Dispositifs sécuritaires et liberticides à foison, éloignement d’étudiants, de migrants et de bouquinistes, explosion des tarifs des transports en commun : on pensait (ou non) avoir tout vu, il n’en est rien. Nouvelle brillante idée sortie du chapeau de la préfecture de police de Paris : instaurer des QR codes pour… se déplacer dans la ville.
Une mesure symptomatique qui brille par son absurdité et sa dangerosité
A peine sortis de la crise sanitaire, marquée par les confinements et attestations nécessaires pour pouvoir se déplacer, de nouvelles dérogations seront rendues obligatoires pour pouvoir circuler librement dans Paris, à l’aune des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024. Cette mesure est très dangereuse lorsque l’on se rappelle des nombreuses restrictions mises en place dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Si ces mesures ont, certes, été prises dans un contexte fort différent de celui d’une simple compétition sportive, elles ont été un terrible catalyseur de dispositifs liberticides tels que ceux annoncés dans le cadre des JO, comme nous le verrons à la fin de l’article.
Ainsi, Laurent Nuñez nous annonce que l’on sera fliqués en bonne et due forme et que l’on devra remplir beaucoup de conditions si l’on souhaite se déplacer (à pied ou en transports) à proximité des nombreux sites de la compétition : « Il faudra s’enregistrer en amont sur une plateforme numérique en fournissant un certain nombre de justificatifs, de domicile, mais pas que ». Notons le petit « mais pas que », parfaitement éloquent pour éviter d’annoncer le grand nombre de contraintes prévues pour nous permettre d’aller et venir.
Il faudra également, entre autres violations de la privée, inscrire ses amis sur la plateforme si on habite près de la Seine et qu’on veut les inviter chez soi, ou encore si on veut passer la soirée de la cérémonie d’ouverture (entre 90 et 2.700€ la place seulement !) dans un restaurant à proximité du fleuve. Rideau.
Les JO ne sont pas un rassemblement populaire mais élitiste et dégueulasse
Présentés par le Comité d’organisation comme un rassemblement populaire, centré sur les valeurs de la fraternité et de la parité, il n’en sera rien pour les JO de Paris qui ressembleront plutôt à une bulle élitiste de 3 semaines, à laquelle seuls les plus fortunés pourront participer. Parmi les inepties annoncées :
- L’augmentation très forte du tarif des transports en commun (dont le ticket va quasiment doubler)
- Le mépris incommensurable de la ministre des sports envers les étudiants – qui n’ont absolument rien demandé à personne –, qui seront contraints pour certains d’entre eux de quitter leur logement. Mais attention : des étudiants qui seront, je cite, « fiers de donner leur logement pendant deux petits mois d’été », en échange d’une aumône et de 2 places pour aller voir les ¼ de finale d’haltérophilie
- Les « transferts » de personnes sans domicile fixe vers d’autres régions pour ne surtout pas abîmer l’image de Paris
- Les 45.000 volontaires non rémunérés à qui l’on va filer à titre gratifiant un sandwich triangle Sodebo et une cristalline
- Le prix des billets, qui pourra atteindre 600€ comme tarif de base pour assister à des qualifications
- Les logements Airbnb, dont le prix des locations de courte durée pourrait être multiplié par 6
- Un projet de loi qui prévoit le déploiement de vidéosurveillance algorithmique à titre expérimental
On passera sous silence la volonté de rachat du Stade de France, à laquelle le gouvernement ne s’est pas opposé, par le Qatar, connu pour l’organisation de la coupe du monde 2022, au mieux catastrophique sur le plan humanitaire.
L’obsession sécuritaire au mépris total des libertés publiques
Si l’on s’arrête plus longuement sur le projet de loi olympique qui autorise le recours aux algorithmes pour le traitement des images enregistrées par drones ou caméras, on note le caractère très inquiétant de ce dispositif liberticide, sur lequel bon nombre d’associations et de structures nous ont alerté.
La surveillance automatisée pourrait même être contre-productive et marginalisante à bien des égards : sous couvert de vouloir soi-disant « repérer les comportements jugés suspects », ce qui relève d’une grande part de subjectivité, elle n’en sera que plus excluante pour les personnes sans-abri, contraintes de rester sur la voie publique, quand elles ne sont pas virées pour ne pas choquer les touristes venus assister aux JO.
De plus, il n’existe aucun dispositif d’encadrement spécifique des algorithmes de vidéosurveillance, notamment sur les dérives qui auront lieu (car elles auront lieu) ; bien que les concepteurs de ces algorithmes soient effectivement des êtres humains, il est impossible d’avoir une visibilité totale sur le fonctionnement profond de ces algorithmes et sur les données exploitées.
Rien de bien étonnant lorsque l’on sait, grâce aux révélations du média d’investigation Disclose, que la police nationale utilise illégalement depuis 2015 un logiciel israélien de reconnaissance faciale.
À toutes fins utiles : aucun impact positif en termes de lutte contre le terrorisme n’a été démontré en ce qui concerne la vidéosurveillance et la reconnaissance faciale. Alors que les impacts négatifs sur les libertés fondamentales et individuelles, eux, l’ont été.
Les dispositifs sécuritaires soi-disant exceptionnels le restent rarement
Avec cette nouvelle mesure, Laurent Nuñez ne fait donc que poursuivre le chemin tout tracé vers une honteuse mascarade. Absolument rien ne nous garantit que ce genre de mesures ne reste pas pérenne ; les lois sécuritaires soi-disant exceptionnelles ne le restent que rarement. On a pu le vérifier avec les instaurations excessives de l’Etat d’urgence, documentées par le Défenseur des droits ou encore par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme.
C’est la même chose pour les lois qui sont passées dans un contexte olympique : la législation mise en place pour les JO de Sydney en 2000 est en partie entrée dans le droit commun, malgré un appauvrissement des libertés individuelles noté par plusieurs chercheurs. Idem pour les JO de Londres en 2012 ; les mesures de vidéosurveillance ont été généralisées dans toute la ville, tout comme en Russie, où elles avaient été instaurés pour la coupe du monde de football de 2018. Elles sont désormais entrées dans le droit commun.
Et si tout ça n’allait déjà pas assez loin, certains députés (de droite) se félicitent de l’instauration de ce dispositif et ont d’ores et déjà des projets de pérennisation de cette loi de surveillance.
Dès lors, que faire ? Il y aura ceux qui iront voir ce spectacle, ceux qui – s’ils le peuvent – préféreront quitter Paris et ceux qui tenteront, courageusement, de rester sur les lieux pour s’élever et gueuler contre cette mascarade. Espérons faire partie des deux dernières catégories.
Adrien Pourageaud
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