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Depuis maintenant plusieurs mois, on peut entendre s’exprimer un homme, muni d’une casquette béret et portant une moustache en guidon, multipliant tweets goguenards et interventions dans les médias dominants. Pas spécialement intéressant, voire souvent creux, il s’est récemment fait remarquer pour avoir rédigé un tweet très élogieux à destination de l’homme le plus riche du monde, le libertarien conservateur ultra-droitier Elon Musk. À première vue, on peut se dire que c’est un énième macroniste, tels qu’on les connaît désormais. En creusant un peu plus, le profil du ministre démissionnaire de la fonction publique (virgule, de la simplification, virgule, et de la transformation de l’action publique), en la personne de Guillaume Kasbarian, a tout pour nous inquiéter.

Qui est-ce ? À quoi sert-il ?

Guillaume Kasbarian ne vient ni d’un milieu spécialement populaire, ni spécialement bourgeois. Comme bien d’autres “novices en politique” ayant éclos sous les deux mandats de Macron, il passe par des classes préparatoires dans le privé (Saint-Louis-de-Gonzague, dans le XVIᵉ arrondissement), puis il intègre une école de commerce (l’ESSEC), avant de démarrer une carrière en tant que consultant en stratégie pour divers cabinets de conseil, auprès d’entrepreneurs. En parallèle de ce travail – de forte utilité sociale, j’en suis convaincu -, il rejoint les équipes de Macron puis se fait élire député en 2017 dans la 1ʳᵉ circonscription d’Eure-et-Loir. 

Depuis le début de son engagement en politique, il est identifié comme étant proche de l’aile droite du parti Ensemble (qui est la vraie ligne du parti, l’aile gauche y étant purement fictive), et du Printemps républicain. Il est aussi présenté comme l’un des plus farouches défenseurs du libéralisme économique. Bref, toutes les qualités requises pour faire partie de la grande aventure Macron qui, sept ans après son élection, ne s’apparente plus qu’à l’aile gauche du RN, qui se gausse cyniquement des appels du pied que lui fait l’actuel gouvernement.

“La macronie, c’est quand même une sale engeance. Ce sont des rebuts de BDE d’écoles de commerce qui ont un rapport purement utilitariste et prédateur aux choses. Il viennent, ils se servent, il cassent, ils repartent”.

Johann Chapoutot, historien

Puis, vient le temps de la consécration pour Kasbarian ; après un passage éclair au ministère du Logement, il est nommé ministre de la Fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique. Peut-être le gouvernement Barnier n’était-il pas assez libéral. Bien entendu, on a eu droit à une armada d’articles de presse, dont les fameux “choses que nous ne savions pas sur le nouveau ministre” – où l’on apprend des trucs de dingue : notamment qu’il joue du violon, qu’il aime Star Wars et l’aligot, et qu’il possède deux chats. L’article nous dit également qu’il porte casquette et moustache en guidon depuis qu’il a visité une chapellerie dans la région lyonnaise, dont l’histoire l’a apparemment touché – on reconnaît bien là toute l’empathie macroniste. Ce nouveau look lui permet de s’approprier “le renouveau industriel français”, alors qu’il ressemble plus à un parisien rive gauche qui veut se donner un genre qu’à autre chose.

Et ce ne sont pas les membres de son cabinet qui freineront ses pulsions libertariennes. En bon macroniste, Kasbarian fait fonctionner la corporation bourgeoise en nommant ses anciens camarades de promotion à des postes de conseiller au sein de son cabinet. On se souvient alors des mots justes et percutants de l’historien Johann Chapoutot, décrivant Macron et ses proches : “La macronie, c’est quand même une sale engeance. Ce sont des rebuts de BDE d’écoles de commerce qui ont un rapport purement utilitariste et prédateur aux choses. Il viennent, ils se servent, il cassent, ils repartent”.

C’est-y pas mignon ?

Précariser les fonctionnaires et les personnes vulnérables

Au-delà de ce portrait ennuyeux et reproductible à l’infini chez ses congénères étudiants en école de commerce, Guillaume Kasbarian est le symbole à lui seul du politicien parasite et hors-sol qui, dès qu’on lui donne un peu de pouvoir, se précipite sur sa cible favorite : les plus précaires. Peut-être est-ce pour cette raison qu’il prend ses conseils auprès du délinquant multirécidiviste Nicolas Sarkozy, président des riches par excellence, auquel il voue une admiration sans limites. 

