L’attaque de l’hôpital parisien de la Pitié Salpêtrière par des manifestants le 1er mai était une “fausse information”, ce terme forgé par les bourgeois pour discréditer le peuple inculte et qui se retourne contre eux car ils mentent en permanence pour nous faire avaler leur soupe. Par contre, dans le service des urgences un peu plus loin, les professionnels et les patients assistent à une véritable destruction de ce qui fait le sens de leur métier, loin des caméras. Cela fait plusieurs semaines que les services d’urgences de tous le pays sont en grève. Pas grand monde n’en parle, alors qu’il s’agit de la plus grosse depuis vingt ans. Nous avons donc profité de la soudaine attention portée aux hôpitaux pour rencontrer Orianne et Hugo, tout deux infirmier.e.s urgentistes à Paris. Ils nous racontent une autre attaque de l’hôpital public, menée par les gouvernements successifs et qui conduit à faire peser sur leurs seules épaules la misère sociale, la solitude et la souffrance physique sans réel moyen de l’accueillir dignement.
Pouvez-vous vous présenter et raconter un peu votre travail à l’hôpital concrètement (dans quel hôpital, horaires, service, rémunération, etc) ?
Orianne : Je suis infirmière depuis 3 ans, et depuis 3 ans aux urgences de la Pitié Salpêtrière. J’ai d’abord été de jour pendant 2 ans et demi, en alternance 2 semaines 6h45-14h30 et 2 semaines en 13h45-21h30. Je suis de nuit depuis 6 mois, en alternant petite et grande semaine (2 nuits et 5 nuits) de 21h à 7h du matin. Je travaille un weekend sur deux, et les jours fériés. J’ai débuté à un peu plus de 1500e (hors prime) et suis désormais à 1850e en comptant les primes de nuits, de weekends et de jours fériés. Mais mon salaire n’évoluera plus avant de nombreuses années !
Hugo : Je m’appelle Hugo, je vais sur mes 30 ans et j’ai passé les cinq dernières années de ma vie à travailler en qualité d’Infirmier aux Urgences de Lariboisière de nuit. Les horaires de nuit couvrent généralement la plage 21h-07h. La loi n’impose pas une rémunération plus élevée pour le travail de nuit, mais c’est le cas dans la plupart des endroits, dont l’hôpital, pour compenser les risques biologiques, psychologiques et sociaux. Par contre la loi impose bien une visite régulière à la médecine du travail, ce qui n’est pas respecté à l’hôpital.
Le rythme de nuit à l’hôpital a ses généralités : équipes plus petites, encadrement plus faible, autonomie plus grande… amenant souvent les agents à se débrouiller plus facilement par eux-mêmes avec en contre partie un sentiment de manque de considération voire d’abandon par la hiérarchie. Souvent les mouvements sociaux débutent la nuit. Aux Urgences il y a des particularités : la tension, l’agressivité et les risques sont maximum dès la prise de poste, et il est possible d’espérer laisser un secteur « propre » en fin de garde. Les patients sont différents, les oiseaux de nuits, avec son lot important d’échouage. Beaucoup d’alcool, beaucoup de violence symbolique, de gens seuls, dans la misère.
Je gagne environ 2000€ par mois. Moins cette année depuis que je suis passé à mi-temps pour un Master 2 à l’Université. En cinq ans, je me suis toujours arrangé pour être sur les bancs de la fac. Par revanche sur une formation très professionnelle probablement, mais aussi parce qu’un espace de discussion, de mise à distance du travail, me paraissait absolument essentiel. S’il n’y avait pas ça, je passerais ma vie noyé dans la mélancolie. Quand je suis de repos je ne sors pas, aspirant seulement au calme après avoir passé 10h à interagir avec une centaine de personnes, le plus souvent dans des situations d’agitations. Quand je vais au travail, je traverse les camps de migrants de Jaurès et la foule amassée pour la distribution de nourriture ou attendant le bus du recueil social, j’enjambe les flaques de pisses et les flacons de méthadone de la Gare du Nord, pour finir par arriver dans l’arène. Paris restera toujours pour moi une ville de solitude, de petite mort dans la plus parfaite indifférence générale.
