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On a compté et en cinq ans, il y a eu pas moins de 30 aller-retours de négociation et de réforme de l’assurance chômage. Au total, deux grandes réformes et une dizaine de lois, décrets et règlements ont profondément transformé le droit au chômage en France. Nul besoin de culpabiliser, à ce niveau de complexité ça relève d’une volonté politique d’enfumage. Ne rien comprendre au chômage est le signe d’une dépossession.

Vous êtes près de 700 000 personnes à ne pas toucher le chômage par manque d’information ou par phobie administrative

Règles trop compliquées, informations contradictoires, sentiment que de toute façon on y aura pas droit, sans parler de la peur de la paperasse, des contrôles et du contact avec une administration française, ce sont-là les principaux facteurs d’explication du nombre de non-recours à l’allocation chômage. Le non-recours renvoie aux personnes  éligibles à une prestation mais qui ne la demandent pas. Selon la DARES, ielles seraient entre 390 000 et 690 000, autrement dit, “entre 25 % et 42 % des salariés éligibles ne recourent pas à l’assurance chômage”. A la lecture du rapport, on comprend que ce niveau de non-recours est d’autant plus impressionnant que l’assurance chômage a un grand atout : sa procédure est en grande partie automatisée, ce qui, selon le rapport, “tend a priori à réduire le risque de non-recours” en comparaison à d’autres prestations comme le RSA.

Comment expliquer un niveau aussi élevé de non-recours ? Pour répondre à cette question, le rapport parle de “défaut d’information” (on n’a pas l’info’ ou elle est incompréhensible voire fausse) et d’un “défaut de sollicitation” (on a l’info’ mais on a peur). Pourtant, cette explication tend à centrer la réflexion sur les chômeur.euses elleux-mêmes. Or, il faut dire que le fonctionnement récent de Pôle emploi n’aide pas, voire même rebute franchement.

Prenons le cas de l’indemnisation suite à une démission. En principe, la démission n’ouvre pas droit au chômage – qui vise actuellement les personnes ayant “involontairement” perdu leur emploi-. Durant sa campagne le Président Macron se gargarisait de créer un tout nouveau droit : avec lui les démissionnaires pourront bénéficier du chômage. En réalité, l’indemnisation de la démission est très restreinte, il faut correspondre à des situations très strictes (des démissions dites “légitimes”), à tel point que le dispositif n’a pas atteint la moitié du nombre annoncé au moment de la mesure, 14 443 démissionnaires ont été concernés sur les 30 000 attendus. Une goutte d’eau face aux 6.9 millions de personnes concernées par le chômage comme l’explique cet article sur les chiffres du chômage. Au-delà de l’effet d’annonce non tenu, le Médiateur national de Pôle Emploi révèle un dispositif piégeux pour les salariés. Il prend le cas d’un des critères d’indemnisation de la démission, le Projet de Reconversion Professionnelle. Un salarié saisit le Médiateur national et explique :

Il est quasiment impossible d’être bénéficiaire de cette mesure dans ces conditions (…). La moindre irrégularité, la moindre pause entre deux contrats de travail, le moindre “accident de la vie” sur les 5 dernières années n’étant visiblement pas accepté. (…) Je ne peux me résoudre à ce que l’application de la mesure “démission reconversion” reste à ce niveau de rigidité sans aucune voie de recours ou d’individualisation.

Je sollicite donc votre bienveillance quant au réexamen de ma situation. C’est une dimension essentielle pour la faisabilité de mon projet et l’équilibre du budget de notre famille.”

A cette absurdité des règles s’ajoute une confusion totale dans les services censés appliquer les nouvelles réformes, a.k.a Pôle Emploi. Très concrètement, les salariés ne peuvent pas avoir de confirmation définitive de leur droit à toucher l’allocation chômage … avant de quitter leur emploi! Le Médiateur de Pôle emploi résume :

Cela parait invraisemblable mais répond à une logique technique et administrative : pour que Pôle emploi examine le droit à indemnisation, il doit se fonder sur les attestations employeurs ; or ces documents ne sont remis par l’employeur qu’à la fin de la relation de travail. Dans la construction actuelle, le candidat n’est donc pas en capacité d’obtenir de Pôle emploi l’assurance de son éligibilité avant d’avoir démissionné. Tant qu’il est en emploi, il ne peut prétendre qu’à des informations indicatives fondées sur les éléments déclaratifs renseignés dans un simulateur.

