En février dernier, dans le cadre d’un mouvement contre la réforme des retraites à ce moment-là stagnant, nous appelions à “un gilet jaune salarial”, c’est-à-dire à tirer un bilan des succès et limites du mouvement des Gilets Jaunes, pour ne pas se contenter d’un énième mouvement classiquement syndical sous encadrement bureaucratique, qui a prouvé son inefficacité.
Par la suite le mouvement a pris brièvement un tournant très proche de celui que nous préconisions (à part sur la question, essentielle, de la grève reconductible…) avant d’être tué de l’intérieur par les directions syndicales et ses journées d’action isolées et donc inutiles.
Tirer un bilan des Gilets Jaunes, c’est justement ce que propose le collectif Ahou Ahou Ahou dans son ouvrage sobrement intitulé “La révolte des Gilets Jaunes : histoire d’une lutte de classes”, une des analyses les plus brillantes qui ait été faite du mouvement, grisante et motivante, bien écrite, touchante et hyper documentée, et donc particulièrement utile en période de mouvement social.
Frustration y consacre donc un “dossier-recension”.
1 – Lutter contre Macron, l’Etat, l’impôt et l’inflation : c’est de la lutte de classes
Parmi toutes les raisons qui ont fait que “la gôche” a boudé le mouvement des Gilets Jaunes, au moins à ses débuts, est qu’il lui apparaissait, entre autres choses, comme un mouvement plus ou moins poujadiste, d’anti-écolos râlant contre des taxes. Et c’est bien connu, à gauche, on adorerait les impôts.
Cette analyse bas de gamme se faisait donc sur le thème “ça s’en prend pas au capital haan”. Mais la réalité était évidemment beaucoup plus subtile que ça… Les auteurs du collectif font, sur ce sujet, preuve d’une dialectique d’une grande finesse pour montrer les dynamiques de classes complexes qui se sont jouées alors.
Regrouper les colères
Dès le 17 novembre 2018 passé, date fondatrice du mouvement, il est apparu évident que la question des taxes et de l’essence n’était que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, et que la colère, qui se cristallisait contre la personne d’Emmanuel Macron – qui a pour lui le mérite d’incarner en même temps toute l’arrogance de la bourgeoisie satisfaite d’elle-même et un État technocratique et autoritaire – avait beaucoup d’autres origines.
Et très vite, ce qui ne fut pas sans susciter la déception visible des éditorialistes de droite persuadés que leurs obsessions sont identiques à celle d’un prolétariat qu’ils s’imaginent forcément blanc, de constater que les sujets de mobilisation étaient essentiellement sociaux et assez peu focalisés sur les questions d’immigration ou d’Islam.
Comme le relève l’ouvrage, les questions centrales s’avèrent donc tourner autour des bas salaires, de la pauvreté, “des rêves de vacances depuis trop longtemps ajournées, des promesses de cadeaux de Noël qu’on sait qu’on ne tiendra pas”, bref : “de ne vouer sa vie qu’à la survie, que l’on soit travailleur chômeur ou retraité”. Aujourd’hui encore, le mouvement de la réforme des retraites a agrégé des colères beaucoup plus étendues.
Le Gilet Jaune : l’automobiliste travailleur
A ses débuts le mouvement des Gilets Jaunes est un mouvement interclassiste, qui regroupe des personnes aux statuts divers, qui mettent leurs différences de côté pour un temps, autour d’une identité commune celle de “l’automobiliste travailleur”. Il faut dire qu’en France 7 travailleurs sur 10 vont travailler en voiture.
Comme le note le collectif, ce regroupement permet d’agglomérer presque tout le monde “sauf la grande bourgeoisie”, et éventuellement les personnes les plus urbaines qui utilisent moins la voiture.
C’est également cette identité qui tiendra, pour un temps du moins, à distance une partie des “quartiers populaires”, et créera une “surreprésentation des travailleurs de la campagne et des petites villes”. Bref, typiquement la catégorie que cette même gauche bourgeoise n’arrive à s’imaginer que comme une bande de “beaufs brutaux et avinés”, forcément xénophobes.
Cette vision, qui pense que toute mise en action des classes laborieuses serait intrinsèquement réactionnaire, est encore très visible aujourd’hui chez celles et ceux qui passent leur temps à prédire la victoire prochaine du RN au beau milieu d’un mouvement social majeur, qui ,selon elles et eux, ne pourrait bénéficier qu’à l’extrême droite.
On trouve donc, chez les Gilets Jaunes, des pauvres et ce qu’on qualifie parfois de “classe moyenne”, cette dernière vivant sous “la menace permanente de sombrer à son tour dans la misère complète” car “au cours des dernières années, la part consacrée aux “dépenses contraintes” dans les budgets des travailleurs n’a cessé d’augmenter”.
S’en prendre à l’Etat c’est s’en prendre au capital
Le constat que font les auteurs est qu’il est parfaitement logique que la première cible des Gilets Jaunes ait été l’Etat si l’on considère que “l’Etat verse près des ¾ du revenu des pauvres, et même davantage si l’on tient compte du chômage et des retraites. Pour les pauvres, la dépendance à l’Etat est donc totale”.