En 2018 et 2019, 1,6 milliards d’économies ont été demandé par le gouvernement aux hôpitaux publics, et 100 000 lits ont été supprimés dans les hôpitaux français en vingt ans. Comment ça se traduit concrètement dans ton travail et celui de tes collègues ?
Orianne : La fermeture des lits d’aval, c’est sans aucun doute les mesures les plus bancales prises sur le système de santé actuel. Faire des économies est une chose, les faire sur le dos de la santé des gens, c’est inadmissible ! La fermeture des lits d’aval engendre des difficultés d’hospitalisation après un passage aux urgences.
Les patients sont donc soit réorientés vers un service d’une spécialité n’ayant aucun rapport avec leur motif d’hospitalisation et leurs pathologies ; soit se retrouvent le plus souvent à attendre plus de 12h (parfois même 24h) sur un brancard dans les couloirs des urgences, au milieu de toutes les pathologies brassées et avec des difficultés de surveillance adaptée.
Hugo : La fermeture de lits modifie les pratiques de façon ouverte et en même temps beaucoup plus insidieuse. Moins de places c’est mécaniquement un effet de sélection beaucoup plus important. Jusque là n’importe qui pourrait le comprendre. Mais qu’est-ce que ça veut dire concrètement un effet de sélection plus important ?
Ça veut dire que moi à l’accueil par exemple, je vais refuser l’accès à des personnes qui ont pourtant besoin de soins mais dont je sais qu’elles emboliseront les places disponibles. Un beau mot pour dire que personne n’en veut.
L’instauration de la Durée Moyenne de Séjour dicte le temps que doit passer une pathologie dans un lit. Or les plus vulnérables en ont souvent plusieurs, auxquels se surajoutent des problématiques sociales (nettoyer l’appartement au lance-flammes quand ils ont un hébergement par exemple), explosant cette durée moyenne. L’hôpital est déficitaire pour ce type de patient et en plus la rotation ne se fait pas bien. Mais les plus vulnérables sont aussi ceux qui ont le moins de risque de voice [concept qu’on pourrait traduire par “capacité à faire valoir ses droits/ se révolter”] pour reprendre le texte de l’Asile au guichet d’Alexis Spire . Donc les plus facilement éjectables. Et après tout on pourrait se dire que si toutes les institutions, les unes après les autres, ont abandonné ces personnes, pourquoi nous devrions nager à contre-courant ?
En attendant ce n’est pas le ministère, communiquant sur la performance de notre système, qui ferme la porte et laisse les gens dans le noir, c’est moi Hugo toutes les nuits qui porte ça sur mes petites épaules. Des gens pour qui on commence des bouts de soins en sachant pertinemment que ça ne sert à rien, des « retour à la rue » avec ordonnance pour des personnes n’étant pas en capacités de comprendre la nécessité de prendre un traitement parce que s’en fout la vie. Des personnes à qui on conseille ouvertement d’attendre l’ouverture du bistrot et pour qui le sevrage, désolé, ce sera le mois prochain parce que là c’est bouché de chez bouché, il faut prendre son ticket.
Un exemple cette année : une femme africaine arrive avec sa fille de cinq ans, complètement délirante. Je garde la fille à l’accueil avec moi, nous voyons les autres patients ensemble. On cherche une solution, on trouve le numéro d’un gars, un proche. Le type vient, c’est le mac de la femme. On fait des choses dégueulasses à l’hôpital, mais décidément non, on ne peut pas laisser partir à 3h du mat’ une petite fille avec une ordure pareille. Ça coince. Tu sais ce qui a été décidé ? Que la femme était bien délirante, mais qu’on devait la laisser sortir parce qu’il fallait bien quelqu’un pour s’occuper de la gamine. J’ai encore le souvenir de voir la petite marcher, à 4h, main dans la main de cette femme qui se prenait pour je ne sais quelle personne, ressortir dans l’anonymat de la nuit. Quelle vie pour cette enfant ?