Durant sa campagne le Président Macron se gargarisait de créer un tout nouveau droit : avec lui les démissionnaires pourront bénéficier du chômage. En réalité, l’indemnisation de la démission est très restreinte

Autre logique “invraisemblable”, du côté des travailleur.euses du public cette fois. En principe, les personnes relevant d’un employeur public ne sont pas éligibles à ce dispositif. Pourtant, il arrive que Pôle emploi ignore cette règle et les laisse faire les démarches et démissionner. C’est le cas de cette agente de la SNCF dont le témoignage est repris dans le rapport du Médiateur :

J’ai travaillé pendant presque 20 ans au sein du groupe SNCF. J’ai fait les choses dans l’ordre et j’ai pris les renseignements nécessaire afin de pouvoir être certaine de bénéficier de l’ARE : Accompagnement par une conseillère en évolution professionnelle [etc.], appel auprès du 3949 pour m’assurer qu’en étant de la SNCF je pouvais bénéficier de l’ARE.

Aujourd’hui l’ARE m’est refusée (…). Je ne comprends pas ce refus car lorsque nous avons vérifié avec ma conseillère en évolution professionnelle tout était bon (elle s’est assurée en rentrant le SIRET de la SA Fret SNCF dans son logiciel, que j’étais salarié du droit privé). Je suis désabusé face à cette situation.”

Et, comme le précise le rapport du Médiateur National : “l’erreur de Pôle emploi ne crée pas le droit”; Pôle Emploi se trompe, les salarié·es trinquent. C’est le comble d’une réforme du chômage : des règles tellement absurdes qu’elles peuvent conduire un salarié à démissionner pour ensuite se retrouver sans emploi ni allocation.

Effets d’annonce illusoires, un dispositif très restreint, un manque de lisibilité pour les bénéficiaires et pour les conseillers Pôle emploi et, comme résultat, des salariés qui font confiance et risquent de se retrouver sans rien. L’enfumage comme méthode pour nous déposséder de notre droit au chômage.

“Il n’y a plus de droit au chômage”

Le président du “je traverse la rue et je vous trouve un travail” présentait en 2018 sa future réforme, il indiquait alors vouloir transformer « la philosophie même de notre solidarité nationale [qui] est de moins en moins une assurance individuelle, assortie d’un droit de tirage, financée par l’ensemble des contribuables […] l’assurance chômage aujourd’hui n’est plus du tout financée par les cotisations des salariés » mais « par les cotisations des employeurs et par la CSG.”.

Pour comprendre son projet, il faut revenir sur l’origine de l’assurance chômage. Créée en 1958, l’assurance chômage est pensée comme un système contributif qui repose sur une logique d’assurance. Dans l’idée, les travailleur·euses cotisent chaque mois directement (cotisation salariale) ou indirectement (cotisation patronale) pour s’assurer contre le risque du chômage. Cette protection consiste à garantir un revenu de remplacement dans le cas d’une perte d’emploi, à travers les allocations ou indemnités chômage. Pour fonctionner, ce système est obligatoire et interprofessionnel : c’est ce qui permet une solidarité entre les différents secteurs d’activités, entre les différentes zones géographiques et même une certaine redistribution (le seuil minimum des indemnités vise à soutenir les plus bas revenus). Tout ce système reposait sur la cotisation.

Créée en 1958, l’assurance chômage est pensée comme un système contributif qui repose sur une logique d’assurance. Dans l’idée, les travailleur·euses cotisent chaque mois directement (cotisation salariale) ou indirectement (cotisation patronale) pour s’assurer contre le risque du chômage.

La réforme du financement de l’assurance chômage est un vrai tour de passe-passe. A présent, nous ne cotisons plus, nous payons un impôt (la CSG). Et, bien que les cotisations patronales (qui sont une sorte de salaire socialisé) demeurent, le financement par l’impôt remet en cause la logique assurantielle d’un droit issu d’une solidarité interprofessionnelle. Et ça, Emmanuel Macron l’explique parfaitement : “Cette transformation, il faut en tirer toutes les conséquences, il n’y a plus un droit au chômage, au sens où l’entendait classiquement, il y a l’accès à un droit qu’offre la société mais sur lequel on ne s’est pas garanti à titre individuel, puisque tous les contribuables l’ont payé”. E.Macron fait de l’allocation chômage une générosité qu’il peut donc légitimement restreindre ou retirer. Mais en réalité c’est toujours nous, les travailleur·euses, qui finançons la protection face à la perte d’emploi. Ce qui change c’est notre rapport à l’allocation, d’un droit elle devient un acte de charité étatique. C’est là encore le signe d’une dépossession de notre droit au chômage.

DépossessionS

La dépossession n’est pas le nom d’une soirée techno branchée parisienne, c’est le fil conducteur des récentes réformes de l’assurance chômage. La confusion des règles et la mise en place de critères toujours plus restrictifs est une méthode en soi de dépossession du droit au chômage. Mais elle ne rend pas compte à elle seule de la stratégie du président Macron.

