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Depuis quelques mois, une malédiction semble être tombée sur le monde et sur la France : les prix de très nombreux produits (alimentation, énergies, etc.)  ne cessent d’augmenter. Même Macron a dû sortir de sa tour d’ivoire pour donner l’aumône avec sa prime de 100 euros.

Rassurez-vous, la bourse quant à elle ne se formalise pas de la hausse des prix : le CAC 40 vient d’atteindre 7 000 points pour la première fois de son histoire. Cela signifie que 1 000 € investis dans les 40 principales entreprises cotées à la bourse de Paris en 1987  (année de la création du CAC 40) valent 7 000 € aujourd’hui. Bref, la population subit durement les hausses de prix, mais les grands groupes s’en sortent très très bien.  

1 – D’où vient cette augmentation ?

  • Les prix du gaz fournis par Engie, le fournisseur historique (ex-GDF), sont réglementés (ses concurrents TotalEnergies et Eni notamment n’ont pas à obéir à cette réglementation, qui disparaîtra d’ailleurs en 2023). Ils sont fixés de telle sorte qu’ils permettent de couvrir les coûts du fournisseur qui les commercialise. Ils peuvent donc potentiellement évoluer de manière importante régulièrement.  La Commission de régulation de l’énergie (CRE) présente chaque mois des communiqués de presse indiquant les nouveaux tarifs qu’elle a calculés, en prenant en compte les coûts de transports,  d’approvisionnement, de distribution, etc. La reprise économique de cette année a fait bondir la consommation de gaz au niveau mondial, notamment en Asie. En parallèle, l’offre a baissé, car une partie de la production a été stoppée par l’épidémie, en mer du Nord en particulier, et que les stocks de gaz sont bas à cause de la rudesse de l’hiver 2020-2021. Et comme la France importe tout le gaz qu’elle consomme, car il n’y en a pas sur son territoire, elle subit de plein fouet la hausse des prix entraînée par ce double effet de hausse de la demande et de baisse de l’offre, qui est répercutée sur les tarifs aux consommateurs. 

Cette augmentation des prix ne vient pas de nulle part, elle a des causes bien précises qui viennent du fonctionnement du capitalisme. Il faut distinguer les différentes hausses de prix, qui ont des raisons parfois différentes :

  • Les prix de l’électricité augmentent également, car ils sont en partie indexés sur… ceux du gaz ! 70% de l’électricité vendue en France vient pourtant des centrales nucléaires. Cette aberration vient de l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité en 2007. Auparavant, il n’y avait qu’un tarif : le tarif réglementé d’EDF qui prenait en compte les coûts réels de production de l’électricité. En ouvrant la concurrence aux intervenants privés (TotalEnergies notamment), qui s’approvisionnent en électricité sur le marché de gros européen, EDF a également dû modifier ses tarifs qui prennent depuis en compte en partie les prix du marché de gros européen. Sur ce marché, le prix de l’électricité s’ajuste sur le prix du dernier kilowattheure produit. Le gaz est le dernier recours, utilisé en cas de forte demande, quand on a épuisé les ressources tirées des éoliennes, des barrages et du nucléaire. Donc en période de fortes consommations d’électricité, comme en ce moment avec la reprise économique, le prix du gaz a un impact important sur le prix de l’électricité aux consommateurs. Si on avait maintenu le monopole d’EDF, on n’aurait pas ce problème.
  • Le prix du pétrole augmente beaucoup depuis la reprise économique, car il est déterminé par le rapport entre la quantité de pétrole sur le marché et la quantité de demande de pétrole par les raffineurs (qui transforment le pétrole en carburants notamment). Actuellement, la demande est en forte hausse et les producteurs de pétrole contrôlent la quantité de pétrole mise sur le marché pour piloter en partie le niveau des prix. L’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) pourrait augmenter sa production pour diminuer le prix du pétrole, mais elle ne souhaite pas le faire, pour ainsi maintenir des prix élevés, malgré les pressions du gouvernement américain. Les grandes majors pétrolières présentent des bénéfices records : celui de Total a été multiplié par 23 au troisième trimestre 2021, atteignant ainsi 4,6 milliards de dollars.