Mais il s’agit bien là d’une lutte des classes, car “ “ces revenus de transfert” sont l’objet d’une pression constante de la part des capitalistes. Car l’Etat ne les produit pas : il faut donc bien les prendre quelque part – dans les poches des capitalistes ou dans celles des travailleurs. Sur ce terrain-là, celui de “l’impôt” se joue aussi une intense lutte entre les classes dont l’Etat est le pivot. (…) Dans ce rapport à trois, les classes ne se font pas face à face, comme dans les luttes pour le salaire, mais l’enjeu reste le même.”
Pour simplifier : “l’Etat baisse le prix de la force de travail (hausse des taxes sur le gas-oil, diminution des allocations et suppression de l’impôt sur la fortune tout ensemble); les travailleurs s’en prennent à l’Etat en lui disant : “Rends l’argent”” (…) L’Etat joue donc avec la plus-value collective un jeu contradictoire : pressé par les gueux de rendre une part du gâteau, il est de l’autre côté harcelé par la bourgeoisie qui ne l’entend pas de cette oreille”.
Ce qu’explique avec un certain brio l’ouvrage, c’est que le capitalisme a évidemment besoin de l’État comme force de redistribution : il a besoin de lui pour financer les infrastructures non rentables, et pour prendre en charge la survie matérielle des travailleuses et travailleurs exclus de l’emploi. Pour le second objectif, il ne s’agit évidemment pas d’esprit charitable, mais bien de préserver une forme de paix sociale, une pression à la baisse sur le prix du travail, ainsi que de maintenir un certain niveau de consommation.
Là où, historiquement, le capital avait pour prérogative “la reproduction des travailleurs” (c’est-à-dire leur assurer un niveau de revenus leur permettant de survivre pour travailler) tout en baissant les salaires autant que faire se peut, celle-ci a été transférée à l’Etat.
Et l’objectif affiché et clair de Macron, ce qui a expliqué pourquoi la bourgeoisie a fait bloc derrière lui, est de “transférer un maximum du produit collectif aux bourgeois”. C’est ainsi, qu’au fur et à mesure que la lutte s’intensifiait, s’étendait, les Gilets jaunes ont “semblé découvrir que, derrière l’Etat, il y avait tout de même le capital; que l’Etat s’est pour ainsi dire interposé pour prendre les coups – et pour les donner.”
Concrètement la baisse des salaires par l’Etat, c’est-à-dire l’augmentation “de la proportion de la plus-value qui revient à la bourgeoisie” est réalisée via des attaques sur le pouvoir d’achat (hausse des prélèvements et baisse des allocations). C’était tout l’enjeu du mouvement des Gilets Jaunes.
Des rapports de classe de plus en plus dissimulés
Ce qui a rendu la révolte des Gilets Jaunes moins lisibles immédiatement comme “une lutte de classes” pour certaines et certains – ce qu’elle a pourtant toujours été – est que, plus le capitalisme se perfectionne et se modernise, plus son entreprise de dissimulation des rapports de pouvoir et de violence sur lesquels il repose gagne en complexité.
Comme le note le collectif, souvent “on ne sait jamais exactement pour qui on travaille, un monde de sous-traitance où notre patron peut être notre voisin, notre ami, où il peut gagner autant que nous, en tout cas où il n’apparaît pas comme un capitaliste et notre exploiteur, ce qu’il est pourtant. Ou bien un monde où on est travailleur « indé » où on se vît comme étant son « propre patron » même si on dépend des capitalistes pour travailler.”
2 – Tactiques et modes de lutte Gilets Jaunes : auto-organisation, désobéissance civile, blocages, actions directes, émeutes, occupations.
Dès son origine les Gilets Jaunes se distinguent des mouvements sociaux classiques de type syndicaux tels qu’on les connait depuis des décennies (avec des consignes suivies à la lettre).
L’organisation de la journée fondatrice du 17 novembre 2018 se fait de manière désordonnée tout en convergeant, via une auto-organisation à la base : “on ne s’agrège pas à cette journée, on la construit”. C’est cette méthode qui continuera de faire ses preuves pendant longtemps (avant d’également montrer certaines limites).
Cette journée sera un moment mythique pour le mouvement, permettant à des centaines de milliers de personnes de se retrouver, de protester pour la première fois, générant chez elles un “incroyable sentiment de puissance, d’unité populaire”.
Blocage, rond points et occupations
Dès le début “les actions se conjuguent en une grande variété d’occupations, de barrages plus ou moins filtrants, d’opérations escargots, de péages gratuits.”