Comment ? En contraignant le moins possible les dominants, au détriment des pauvres, et ce, dans tous les domaines. Dans la lignée du pouvoir depuis sept ans, l’une de ses obsessions est de rassurer les propriétaires contre les affreux locataires qui ne parviennent plus à payer leur loyer, situation qui résulte par ailleurs des politiques macronistes. Quitte à envoyer plus de personnes dans la rue.

Guillaume Kasbarian est le symbole à lui seul du politicien parasite et hors-sol, qui, dès qu’on lui donne un peu de pouvoir, se précipite sur sa cible favorite : les plus précaires.

Pour rappel, Kasbarian s’est fait connaître l’année dernière en ayant fait passer (avec les voix et les applaudissements du RN) une loi à son nom, dite “loi anti-squatteurs”. Cette loi, dont nous avons rappelé les lourdes conséquences pour les plus précaires et les associations

  • Condamne à de la prison les personnes se mettant à l’abri dans des bâtiments ou logements inhabités
  • Accélère la procédure d’expulsion locative et retire au juge le pouvoir de suspendre l’expulsion lorsqu’il l’estime nécessaire
  • Alourdit d’une amende de 7 500€ l’endettement des locataires victimes des augmentations des prix s’ils se maintiennent dans les lieux après expulsion (à la base, Kasbarian souhaitait une peine de six mois de prison, mais cette mesure très contestée a été supprimée par les sénateurs – dont la majorité est à droite, c’est dire…)

En complément de cette loi de nature criminelle, il avait présenté en Conseil des ministres un projet de loi “sur l’offre de logements abordables”, qui, concrètement, allait brutalement s’attaquer à la loi SRU (qui impose un quota de logements sociaux pour les communes de plus de 3500 habitants). Cette “loi Kasbarian 2” devait être débattue au mois de juin, mais a – provisoirement – été mise sous le boisseau avec la dissolution.

Kasbarian s’est fait connaître l’année dernière, en ayant fait passer (avec les voix et les applaudissements du RN) une loi à son nom, dite “loi anti-squatteurs”.

Guillaume est ensuite, selon les logiques macronistes, récompensé au mérite, en étant promu ministre du Logement début 2024, puis à la Fonction publique quelques mois plus tard, remplaçant Stanislas Guérini (qui ?).

Depuis sa nomination, il a enfin l’occasion rêvée d’étaler son mépris des fonctionnaires, et, en général, du secteur public. Sa dernière idée, sous couvert d’un prétendu argument d’égalité (marrant pour un libéral revendiqué) entre salariés du privé et fonctionnaires, est l’augmentation des jours de carence dans le secteur public (trois jours, contre un actuellement). Déjà adoptée par le Sénat, elle.

Guillaume est ensuite, selon les logiques macronistes, récompensé au mérite, en étant promu ministre du Logement début 2024.

Comme le rappelle l’historien Émilien Ruiz pour Alternatives Economiques, “il est payant politiquement de monter le privé et le public l’un contre l’autre. Or, les données à notre disposition montrent que les fonctionnaires ne sont pas forcément mieux traités, qu’il s’agisse de pouvoir d’achat ou de prise en charge en cas d’arrêt maladie notamment. Des rapports administratifs indiquent que des accords, dans le privé, permettent à 60-70% des salariés de bénéficier d’une prise en charge des jours de carence et de limiter la diminution du salaire, par exemple. Ce qui n’est pas le cas dans le public”. 

Autre brillante idée du ministre, le plafonnement à 90% (contre 100% actuellement) de la rémunération d’un congé maladie, pendant les trois premiers mois. Outre le très fort impact sur les travailleur·ses non couvert·es par des accords de prévoyance ; ceux-ci ne bénéficiant pas toujours de l’assurance d’un maintien de salaire, cette mesure n’aura d’effet que sur les travailleur·ses peu qualifié·es, mal payé·es et effectuant des travaux pénibles, qui sont en outre les plus concerné·es par les arrêts maladie. A sa décharge, Guillaume, du haut de son travail pénible et mal payé, ne prend certainement jamais d’arrêt maladie, alors pourquoi se priver d’ôter les “honteux privilèges” dont bénéficieraient les agent·es de la fonction publique ?