J’en pleure, j’en ai la rage encore. Est-ce que c’est ça l’hôpital ? Je vis avec du ressentiment. J’ai la haine en permanence envers toutes ces formes d’injustices quotidiennes dont nous sommes des témoins naufragés.
Un mouvement de grève a été lancé il y a quelques semaines, sur quoi porte-t-il ? Comment ça se passe concrètement une grève aux urgences (puisque vous ne pouvez pas vous arrêtez de travailler ?)
Orianne : St Antoine [à Paris] était en grève depuis le 28 mars notamment à la suite d’agressions, qui ont été la goutte d’eau qui a fait débordé le vase. En en discutant avec eux, nous avons rapidement pu faire le même constat : les situations d’agressivité aux urgences se font récurrentes, souvent banalisées, et résultent de dysfonctionnements de service et du système de soins actuel.
La Pitie Salpetriere, St Louis, Lariboisiere et Tenon [4 hôpitaux parisiens] ont donc déposé un pré avis le même jour, pour un début de grève la nuit du 14 au 15 avril. Chacun porte ses revendications locales (demande de nouveaux matériels, de systèmes de surveillance -camera, vigiles-, augmentations des effectifs infirmiers et aide soignants) et une revendication commune demandant une reconnaissance de la spécificité du travail aux urgences, notamment par une revalorisation à hauteur de 300e net mensuel. De là est né le Collectif Inter-urgences, rejoint rapidement par plusieurs services d’urgences de l’APHP puis de toute la France.
Concrètement, comment ça se passe ? Chaque SAU a déposé un pré avis de grève, avec le soutien localement d’un ou plusieurs syndicats. Chacun mène donc tout d’abord ses réunions de négociations au sein de son établissement.
Nous avons un effectif minimum à respecter pour continuer à « faire tourner” le service : n’oublions pas que nous travaillons dans l’humain, avec des patients souffrant psychologiquement ou physiquement, dans des états d’urgences relatives ou absolues, et nous continuons à prendre soins d’eux. Si nous faisons grève c’est surtout et également pour eux, afin d’améliorer leurs prises en charge. Les soins ne sont donc ni interrompus ni ralentis. Chaque paramed le souhaitant doit se déclarer gréviste, et reçoit une assignation afin de travailler. Lorsque les personnels sont en plus du nombre d’effectif minimal, certains peuvent alors être « non assignés » : ils ne travailleront pas, et ne seront donc pas rémunérés.
Sur le terrain, afin de nous rendre visibles et de pouvoir communiquer sur la grève, nous affichons donc des mots sur nos blouses, créons des banderoles à afficher dans les couloirs et devant l’entrée des urgences (Quand elles ne sont pas retirées sur demande de la direction). Nous avons organisé un piquet de grève, avec des lettres d’informations sur notre mouvement à destination des usagers, le lien vers la pétition du Collectif sur le site Change.org, et nous avons placé également un « livre d’or » dans lequel les patients/accompagnants/ambulanciers etc peuvent inscrire leurs sentiments par rapport à cette grève.
Hugo : Ces premières semaines ont été plutôt douces. La plupart des soignants n’ont pas l’habitude des conflits sociaux, c’est souvent la première fois. A Lariboisière on a la chance d’avoir épuisé la direction les six derniers mois, du coup ils nous laissent tranquilles. Le deal avec eux était de ne pas subir de pression de leur part en échange d’une communication ne salissant pas l’image de la structure, plutôt portée sur le national. D’autres services n’ont pas cette chance.
