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L’affaire Oudéa-Castéra, que nous avons déxcortiquée dans un contexte d’abandon de l’école publique par le gouvernement en place, ne doit pas pour autant faire oublier le récent scandale que nous a révélé Mediapart. Le journal nous a informés il y a quelques jours du décès de Raymond Sebas, survenu en avril 2022. Âgé de 76 ans et sans domicile fixe, ce jardinier était obligé de louer un box de parking insalubre au député LR Michel Herbillon. Au-delà de ce sinistre personnage prétendant faire des marchands de sommeil son combat politique alors qu’il est visiblement un champion en la matière, cette horrible affaire révèle les contradictions et l’absence d’action gouvernementale sur un sujet pourtant fondamental : l’accès à un logement digne pour toutes et tous.

Un député LR se prétendant chasseur des marchands de sommeils en est lui-même un

Si vous n’en avez pas entendu parler (les médias traditionnels ne se sont pas attardés dessus, trop occupés à parler de la famille Delon), le journal Mediapart a révélé lundi dernier qu’un député LR (parti dont les principaux tauliers ont été condamnés ou, a minima, plusieurs fois mis en examen) du Val-de-Marne, Michel Herbillon, faisait raquer Raymond Sebas, un jardinier septuagénaire, pour le loger dans un box de parking, insalubre et sans fenêtres. Raymond Sebas est décédé en avril 2022, sur un trottoir de Châtenay-Malabry, dans le dénuement le plus total.

Ne pouvant rester insensible à la générosité de ce monsieur, nous sommes allés faire un tour pour dresser sa biographie. Michel Herbillon, après être passé par Sciences Po, est cadre du secteur privé pendant plusieurs années puis enchaîne les mandats locaux – maire de Maisons-Alfort –, puis nationaux : conseiller général du Val-de-Marne et député depuis 1997. Ce député si mal payé a touché, en 2022, 7605,70€ par mois en tant que député, plus, annuellement, 1676€ pour son mandat à la Métropole du Grand Paris, ET 6840€ en tant que président de l’Association du Grand Ensemble Liberté-Vert de maisons, un organisme qui regroupe plusieurs bailleurs sociaux gérant un parc de plus de 2800 logements sociaux. Avec une si faible rémunération, on peut aisément comprendre qu’il ait besoin d’arrondir ses fins de mois en louant généreusement une partie de sa propriété.

On apprend enfin que, certainement pressé par son agenda, le député Herbillon ne s’est pas pointé aux obsèques de Raymond Sebas. Sûrement trop occupé à faire des maraudes. On n’a pas non plus entendu Macron et ses ministres sur cette affaire. On a par contre appris qu’une directrice d’école toulousaine a été rappelée à la loi pour avoir hébergé une famille sans-abri. Vous vous en étonnez ? Pas nous, et on va expliquer pourquoi.

La politique macroniste du logement est une politique marginalisante et criminelle depuis 2017

Alors qu’il promettait un vaste plan de construction de logements sociaux et un « choc de l’offre », Macron a commencé fort son premier quinquennat en réduisant les APL et en taillant dans le budget du logement.

Suite à un quinquennat dans lequel la situation des plus précaires a empiré, la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés, dans son rapport sur l’année 2022, a très fortement épinglé la politique menée par Macron en termes d’habitat. Ce rapport, disponible ici, fait état de la difficulté croissante de plus en plus de citoyens d’accéder à un logement décent, et de l’absence de politiques appropriées en retour. De nombreux constats présents dans le rapport sont alarmants. 

La question du logement est très peu présente dans les discours gouvernementaux, alors qu’elle reste préoccupante à plus d’un titre. Exemple financier : en 2021, la part du PIB consacrée au logement par les pouvoirs publics s’élevait à 1,5%, soit le niveau le plus bas enregistré en 40 ans. Exemple humain : « au 19 décembre 2022, malgré l’ouverture de gymnases dans le cadre du plan Grand froid, on comptait encore […] 1.172 enfants et même 335 de moins de trois ans ».

La Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés, dans son rapport sur l’année 2022, a très fortement épinglé la politique menée par Macron en termes d’habitat.

Le rapport dénonce également les prix du logement, devenus difficilement soutenables, pour ne pas dire inabordables, pour les ménages modestes. La facture logement est fortement alourdie par des dépenses énergétiques jugées importantes pour 82% des ménages (contre 56% en 2016), parmi lesquels beaucoup doivent choisir entre chauffer, manger et se soigner. Les dépenses contraintes liées au logement minimisent très fortement les budgets des ménages modestes, avec l’inflation et les dépenses liées à la mobilité, ce qui entraîne un « reste à vivre » très faible pour les ménages modestes.