La police doit alors choisir ses priorités – généralement les principaux axes de circulation (ports, dépôts de carburant). Mais celle-ci est prise au dépourvue face à la grande mobilité des bloqueurs : “chassés d’un endroit, ceux-ci s’en vont bloquer le rond point voisin, puis le centre commercial, avant de revenir le soir “reprendre” l’autoroute etc”. Le livre donne les exemples du péage de Virsac en Gironde, sur l’A10, où les Gilets Jaunes tronçonnent des arbres, arrachent des grillages, montent des barricades puis incendient la barrière de péage, la rendant inutilisable pendant plusieurs jours. Mais aussi celui de la RN 113 à Arles, où un Gilet Jaune explique la démarche : “c’est sûr qu’on n’a pas choisi cet endroit au hasard, il y a des milliers de camions qui passent ici chaque jour. Ça représente des millions d’euros pour l’économie”. Et pour cause, le blocage entraînera des retards et des annulations pour des milliers de livraisons et de lourdes conséquences commerciales.
Des milliers de camions circulent chaque jour sur la route nationale 113.
Données cartographiques ©2023 Google
Ce type d’actions se déroulent partout en France, y compris en dehors de la métropole. A la Réunion, une route principale fait le tour de l’île. Là-bas, autour du 19 novembre 2018, les Gilets Jaunes la bloquent en quelques points permettant de paralyser totalement l’île, y compris ses ports, l’aéroport et les dépôts pétroliers.
Données cartographiques ©2023 Google
Les Gilets Jaunes s’en prennent également aux institutions publiques, notamment les centres des impôts.
Les cibles sont choisies en fonction de leur accessibilité en voiture, elles sont généralement à l’extérieur des villes, “là où se concentrent les nœuds de circulation, et la logistique de distribution des marchandises”.
Ces “barrages mobiles” ont l’avantage de pouvoir être réalisés facilement, sans avoir besoin d’être très nombreux.
Les occupations et blocages prennent également la forme des occupations de ronds-points, sortes de mini-ZAD où viennent s’installer pour un temps des Gilets Jaunes, elles seront une des formes originales et représentatives du mouvement avec “la manif du samedi”. Elles permettent à des gens très différents de coexister, les “obligeant” à mettre leurs préjugés au second plan.
La casse
Une partie des GiletsJjaunes s’adonnent également à des formes d’actions directes contre des bâtiments ou des objets.
C’est ainsi que des permanences d’élus commencent à être dégradées, formes d’actions que l’on a vu se répéter pendant le mouvement contre la réforme des retraites.
La casse, si elle ne fait pas absolument consensus chez les Gilets Jaunes, est largement plébiscitée et théorisée par nombre d’entre elles et eux. Le livre cite par exemple Ana, 33 ans, factrice de Toulouse présente à Paris pour l’Acte XVIII : “C’est génial que ça casse, parce que la bourgeoisie est tellement à l’abri dans sa bulle, qu’il faut qu’elle ait peur physiquement, pour sa sécurité, pour qu’ils lâchent”.
Manifs et émeutes
Au-delà des blocages, une des autres formes d’actions du mouvement, qui deviendra une de ses marques de fabrique est la manifestation non déclarée, souvent émeutière.
Et pour cause, dès le 17 novembre, moins de 15% des rassemblements sont déclarés en préfecture.
Eric Drouet, une des figures importantes des Gilets Jaunes, qui a créé avec sa mère le groupe Facebook “La France en colère !”, chauffeur routier de Melun, dirigeant du principal club de tuning de la ville et apolitique, appelle à marcher sur l’Elysée – ce que des milliers de personnes tenteront de faire avant de se heurter à la police. Il appellera de nouveau à monter à Paris pour l’Acte II le 24 novembre.
(Patrice CALATAYU de Bordeaux, France, CC BY-SA 2.0)
Pour les auteurs, ces manifestations émeutières qui continuèrent pendant des mois, “apparaissent ainsi comme une réponse à la manière dont les classes dominantes sanctuarisent “leurs” centres-villes (…). Durant ces moments la bourgeoisie se barricade, râle, tempête. Les petits commerçants pleurnichent. (…) Elle fait ainsi respirer l’odeur de la lutte des classes aux bourgeois, les entrave dans leur circulation, les confronte à la brutalité de l’ordre social”.
Dans ce contexte Paris est un cas particulier “un terrain d’affrontement davantage qu’une base du mouvement”, qui se construit plutôt en province, les Gilets jaunes présents aux manifestations dans la capitale n’étant pas nécessairement parisiens, loin s’en faut. Paris étant la ville qui concentre les pouvoirs économiques, politiques et médiatiques.
Ce mode d’action crée une “forme étrange d’alliance” entre “l’ultra-gauche” (les dits “Black Bloc”) et les Gilets Jaunes, car les premiers n’ont aucun aucun objectif personnel à la différence des nombreux autres mouvements militants ce qui tend à les rendre sympathiques et respectables chez les seconds.
Parmi les diverses formes et motifs de manifestations, sont à noter les nombreuses “manifestations de femmes Gilets Jaunes” entre janvier et février 2019.
Ces émeutes “produisent un évènement spectaculaire, venant perturber l’orchestration du spectacle par l’Etat et les médias”. C’est le cas par exemple du Fouquet’s en feu qui démontre que “les édifices qui manifestent la splendeur arrogante de la grande bourgeoisie ne sont pas hors de la portée de la colère”.