Le durcissement est possible et va arriver. On passe un peu pour des pisse-froids quand on voit ce qu’ont pu faire Lyon, Mulhouse ou encore Bordeaux auparavant. Il existe des tonnes de graduations dans l’escalade, et on peut faire confiance aux cicatrices de décennies de mépris et de non-sens pour se dire que les soignants n’ont plus rien à perdre. Fermer les services est une possibilité, et une probabilité. Pour l’instant nous restons dans le dialogue. Oui, peut-être que des gens souffriront, peut-être qu’il y aura des pertes de chance. Mais qu’est-ce qui est préférable, mettre les patients en danger quelques mois par le conflit ou au quotidien et jusqu’à l’éclatement du système en laissant faire ?
Et pour moi c’est aussi ça le premier élément thérapeutique : se mettre en grève a permis aux soignants de mentaliser les raisons de leur mal-être, et de l’expliquer à la population. Beaucoup sont en souffrance parce qu’ils se sentent coincés par une forme de loyauté envers une institution néfaste. La grève permet à ces personnes de ne plus se museler.
Depuis le soir du 1er mai, une bonne partie du gouvernement s’est ému d’une prétendue « attaque » qui aurait été menée par les manifestants du 1er mai contre le service de réanimation de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, allégation qui s’est révélée fausse. En tant que soignante mobilisée, comment as-tu réagi à cette histoire ? Est-ce que tu as cru à l’attaque et qu’est-ce que ce mensonge t’a inspiré ? Et tes collègues ?
Orianne : Je n’étais personnellement pas en poste ce jour là. Alors que je voyais à la TV les images de la dispersion plutôt violente de la manifestation sur le boulevard de l’hôpital, nous avons demandé à mes collègues présents aux urgences comment ça se passait pour eux. Ils n’ont alors appris qu’une trentaine de personnes étaient venus trouver refuge dans l’enceinte de l’hôpital via une porte habituellement condamnée depuis des années. S’ils nous ont raconté qu’ils avaient pris en charge plusieurs personnes blessés et dans un nuage de gaz lacrymogènes, ils n’ont pas fait allusion à une quelconque agressivité de la part de ces personnes. Ce n’est que plus tard que j’ai entendu les déclarations de Ms. Hirsh Et Castaner et de Mme Buzyn à propos d’une « attaque » ou d’une « intrusion », à ma grande surprise. Il a fallu attendre 21h et la fin de journée de mes collègues pour comprendre qu’ils faisaient bien allusion au même événement et que les versions ne concordaient pas du tout.
Ce qui a été blessant pour mes collègues et moi-même a par contre été la plus grande indifférence de M. Castaner et Mme Buzyn lors de leur visite respective le 1er mai et le lendemain. En effet, M. Castaner s’est rendu le 1er mai en salle de réveil saluer les équipes soignantes et le CRS blessé. Mais pas un seul regard ni un seul mot pour le personnel des urgences qui avait initialement pris en charge ce même CRS en salle de dechoquage. Au contraire, pendant ce temps, mes collègues avec les slogans de grève collés sur leurs blouses, étaient repoussés hors champs de toute caméra par notre directrice de GH, et les banderoles retirées.
Le lendemain, Mme Buzyn se rendait dans le service de réanimation dans lequel les manifestants avaient tenté de rentrer pour se mettre à l’abri, sans aucun violence ni détérioration de matériel. Remerciements, soutien sans faille de la ministre qui salue le sang froid de l’équipe. Mais encore une fois, pas un seul déplacement dans les urgences (pourtant dans le même bâtiment) qui avaient reçu pêle-mêle manifestants / gilets jaunes / policiers / CRS dans une ambiance particulière.
Hugo : Je suis en « vacances » depuis une semaine, ce qui signifie que je ne passe plus que quelques heures par jour à la consolidation du mouvement. Etant à distance, je n’étais pas impliqué émotionnellement par cette situation. Je suis confiant encore une fois envers les membres du gouvernement et des instances de direction pour se saborder elles-mêmes. Par ces jeux d’instrumentalisation de la santé alors même qu’ils nous apposent ce que la plupart des soignants considèrent comme du mépris, ils nous donnent du grain à moudre.
