Régulièrement, le patronat, les médias mainstream et les partis de droite nous ressortent leur angoisse recuite : face à tout l’argent public dépensé, comment allons-nous payer la dette ? Le problème de la dette publique est mis en avant pour nous convaincre que des « efforts » seront nécessaires pour la rembourser, c’est-à-dire une baisse des dépenses publiques et la poursuite des privatisations. Le MEDEF en a encore remis une couche à ce sujet cette semaine pour tenter de décrédibiliser le programme du NFP et ainsi contribuer à assurer la vitrine idéologique du coup d’Etat de Macron. On ne va pas se le cacher, a priori, les chiffres de la dette peuvent faire peur : au deuxième trimestre 2024, la dette publique de la France a atteint 3 159,7 milliards d’euros, soit 110,7 % du PIB contre environ 100 % du PIB avant la crise Covid. Alors, est-ce vraiment un problème ? Allons-nous léguer cette dette à nos enfants, comme se plaisent à le répéter les éditorialistes chauves n’ayant jamais ouvert le moindre livre d’économie sur le sujet ? En acceptant l’endettement public, sommes-nous en train de condamner nos enfants à en supporter le poids écrasant ?
Pour y voir plus clair, répondons aux arguments serinés par ceux qui aiment parler de dette toute la journée, mais ne jugent pas utiles de consacrer quelques heures à se renseigner sérieusement sur le sujet.
1. Non, on ne lègue pas la dette aux générations futures puisque la dette actuelle sera remboursée par la dette future.
L’État renouvelle indéfiniment sa dette (il « roule sa dette »), et ce ne sont que les intérêts qui sont à la charge des contribuables (50 milliards d’euros en 2024). En effet, à l’inverse des ménages qui remboursent le capital prêté et payent les intérêts chaque mois jusqu’à l’échéance, l’État ne paye que les intérêts chaque année et rembourse la totalité du capital à l’échéance. Et pour le faire, il s’endette du montant nécessaire.
Par exemple, si l’État emprunte 500 millions sur dix ans à un taux de 2,5%, il paiera 12,5 millions d’intérêts par an et devra rembourser le capital de 500 millions en une seule fois dix ans plus tard. Il réalisera alors un nouvel emprunt de 500 millions pour rembourser le capital. Et ainsi de suite, indéfiniment.
2. Vous aurez remarqué que les médias adorent comparer l’État à une entreprise. Mais ils ne précisent jamais que les entreprises sont en moyenne beaucoup plus endettées que l’État !
L’une des manières de mesurer la dette d’une entreprise est de la mettre en regard des actifs détenus. Si on applique le même calcul à l’État, son taux d’endettement est très faible. Selon l’INSEE, fin 2022, le patrimoine économique national s’élevait à 20 052 milliards d’euros en France. La dette publique s’établissait quant à elle à 2 950 milliards d’euros, ce qui fait un taux d’endettement autour de 15 % seulement. En comparaison, en moyenne, en France, le taux d’endettement des entreprises dépasse les 35%.
3. Le montant total de la dette publique en France est limité.
Avoir une dette qui pèse environ 110,7 % de la richesse produite en un an, cela paraît élevé, mais cela signifie simplement qu’il faut un peu plus d’un an de richesses produites pour rembourser des titres de dette remboursables sur des années (8 ans d’échéance en moyenne, mais cela peut aller jusqu’à 50 ans).
L’État français emprunte à des taux faibles, ce qui limite son niveau de dette. Les taux d’intérêt à dix ans sur la dette publique française sont passés de 10 % en 1990 à 0,5 % au printemps 2019, puis sont remontés à 3,2 % cette année car une partie des intérêts d’emprunt sont indexés sur l’inflation, et parce que la BCE a mis fin à sa politique volontariste de baisse des taux pour lutter contre l’inflation.
L’inflation peut d’ailleurs avoir un effet positif sur le niveau d’endettement : en effet, par exemple, si les prix augmentent fortement, la monnaie a donc moins de valeur (on achète moins de choses avec 100 euros que le mois précédent, ces 100 euros “valent” donc moins qu’auparavant). L’Etat rembourse donc sa dette avec une monnaie qui vaut moins que celle avec laquelle il a emprunté. Si l’inflation (5,7% en 2023 en France) est plus forte que les taux d’intérêt, ce qui est le cas en France, le taux d’intérêt réel est donc en baisse. C’est particulièrement avantageux pour un État, car les revenus fiscaux, qui augmentent généralement avec l’inflation, croissent plus rapidement que le coût des remboursements de la dette.
Rappelons également qu’une partie de la dette publique française (environ 20 %) est détenue par la BCE, qui a racheté ces dernières années des titres sur le marché secondaire, c’est-à-dire qu’elle les a rachetés aux investisseurs qui ont prêté à la France. Cette dette ne coûte pas grand-chose à l’État français, car les intérêts touchés par la BCE lui sont reversés. En effet, les bénéfices de la BCE issus des intérêts d’emprunt sont reversés en dividendes aux États membres de la zone euro.
4. La dette n’est donc en soi pas un problème ; elle est au contraire un outil très efficace de relance de l’investissement et de l’emploi.
Il est tout à fait normal de financer des investissements de long terme (dans les infrastructures publiques ou la transition énergétique, par exemple) par de la dette qui se remboursera sur des années, plutôt que par des impôts prélevés sur une seule année. Qui peut se permettre d’acheter une maison avec ses revenus d’un an ?
L’alarmisme au sujet de la dette ne vise le plus souvent qu’à servir de prétexte à la destruction constante de nos acquis sociaux, non pas pour réduire la dette, mais pour remplacer des dépenses publiques utiles à tous par des dépenses ne servant que les bourgeois. Au-delà de leur propagande servie quotidiennement, cette pression s’exerce par tout un appareil idéologique international, allant de l’Union européenne aux agences de notations mondiales.
Le vrai problème aujourd’hui ce n’est pas le montant de la dette en tant que tel, mais le fait que ce soit en partie une mauvaise dette, gonflée par les cadeaux fiscaux et sociaux aux entreprises, les allègements d’impôts pour les plus riches et des intérêts versés aux banques et aux compagnies d’assurances étrangères. La hausse de cette dette ne contribue plus au bien-être de la population. Ce n’est pas une fatalité. Une autre dette est possible, contractée sans intérêt auprès de la Banque de France, si nous sortions de l’euro, et servant exclusivement à financer les investissements publics. Elle cesserait alors d’être un instrument bourgeois d’oppression du peuple, pour devenir un outil d’émancipation collective.
Guillaume Etiévant
Nous avons besoin de vous pour continuer !
Frustration est un média d’opinion, engagé et apartisan : financés 100% par nos lectrices et lecteurs, nous ne percevons ni subventions ni “gros dons”. Nous ne percevons aucune recette publicitaire. Par ailleurs, notre média en ligne est entièrement gratuit et accessible à toutes et tous. Ces conditions nous semblent indispensables pour pouvoir défendre un point de vue radical, anticapitaliste, féministe et antiraciste. Pour nous, il y a une lutte des classes et nous voulons que notre classe, la classe laborieuse, la gagne.