Au-delà de l’énergie, les prix de nombreux produits industriels augmentent, car la reprise économique n’avait pas été suffisamment anticipée et les industriels n’ont pas fait assez de stocks. La pandémie a désorganisé les chaînes de production et de logistique. La demande est ainsi très supérieure à l’offre et les prix augmentent mécaniquement. Par exemple, le prix du bois a flambé notamment à cause de la très forte relance du secteur de la construction (en particulier aux Etats-Unis). De nombreux produits industriels (fer, acier, etc.) sont très demandés, en particulier en Chine qui connaît une très forte croissance économique. Le secteur automobile est très touché, car il y a une pénurie de composants qui empêchent de répondre à la demande.

Dans l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire, à l’impact de la hausse des coûts de l’énergie et donc de transports vient s’ajouter celle des matières premières, à cause du climat : le cours du blé, par exemple, a augmenté de 30% depuis cet été à cause des sécheresses et des incendies, alors qu’auparavant il avait déjà augmenté à cause du gel hivernal en Europe.

2 – Est-il possible de contrôler les prix ?

La hausse des prix de l’énergie n’est pas une fatalité. Plutôt que des mesures électoralistes de court terme comme le bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement, il faut changer en profondeur le contrôle des prix de l’électricité et du gaz,  en réglementant le prix avec un mode de calcul imposé légalement qui soit indépendant du marché. Ainsi le surcoût est pris en charge par les distributeurs d’énergie et non par la population elle-même, contrairement à la baisse des taxes demandées par certains. Sauf, bien sûr, quand on décide de les indemniser, ce que s’apprête à faire le gouvernement. Et, à moyen terme, il faudrait revenir à la situation de monopole public que connaissait EDF et GDF avant les libéralisations dictées par l’Union européenne. 

Par ailleurs, concernant les denrées alimentaires, il faut fixer un plafond. Cela a déjà été fait par le passé. On peut penser à la loi du maximum de 1793 par exemple, qui imposait un plafond pour le prix des grains. Et on a tendance à oublier que de 1793 à 1986 le prix du pain était réglementé en France ! Depuis le prix est totalement libre, mais cela n’a rien d’une fatalité et c’est finalement très récent dans notre histoire.

l'échelle mobile des salaires contre l'inflation
Affiche du PCF, 1968

Il paraît toutefois difficile d’encadrer la totalité des prix des biens de consommation. Dès lors, en parallèle à l’encadrement des prix des produits de première nécessité, il faudrait indexer les salaires sur l’inflation, c’est-à-dire faire en sorte que les salaires augmentent automatiquement parallèlement à la hausse des prix. Là encore, cela n’a rien de particulièrement révolutionnaire. Ce qu’on appelle l’échelle mobile des salaires a existé en France de 1952 à 1982 quand Mitterrand a mis fin à cet héritage fondamental de notre modèle social au nom de la modernisation du pays. Et cela existe encore dans certains pays. En Belgique, par exemple, l’ensemble des salaires va augmenter cette année mécaniquement. «Il est certain que dans la plupart des secteurs, il y aura une augmentation salariale de plus ou moins 2% au début de l’année 2022. Mais si l’inflation, qui actuellement est de 4%, se confirme se situer autour de ce seuil, il y aura probablement une seconde augmentation dans le cours de l’année 2022 », explique Bruno Colmant, professeur d’économie en Belgique. C’est le cas aussi au Luxembourg par exemple, où il y a un système d’ajustement automatique des salaires et traitements dès que l’inflation cumulée atteint 2,5% de l’indice du coût de la vie (prix à la consommation). Cette obligation s’impose à tous les employeurs et est contrôlée par l’inspection du travail.