On parle de plus en plus de la souffrance au travail du personnel des hôpitaux français : comment tu t’en sors toi ? Est-ce que tu te vois continuer à faire ce boulot malgré la direction que nous font prendre les macronistes ?
Orianne : En 3 ans d’exercice, je reste à la fois une jeune infirmière et pourtant dans la médiane de la « durée de vie » d’une infirmière aux urgences. Nous avons eu un gros turn-over de personnel dans le service ces 12 derniers mois.
Je suis personnellement épuisée par la cadence du service, et souvent révoltée par certaines conditions de prises en charge. Comment expliquer aux familles que leur proche de 80 ans va rester toute la nuit sur un brancard faute de place dans un service d’hospitalisation ? Combien de fois devrons-nous encore expliquer qu’il faut attendre 3h pour voir les médecins car ceux-ci croulent également sous le flux de malades ? Quand allons-nous pouvoir ne plus répondre à une personne souillée qui attend qu’on la change qu’elle doit patienter car nous avons d’autres soins à réaliser et que nous ne sommes pas suffisamment nombreux pour pouvoir nous occuper d’elle ?
Souvent agacés de nous-mêmes ou des collègues de nous laisser une zone de soins sale ou vide de matériel faute de temps pour ces tâches annexes mais nécessaires, nous nous efforçons de restés soudés car nous savons que nous sommes dans la même galère.
J’ai choisi de travailler à l’hôpital public pour rester en adéquation avec mes valeurs d’égalité, de non discrimination, de facilités d’accès aux soins, et pour ne pas rentrer dans une démarche de rentabilité des établissements privés. Mais je sens de plus en plus peser les menaces d’ « économies », de nécessité de « gestion de budget » , sans pour autant que ces termes soient clairement énoncés.
Hugo : Je ne suis pas sûr que les seuls macronistes soient responsables de la situation. On parle beaucoup de privatisation, c’est dingue cette image de banquier qui reste collée au président. Tu discutes dans les taxis et ça tombe. Je ne sais pas si cela s’apparente à une théorie du complot ou non. Mais oui, disons que ce gouvernement, comme tous les autres ces cinquante dernières années, n’humanise pas les rapports sociaux.
En tout cas l’implication que j’ai dans cette action je la dois à mes collègues et à tous ces gens qui souffrent au quotidien de notre laisser-faire. Dans six mois je serai parti de mon service, comme la plupart des gens à la tête du mouvement. Nous ne verrons pas la couleur de l’augmentation des salaires si ça a bien lieu. Pour ma part le Master que je fais en ce moment me permettrait de devenir directeur d’une structure de santé, hors hôpital. Je l’ai fait pour plusieurs raisons : avoir une voie de sortie, m’approprier les clés de langage du gestionnaire pour pouvoir mieux négocier notre bout de gras en réunion, m’essayer à la gestion parce que je pense pouvoir mieux faire et qu’on ne peut critiquer sans cesse sans s’y essayer, et enfin parce que ça me met dans une situation financière tellement délicate que je dois m’extraire de ce travail. Le boulot est aussi passionnant que toxique, je n’aurais pas pu m’en dégager seul tellement la vie et la mort t’aspirent là-dedans.
Donc pour la suite je ne sais pas encore… J’aimerai souvent juste m’allonger, ne plus penser, redevenir léger. Recommencer à vivre une existence normale. Et, en partie pour les raisons citées plus haut mais aussi pour mille autres, notre quotidien est tout sauf normal.
Si tu étais Agnès Buzyn (ou que tu faisais partie d’un collectif démocratique remplaçant Agnès Buzyn, soyons précis…), que ferais-tu pour rendre nos hôpitaux sains, accueillants et efficaces ?