C’est aussi cette revendication du désordre, du “zbeul partout”, qui achèvera de mettre la droite et l’extrême droite à distance – marquant là une de leurs plus grosses défaites des dernières années.
3 – Le délire répressif (et la résistance) : la nature réelle du régime dévoilée
Face à cette révolte inédite depuis mai 1968, l’Etat et la bourgeoisie vont faire preuve d’une extrême fébrilité dans un pays à forte tradition révolutionnaire. Déjà visible depuis des décennies dans les quartiers populaires à majorité immigrée, lors des mouvements écolos ou contre la Loi Travail sous Hollande, la nature extrêmement brutale du régime va se donner à voir avec une rare impudeur dans une démocratie occidentale, donnant lieu à des scènes d’une barbarie absolument inouïe et relativement inédites, notamment dans leur répétition, leur systématisation et leur déroulé en dehors de toutes les règles élémentaires normalement admises dans un soi-disant Etat de droit, en Europe au XXIe siècle.
Une répression quasi immédiate, d’une intensité inouïe
Contrairement à une idée médiatique reçue, la répression ne s’est pas faite attendre, ce sont les médias qui ont tardé à en parler.
Dès le 21 novembre 2018 – le mouvement n’a alors que 4 jours d’existence – c’est déjà 745 personnes qui ont été interpellées, dont environ 600 placées en garde-à-vue. Ce genre de chiffres, lorsqu’ils nous viennent de reportages sur des pays étrangers, paraissent aux journalistes proprement ahurissants. Le lendemain, une circulaire du ministère de la Justice est adressée aux magistrats réclamant une “réponse pénale systématique et rapide” aux actions de blocage – c’est en effet une des caractéristiques des dictatures que de faire des exceptions pour terroriser ses opposants politiques.
La “réponse systématique et rapide” ne se fait pas attendre : le premier Gilet Jaune incarcéré est un soudeur de 32 ans, condamné à 4 mois de prison ferme pour avoir…participé à une chaine humaine sur l’autoroute A35, le 17 novembre.
Le 1er décembre c’est Zineb Redouane, algérienne de 80 ans, qui est tuée par la police à Marseille qui lui envoie une grenade lacrymo au visage alors qu’elle ouvrait ses volets.
Lewisiscrazy — CC BY-SA 4.0
Le jeudi 6 décembre, l’Etat et sa police répriment la jeunesse. Ils arrêtent plus de 700 lycéens dans toute la France suite à des actions de blocage de lycées. Comme toujours, c’est dans les quartiers populaires que la répression est la plus abjecte. À Mantes-la-Jolie, 153 lycéens sont arrêtés, ils sont agenouillés, les mains sur la tête, filmé par un flic qui commente “voilà une classe qui se tient sage”. Les images, très choquantes, au premier degré comme au niveau symbolique, feront le tour du monde. L’ouvrage relate un tag trouvé sur un mur des Champs-Elysées, le 16 mars 2019, “Voilà une bourgeoisie qui se tient sage”, comme un “retour à l’envoyeur”.
Comme le note le collectif, lors de l’année 2019, ““en blesser un pour en terroriser mille” devient la stratégie policière de base. Le recours à la force est impressionnante et unique dans le monde des démocraties dites “libérales”.
Des journalistes commencent à documenter avec rigueur le délire répressif dans lequel la France est plongée. C’est le cas de David Dufresnes, qui recense à ce moment-là “environ 600 manifestants gravement blessés, une personne tuée par la police, 314 blessures graves à la tête, 24 yeux perdus, 5 mains arrachées”.
Mais dans cette entreprise répressive démentielle, il n’y a pas que la police qui s’en donne à cœur joie, la justice aussi suit le mouvement. Des personnes sont condamnées en n’ayant rien fait (“des appels au blocage sur les réseaux sociaux, des sms etc. Un gilet jaune est ainsi arrêté pour avoir posté sur Facebook le message “barbecue samedi, poulets à volonté””). Les arrestations ont souvent pour seul motif la présence en manifestation, d’avoir été là à un rassemblement gilet jaune ou d’avoir eu l’intention de s’y rendre. 1 000 peines de prison ferme sont ainsi prononcées, du jamais vu pour des gens qui sont souvent “primo-délinquants” (et en réalité pas délinquant du tout…). D’une manière générale “les peines qui tombent sont extrêmement lourdes au regard des habitudes de la justice”, il s’agit de “délivrer un message à tous ceux qui pourraient se révolter un jour, pour que tout un chacun connaisse le coût de l’insoumission”.
Ce type de régime appelle à un certain type de profil. La macronie limoge ainsi le préfet de Paris pour le remplacer par Didier Lallement : “cet ancien préfet de Nouvelle-Aquitaine et ancien directeur de l’administration pénitentiaire à la réputation de “fou furieux””.
La radicalisation est aussi sémantique : il faut déshumaniser au maximum l’opposition. C’est pourquoi “les autorités sortent de leur chapeau l’abberante catégorie de l’ultra-jaune, sorte de prolétaire radicalisé et nihiliste”, ne correspondant à aucune réalité.
