Il a l’air grave quand il parle François Bayrou. Avec son élocution lente, et sa grosse tête au front trop large et plissé, il se donne l’air d’un vieux sage plein de bon sens. Dans son monde parallèle, il croit ressembler à Richard Gere. Il y a longtemps, les Guignols de l’info avait presque réussi à rendre sa bêtise sympathique et rassurante. Opportuniste, girouette revendiquée, ultra-libéral méprisant la population, François Bayrou est pourtant l’archétype de ce que la politique produit de pire dans notre pays. C’est désormais notre Premier ministre. L’occasion de faire un petit récapitulatif de tous les désastres qu’il a défendus pendant sa longue carrière, qui préfigurent malheureusement les prochains qu’il veut nous imposer. Mais nous saurons lui résister collectivement.
« Toutes les conditions sont réunies » pour un « maintien » du villiériste Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur, lit-on ce matin dans la presse. Ah bon ? Les mêmes médias s’évertuaient pourtant il y a encore quelques jours à nous expliquer que Bayrou était une personnalité du centre, capable de réunir la gauche et la droite « de gouvernement ». Le PS et Les écologistes se sont d’ailleurs empressés d’aller papoter avec lui, avant de sortir « décontenancés » de ces discussions. Si c’est pour juste reconduire Retailleau, soit la personne la plus à droite du précédent gouvernement, à quoi sert ce remaniement ? Et plus précisément à quoi ça sert de recycler Bayrou, ce vieux dinosaure de la politique, qu’on croyait définitivement fossilisé ?
Des décennies de mandats politiques
On peut reconnaître une qualité à Bayrou par rapport à la plupart des autres politiques : il a déjà travaillé dans sa vie. Plus précisément, il a été professeur à Pau de 1974 à 1979. C’est quand même maigre. On comprend qu’il semble habiter une autre planète quand il parle des Français : il vit de la politique depuis 45 ans.
D’abord chargé de mission dans des ministères et au Sénat, il est ensuite conseiller général des Pyrénées-Atlantiques (il le restera vingt-six ans, en parallèle d’autres mandats). Il est ensuite député de 1988 à 2012. En 1993, il est nommé ministre de l’Éducation. Dès son élection, Bayrou s’emploie à lever les restrictions limitant le montant des subventions que les collectivités locales peuvent accorder aux établissements d’enseignement privé. Il échouera suite à une forte mobilisation sociale. En 1999, il est élu député européen, puis en 2014 maire de Pau. Ce type a vraiment occupé tous les mandats possibles et imaginables, on comprend sa ferveur à défendre le cumul des mandats. Ça rapporte gros : outre son appartement parisien, François Bayrou est carrément propriétaire d’une écurie estimée à 450 000 euros.
Il se fait le chantre du ni droite ni gauche, du pragmatisme, du refus de l’idéologie, tout en ne proposant que des attaques contre notre modèle social, et piochant ses idées exclusivement dans la doxa de la droite.
Ce qu’on connaît le mieux de Bayrou, ce sont ses innombrables candidatures aux élections présidentielles. La première date de 2002. Je le revois encore gifler un enfant, en prétendant que celui-ci lui « faisait les poches », et nous expliquer que c’était « un geste de père de famille sans gravité ». Il sera à nouveau candidat en 2007 et 2012, échouant à chaque fois à arriver au deuxième tour. La dernière fut la plus incroyablement grotesque, entre le remix du tube de K-Maro réalisé par les jeunes de son parti politique « K-Bayrou, mon bulletin dans ton urne » et ses propos hallucinants sur les femmes de 100 kilos qui ont honte d’aller à la piscine.
Ses obsessions : le Code du travail et les dépenses publiques
Ses campagnes se déroulent toujours de la même manière : il se fait le chantre du ni droite ni gauche, du pragmatisme, du refus de l’idéologie, tout en ne proposant que des attaques contre notre modèle social, et piochant ses idées exclusivement dans la doxa de la droite. L’une de ses marottes préférées c’est le Code du travail. Sur de multiples plateaux, sous les éclats de rire et la complaisance des présentateurs TV, il aime jeter sur la table le Code du travail français jugé trop gros. « C’est écrit petit, c’est illisible si on n’a pas de lunettes », explique-t-il sur France 2. « Le code du travail suisse ne fait que 100 pages », ajoute-t-il. Le présentateur David Pujadas abonde dans son sens « Et les Suisses ne sont pas moins bien protégés ».
