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Créé en 2010, Uber est la pointe avancée des plateformes numériques et leur monde. Depuis presque quinze ans, les plateformes cherchent à imposer leur modèle économique et social… en prise avec les luttes de leurs travailleur·euses, les décisions de justice et les initiatives législatives. Parfois consommateur·rices, souvent critiques de ces plateformes, nous entendons souvent parler de luttes et de réformes aussi bien en France, qu’à l’étranger ou au Parlement européen. Or, justement, une directive européenne vient d’être adoptée ce mercredi 24 avril , après cinq années de bataille législative. Elle pose la question des enjeux de la lutte actuelle pour ces travailleur.euses. 

Leila Ouadah est livreuse à Mulhouse depuis six ans, “engagée dans la lutte depuis cinq ans”. “Moi je ne viens pas de la politique, je suis livreuse. Très vite, les liens syndicaux et le soutien d’élus m’ont permis de m’armer politiquement et d’arriver à mener le travail et la lutte en même temps”. Au coeur de son combat, l’hypocrisie des plateformes qui conduit à ce que les livreur.euses n’aient “ni les avantages du statut d’auto-entrepreneur, comme le fait d’avoir la main sur les tarifs ou sur notre outil, l’algorithme ; ni les avantages du salariat avec des droits individuels et sociaux. On n’a pas de fiche de paie, ça veut dire qu’on ne peut pas faire de dossier pour demander un logement, encore moins pour demander un crédit à la banque, ça veut dire aussi qu’il n’y a pas de fiche de paie non plus pour ceux qui font des demandes de titre de séjour”. 

« On n’a pas de fiche de paie, ça veut dire qu’on ne peut pas faire de dossier pour demander un logement »

Leila Ouadah, livreuse à Mulhouse

Leila Ouadah pointe ici le cœur du projet des plateformes : proposer une forme de travail sans patronat et donc sans salariat. Le rêve néo-libéral dans sa quintessence, le contrat de travail et ses “contraintes” explosent, reste alors un simple contrat commercial entre deux personnes – la plateforme et le “prestataire de service” que serait le·la travailleur·euse-. Le droit du travail s’est construit de haute lutte avec la reconnaissance du lien de subordination et la responsabilité de l’employeur qu’elle implique. Et c’est bien ça qui se trouve dans le viseur des plateformes. Faire sauter, en commençant par un secteur présenté comme nouveau (chauffeur-livreur), le salariat et son monde, ses luttes, ses acquis, ses droits et la responsabilité de l’employeur. 

Lutte sociale contre “dialogue social”

Pour implanter ce modèle, les plateformes ont trouvé en France un terrain très fertile. “Les plateformes sont bien plus chez elles en France qu’aux Etats-Unis, grâce à Macron” commente Jérôme Pimot, livreur et membre fondateur du Collectif Autonome des Livreurs des Plateformes (CLAP). Pour contourner le salariat, la stratégie de Macron a été de créer de toute pièce une instance qui jouerait le rôle de la négociation collective. Il s’agit de l’ARPE pour Autorité des Relations sociales des Plateformes d’Emploi. Créée en 2021, cet établissement vise à assurer un “dialogue social” dans le secteur des livreur.euses à vélo et des chauffeur.euses privé.es (VTC). L’objectif est simple, court-circuiter la revendication pour une reconnaissance du statut de travailleur salarié en instaurant un outil originellement prévu pour le travail salarié, la négociation. Par là, le gouvernement nous sert encore de sa soupe néolibérale : c’est par la négociation et par le dialogue que l’amélioration des conditions de travail trouvera sa réponse. Pas besoin du Code du travail, pas besoin de bloquage et autres grèves pour défendre ses droits, tout se fait “autour de la table”. 