La répression ne s’arrêtera pas avec l’extinction progressive du mouvement. Des Gilets Jaunes ayant quitté la lutte depuis longtemps se voient arrêtés, harcelés, condamnés des mois et des mois plus tard.
Une réplique rapide
Très vite les Gilets Jaunes s’organisent face à une répression qui, malgré tout, les surprend.
L’ouvrage cite plusieurs exemples parlant.
Le 1er décembre à Pouzin, un Gilet Jaune s’explique “Jusqu’ici on a toujours été pacifiques. Ils sont venus, ils ont voulu chercher, eh ben ils ont trouvé et puis c’est tout”. Même jour à Narbonne, la gendarmerie est assiégée, pillée et incendiée, les gendarmes s’enfuient. Le même sort est réservé aux bâtiments appartenant à Vinci Autoroutes.
Des rassemblements sont organisés en soutien aux prisonniers politiques. C’est le cas à Avignon, le 5 janvier 2019, où 400 Gilets Jaunes se réunissent devant le palais de la Justice pour soutenir Abdel, un de leurs animateurs, mis en garde à vue.
Des caisses de solidarités sont mises en place pour les Gilets Jaunes incarcérés. Ces collectifs sont souvent le fait de militants en provenance de l’ultra gauche et “apparaissent dans le domaine de “l’antirep” comme des “gens biens” et non comme des politicards potentiellement manipulateurs. Les Gilets Jaunes peu habitués au contact avec la police et la justice découvrent leur expertise qui étonne mais qui souvent est la bienvenue”.
Comme toujours c’est le pouvoir qui détermine le niveau de violence : “alors que la manifestation est rendue illégitime par le pouvoir, tout un chacun intériorise désormais que l’acte même de manifester induit de s’opposer aux forces de l’ordre”.
L’année 2019 sera marquée, pour le mouvement, par la lutte contre cette répression (“soutien matériel aux inculpés, rassemblement lors des procès, collectivisation de la défense juridique”…)
Des effets durables
Cette répression délirante a eu des effets qui durent encore, sur la prise de conscience de la nature réelle du régime dans de larges pans de la population. Elle a aussi créé des alliances inattendues et des reconnaissances communes.
La première a été un changement de regard sur la police, massivement d’extrême droite, et utilisée comme chair à canon et comme tampon par le pouvoir entre ce dernier et la population. Là où elle était souvent vue comme un ensemble de fonctionnaires au service du peuple, parfois assimilée aux classes populaires et laborieuses dans le sens commun, elle est vite apparue, de par l’extrême brutalité dont elle a fait preuve à leur égard, comme “une force étrangère au peuple, au service des classes dominantes” auprès des Gilets Jaunes.
Ce changement de regard s’est même mû en véritable haine par moments, en témoigne ce slogan d’une très grande violence adressée à la police lors de l’Acte XXIII : “Flics suicidés, à moitié pardonnés” (dont on rappellera toutefois que même le slogan le plus brutal fait toujours globalement moins mal que de ramasser sa main ou son oeil arraché).
Elle a ensuite rapproché les “nouveaux venus et les habitués des mouvements sociaux”. Les seconds ayant déjà identifié “les forces de l’ordre comme des ennemis” et ayant “une expérience de la répression policière et judiciaire”. Une transmission s’est donc opérée dans ce domaine.
Le second rapprochement que la brutalité policière a créé est celle, moins documentée, parce qu’elle venait contredire beaucoup d’analyses faites d’à-priori, “entre gilets jaunes et prolétaires racisés des quartiers populaires.”. La raison en est une soudaine expérience commune : “la condition de gibier à flic et à juge que découvrent de manière soudaine et stupéfaite des prolétaires blancs à l’identité souvent bien ancrée d’”honnête travailleur” révèle un élargissement du traitement habituellement réservé aux quartiers populaires – à ses habitants surnuméraires et racisés, exclus du marché du travail formel, considérés comme une menace sociale et gouvernés à coups de matraque depuis des décennies”. L’ouvrage donne comme exemple de ce rapprochement, une prise de parole que nous avions nous même noté dans le cadre d’une analyse assez similaire, la prise de parole de Fly Rider (Maxime Nicolle), une autre des figures importantes des Gilets Jaunes, qui lors d’un rassemblement organisé par la famille d’Adama Traoré, avait déclaré : “Je m’excuse parce que depuis des années vous vivez des choses qu’on vit depuis neuf mois (…) Pardon ne pas avoir su, pardon de ne pas avoir entendu, pardon d’avoir cru ce que les médias disaient ».
4 – Refuser la verticalité : le désir de démocratie directe
Dans les références et symboles mobilisés par les Gilets jaunes, ceux liés à la Révolution Française sont très présents. Cela se traduit notamment par les drapeaux français et la Marseillaise. Comme le note l’ouvrage “pour la gauche, ces attributs incarnent chauvinisme et nationalisme; pour les manifestants, on mettra un peu de temps avant de le comprendre, ils signifient avant tout que “le pays” c’est eux et non les gouvernants”.