Evidemment, personne sur les plateaux pour leur rétorquer qu’il n’existe pas de Code du travail en Suisse (impossible d’ailleurs de savoir quel est le livre qu’il montre fièrement), que les gens s’y font licencier sans motif et sans indemnités, et que le Code du travail français qu’il montre à la TV est le Code du travail annoté, commenté et enrichi de la jurisprudence. S’il est si gros c’est à cause des multiples dérogations qu’il contient pour enlever des protections aux salariés. Personne non plus pour lui lui faire remarquer que le Code du commerce français n’est pas plus mince que le Code du travail, sans que cela ne le dérange.
Son autre marotte, c’est la dette et la dépense publique. Bayrou ne manque jamais une occasion de dénoncer la « dérive » des finances publiques. Sur les plateaux télévisés, il se pose en chantre de la rigueur budgétaire, multipliant les invocations à « vivre selon nos moyens » et à « ne pas léguer une dette insoutenable à nos enfants ». Bien sûr, il n’applique pas cette rhétorique à lui-même, et la dette publique a explosé à Pau depuis qu’il en est maire. Et il ne sait apparemment pas qu’on ne lègue aucune dette publique à nos enfants. L’État renouvelle indéfiniment sa dette (il « roule sa dette »), et ce ne sont que les intérêts qui sont à la charge des contribuables (50,9 milliards d’euros en 2024). En effet, à l’inverse des ménages qui remboursent le capital prêté et payent les intérêts chaque mois jusqu’à l’échéance, l’État ne paye que les intérêts chaque année et rembourse la totalité du capital à l’échéance. Et pour le faire, il s’endette du montant nécessaire.
En 2012, Bayrou proposait 50 milliards d’euros d’économies dans le budget de l’Etat, en gelant les dépenses publiques pendant deux ans pour viser un excédent budgétaire en 2017. Sur les retraites, il raconte carrément n’importe quoi : « L’idéal serait que chacun puisse choisir son départ à la retraite, que chacun puisse choisir aussi de travailler éventuellement plus longtemps » , affirme t-il notamment, ignorant qu’en France, tout le monde a le droit de travailler plus longtemps que l’âge légal de départ à la retraite. Ce n’est qu’à partir de 70 ans qu’un employeur peut obliger un salarié à prendre sa retraite sans son accord.
Un vieux politicien qui perd la boule
En 2017, Bayrou s’est désisté pour Macron lors de la campagne présidentielle. Depuis, ce dernier lui est redevable. Malgré les affaires de financement illicite de son parti politique, il n’a pas hésité à le nommer brièvement ministre de la Justice dans son premier gouvernement, puis Haut-commissaire au Plan en 2020. Quelle peut bien être l’action d’un commissariat au plan dans une économie non planifiée ? C’est simple : aucune. Il y a bien eu la rédaction de quelques rapports lus par personne, mais le Haut-commissariat « n’exerce pas en réalité de fonction de planification et de pilotage opérationnel » selon le rapport du Sénat qui lui est consacré.
Ce poste convenait bien à Bayrou, car à part parler très lentement à la TV, il n’aime pas travailler. Et même cela, il a de plus en plus de mal à le faire et cumule les gaffes depuis que Macron l’a nommé Premier ministre. Selon lui, Mayotte n’est pas située dans le « territoire national », et sa population « du point de vue des papiers, n’est pas légale ». Il bafouille de plus en plus, et certains n’hésitent plus à le comparer à Biden, tant il semble sénile. Même Jean-Michel Apathie s’inquiète, c’est dire.
Ne nous y trompons pas, ce personnage télévisuel de vieux politicien qui a perdu la boule ne doit pas nous faire oublier la violence sociale qu’il nous prépare, si nous ne l’arrêtons pas. Son projet est en tous points semblable à celui d’Emmanuel Macron, et c’est bien pour cela qu’il a été nommé et qu’il faudra se mobiliser contre son gouvernement, quelle que soit sa composition, sans attendre sa probable future censure. Si la bourgeoisie n’a plus que ce vieux débris en poche, c’est vraiment qu’elle n’a plus aucune cartouche. En dégageant Bayrou, nous dégagerons tout son vieux monde avec lui.
Guillaume Etiévant
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