“Les plateformes sont bien plus chez elles en France qu’aux Etats-Unis, grâce à Macron”

Jérôme Pimot, livreur et membre fondateur du Collectif Autonome des Livreurs des Plateformes (CLAP)

“Le gouvernement essaye d’acheter le silence avec son “dialogue social”. Selon nous, le dialogue social sans rapport de force, c’est du silence” commente Jérôme Pimot. L’ARPE fonctionne avec des représentants des employeurs – les plateformes – et des représentants de travailleurs, élus lors d’élections professionnelles. “L’objectif de l’ARPE est de remettre en cause les requalifications en CDI [action en justice visant à faire reconnaître le contrat avec la plateforme comme étant un contrat de travail salarié et d’obtenir les droits qui vont avec, ndlr]. Leur discours c’est de dire qu’il s’agit d’un statut d’indépendant et pour le reste, il y a l’ARPE. On le retrouve dans les plaidoiries des avocats des plateformes, elles affirment que l’ARPE prouve qu’il n’y a pas de salariat mais une simple relation de prestation commerciale avec des négociations entre acteurs”. En mai prochain, se tiendront les élections professionnelles de ce secteur, “pour cette année, au CLAP, on a décidé de se servir de l’ARPE. On a aucune confiance dans cet outil mais on ne peut pas nier qu’il existe. On lutte depuis 2017, et on pense que cet outil est aussi un résultat de notre lutte, ils ne peuvent pas faire comme si les travailleurs n’existaient pas” ajoute-t-il. 

Lors de ces prochaines élections, 122 000 livreur.eures et chauffeur.es sont appelés à voter pour désigner leurs représentants. L’enjeu est de taille : c’est au niveau de l’ARPE que se négocient des sujets comme les tarifs – un accord de 2023 a d’ailleurs prévu de fixer des tarifs minimums … plus qu’avantageux pour les plateformes – ou encore l’utilisation de l’algorithme. Bien que critiques de l’outil et du discours qui le fonde, les représentants syndicaux y voient un espace supplémentaire de lutte pour s’opposer voire pour imposer de nouveaux droits face aux plateformes. Ce point de vue est partagé par Laurent Degousée, syndicaliste à la Fédération Commerce & Services de l’Union Syndicale Solidaires (Sud-Solidaires). Selon lui, “l’objectif c’est de subvertir l’ARPE et de mener la lutte à l’intérieur de l’outil de Macron. Sur la question de l’algorithme, nous avons demandé la mise en place d’une expertise, qu’on puisse regarder à l’intérieur, son fonctionnement et les contraintes qu’il impose. C’est pour ça que l’enjeu pour la prochaine élection c’est la participation. Avoir de la participation donnera du poids aux syndicats de lutte pour s’imposer dans cette machine”. Pour s’opposer à un accord, il faut rassembler les syndicats pesant plus de 50% au niveau du secteur, à l’inverse, l’accord de 30% des organisations représentatives suffit pour mettre en place un accord (voir site de l’ARPE). “On est pas là pour s’asseoir autour de la table, on est là pour monter dessus”, renchérit Jérôme Pimot. 

Cinq ans de lutte et une directive européenne

La lutte des travailleur.euses des plateformes a trouvé un écho au sein du Parlement européen. La députée France Insoumise Leïla Chaibi en avait fait l’un de ses axes de campagne et l’a tenu durant son mandat : amener des travailleur.euses des plateformes au sein des institutions européennes, apporter leur quotidien, leur réalité face à la machine législative de l’Union. Après cinq années d’aller-retours, la directive européenne sur le travail au sein des plateformes a enfin été adoptée ce mercredi 24 avril. Dans sa lutte, l’eurodéputée a dû faire face à un adversaire de poids : les plateformes, évidemment, mais surtout son serviteur le plus dévoué, j’ai nommé Emmanuel Macron. Dans son livre Députée pirate – Comment j’ai infiltré la machine européenne, Leïla Chaibi retrace l’histoire de cette bataille législative. Dans les dernières pages, elle conclut : “Je l’ai toujours su, c’est maintenant confirmé. Emmanuel Macron n’est pas qu’un obstacle pour les travailleurs des plateformes. C’est aussi un ennemi, qui torpille, patiemment, en sous-main, toutes les avancées qu’ils peuvent espérer”1. Et de rappeler dans la foulée le rôle de Macron dans l’implantation d’Uber en France. Les Uber Files (plus de 120 000 documents internes à Uber communiquées de façon anonyme au journal The Guardian en juillet 2022) ont démontré le rôle qu’à joué Macron, alors ministre de l’économie, pour faciliter l’implantation de la plateforme entre 2012 et 2017. En retour, la plateforme a aidé Macron à financer sa campagne présidentielle de 2017. La méthode est bien ficelée, et comme l’explique Leïla Chaibi suite à un échange avec le lobbyiste Uber Mark MacGann, il s’agit pour la plateforme de “s’installer dans un pays de force, en bafouer les lois, et s’assurer les services de personnalités politiques haut placées pour ensuite y changer les lois en vigueur” (p107). 