3 – Pourquoi l’inflation peut permettre de prendre aux riches

Aujourd’hui, l’inflation est présentée de manière systématiquement négative. On peut le comprendre étant donné son impact négatif pour les Français dont les salaires ne sont pas indexés à l’évolution des prix. Mais si c’était le cas, l’inflation aurait de nombreuses vertus. La première d’entre elles étant de faire payer la crise aux banques plutôt qu’aux populations. En effet, la hausse des prix accroît les salaires s’ils sont indexés, alors que la dette contractée auprès des banques, elle, ne bouge pas. Dès lors, il est beaucoup plus facile de la rembourser grâce à la hausse des revenus indexés sur l’inflation. Les seuls qui y perdent sont les créanciers, car la valeur de l’argent qu’on leur rembourse est plus faible que celle de l’argent qu’ils ont prêté. Un exemple pour illustrer plus simplement : si vous prêtez 1 euro à un ami pour qu’il s’achète une baguette et que six mois après il vous rembourse 1 euro, mais que la baguette vaut désormais 1 euro 20, vous avez bien récupéré 1 euro, mais vous ne pouvez plus vous acheter la baguette avec ce montant.

L’autre vertu de l’inflation, c’est qu’elle s’attaque aussi aux rentiers. En effet, une personne qui, par exemple, suite à un important héritage, vit de ses rentes sans travailler va voir son pouvoir d’achat diminuer au fur à mesure que les prix vont augmenter, tandis que si les salaires sont indexés sur les prix, les salariés vont voir quant à eux leur pouvoir d’achat maintenu.  

Ces effets négatifs de l’inflation sur les rentiers et les créanciers sont les raisons pour lesquelles la BCE a pour objectif principal la stabilité des prix. Son moyen principal pour lutter contre l’inflation est la fixation des taux directeurs, c’est-à-dire notamment les taux auxquels les banques peuvent emprunter et se financer auprès de la BCE. 

  • Plus la BCE fixe un taux directeur haut, plus cela coûte cher aux banques de se financer auprès d’elle. Elles auront ainsi moins de liquidités à prêter et elles vont répercuter cette hausse du coût de leur emprunt auprès de la BCE en augmentant les taux d’intérêt des prêts qu’elles octroient aux entreprises et à la population. L’accès au crédit devenant plus difficile, cela baisse la consommation, les investissements, etc. Par ce moyen, la BCE contrôle ainsi l’inflation (son objectif est un maximum de 2% d’inflation). 
  • Plus la BCE fixe un taux directeur bas, moins cela coûte cher aux banques de se financer auprès d’elle. Ainsi, elles peuvent elles-mêmes prêter à des taux bas à la population et aux entreprises, qui peuvent ainsi dépenser davantage d’argent, ce qui augmente la demande de produits dont le prix a ainsi tendance à augmenter, surtout en ce moment où, comme nous l’avons dit précédemment, il y a plus de demande que d’offre pour beaucoup d’entre eux. En ce moment, la BCE a fixé un taux directeur bas (0%) pour relancer l’économie, mais cela ne lui permet du coup plus de lutter contre l’inflation. Elle sort ainsi de son rôle habituel de garante de la stabilité des prix, ce qui commence à être vivement critiqué en particulier en Allemagne, où l’inflation est beaucoup plus forte que chez nous

Derrière les débats sur l’inflation se cache le conflit entre le capital et le travail. Que les prix augmentent comme c’est le cas en France aujourd’hui, n’est pas en soi un problème, au contraire. Le problème, c’est que ce sont les salariés qui en payent les conséquences, car leurs salaires ne sont pas indexés sur les prix, tandis que les industriels répercutent la hausse de leurs coûts sur les prix et continuent donc à engranger des profits considérables. Comme toujours en économie, il n’y a aucune fatalité à la situation actuelle. La hausse des prix de novembre 2018 avait conduit à la création du mouvement des Gilets jaunes. Ce ne serait pas la moindre des vertus de l’inflation actuelle que de contribuer au retour de leur mobilisation


Guillaume Etiévant 


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