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Alors que la mobilisation contre la réforme des retraites bat son plein, les organisations politiques à la gauche du gouvernement ne font pas que s’y opposer : elles proposent également des solutions pour financer les retraites sans avoir besoin de repousser l’âge légal de départ et même pour le ramener à 60 ans. L’une des solutions mise de plus en plus en avant est de soumettre les dividendes aux cotisations sociales. Comme la taxe sur les « superprofits », il s’agit d’une idée séduisante au premier abord, mais qui démontre en réalité que les objectifs de rupture avec le système économique actuel sont peu à peu abandonnés par une partie de la gauche de transformation sociale.

Plus les partis qui visent la transformation sociale obtiennent un grand nombre d’élus et s’approchent du pouvoir, plus ils s’institutionnalisent et défendent un projet promouvant un aménagement du modèle économique actuel, en perdant de vue la rupture radicale qu’ils ambitionnaient initialement. La Nupes n’échappe pas à la règle, en regroupant artificiellement des députés qui prétendent pour certains souhaiter sortir du capitalisme et d’autres qui ont accompagné et soutenu toutes les réformes de libéralisation économique du quinquennat de François Hollande. On en arrive à des situations absurdes comme, par exemple, Olivier Faure devenant, pour de nombreux militants de la France Insoumise, une icône de gauche en pleine mobilisation contre la réforme des retraites, alors qu’il a soutenu la réforme Touraine en 2013 qui, rappelons-le, a allongé la durée de cotisations à 43 ans.

Beaucoup se réjouissent que la Nupes pousse le Parti Socialiste à défendre des positions plus à gauche que précédemment. On peut surtout déplorer que le cynisme électoral des députés du PS aille si loin qu’ils sont capables aujourd’hui de défendre la retraite à 60 ans, alors qu’ils ont entériné la retraite à 62 ans quand ils étaient majoritaires à l’Assemblée nationale. Ce que nous constatons surtout, c’est que les positionnements du PS ont rapidement contaminé la France Insoumise. Par exemple, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire l’année dernière, la revendication d’une taxe sur les « superprofits » en pleine période d’inflation et d’explosion des dividendes était très insuffisante, alors que la totalité des profits réalisés en France devrait être bien davantage taxée. Rappelons que sous Macron, l’impôt sur les sociétés est passé de 33% à 25% et que de nombreux autres impôts, en particulier la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), continuent à être supprimés. En soi, taxer plus fortement les superprofits n’est pas un problème si c’est une mesure parmi beaucoup d’autres, mais le choix politique de la Nupes de focaliser sa stratégie de communication sur ce thème l’année dernière, plutôt que, par exemple, sur l’indexation des salaires sur les prix, témoigne d’un positionnement social-démocrate, c’est-à-dire de compromis entre le capital et le travail.

Face à la réforme des retraites que veut imposer le gouvernement, le problème est le même. Dans sa volonté de démontrer qu’il n’est pas nécessaire d’étendre l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, la France Insoumise met en avant une contre-réforme qui prévoit de faire cotiser les dividendes, une mesure qui n’était pas présente dans le contre-projet que ce mouvement avait présenté en 2019. Intuitivement, cela peut paraître pertinent de faire contribuer les dividendes (ils supportent aujourd’hui des prélèvements sociaux, mais pas des cotisations en tant que telles), mais en réalité il est absurde d’asseoir le financement de long terme des retraites sur des dividendes, dont on devrait souhaiter en même temps la diminution, voire la disparition progressive, car ils n’existent que par l’exploitation du travail.

La Nupes ne s’attaque qu’à la marge aux exonérations de cotisations sociales

Si la Nupes veut trouver des ressources financières en faisant cotiser les dividendes, c’est parce qu’elle ne cherche pas l’argent au bon endroit. Par exemple, dans son projet actuel, la France Insoumise ne s’attaque qu’à la marge aux exonérations de cotisations sociales en ne souhaitant récupérer que 10 milliards d’euros d’entre elles : « Les niches sociales, qui prennent notamment la forme d’exonérations de cotisations patronales, s’élèvent à 90 milliards d’euros par an. Nous pourrions supprimer les plus inutiles d’entre elles, comme l’allègement de cotisations sur les salaires supérieurs à 2,5 SMIC, dont le coût s’élève à 2 milliards d’euros par an. En tout, 10 milliards d’exonérations de cotisations inutiles pourraient être facilement supprimées. », écrivent les insoumis. Ils considèrent donc que 80 milliards d’exonérations de cotisations sociales chaque année doivent être maintenues, on se demande bien pourquoi, étant donné notamment leur peu d’effets sur les créations d’emplois. Et rien que le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi qui a été transformé en exonérations de cotisations sociales depuis 2019), c’est 22 milliards d’euros par an. Donc si la FI ne supprime que 10 milliards d’euros d’exonérations, c’est qu’ils ne comptent pas supprimer le CICE, contrairement à ce qu’ils prétendent par ailleurs dans d’autres communications. Ce n’est pas mieux du côté du PCF qui propose simplement une «modulation des cotisations patronales».  

Du coup, pour trouver les financements nécessaires à leur proposition de retraite à 60 ans, ils proposent de faire cotiser les dividendes. On retrouve le même type de propositions du côté du PCF (qui propose de taxer les dividendes perçus par les entreprises) et de la CGT.  « Une contribution de 10 % sur les dividendes permettrait de générer 25,9 milliards d’euros de recettes rien que pour l’année 2021. », écrivent les insoumis. Pour financer les retraites, il faudrait donc que les dividendes restent à un niveau élevé chaque année, alors que, précisément, tout l’enjeu aujourd’hui devrait plutôt être de diminuer les dividendes en augmentant, à leur détriment, la part des salaires dans la valeur ajoutée, par la hausse des salaires et l’augmentation des cotisations patronales, ce qui ferait baisser les dividendes et permettrait de financer la retraite à 60 ans.

La Nupes serait bien inspirée de plutôt défendre le financement des retraites par les cotisations sociales, bien davantage qu’aujourd’hui où il est en partie fiscalisé, à cause notamment des exonérations de cotisations sociales compensées par le budget de l’État. L’un des grands intérêts des cotisations sociales, c’est qu’elles sont versées chaque mois par les entreprises, sans possibilité pour elles d’y échapper par des niches fiscales ou des manœuvres comptables, car elles sont calculées en proportion des salaires versés. Il n’est donc pas possible légalement de baisser fictivement l’assiette de calcul des cotisations, alors qu’il est très facile de le faire pour les profits sur lesquels l’impôt sur les sociétés est calculé. Les grands groupes multinationaux qui arrivent pour nombre d’entre eux à ne pas payer d’impôts sur les sociétés en France, payent en revanche toutes les cotisations qu’ils doivent verser, car il n’y a pas de moyen légal d’y échapper. C’est notamment pour cette raison que le patronat se bat avec succès depuis des années pour que la part des cotisations patronales dans le financement de la protection sociale chute : elle est passée de 72% en 1980 à 36,5% en 2021.

L’objectif de la gauche doit être la socialisation des entreprises. Les principaux financements de son projet de société devraient venir de la hausse de l’emploi, des salaires et des cotisations patronales. Son but ne devrait pas être simplement de taxer les profits, mais de les diminuer. Son but ne devrait pas être uniquement de taxer les dividendes, mais de les faire progressivement disparaître. Son but ne devrait pas être de taxer les milliardaires, mais de rendre impossible leur existence.


Guillaume Etievant


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Photo par Matt Bennett (Licence Unsplash)