« Il est payant politiquement de monter le privé et le public l’un contre l’autre. Or, les données à notre disposition montrent que les fonctionnaires ne sont pas forcément mieux traités, qu’il s’agisse de pouvoir d’achat ou de prise en charge en cas d’arrêt maladie notamment. »

Émilien Ruiz, historien, pour Alternatives Economiques

Le généreux Guillaume n’en est d’ailleurs pas à une mesure sociale près. Ne s’arrêtant pas dans son élan, il a aussi fait supprimer la garantie individuelle du pouvoir d’achat (Gipa), qui est une indemnité versée chaque année, vers le mois d’octobre, aux fonctionnaires dont l’évolution du traitement indiciaire brut était inférieure à l’évolution de l’indice des prix à la consommation.

Exemple pratique qui concerne la direction générale des Finances publiques ; selon les chiffres du rapport social unique de 2023, les agent.es de catégorie B ou C représentent 74% des bénéficiaires, et les femmes, 58,7% des bénéficiaires. Ce qui signifie que ce sont les catégories les moins rémunérées et les femmes qui vont voir leur pouvoir de vivre (terme bien plus pertinent que l’insignifiant “pouvoir d’achat”) diminuer. 

Pour Kasbarian, there is no alternative. Même sur les questions écologiques, notre ministre puise ses inspirations chez Margaret Thatcher.

Autant de mesures injustes et discriminantes, inspirées du même Sarkozy, dont la révision générale des politiques publiques (RGPP) a conduit à la suppression de postes de fonctionnaires, et une qualité des services publics fortement altérée.

Simplement, pour Kasbarian, there is no alternative. Même sur les questions écologiques, notre ministre puise ses inspirations chez Margaret Thatcher. Féroce soutien des pesticides néonicotinoïdes (qui ont des effets dévastateurs sur les abeilles et la biodiversité), dont la plupart des substances sont interdites en France, il tranche les débats avec autorité, balayant d’un revers de main les conséquences environnementales de ses décisions. Guillaume, c’est la raison et le bon sens, contre l’hystérie et l’écologie punitive.

Libertarien et fan de Musk jusqu’à l’os

Guillaume est un condensé à lui seul de ce qu’est le macronisme depuis sept ans : la politique à coups de gros sabots et d’enfonçage de portes ouvertes par les autres présidents qui ont précédé. “Débureaucratiser” et “simplifier” sont les deux mots qu’il nous impose en permanence, sans jamais prendre la peine de réellement nous faire savoir ce qu’il y a de concret derrière. Pour Guillaume, il y a les bons et les mauvais fonctionnaires ; les bons, qui bossent, et les mauvais, qui se font faire des arrêts maladie tous les quatre matins.

Guillaume est un condensé à lui seul de ce qu’est le macronisme depuis sept ans : la politique à coups de gros sabots et d’enfonçage de portes ouvertes par les autres présidents qui ont précédé.

À la suite de l’élection du fasciste Donald Trump, Guillaume a sauté sur l’occasion pour chaleureusement féliciter son nouvel ami Elon Musk (sur lequel nous reviendrons) pour sa nomination au ministère de “l’efficacité gouvernementale”. Le tweet, dont il se vante, goguenard, est traduit ci-dessous : 

“Félicitations pour avoir accepté ce super défi @elonmusk ! J’ai hâte de partager avec vous les meilleures pratiques pour lutter contre l’excès de bureaucratie, réduire la paperasse, et repenser les organisations publiques pour améliorer l’efficacité des agents publics.”

Partager les meilleures pratiques avec Elon Musk, qui a licencié 80% des effectifs de X (anciennement Twitter) en quelques mois, ça ne vous fait pas frémir ?

