Alors que le quinquennat se termine, les discussions commencent, entre collègues, amis, dans la famille : « Il a fait quoi, Macron, finalement ? ». Et ce ne sont pas nos médias, qui ont toujours brillé par leur mémoire de poisson rouge, camés à l’actualité de court terme, qui vont nous y aider. Au delà des petites phrases (qui en disent souvent beaucoup), des scandales (qui en disent très long), des allocutions télévisées ennuyeuses (qui ne disent rien), Macron, c’est d’abord une série de grandes réformes de nos droits sociaux, de notre économie, de notre vie politique qui ont renforcé le pouvoir de la classe bourgeoise sur nos vies, l’ont enrichie, et ont affaibli toute une partie de la population. Le pays, et en particulier la classe laborieuse, sortent profondément meurtris du quinquennat Macron.
1- Le droit du travail bousillé… pour rien
La toute première mesure législative mise en œuvre par le gouvernement d’Edouard Philippe, Premier ministre de Macron, souvenez-vous, ce sont les ordonnances réformant le Code du travail. A peine un an après la loi El Khomri, dont Macron alors ministre de l’économie de Hollande avait été l’un des initiateurs, le gouvernement en remettait une couche pour réduire le droit du travail.
Concrètement, les ordonnances prises en juillet 2017 ont augmenté la possibilité, pour les employeurs, de recourir à des emplois précaires (fin de la limitation du nombre de CDD renouvelables et de leur durée, l’introduction du « CDI de chantier »), ont facilité le travail de nuit et mis fin à des critères de pénibilité permettant notamment la retraite anticipée : l’exposition à des substances chimiques, de port de charges lourdes, de postures pénibles ou d’exposition à des vibrations mécaniques sont depuis retirés de la liste qui définit la pénibilité au travail !
Ces ordonnances ont réduit le poids des syndicats dans les entreprises et celui des représentants du personnel. Les Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) ont été fusionnés avec les Comités d’Entreprise (CE) et les Délégués du Personnel. Au total, ces nouveaux Comités Sociaux et Économiques (CSE) ont fait perdre aux salariés du secteur privé 33% d’élus en quelques années ! De plus, le comité chargé de l’évaluation des ordonnances estimait dans un rapport de 2020 que les nouveaux élus étaient en surcharge de travail chronique et n’arrivaient que difficilement à assumer ces fonctions fusionnées. Les salariés sont donc moins représentés et moins protégés face à leur patron.
Enfin, cerise sur le gâteau, les ordonnances ont mis en place un barème d’indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse : les chefs d’entreprise peuvent licencier sans fondement en sachant à l’avance ce qu’ils paieront en cas de litige. Une façon de juguler la « peur d’embaucher », nous disait la ministre du Travail de l’époque, Muriel Pénicaud, qui connaissait bien le sujet puisque comme DRH chez Danone elle avait empoché une grosse plus-value boursière après avoir organisé de nombreux licenciements. Pour quelles conséquences ? La baisse continue des contestations de licenciements devant le tribunal des Prud’hommes, près de 20% de recours en moins par an ! Pour le Syndicat de la magistrature, l’explication est simple : « Pour le salarié, les perspectives de gain en termes de dommages et intérêts sont tellement dérisoires, que l’engagement des frais plus le souci du contentieux découragent complètement d’engager une procédure ».
Opération réussie pour Macron : les salariés sont plus précaires, ils sont moins bien représentés et ne peuvent quasiment plus contester les licenciements abusifs. Mais ces gros reculs étaient faits pour lutter contre le chômage, enfin ! En libérant les employeurs de la peur des syndicats, de la peur d’embaucher, de la peur du CDI, on allait « créer de l’emploi ». Or, aucun rapport d’évaluation n’a conclu au moindre effet positif sur l’emploi. Le dernier en date, réalisé par l’Assemblée nationale, a tout bonnement été enterré. Le seul effet tangible des ordonnances travail sur l’emploi serait donc tout simplement celui de la hausse des contrats précaires.
Notre article de décryptage sur les ordonnances est à lire ici.
2 – Des mesures fiscales qui ont rapporté gros… aux gros
Lors de sa campagne présidentielle, Macron avait organisé des levées de fonds auprès des exilés fiscaux français à Londres ou à Bruxelles, comme nous le racontions dans Frustration dès 2016 (ce qui nous avait valu un mail courroucé de son directeur de la communication qui exigeait le retrait de l’article, mais passons). C’est devant des patrons « expat’ » à Londres que le candidat a annoncé qu’il allait mettre fin à l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF). Dont acte : un an après cette promesse, elle a été tenue : à l’automne 2017, l’ISF portant sur le patrimoine financier a été supprimée lors du vote de la loi de finance pour 2018. Depuis, la détention de capital financier n’est plus taxée, tout comme les biens de luxe, jets privés, yachts et autres voitures de collection. Cette perte de 4 milliards d’euros annuels pour le contribuable a eu des effets concrets pour les plus riches dès 2018. Cette année-là, la ministre Muriel Pénicaud, par exemple, aura économisé 62 000€ grâce à son président. Merci qui ?
