Présidentielles oblige, ministres et militants de LREM vantent depuis quelques semaines le bilan (pourtant éclaté) de leur président, avec une mauvaise foi toute soviétique. Car après Bruno Le Maire, s’enthousiasmant sur Twitter de la création d’1 million d’entreprises en 2021 – sans préciser qu’en fait d’entreprises ce chiffre se composait aux 2/3 de micro-entrepreneurs, souvent précaires -, ou encore Gérald Darmanin, assez gonflé pour revendiquer la baisse spectaculaire des vols et des cambriolages l’année où nous étions tous enfermés, voilà que toute la Macronie soupire d’aise après l’annonce d’une baisse du chômage par l’Insee . Pour le coup, difficile de voir l’embrouille derrière – même si on la sent venir à 10 kilomètres. Car si le chômage baisse, cela veut bien dire que des personnes ont trouvé un emploi, non ? Tout irait alors pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Rien n’est moins sûr.
Un chômeur, deux chômeurs…
Pour comprendre en quoi la baisse du nombre de chômeurs n’est pas nécessairement une bonne nouvelle, rappelons rapidement la manière dont ils sont comptés en France. Car un chômeur, ce n’est pas seulement une personne en attente de retrouver un boulot. Encore lui faut-il en rechercher activement et qu’il soit libre pour l’occuper dans les prochaines semaines. Sans quoi, il ne sera plus comptabilisé comme tel et sortira automatiquement des statistiques du chômage. Si vous êtes une mère célibataire qui n’a pas ou plus les moyens de faire garder ses enfants en bas âge ou un cadre licencié à 50 ans définitivement découragé après avoir essuyé des dizaines de refus, vous ne serez pas considéré comme chômeur et le chômage se mettra à baisser. Magique, non ? ✨
Un chiffre peut en cacher un autre
Pour tenir compte de ces personnes espérant un emploi mais qui, soit par désespoir, soit par impossibilité matérielle, se retrouvent hors-jeu, on parle de halo autour du chômage. Le nombre des chômeurs devrait ainsi toujours être accompagné du nombre de ces “quasi-chômeurs”, lesquels se trouvent parfois pris dans des situations plus dégradées encore que les “vrais” chômeurs. Preuve que l’impression de prospérité soudaine qu’essaie de véhiculer ce gouvernement n’est qu’illusion, ce halo autour du chômage lui n’a cessé de s’étendre depuis vingt ans, y compris sous le quinquennat de Macron. Et ce n’est pas fini… Car on pourrait même dessiner un halo autour du halo si on y ajoutait le sous-emploi (des temps partiels contraints qui voudraient travailler plus), les salariés reconvertis dans un auto-entrepreneuriat plus ou moins précaire (plus que moins d’ailleurs), et tous ceux ayant renoncé à l’idée même d’exercer une activité tant ils estiment leurs chances trop faibles dans le contexte actuel, ce qui les sort de facto de la catégorie des actifs, la population de référence pour le calcul du taux d’emploi et du taux de chômage. Paradoxalement, quand le marché du travail se durcit trop et rejette massivement ceux qui s’y trouvent, ou que travailler coûte trop et rapporte trop peu (ce qui se vérifie de plus en plus douloureusement avec la flambée récente des prix de l’essence et de l’énergie alors que les salaires stagnent), beaucoup finissent par le déserter, le plus souvent pour se résoudre à la précarité. Les “bons” chiffres du chômage tels qu’ils sont relayés masquent toutes ces réalités.
De l’emploi pas cher
Pourtant ce n’est pas là que le bât blesse lorsqu’on se penche à froid sur ces récents chiffres, même si avoir un œil sur d’autres indicateurs permet de nuancer très vite la “bonne nouvelle de la baisse du chômage”. Car si des emplois sont créés, on se garde bien de nous dire de quels emplois il s’agit. Or, avec les ordonnances Macron qui ont facilité la prolifération des contrats précaires et affaibli les sécurités entourant les salariés (voir notre vidéo à ce sujet), la qualité de l’emploi se dégrade de plus en plus en France. On sait que la part des contrats courts et précaires ne cesse de croître depuis des années dans les embauches, et que le calcul des indemnités chômage et prud’homales est systématiquement revu à la baisse, ce qui rend les périodes de chômage d’autant plus difficiles à traverser et multiplie les interruptions subies d’activité qui pénalisent à long terme nos retraites. Certes, nous fabriquons de l’emploi, mais de l’emploi low cost pour les patrons qui expose les plus fragiles à toujours plus d’imprévus et de sacrifices. Y a-t-il lieu de s’auto-acclamer sur les plateaux de télévision ? À quoi donc aura servi le quinquennat de Macron sur le plan social et économique sinon à remettre une pièce dans la machine de la course européenne au moins-disant social ? À ce petit jeu, l’Allemagne et l’Angleterre qui nous avaient précédé, la première avec ses “minijobs” sous-payés, la seconde avec ses contrats zéro qui n’offrent aucune garantie d’un minimum d’heures payées chaque semaine, ont certes réussi à baisser spectaculairement leur taux de chômage, mais en laissant grimper en parallèle celui de leur pauvreté qui dépasse dorénavant celui de la France. Le plein emploi, au nom duquel tous les sacrifices sont permis (à commencer par celui du droit du travail, accusé de décourager l’embauche) est-il un objectif viable s’il doit s’accompagner de toujours plus de misère ?
Thibaut Izard