« Emmanuel Macron n’est pas qu’un obstacle pour les travailleurs des plateformes. C’est aussi un ennemi, qui torpille, patiemment, en sous-main, toutes les avancées qu’ils peuvent espérer »

Leïla Chaibi, Députée pirate – Comment j’ai infiltré la machine européenne

À l’origine, cette directive visait à instaurer une “présomption de salariat”. L’objectif était alors d’inverser le rapport : plutôt que de considérer le travail pour les plateformes comme une prestation commerciale, il s’agit d’instaurer une présomption de relation salariale. La première version de la directive prévoyait alors cinq critères dont le fait que la plateforme supervise l’exécution du travail, contrôle la répartition des tâches, limite la liberté d’organiser son travail et contrôle les conditions de travail. En remplissant deux des cinq critères, un travailleur pourrait faire valoir que son contrat commercial est en réalité un contrat de travail, et obtiendrait alors les droits qui y sont liés (rémunération minimale, durée du travail, mesures de santé et sécurité, droits syndicaux, etc.). Le rapport s’y trouverait inversé puisqu’il reviendrait alors à la plateforme – et non au travailleur comme c’est le cas actuellement – de saisir la justice. Elle aurait alors à démontrer qu’il ne s’agit pas d’une relation de travail salarié. 

Cinq années d’aller-retour entre les différentes instances de l’Union Européenne et, finalement, un blocage au dernier moment. Le principal frein : les stratégies d’Emmanuel Macron. Ce dernier a alors tenté de bloquer la directive en demandant à ce que les critères de présomption de salariat soient définis à l’échelle de chaque pays. Le défenseur de l’Union européenne s’oppose à une harmonisation à l’échelle de toute l’Union. Mais l’hypocrisie ne s’arrête pas là puisque la France a ensuite refusé la directive au prétexte qu’une fois modifiée, la directive était trop floue… La version votée au Parlement se limite alors à instaurer une présomption de salariat qui devra se faire devant chaque juridiction nationale. 

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La directive européenne n’a pas permis une requalification immédiate et sans condition de tous les travailleurs des plateformes en statut de salariés (Source : Diliff, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons)

Pour l’avocat Kevin Mention, impliqué sur les enjeux des travailleurs des plateformes depuis 2016, “la directive a été clairement amoindrie. Selon nous, c’est tout de même une satisfaction car cette direction apporte un élément en plus : la présomption de salariat. Pour autant, la bataille n’est pas gagnée puisqu’il faudra d’abord surveiller la transposition de la directive dans le droit français, tout ça dans un contexte où le gouvernement actuel continuera son action en faveur des plateformes. La lutte continue devant les tribunaux, il faudra encore en passer par des recours en justice”. 

Ce point de vue est partagé par Ludovic Rioux, de la Fédération Transport CGT pour qui “ce texte a le mérite d’exister même si on regrette que cette directive ne soit pas allée plus loin. Toute la difficulté c’est qu’en France on a un gouvernement clairement en faveur des plateformes, la directive ne fait que renvoyer devant les lois et tribunaux nationaux cette question de la présomption de salariat”. Le syndicaliste et livreur à Lyon poursuit son analyse “en réalité, la “présomption de salariat” on ne sait pas bien ce que ça veut dire avec cette directive. Ça suppose déjà des actions individuelles devant les tribunaux. Et ensuite, comment ça marche ? Le livreur devra aller voir sa plateforme, lui dire qu’il se considère comme un salarié et ensuite la plateforme, si elle refuse de le reconnaître comme salarié, ira devant les tribunaux pour démontrer qu’il s’agit d’un simple prestataire commercial. C’est sur ce point qu’il faudra rester vigilant”. Le syndicaliste CGT pointe ici deux difficultés. Tout d’abord, la bataille pour la directive n’a pas permis une requalification immédiate et sans condition de tous les travailleurs des plateformes en statut de salariés : le passage par les tribunaux – souvent assez lourd – reste de mise. Ensuite, l’action devant les Conseil des Prud’hommes est par définition une action individuelle, là où l’enjeu syndical est de créer du collectif. “Une chose est sûre : cette directive a montré le rapport de force en présence et, à l’inverse, l’échec de Macron sur un dossier qui lui tient tant”, conclut-il. 