Orianne : Je n’ai pas de baguette magique. Et je ne peux pas me targuer de tout savoir sur tout le système de santé ni sur les rouages du système. Je n’ai pas de solution miracle. Mais tant que les gouvernements souhaiteront réduire le déficit lié à la santé par la santé elle-même, rien ne pourra aller en s’améliorant ! Les professionnels de terrain doivent être associés aux décisions politiques et économiques qui les concernent. Des décisions paritaires pourraient certainement permettre de conserver des lignes directrices compatibles entre « intellectuel » du gouvernement et « petit personnel » des services. Il y a depuis trop longtemps de tels clivages. Une infirmière n’est pas moins cortiquée qu’un énarque. Nous n’avons juste pas choisi les mêmes métiers, pour tout un tas de raisons personnels. Il n’appartient qu’à nous tous de décider que nous pouvons travailler ensemble et non pas seulement via des rapports hiérarchiques.
Hugo : Sans être gilet jaune, je pense que la santé nécessiterait un référendum. Que veulent les citoyens aujourd’hui ? On peut se doter d’un système de santé public au rabais, mais dans ces cas là qu’on se le dise, que le gouvernement communique dessus plutôt que de perpétuer le fantasme d’un système depuis longtemps oublié s’il a vraiment existé un jour. Les citoyens ont l’air prêts à mettre de l’argent dans la santé et dans l’éducation, les deux piliers. A quelle hauteur ? Il conviendrait d’éclaircir ce point en premier lieu.
C’est incroyable comment le gouvernement entretient l’idée, dans une optique de réduction de la masse salariale, de non-performance des fonctionnaires. Je ne sais pas pour vous, mais je me dis que le boulot que moi ou mes collègues fait, il faudrait bien trois personnes pour me remplacer.
Ça aussi ça perpétue le fantasme d’un secteur trop coûteux et de réductions à la marge possible. Le problème c’est que ces marges sont contributives de souffrance au travail certes, mais à la rigueur nous soignants pouvons toujours partir. Surtout, ces marges correspondent à des personnes qui mourront en ayant le sentiment de ne pas avoir été considéré à leur valeur sur les derniers moments. Les Urgences ne corrigent plus, elles reproduisent et augmentent les inégalités sociales de santé aujourd’hui.
Il y a toujours le même problème bien connu en France de technocratie dans toutes les institutions publiques. De dichotomie entre gestionnaires et expertise terrain. De non fongibilité des postes à haute responsabilités : l’EHESP pour l’hôpital, l’ENA pour les autres administrations… Tout est bien compartimenté et l’absence de diversité nous tue. Les rares venant du terrain accédant à des responsabilités aujourd’hui, même s’ils sont de plus en plus encouragés et accompagnés, se cassent la gueule. Les décideurs voguent au gré des postes et du courant politique, encourageant des visions à court-terme, des changements de caps incessant et coûteux en temps et en sens. Il conviendrait de redonner de la voix au terrain. Dans les on dit, on dit souvent que la carrière n’existe plus, que les gens bougent tout le temps, ne savent pas ce qu’ils veulent etc. Je suis convaincu que ce discours est un instrument au profit d’une économie des politiques de ressources humaines. Si la qualité de vie au travail était bonne les gens resteraient. Il y a une vraie crise de légitimité entre les gens de terrain et leur hiérarchie, même au niveau N+1.
Il existe de l’auto-organisation aujourd’hui, c’est même ce qui est demandé au terrain en permanence. Mais c’est de l’auto-organisation dans un contexte de pénurie, servant juste à justifier les échecs : si on n’y arrive pas, c’est de votre faute à vous les soignants. Pour autant le terrain peut permettre des avancées majeures. Le collectif en est une preuve, quand je vois comment les gens se démènent, réfléchissent, délibèrent, je me dis que c’est possible. Peut-être que commencer par redonner de l’importance à ceux qui font au quotidien et soumettre des instances plus paritaires serait une première avancée. Avec les accords de branches et le poids conféré aux syndicats aujourd’hui, au vu de ce qu’ils sont, ce n’est pas parti pour s’améliorer.