A cette première dépossession s’en ajoute une bien plus matérielle, la dépossession budgétaire. La technique est simple : l’Etat décide de transférer le coût de certaines de ses dépenses vers un organisme autonome et disposant de ses propres ressources, ici, l’Assurance chômage. C’est ce qu’on appelle la “débudgétisation”. Selon le chercheur Bruno Coquet, “le droit commun de l’assurance chômage n’a jamais été déficitaire depuis 25 ans, quelle que soit la conjoncture, déficit et dette résultent uniquement des débudgétisations”. En clair, l’assurance chômage est autonome et à l’équilibre pour ce qui touche à son objet premier (assurer un revenu de remplacement aux chômeurs à partir des cotisations des salariés), le déficit et la dette sont la conséquence de dépenses extérieures indispensables quel’Etat ne veut plus prendre en charge.

Au premier rang des débudgétisations se trouve le financement par l’assurance chômage de Pôle Emploi. Actuellement, 10% du budget du chômage part dans le financement de Pôle Emploi (soit près de 4 milliards d’€). Dans la lettre de cadrage de la négociation de la future et troisième réforme de Macron, l’objectif est d’atteindre les 13% des dépenses de l’assurance chômage. De ce point de vue, la dépossession est aussi politique voire “philosophique” pour reprendre la formule présidentielle. L’assurance chômage ne vise plus uniquement à assurer aux travailleur·euses un revenu de remplacement en cas de perte d’emploi mais aussi – et de plus en plus – à financer la politique du gouvernement. Elle n’est plus l’outil des travailleur·euses elleux-mêmes pour garantir un droit au chômage mais devient une ressource budgétaire de l’Etat pour financer ses politiques de retour – forcé – à l’emploi – précaire-.

L’assurance chômage ne vise plus uniquement à assurer aux travailleur·euses un revenu de remplacement en cas de perte d’emploi mais aussi – et de plus en plus – à financer la politique du gouvernement.

Ultime stade de la dépossession : la remise en cause d’une gestion par les organisations syndicales. La CGT parle d’un hold-up. Il faut dire que la formule syndicale résume bien l’affaire. A l’origine, l’assurance chômage était gérée de façon paritaire entre les organisations patronales et syndicales. Avec la loi “Avenir professionnel” (sic) de septembre 2018, toute négociation de l’assurance chômage doit respecter les axes définis par le “document de cadrage” du gouvernement. Conséquence, les mesures négociées doivent s’inscrire dans le projet du gouvernement et, en cas de désaccord, le gouvernement peut librement imposer sa réforme.

C’est dans ce cadre qu’à eu lieu le hold-up macroniste. En 2019, la réforme imposée par le gouvernement dépassait le cadre de ses fonctions et dépassait les orientations qu’il avait lui-même fixées dans le document de cadrage. En 2022, Macron a mis en place un régime dérogatoire lui permettant de fixer lui-même les règles d’indemnisation, de financement et de contribution au budget de Pôle emploi. Dans son dernier bilan, l’Unédic (qui gère l’assurance chômage) s’inquiète, “cette progression du rôle de l’Etat s’est assortie d’une dégradation des prérogatives des partenaires sociaux et de l’Unédic sans que la maîtrise du régime d’assurance chômage n’ait été réinterrogée”. Dans ses pages, l’Unédic révèle les enjeux du hold-up macroniste : le financement est fragilisé par un passage à une CSG contrôlée par l’Etat (là où les cotisations étaient fixées par les partenaires sociaux); le financement de Pôle Emploi prend une place prépondérante – et déséquilibre les comptes – tandis que les exonérations patronales touchent à présent les contributions de l’assurance chômage. L’arnaque est bien ficelée : l’Etat impose son mode de financement et des dépenses supplémentaires pour, ensuite, justifier la prise de contrôle de tout le système. 

Quand on parle d’auto-gestion, on ne pense pas souvent à l’assurance chômage, ni non plus aux retraites ou à la sécurité sociale en général. Et pourtant, c’est bien ça qui se joue ici : l’existence d’organismes auto-financés et (en partie) auto-gérés par les travailleurs pose problème à l’Etat. C’est pour lui une manne financière et un levier d’action pour favoriser le “privé lucratif” a.k.a les capitalistes. “Moins de droits et au boulot!” c’est l’horizon que nous propose Macron. Un autre horizon est possible : celui d’un droit universel au chômage, sans conditions, financé par les cotisations et libéré de la pression de l’Etat et des patrons.


Résumé des récentes réformes : moins (de bénéficiaires), moins (indemnisés), moins (longtemps) :

Sources :

  • Étude d’impact de l’évolution des règles d’assurance chômage au 1er juillet 2021, UNEDIC, Avril 2021.
  • Effets de l’adaptation des règles d’assurance chômage à la conjoncture, UNEDIC, février 2023.

Arthur Brault-Moreau


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