La lutte des travailleurs sans-papiers face à l’ubérisation

En juin 2020, la grève menée par plus de 200 livreurs sans papiers de l’entreprise Frichti a mis la lumière sur la précarité vécue par une partie des livreur.euses et face à l’absence de modalité de régularisation de ces “travailleurs indépendants”. Dans un élan de cynisme qu’il maîtrise bien, le ministre Darmanin a demandé en mars 2022 à ce que les plateformes ferment les comptes détenus par des livreurs sans titre de séjour régulier. La conséquence ne s’est pas faite attendre, les fermetures de compte ont été légion – Jérôme Pimot parle de 3500 fermetures de compte – et, dans le même temps, le nombre de locations de compte a explosé. Le syndicat CGT parle d’une double exploitation, celle des plateformes et celle des loueurs de compte. On pourrait y ajouter l’exploitation politique faite par le gouvernement qui protège les plateformes et stigmatise les travailleurs étrangers. Au total, on constate un mouvement de précarisation accrue du travail et particulièrement pour les travailleurs sans papiers. Selon Laurence Meyer, juriste co-directrice de Digital Freedom Fund et co-fondatrice de Weaving Liberation, cette situation illustre une réalité plus vaste concernant les plateformes numériques et l’“intelligence artificielle” en général : “dans leur modèle, le travail ne disparaît pas, il se précarise davantage”.

Le syndicat CGT parle d’une double exploitation, celle des plateformes et celle des loueurs de compte. On pourrait y ajouter l’exploitation politique faite par le gouvernement qui protège les plateformes et stigmatise les travailleurs étrangers.

De ce point de vue, ni le droit français ni la directive européenne n’apportent de solution. La directive européenne n’a pas permis de prise en compte de cette forme de travail comme un critère permettant l’accès à la régulation. Au niveau du droit français, la régularisation par le travail (Circulaire Valls) passe par la présentation de fiches de paie. Or, le statut d’indépendant repose sur des factures et la requalification en contrat de travail après une action en justice ne permet pas d’obtenir rétroactivement des fiches de paie. 

C’est ce qu’explique Ludovic Rioux de la CGT “la directive n’apporte rien sur le sujet des régularisation c’est, selon nous, le signe qu’elle entérine la double exploitation actuelle. Dans le contexte français, la requalification en contrat de travail ne permet pas d’obtenir rétroactivement des fiches de paie : le travailleur reconnu salarié repart de zéro pour demander sa régularisation. Donc individuellement, il n’y a pas d’outil juridique pour obtenir une régularisation en étant livreur. Et collectivement, les fois où ça a fonctionné – comme face à l’entreprise Frichti – il y avait un même employeur désigné et un lieu de travail précis. Car c’est là dessus que s’appuient les stratégies de régularisation collectives : le blocage du lieu de travail, une pression sur l’employeur, qui ensuite se retourne vers la préfecture. Et c’est dans ce cas qu’on peut obtenir des dérogations et des régularisations collectives de travailleurs sans-papiers”. Or le modèle des plateformes empêche justement ces différents ingrédients de se rencontrer : le collectif de travail est éclaté, l’employeur est fictif ou multiple (les différents restaurants) et le lieu de travail n’est pas fixe. De ce point de vue, seul un travail de syndicalisation et de construction d’un rapport de force collectif semble pouvoir apporter des réponses. 

Seul un travail de syndicalisation et de construction d’un rapport de force collectif semble pouvoir apporter des réponses. 