Les constructions sont à la peine et n’atteignent jamais les objectifs fixés par le gouvernement, en raison de la réduction des capacités financières des organismes HLM, provoquée par les mesures d’économie adoptées au cours du précédent quinquennat (1,3 milliards par an en moins), plus la hausse de la TVA. Le « choc de l’offre » annoncé par Macron en 2017 n’est en réalité jamais arrivé et n’arrivera probablement jamais : « Les prix des logements anciens ont augmenté de 29% au cours du précédent quinquennat ».

En parallèle, le rapport nous informe des inégalités liées au genre dans l’accès et le maintien dans le logement. Les femmes, et encore plus les mères célibataires (36% vivent sous le seuil de pauvreté), sont plus souvent en situation de précarité que les hommes face au logement, tout comme les minorités LGBTQ+. Les situations de précarité matérielle, de violences conjugales et les revenus en moyenne inférieurs sont les principaux facteurs de cette vulnérabilité genrée face au logement. D’après la Fédération Nationale Solidarité Femmes, 80% des femmes victimes de violence sont hébergées dans des dispositifs non adaptés à leur situation, et 40% des femmes victimes de violences en demande d’hébergement seraient sans solution. La séparation conjugale est un autre facteur de précarisation des femmes ; elle représente un « choc financier » et résidentiel pour les femmes, qui voient leurs revenus chuter d’en moyenne 20% (contre 2,5% pour les hommes).

Le vécu genré du mal-logement est aussi présent dans le rapport : les femmes à la rue sont très souvent invisibilisées, en raison des violences dont elles peuvent être les victimes.

Les femmes, et encore plus les mères célibataires (36% vivent sous le seuil de pauvreté), sont plus souvent en situation de précarité que les hommes face au logement

Mais visiblement, on préfère s’attaquer aux sans-abri et aux précaires qu’aux investisseurs louant des immeubles entiers via Airbnb, quitte à totalement outrepasser les réglementations. L’émission Complément d’enquête nous en a d’ailleurs montré un joli spécimen (une saloperie de parasite dans notre langue) le 11 janvier dernier, dans son numéro « Airbnb : plus de toit pour toi ».

En Macronie, la priorité est donc la chasse aux plus démunis, et non pas aux squatteurs comme ont voulu nous faire croire leur clique il y a quelques mois de cela, avec la loi “anti-squat”. Parmi celles-ci, la loi Kasbarian (Kasbarian est député Renaissance d’Eure-et-Loir, et, comme un bonheur ne vient jamais seul, est pressenti pour devenir secrétaire d’État au Logement) a donné lieu à de nombreux débats, et a été promulguée en juin dernier, avec les voix chaleureuses du RN, et validée en juillet par les « sages » du Conseil Constitutionnel. Sous couvert de vouloir défendre les « petits propriétaires qui ne roulent pas sur l’or », cette loi criminalise les plus précaires. 

Au-delà du caractère fondamentalement populicide de cette loi, on peut légitimement penser qu’elle met en difficulté les associations qui, pour le coup, ne roulent pas sur l’or. Associations qui ont d’ailleurs été nombreuses à dénoncer ce coup de force. La fondation Abbé-Pierre rappelle le caractère abject de cette loi, se servant d’une conception détournée et faussée du droit de propriété, pour mieux piétiner le droit au logement. Concrètement, cette loi :

  • Condamne à de la prison et jusqu’à 30.000€ d’amende les personnes qui se mettent à l’abri dans des logements inhabités ou des bâtiments industriels vides
  • Accélère la procédure d’expulsion locative, lesquelles sont déjà en nette augmentation, et retire au juge le pouvoir de suspendre l’expulsion lorsqu’il l’estime nécessaire
  • Alourdit d’une amende de 7.500€ l’endettement des locataires victimes des augmentations des prix – dues à l’économie de marché néo-libérale, chérie par nos gouvernements successifs depuis 1983 –, s’ils se maintiennent dans les lieux après une décision d’expulsion

Dans la réalité, ce pays compte 3,1 millions de logements vacants, c’est-à-dire dans lesquels personne n’habite. Plus de 620 personnes sont mortes dans la rue en 2022, dans la septième puissance économique mondiale. Quatre millions de personnes sont en situation de mal-logement, 14,6 millions de personnes sont fragilisées par la crise du logement et 330.000 personnes (nombre multiplié par deux en dix ans) sont sans domicile fixe, dont 400 enfants scolarisés, rien qu’à Paris. La hausse fulgurante des prix de l’énergie entraîne des retards logiques de paiement, en particulier par les locataires les plus précaires, qui subissent le plus fortement le renchérissement de l’énergie et sont ainsi les premières victimes de ce projet de loi. 

