATP, en chantant notamment le slogan suivant : « Pas de retrait, pas de JO ».

La vitesse avec laquelle la direction nationale de la CGT s’est quant à elle sentie obligée de donner des gages sur le fait qu’elle ne gênerait pas l’organisation des JO en dit long sur les craintes du pouvoir. « La CGT ne va pas s’amuser à gâcher la fête pour des millions de Françaises et de Français », a notamment affirmé la numéro 1 du syndicat, Sophie Binet. Certes, dans cette interview à France Info, elle n’écarte pas complètement l’idée qu’il y ait des grèves, en affirmant qu’elle ne « les empêchera pas » (encore heureux !), mais sans à aucun moment imaginer qu’elles puissent servir un rapport de force global dans le pays, au-delà des intérêts des salariés impliqués dans les JO.  « ll n’y a pas de raison d’avoir des grèves sous prétexte qu’il y aurait les JO en France. Ils ne seront pas une cible en tant que telle », a indiqué carrément quant à lui Bernard Thibaut, ancien Secrétaire général de la CGT. Rappelons qu’il est aujourd’hui membre du comité d’organisation de Paris 2024, cela ne s’invente pas…  Heureusement que les confédérations syndicales sont souvent dépassées par leur base : ces interventions médiatiques ne présagent pas de potentielles luttes futures.

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Grèves, blocages, coupure d’électricité… la “fête” pourrait être gâchée

Les JO ne commenceront que fin juillet, de quoi avoir le temps de s’organiser. On sait que le temps d’organisation a été central dans les victoires du mouvement ouvrier de l’année dernière aux États-Unis. Bien sûr, en pleines vacances scolaires d’été, il ne faut pas s’attendre à de grandes manifestations en cette période. Une stratégie pourrait être de multiplier les mobilisations dans les mois qui précèdent les épreuves olympiques en mettant en avant le fait que sans l’acceptation par le gouvernement de certaines revendications, tout sera fait pour empêcher les JO de se dérouler correctement. Des actions du même type que pendant la réforme des retraites pourraient être organisées, en particulier des grèves dans les transports en commun, des blocages des autoroutes, des coupures d’électricité, etc. Au-delà des grèves, dans certains pays, des actions de boycott ou de refus de payer des tickets de transports pour voyager ont par le passé été organisées avec efficacité, notamment au Chili pendant le mouvement de 2019-2021. On peut penser aussi aux actions innovantes de Saul Alinsky (militant et sociologue américain, fondateur du community organizing) à Chicago dans les années 1960, comme le “shit-in”, c’est-à-dire le fait de bloquer les toilettes pour créer le chaos dans les aéroports. 

Les revendications à mettre en avant pourraient être de deux ordres :

  • Des revendications s’opposant concrètement aux nombreux éléments anti-sociaux de l’organisation de ces Jeux olympiques : augmentation délirante du prix des tickets de métro et de RER, mesures liberticides limitant les déplacements des habitants, expulsion des SDF et des étudiants, etc. Les mobilisations pourraient également constituer un hommage aux ouvriers blessés sur les chantiers et notamment à Amara Dioumassy, ouvrier de 51 ans décédé en juin dernier sur le bassin d’Austerlitz à Paris, un chantier visant à rendre la Seine plus propre en vue des JO 2024.
  • Des revendications plus larges, utilisant ce rapport de force pour exiger en particulier l’abrogation de la réforme des retraites et l’abrogation de la loi immigration. Pour avoir une vaste adhésion et ne pas se perdre dans des querelles programmatiques, les revendications de pure abrogation de certaines lois apparaissent les plus efficaces.  Arriver à faire reculer le gouvernement sur ses réformes les plus emblématiques serait un retournement de situation fondamental, qui redonnerait espoir à tous dans notre capacité collective à résister. C’est un premier pas indispensable pour envisager ensuite une véritable transformation sociale. 

Les JO ne commenceront que fin juillet, de quoi avoir le temps de s’organiser.

Si le gouvernement ne bouge pas, et que nous arrivons aux JO sans recul de sa part, alors il faudra envisager de « gâcher la fête ». Cette soi-disant fête ne profite pas aux Français, qui dans leur très large majorité n’ont pas les moyens d’acheter des billets pour y assister. Dans les villes où il y a des épreuves, les prix de l’alimentation, des transports, etc. vont exploser. D’innombrables locataires se font déloger pour que leurs propriétaires puissent louer à prix d’or leur appartement pendant les épreuves sportives. Plus globalement, l’intérêt économique pour la France est très difficile à évaluer. Pour que ces JO nous servent vraiment à quelque chose, il faudra explorer la perspective d’empêcher leur bon déroulement. Si cet objectif est atteint, cela signifiera qu’un cran a été franchi dans le processus révolutionnaire. Si des milliers de Français sont prêts à cela, comme ils l’ont été pendant les Gilets jaunes, pendant la mobilisation contre la réforme des retraites, pendant les mobilisations pour Nahel et contre les violences policières, c’est qu’ils seront disponibles pour beaucoup d’autres actions. Un nouvel horizon pourra alors se dessiner.


Guillaume Etiévant  

Illustrations d’Antoine Glorieux


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