© GrandCelinien – (G. A.) / CC-BY-SA-3.0, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons
Le désir d’horizontalité, c’est-à-dire de ne pas se faire voler le mouvement par des représentants opportunistes, quitte à rendre les revendications plus floues, moins identifiables, mais aussi plus incontrolables, s’avère tout de suite être fondamental pour les Gilets Jaunes, comme une forme d’anarchisme qui ne dirait pas son nom.
Cela n’a pas empêché des personnalités et des “portes-paroles” d’émerger. Celles et ceux qui le sont restés le plus longtemps (toujours en subissant des critiques parfois violentes) sont justement celles et ceux qui ont refusé le rôle que l’Etat a tenté de leur donner, celui de “responsable” ou de “représentant officiel”. C’est le cas, par exemple, d’Eric Drouet, Priscillia Ludosky, Maxime Nicolle (Fly Rider) qui se tiendront (presque) toujours à distance des formes de représentation jugées comme légitimes par le pouvoir.
Photo – NOS VOIX NOS COMBATS, CC BY-SA 4.0
Ce désir d’horizontalité et de démocratie directe, c’est-à-dire de contournement de représentants qui ne nous représentent pas, s’est incarné dans une des principales revendications des Gilets Jaunes : le RIC, Référendum d’Initiative Citoyenne. L’idée est simple : à partir du moment où un nombre important de citoyens désirent qu’un référendum se tienne, celui-ci est soumis à la nation, ce qui permet une intervention beaucoup plus directe de la population dans la loi et la politique.
Cette idée a notamment été portée par Etienne Chouard, intellectuel qui s’est fait connaître pour son engagement en faveur du “Non” au moment du vote pour le traité européen de 2005, et controversé pour ses liens avec l’extrême droite, son négationnisme et ses positions que l’on peut aisément qualifier de “confusionnistes” (c’est-à-dire un mélange destructuré de positions gauchistes avec des rhétoriques d’extrême droite, qui bénéficient évidemment davantage aux secondes).
Le RIC a le mérite de poser la question du pouvoir : le meilleur moyen d’éviter que des réformes et des lois dont la population ne veut pas (comme la réforme des retraites…) soient imposées, c’est de reprendre l’initiative législative aux représentants, ou du moins de leur en retirer le monopole.
Il était aussi une manière de différer les désaccords internes au mouvement : les Gilets Jaunes avaient conscience de toutes les différentes tendances et couleurs politiques qui le traversaient. La logique du RIC est donc aussi la suivante : reprenons d’abord le pouvoir, puis nous réglerons ensuite les désaccords de manière démocratique.
Contrairement à ce que, comme d’habitude, les médias dominants prévoyaient, l’extrême droite ne sera pas parvenu à incarner et représenter le mouvement qui aura gardé son autonomie. Les Gilets Jaunes opportunistes qui, trahissant l’esprit du mouvement, se sont abaissés à l’aventure électorale, ont été durement punis en recueillant moins de 1% des voix. “De quoi doucher définitivement les espoirs de ceux qui pariaient sur une possible absorption institutionnelle du mouvement” .
5 – Les “militants chiants” : syndicats et partis à la ramasse
Les Gilets Jaunes ont, de manière quasi-immédiate et spontanée, ringardisé les méthodes classiques des organisations de la gauche bureaucratique. Ils ont aussi montré une certaine efficacité en parvenant à faire reculer le pouvoir à plusieurs niveaux.
C’est ce qui explique la grande méfiance, puis le paternalisme, dont ces organisations ont fait preuve vis à vis des Gilets Jaunes (et qui dure encore, puisqu’elles semblent bien incapables de remise en question même face à de longues successions de défaites.).
L’obsession d’être “respectable”
Pour faire peur, la classe dominante transforme tout mouvement d’opposition en “groupe de casseurs”. C’est la méthode habituelle de toutes les dictatures : on n’y interdit jamais les manifestations en tant que telles, mais parce qu’elles seraient des “actions de désordre, de casse ou d’insurrection”. Assimiler son opposant, quand bien même il s’adonnerait à de la désobéissance civile ou à des actions symboliques contre des objets, à un simple “casseur” c’est évidemment le dépolitiser, le marginaliser, le barbariser : il n’est plus quelqu’un qui fait passer un message politique par ses actions, il est une sorte de bête sauvage, stupide, enfermée dans un désir de violence nihiliste et pulsionnelle, sans but, sans visée.
Face à cela l’attitude des organisations de la gauche bureaucratique (syndicats et partis politiques) est généralement celle de la soumission aux injonctions du pouvoir : il faut vite vite condamner, se désolidariser, faire le paillasson, montrer que l’on est “respectables” et que, bien sur, il faut collaborer pour que ces militants qui sont déjà ultra-réprimés le soient encore davantage, et pourquoi pas suggérer que ces derniers seraient de la police, ou bien faire mine de s’interroger sur “pourquoi la police ne les arrête-t elle pas, hein ?” (spoiler : elle les arrête).