Ce pays compte 3,1 millions de logements vacants, c’est-à-dire dans lesquels personne n’habite. Plus de 620 personnes sont mortes dans la rue en 2022, dans la septième puissance économique mondiale. Quatre millions de personnes sont en situation de mal-logement, 14,6 millions de personnes sont fragilisées par la crise du logement et 330.000 personnes (nombre multiplié par deux en dix ans) sont sans domicile fixe

Autant dire que les quelques squatteurs, qui font systématiquement la une des médias, ne servent qu’à nourrir un discours toujours aussi bourgeois et excluant. Si ces cas minoritaires existent réellement et peuvent, à juste titre, provoquer l’indignation et le débat, ils sont trop souvent instrumentalisés pour nous émouvoir et ainsi faire passer des lois entièrement déséquilibrées. En nous montrant exclusivement des exemples de personnes âgées se faisant squatter leur unique résidence, le gouvernement peut légitimer sans problème n’importe quelle loi dégueulasse, en utilisant des cas de figure (qu’il ne s’agit pas ici de valider) sur lesquels ils se sont pourtant bien gardés de légiférer. 

Malgré les alertes permanentes des associations, le logement est tout sauf une priorité au sommet de l’État

En réponse aux signaux d’alarme tirés chaque année par les différentes associations d’aide au logement, le gouvernement reste muet face aux alertes incessantes visant à demander des réquisitions de logements vacants, alors même que la politique conduite depuis 2017 a grandement contribué à générer cette crise du logement. 

Le gouvernement n’applique effectivement pas la loi permettant la réquisition d’immeubles, malgré 400.000 logements vacants en Île-de-France, dont 117.000 à Paris. La dernière vague de réquisitions remonte à 1997. Beaucoup de maires demandant des réquisitions ne les obtiennent pas par les préfets, qui ne réquisitionnent que les bâtiments mis à dispositions par les propriétaires… sur la base du volontariat. Un peu comme quand Bruno le Maire demande aux entreprises de bien vouloir être gentilles et lâcher des miettes pour les plus pauvres.

En outre, certaines communes préfèrent toujours payer des prunes en ne respectant pas la loi imposant 25% de logements sociaux, le tout, avec la bienveillance de l’exécutif. Le logement a même été écarté de la liste des ministères recréés lors du dernier remaniement. À titre humoristique, même l’ex-président du MEDEF, pas vraiment connu pour sa fibre sociale, estimait il y a quelques mois que le logement devait être « la grande cause du quinquennat ».

Le rapport du Conseil National de la Refondation rendu il y a quelques mois fait état d’une situation préoccupante et a annoncé des “grandes mesures à mettre en œuvre afin de renforcer l’accès de tous à un logement digne, abordable et durable”. Seulement, quand on s’y intéresse de plus près, il n’y a que très peu de raisons d’espérer un quelconque changement suite aux concertations menées avec les acteurs du logement. En effet, on remarque que Macron se complaît régulièrement à lancer des expertises et concertations citoyennes… pour, au mieux s’en foutre, au pire enterrer les travaux

Le gouvernement reste muet face aux alertes incessantes visant à demander des réquisitions de logements vacants

Dans son dernier long speech présidentiel, devant la quasi-totalité des ministres et un parterre de journalistes pour le moins peu offensifs, aucun mot n’a été prononcé sur la crise du logement, et aucune mesure n’a été annoncée sur les constructions et possibilités de réquisition des logements vides.

Par contre, des familles entières sont déplacées des centres d’hébergement d’urgence pour laisser la place aux touristes, 2000 logements CROUS d’étudiants sont réquisitionnés le temps des épreuves pour les athlètes, et des migrants sans-abris sont déplacés en dehors de l’Île-de-France. Et, histoire de parachever leur œuvre, le gouvernement a fait adopter en douce cet été un décret pour faciliter la location de surfaces jugées impropres à l’habitation. Comprenez : nouveau cadeau fait aux marchands de sommeil.

En revanche, soyez rassurés : les enfants porteront l’uniforme à l’école, le SNU deviendra peu à peu obligatoire, l’instruction civique sera remise au cœur des programmes scolaires, le réarmement démographique sera mis en place, et les actionnaires pourront continuer à se gaver sur notre dos autant qu’ils le souhaiteront. 

Vivement que tous ces parasites dégagent loin d’ici.


Adrien Pourageaud

Photo de couverture par Cytonn Photography sur Unsplash


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