Faussement incorrect, réellement dominant

Guillaume, c’est avant tout un homme courageux. Pendant son court passage au ministère de la Fonction publique, il n’a cessé de s’ériger en homme qui casserait les codes, qui secouerait les cocotiers. À l’instar de son alter-ego américain Musk, il s’imagine seul contre tous, investi de la mission ultime, que dis-je, divine, de s’attaquer au statut des fonctionnaires, caste qui bénéficierait d’un nombre indécent de privilèges (à l’entendre, plus que les parlementaires).

Selon une formule toute faite, qui passe toujours bien dans les médias dominants, Kasbarian prétend vouloir “lever les tabous”, en ce qui concerne, entre autres brillantes idées, le licenciement des fonctionnaires.

Selon une formule toute faite, qui passe toujours bien dans les médias dominants, Kasbarian prétend vouloir “lever les tabous”, en ce qui concerne, entre autres brillantes idées, le licenciement des fonctionnaires. C’est toujours comique d’entendre cette petite musique chez les personnalités politiques et/ou médiatiques qui s’imaginent subversifs et se donnent des frissons l’instant de quelques minutes : 
– On commence par se prétendre “briseur de tabous”, “lanceur d’alerte” ou encore “politiquement incorrect”
– On dénonce une prétendue pensée unique en osant des “opinions impopulaires” qu’il faudrait “expliquer avec pédagogie” à des “Français réfractaires au changement”
– On finit par exprimer son idéologie libérale et pro-marché, en droite ligne de tout ce qui émane des gouvernements successifs depuis une quarantaine d’années, sous l’œil bienveillant d’une grande partie de la caste médiatique
– On matérialise enfin cette idéologie dans une réforme, que l’on fait passer par 49.3, après avoir fait semblant de laisser exister un débat qu’on allait de toute manière étouffer

À très court terme, c’est assez cocasse, voire plaisant, d’entendre ces personnalités politiques prétendre être ce qu’elles ne sont pas, puis les voir démontrer le contraire avec brio dans leurs actes, les faisant ainsi apparaître pour ce qu’elles sont réellement. Surtout que, pour la plupart d’entre elles, elles viennent d’un milieu ultra-bourgeois au sein duquel elles ont appris à ne surtout pas transgresser les règles de domination (sociale, financière) qu’elles ont elles-mêmes édictées. 

Le – gros – revers de la médaille, c’est que l’on sait parfaitement de quoi ils sont capables, une fois que le pouvoir – pour lequel ils tueraient père et mère – est entre leurs mains. 

La continuité des politiques libérales et criminelles

Rien de nouveau sous le soleil, Kasbarian n’est que la continuité des réformes imposées par la macronie : autrement dit, la perpétuation des inégalités, au détriment de celles et ceux qui la subissent en permanence, et surtout pas de types comme Kasbarian, qui retrouvera certainement un poste dans le privé, une fois que le mandat présidentiel actuel s’achèvera.

Kasbarian n’est que la continuité des réformes imposées par la macronie : autrement dit, la perpétuation des inégalités, au détriment de celles et ceux qui la subissent en permanence

En fait, ça doit être simple d’être Guillaume Kasbarian. À chaque problème complexe, on trouve une solution toute simple : libéraliser, déréguler, appauvrir les pauvres et enrichir les riches. Le tout, en faisant trinquer les fonctionnaires, désignés responsables de tous les maux.

En attendant, le 49.3 a été asséné par Barnier pour faire passer en force le budget. Logiquement, la censure déposée par la gauche le 2 décembre a été adoptée, et de loin. Comme ses collègues macro-lepénistes, Kasbarian devrait finir aux oubliettes. Il est désormais ministre démissionnaire, ce qui ne l’empêche pas de nous étaler ses réflexes de bourgeois trouillard, affolé à l’idée d’une nouvelle motion de censure visant le président Macron. Et pour cela, il est prêt à tout. Quitte à bosser avec le RN, avec lequel il partage plein de points communs.

En fait, ça doit être simple d’être Guillaume Kasbarian. À chaque problème complexe, on trouve une solution toute simple : libéraliser, déréguler, appauvrir les pauvres et enrichir les riches.

En tout cas, c’est pas ici qu’il manquera.


Adrien Pourageaud

Crédit photo : Guillaume Kasbarian photo Facebook


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