Cette attitude de soumission et de collaboration se retrouvera assez peu dans les Gilets Jaunes où les partisans de pratiques de confrontation directe seront souvent soutenus, au moins passivement, par celles et ceux s’adonnant à des modes de protestation plus classiques (mais tout aussi réprimés).
On retrouvera la même dynamique sur les plateaux télés, où les Gilets jaunes sont excellents et ne se laissent jamais démonter “alors que les leaders syndicaux tachent en général de se montrer respectables et constructifs dans leur communication publique et sont souvent tournés en ridicule dans des simulacres de débats tv”.
Il n’y a pas que la militance de gauche qui se retrouve piégée par cette volonté de respectabilité. Les tentatives, globalement ratées, de l’extrême droite d’infiltrer le mouvement pour le subvertir, sont justement mises à mal par “son rapport contradictoire à l’ordre”.
Les mots d’ordre cash, le langage direct, non policé, loin des discours aseptisés et pénibles de la classe politique et des militants professionnels, fait aussi partie de l’ADN du mouvement : “la jonction entre les prolétaires ruraux et les fameux shlagues produit un espace de sociabilité hybride non politiquement correcte, anti-bourgeoise, illégitime, où la grossièreté s’assume fièrement”; “Il s’est agi d’échapper immédiatement à la culture bourgeoise (…), à l’injonction permanente à se présenter comme “interlocuteur responsable” : à rebours des habitudes polies des syndicalistes, c’est en commençant par insulter l’adversaire, en plus de le faire tomber de son piédestal symbolique qu’on se place en dehors d’un cadre de discussion acceptable”.
La volonté de tout encadrer, de tout institutionnaliser
Les partis politiques plutôt que de savoir comment accompagner le mouvement se demanderont pour l’essentiel : comment le récupérer ? Comment en bénéficier ? (ou comment l’arrêter ?).
Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen demanderont par exemple tous deux la dissolution de l’Assemblée Nationale, souhaitant, comme toujours, des débouchés électoraux aux conflits sociaux. La France Insoumise répétera de nouveau la demande dans les moments les plus offensifs du mouvement contre la réforme des retraites.
De la même manière, les syndicats seront invités par le gouvernement “à la table des négociations” sans que l’on sache vraiment comment ils pourraient “négocier avec le pouvoir l’arrêt d’un mouvement sur lequel elle n’a guère de levier”.
Se distinguer au lieu de se fondre
En décembre 2018 la CGT cherchera toutefois un rapprochement avec les Gilets Jaunes en appellant à se joindre aux manifestations du samedi, mais elle le fera en demandant à ses militants…d’arborer un gilet rouge… en contradiction avec l’esprit de non-démarcation que représente justement le gilet jaune.
Toujours dans cet esprit le 1er décembre, “alors que la plus grosse émeute depuis 1968 se déroule à quelques arrondissements de là” la CGT décide de manifester de son côté, avec un service d’ordre massif. Elle signera le 6 décembre un communiqué avec l’ensemble des organisations syndicales sauf Solidaires, dont le propos est le suivant : « le dialogue et l’écoute doivent retrouver leur place dans notre pays. C’est pourquoi nos organisations dénoncent toutes formes de violence dans l’expression des revendications ». Le paillasson, encore une fois.
Des méthodes inefficaces
Deux mois plus tard, le 5 février 2019, le mouvement se poursuit et un appel à la grève est déposé. Eric Drouet fait partie de ceux et celles qui poussent à participer à la journée afin d’arriver à un “blocage total”.
Anticipation de la stratégie de la loose qui n’a pas fonctionné à l’époque et qui n’a, évidemment, pas fonctionné non plus pour le mouvement contre la réforme des retraites, il s’agit d’une journée isolée : “les syndicats se félicitent de la mobilisation et l’affaire est bouclée. Le 6, s’il avait cessé, le travail reprend”. Là où les Gilets Jaunes ont bien compris l’enjeu de bloquer l’économie – ce qui serait passée par une grève reconductible et large – comme d’habitude depuis bien longtemps, les directions syndicales, elles, se contentent de pousser en faveur d’actions purement symboliques, aussi inutiles, qu’épuisantes et couteuses pour les travailleuses et les travailleurs.
Mais ce ne sera pas la seule action nuisible de la militance classique, véritable milieu, plus intéressé à son folklore et ses traditions qu’à son efficacité, qui se greffe au mouvement et le fatigue de l’intérieur : “les formes militantes menacent d’étouffer le mouvement, en reproduisant consciemment ou non, des pratiques routinières, une parole souvent incantatoire, des objectifs spécifiques : tout ce qui permet au “milieu militant” de se reconnaître et de s’autoreproduire”.