Une autre mesure fiscale a été votée dans la même loi de finance : le prélèvement forfaitaire unique à 30% (ou flat tax) est venu réduire considérablement l’imposition du capital. En effet, les plus riches étaient taxés de façon bien supérieure (jusqu’à 45%) et désormais tout le monde paye le même taux sur ses dividendes, plus-values de cession de valeurs mobilières, l’assurance-vie… Comment s’étonner dès lors que le ministère des Finances, 44% de cette baisse ait profité aux 1% les plus riches ? Au total, la suppression de l’ISF et de la Flat Tax rapportent 1,5 millions d’euros par an aux cents foyers les plus riches, toujours selon Bercy.
Oui mais l’objectif était de pousser les riches à investir dans notre économie en les libérant du fardeau de nos impôts, non ? Objectif complètement raté alors. France Stratégie, organisme gouvernemental rattaché au Premier ministre a publié son rapport sur l’effet de ces deux mesures il y a un peu plus d’un mois : l’effet est nul. “L’observation des grandes variables économiques – croissance, investissement, flux de placements financiers des ménages, etc. – avant et après les réformes ne suffit pas pour conclure sur l’effet réel de ces réformes”, estime le rapport. « Il ne sera pas possible d’estimer par ce seul moyen si la suppression de l’ISF a permis une réorientation de l’épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises ». Bref, ces deux mesures fiscales ont été des cadeaux purs et simples pour les plus riches.
L’autre volet fiscal du quinquennat Macron a concerné ce que les entreprises privées payent en termes de cotisations. Depuis 2019, le Crédit Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE), qui faisait partie d’un gros package d’aides publiques pour les entreprises (mal nommé “Pacte de responsabilité”), a été transformé, pour le même montant annuel (20 milliards) en exonérations de cotisations patronales. Chaque année donc, les employeurs cessent de payer une grosse partie de ce qu’ils doivent à la Sécurité sociale, le contribuable paye pour eux. A cela s’ajoute le prolongement du Crédit Impôt Recherche (CIR), pour un montant de 10 milliards par an. Au total, nous versons entre 60 et 70 milliards d’euros par an à nos entreprises privées puisque nous payons à leur place ce qu’elles doivent à l’Etat ou à la protection sociale. En 2020, nous avons aussi financé le chômage partiel de leurs salariés. Pour quels effets ? Ces dispositifs cumulés ne produisent aucun effet sur l’emploi. Ni la réduction générale de cotisations sociales, dont le dernier rapport réalisé par France Stratégie montre l’inefficacité, ni l’ex CICE dont l’usage n’a jamais été contrôlé : en 2019 nous apprenions par exemple que Michelin avait touché des millions d’euros au titre de ce dispositif et s’en était servi pour acheter des machines… expédiées dans ses usines en Europe de l’Est.
La bourgeoisie s’est globalement enrichie sous le quinquennat de Macron. Le 17 novembre, l’Institut des Politiques Publiques a publié un rapport montrant que les 1% les plus riches avaient bénéficié de la plus importante hausse de pouvoir d’achat. Les plus pauvres, eux, ont perdu des moyens.
3 – Une protection sociale affaiblie, une santé publique en morceaux
Après avoir bousillé le droit du travail et offert des maxi cadeaux fiscaux aux riches, le gouvernement d’Emmanuel Macron a organisé le plus grand plan d’économie sur l’assurance-maladie jamais réalisé. En novembre 2017, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 était votée et réclamait 4,2 milliards d’euros d’économies à l’Assurance-maladie. Depuis, chaque année, le gouvernement a demandé le même type d’effort budgétaire, ce qui s’est traduit en baisse des capacités de prise en charge de notre système de santé. En 2019, encore 4 milliards d’économies. En 2020, en pleine pandémie, même effort demandé !
La fameuse baisse du nombre de lits d’hôpital est liée à ces objectifs d’économie visant à mettre la Sécurité sociale au pas. Les macronistes aiment dire que le système de santé avait déjà été très abîmé par les gouvernements précédents. C’est vrai : sous Nicolas Sarkozy, un ministre de la Santé nommé Xavier Bertrand a largement contribué à supprimer des lits d’hôpital : 46 500 lits en moins durant le quinquennat. C’est aussi lui qui a mis en œuvre une mesure qui a changé le mode de financement de l’hôpital et organisé la course aux soins « rentables » : la Tarification à l’Activité (T2A). Malgré le Covid et alors qu’on nous parle de 5e vague, le gouvernement actuel n’a pas réinvesti dans l’hôpital public.