De son côté, Laurent Degousée considère que la piste de la requalification reste pertinente. “La réalité c’est que du côté du gouvernement il y a un intérêt politique et économique à maintenir la situation en l’état. Syndicalement, on est là pour organiser les livreurs,  les accompagner lorsqu’ils se font déconnecter de la plateforme. On a pu mobiliser des centaines de livreurs et mener des actions visibles, dont une face à la Tour Eiffel, par exemple. L’objectif est de rappeler que ces travailleurs se sont montrés essentiels durant le Covid, ils livraient les hôpitaux et maintenaient l’économie, il faut dénoncer l’hypocrisie actuelle.” La loi Darmanin a entériné cette politique cynique en inscrivant dans le Code du commerce l’interdiction – qui existait déjà de fait – d’obtenir le statut d’indépendant sans titre de séjour. “Il y a la loi Darmanin, certes, mais la circulaire Valls de régularisation par le travail existe toujours. Pour nous l’enjeu est de poursuivre la lutte devant les tribunaux, d’obtenir la requalification en contrat de travail et à partir de là mener la bataille de la régularisation”. 

En attendant la requalification 

La question des plateformes n’échappe pas aux tensions présentes dans le reste du monde du travail. La défense des droits de travailleurs et leurs actions de revendication nécessitent la construction d’un rapport de force. La présence d’organisation syndicale participe à cette construction d’un collectif capable de s’opposer aux plateformes. De ce point de vue, on peut noter aussi l’émergence des “Maisons des livreurs” comme à  Paris et à Bordeaux. Portées par la coopérative de livreur.euses à vélo Coopcycle ces“Maisons” sont en réalité des locaux mis à disposition pour proposer un point de ralliement entre livreur.euses. On y trouve des permanences de droit, un accompagnement personnalisé, la possibilité de recharger son téléphone et d’échanger avec des pairs dans un endroit sec et chaud. Sortes de “Bourse du travail” des livreur.euses, ces Maisons participent également à la construction d’un collectif. 

La défense des droits de travailleurs et leurs actions de revendication nécessitent la construction d’un rapport de force.

Le rapport de force se poursuit par des actions en justice, devant le Conseil des Prud’hommes, pour obtenir la reconnaissance d’un statut de travailleur salarié. De ce point de vue, la jurisprudence française comporte de nombreuses décisions en faveur des travailleurs des plateformes. L’arrêt du 28 novembre 2018 dit “Take Eat Easy” a vu la reconnaissance du statut de salarié à un livreur de la plateforme du même nom du fait du contrôle que cette dernière opérait à travers la géolocalisation. En effet, selon les juges, “l’application était dotée d’un système de géo-localisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et la société disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier” démontrant par là la présence d’un lien de subordination, critère de définition du statut de salarié. 

Et la requalification en contrat de travail n’est pas sans conséquence. Dans une décision du 4 mars 2020, un chauffeur Uber a été reconnu comme salarié. Il s’est alors vu reconnaître l’ensemble des droits prévus dans le Code du travail et dans la convention collective de son secteur, le transport. Le désormais salarié Uber a donc obtenu des indemnités au titre du travail du dimanche, du travail de nuit, des indemnités repas, un rappel de paiement d’heures supplémentaires ainsi que des dommages et intérêts pour non-respect des durées maximales de travail et pour travail dissimulé. 

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Cycliste Deliveroo à Londres (Source: Môsieur J. de Rouen, FRANCE, CC BY 2.0 via Wikimedia Commons-

La bataille pour faire reconnaître la réalité du rapport des livreurs et chauffeurs avec les plateformes se poursuit. La directive n’a pas permis une reconnaissance immédiate et collective – dans toute l’Union – de ces faux indépendants comme étant de vrais salariés ni non plus la régularisation des travailleurs sans-papiers. Mais elle apporte une pierre à l’édifice non négligeable et confirme les ingrédients de la lutte des classes à l’ère du numérique : (re)construire du collectif, instaurer un rapport de force puissant, obtenir des victoires devant les tribunaux et des avancées législatives.

En somme, les travailleur.euses des plateformes maintiennent une dynamique inspirante : malgré un secteur très précarisé, au collectif éclaté et à la figure patronale diffuse, ielles parviennent à construire des actions, des blocages et par là un rapport de force suffisant pour obtenir des avancées – bien que limitées – devant les tribunaux et au Parlement. Beaucoup de questions restent encore en suspens mais force est de constater que les ingrédients pour y répondre sont là. Le combat continue, donc. 


ARTHUR Brault-MOREAU

Photo de couverture : Coursier Uber Eats à Manchester, Source : shopblocks, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

  1.  “Députée pirate Comment j’ai infiltré la machine européenne” Leïla Chaibi, Cyril Pocréaux, LLL, 2024, page 103
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