Cela se traduit par un “formalisme (parfois extrême)” des “mandats accaparés par les plus rodés au travail militant”, des “commissions”, des “tracts ronronnants sortis des vieux pots”… Le profil est classique : “ces gens de gauche appartiennent le plus souvent aux classes moyennes intellectuelles – enseignants ou alternatifs de tous poils”. L’ouvrage cite par exemple une réunion de gilets jaunes en janvier 2019 en Arriège. Ces activistes de gauche y sont qualifiés de “militants chiants” qui “viennent de l’extérieur” mettant en péril l’unité et l’esprit du 17 novembre. Un des leaders locaux fustige “les enculeurs de mouches qui voudraient à tout prix bureaucratiser la lutte par des AG horizontales et des sous commissions”. Un autre critique vivement les syndicats qui auraient dû rejoindre le mouvement depuis longtemps et constate qu’ils sont d’une part “des politicards” et d’autre part qu’”on s’est démerdés sans eux jusque-là, on n’a pas besoin d’eux”. Un dernier rappelle, à juste titre, qu’en mai 68, les syndicats s’étaient ralliés tardivement à la grève, mais “dans l’unique but de la contrôler et d’y mettre fin”. Ça vous rappelle quelque chose ?
En plus d’avoir l’arrogance d’expliquer les bonnes méthodes à tout le monde, de condamner celles qui diffèrent, de refuser de s’y joindre, de s’adapter ou de se remettre en question, il se trouve que le bilan des syndicats ces dernières années n’est pas glorieux “eux qui n’ont obtenu au mieux (…) que l’assouplissement de certaines réformes”. A contrario, face aux actions déployées par les gilets jaunes, “cette fois, le pouvoir a non seulement retiré quelques mesures, mais lâche en plus de l’argent.”. C’est en effet environ 17 milliards qui ont été concédés par Macron à la suite du mouvement dans le cadre des “mesures Gilets Jaunes”. Pour le collectif “c’est la preuve éclatante que bloquer, casser, piller et lancer des projectiles sur la police, cela sans représentants, ni revendications claires, a bel et bien une efficacité immédiate”.
Une rancoeur justifiée
Bien sûr tout cela appelle à une certaine nuance et à ne pas mettre dans le même tas directions syndicales, syndiqués et les militants professionnels : “il y a parmi les Gilets Jaunes beaucoup de travailleurs syndiqués et ils ne comprennent pas les réticences de la direction à rejoindre le mouvement”.
Cela créera dans le mouvement “une perception globalement hostile”, où les syndicats “sont associés aux politiciens dans un même rejet”.
Cette hostilité est loin d’être sans cause. Le livre donne un exemple très parlant : “Début février, dans le sud-ouest. La CET du centre hospitalier local appelle les Gilets Jaunes à la rescousse, malgré la convergence ratée lors de la grève générale de la semaine précédente, lors de laquelle les syndiqués avaient laissé les Gilets Jaunes seuls face à la repression policière. Pas rancuniers , ces derniers viennent nombreux soutenir le personnel hospitalier. L’hôpital est occupé pendant une semaine entière par des dizaines de Gilets jaunes. Il est clair pour tout le monde que ce qui change la donne c’est leur présence, alors que le conflit social à l’hôpital est permanent depuis des années, sans succès. Cette fois des négociations sont vites proposées. Et c’est là que le bât va blesser. Les syndicalistes vont négocier seuls avec l’agence régionale de santé et la direction de l’hosto. On demande aux Gilets jaunes d’occuper non plus le hall mais la cour extérieure, malgré le froid, pour faire bonne mesure. Ayant obtenus quelques concessions, ils demandent au Gilet Jaunes de bien vouloir « retourner au rond point » sans se soucier de leur avis sur la question. Le sentiment d’avoir servi de chair à canon est général, la rancœur sera durable.”
6 – Les leçons pour aujourd’hui et pour la suite.
Si on peut dire que le mouvement des Gilets Jaunes est terminé, on constate qu’il se poursuit d’une autre façon par une “gilet-jaunisation des luttes”, ce qui signifie “quelque chose comme “ensauvagement”, “perte de contrôle par les cadres””
Pour le collectif, l’enjeu central “demeure celui du débordement de la gilet-jaunisation sur le terrain du travail, celui de la production de dynamiques de lutte et d’insubordination autonomes, à l’écart des syndicats de la part des travailleurs”. C’était également notre point de vue dans mon article d’appel à un “Gilet jaune salarial” afin de faire retirer la réforme des retraites puis d’aller beaucoup plus loin.
C’est ce qui a commencé/failli se produire pendant un temps, même si force est de constater que les syndicats semblent avoir réussi à reprendre la main sur une grosse partie du mouvement pour l’épuiser et le tuer de l’intérieur à coups de journées de grèves isolées stupides, inutiles et désespérantes.
En effet, si le mouvement des Gilets Jaunes n’a pas pu aller au bout de ses aspirations c’est parce que “la menace pour l’économie est vite apparue comme négligeable”.
La formule gagnante paraît donc possiblement sous nos yeux : reprendre les tactiques et des méthodes qui peuvent faire leurs preuves, les étendre à la sphère du travail, et comme les Gilets Jaunes, être surprenants, incontrôlables, mobiles, furtifs, exigeants, radicaux, imprévisibles, fiers de ce que nous sommes.
Collectif Ahou Ahou Ahou, La révolte des Gilets Jaunes : Histoire d’une lutte des classes (2020), Niet éditions, 9 euros, 220 pages
ROB GRAMS
RÉDACTEUR CHEF
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