Au sein de notre protection sociale, l’assurance-chômage a été la principale cible de Macron, qui a pour obsession de s’en prendre aux chômeurs, ceux qui n’ont qu’à « traverser la rue ». Petit tour de passe-passe pour commencer : dès leur arrivée au pouvoir, les macronistes ont entrepris d’étatiser l’assurance-chômage. Plutôt que de faire assurer notre droit au chômage par nos cotisations, ce sont nos impôts qui le font désormais, depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018. A priori, le résultat semble le même mais pas du tout, et c’est Macron lui-même qui l’a expliqué le mieux, devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles (SIC) en 2018 : « La solidarité nationale est de plus en plus financée par l’impôt, cela conduit à repenser le fond de notre solidarité. C’est de moins en moins un droit individuel, elle implique des droits (…) par la réforme que vous avez voté, l’assurance-chômage n’est plus du tout financée par les cotisations des salariés (…) il n’y a donc plus un droit au chômage, mais un droit garanti par la société. »
L’assurance-chômage n’étant plus un système géré et financé par les patrons et les syndicats mais par les patrons et par l’Etat, le gouvernement a eu les coudées franches pour la gérer comme il le souhaitait. Il s’est donc acharné sur ce système d’assurance collective : à l’été 2018, dans la quasi-indifférence médiatique, une loi au nom orwellien « Pour La Liberté de Choisir son Avenir Professionnel » a été votée et ses décrets d’application sont entrée en vigueur entre 2019 et septembre dernier :
- Depuis janvier 2019, un chômeur peut se voir privé de son indemnité s’il refuse deux offres raisonnables d’emploi. Qu’est-ce qu’une offre raisonnable au juste ? Auparavant défini par des critères rationnels comme la distance, les compétences ou le niveau de salaire, une offre sera « raisonnable » quand elle sera définie comme telle par le conseiller Pôle Emploi. « Allons Martine, soyez raisonnable, prenez ce temps partiel payé au SMIC à 50 bornes de chez vous ». Et cette définition ne comporte plus le niveau de salaire : pas question que vous refusiez en raison de votre niveau de salaire antérieur. Vous avez dit « Liberté de Choisir son Avenir Professionnel » ?
- Depuis septembre dernier, le mode de calcul de l’allocation a changé : celle-ci est désormais calculée sur les 24 derniers mois, et le revenu est divisé par le nombre de jours total, y compris les jours non travaillés. Auparavant, l’allocation était calculée sur la base de la moyenne des salaires perçus les 12 derniers mois, divisée par le nombre de jours travaillés. Le fait d’avoir eu des périodes de chômage, un creux entre deux CDD par exemple, sera très pénalisant. Il faut désormais avoir travaillé 6 mois pour pouvoir recharger ses droits au chômage, et non plus 4 mois comme avant la réforme. Conséquence : selon les calculs de Unédic, qui gère l’assurance-chômage, 41% des allocataires de l’assurance-chômage vont perdre en moyenne 13% de leurs revenus dans l’année à venir.
Pour quels effets ? « Que les chômeurs se bougent le cul », doit-on penser du côté de la majorité présidentielle. Or, il y a 1 emploi vacant pour 21 chômeurs. Et toutes les « offres pourvues » dont on nous rebat les oreilles en ce moment ne sont pas sérieuses.
Le dernier grand volet des objectifs présidentiels pour une Sécurité sociale à l’américaine (c’est-à-dire inexistante) était la réforme des retraites. Le projet de loi discuté au Parlement en 2019 visait l’instauration d’un système par « point » unique, indifférents aux différences de métiers, et capable de plonger en cas de baisse forte du PIB. Imaginez si ce système avait été mené à bien, l’année 2020 aurait sans doute fait plonger le niveau des pensions. Mais l’intense grève des transports, les manifestations de masse et l’arrivée de l’épidémie aura tué le projet dans l’œuf. Macron jure d’y revenir, et on peut parier que cela sera sa première mesure s’il est réélu.
Le vrai bilan économique et social d’Emmanuel Macron est ici. Si l’on regarde les faits, au-delà même de ce que l’on pense politiquement de ces lois, on ne peut que constater leur inefficacité relative aux objectifs affichés par le gouvernement. Soit Macron est incompétent, mettant en œuvre des mesures qui ne marchent pas, soit lui et ses ministres ont toujours été conscients du fait qu’il ne s’agissait en aucun cas de mesures de justice ou d’efficacité budgétaire mais bien des cadeaux à une classe sociale dominante, qui les soutient autant qu’ils les servent. La propulsion médiatique et financière de Macron en 2017 a été bien récompensée par les lois votées depuis. La situation exsangue dans laquelle se trouve la société française et la classe laborieuse en particulier est due à cette série de mesures injustes, inégalitaires et scélérates. Nous n’oublierons pas. Vous non plus ?