logo_frustration
U

Comment le gouvernement peut-il encore et toujours battre les records dans le pathétique ? Comment peut-on encore réussir à s’indigner des propos tenus, après presque sept ans de mépris de classe permanent ? Et d’ailleurs, qui est la nouvelle ministre des Sports ET de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, qui a récemment fait parler d’elle ? Tout d’abord, elle est la nièce de nos éditocrates préférés Alain Duhamel et Nathalie Saint-Cricq, et donc la cousine du journaliste Benjamin Duhamel. Autrement dit, la nièce et la cousine de celles et ceux qui commentent sa nomination, et appellent tout le temps “donner sa chance” à Macron et ses gouvernements successifs, malgré un bilan cataclysmique. Sur le plan professionnel, après un parcours classiquement bourgeois, c’est-à-dire Sciences PO-ENA (+ un passage à l’ESSEC), elle est un temps tenniswoman professionnelle, puis est nommée à la Cour des comptes, avant de partir vers de nouveaux challenges stimulants, entre la direction marketing du groupe Axa et l’administration du groupe Carrefour, où elle gagne 1,4 millions par an

500 000 euros par an de rémunération, un sacrifice pour la passion du sport

Elle devient ensuite présidente de la Fédération Française de Tennis et gagne “seulement” 500 000 euros à l’année. Interrogée par un député sur le niveau d’une telle rémunération, elle s’estime “pas bien payée” au regard du nombre d’heures qu’elle “s’enfourne” chaque semaine. Une justification classique dans le monde capitaliste, dont les dirigeants, petits et grands, aiment se raconter qu’ils se crèvent à la tâche autant que des ouvriers quand ils enchaînent déjeuner d’affaires, soirées d’inauguration, galas de charité et autres sauteries aux frais de leurs salariés ou du contribuable. Autre justification classique utilisée ces jours-ci par l’ex-présidente de la FFT et désormais ministre : « J’ai renoncé aux deux tiers de ma rémunération pour ma passion dans le sport », dit-elle en faisant référence à son salaire de dirigeante de Carrefour. Eh oui, c’est le drame des bourgeois que nous autres manants sous-estimons toujours : il y a toujours plus riches qu’eux, dans leur monde. Avec 500 000 euros par an, un bourgeois peut se sentir bien précaire, bien sacrificiel. C’est par ailleurs la même chose dans le monde politique, où bon nombre de députés (comprendre : des mecs de droite), nous confient, entre autres, “ne plus réussir à mettre de côté”, “gagner moins que le salaire moyen des français” (sur lequel ils ne se privent pourtant pas de légiférer quand bon leur semble) ou encore vivre un “cauchemar”. En effet, en lisant ce genre d’article, qui ne se sentirait pas rongé par la compassion ? 

Eh oui, c’est le drame des bourgeois que nous autres manants sous-estimons toujours : il y a toujours plus riches qu’eux, dans leur monde. Avec 500 000 euros par an, un bourgeois peut se sentir bien précaire, bien sacrificiel.

Amélie Oudéa-Castéra, donc, une personnalité-de-la-société-civile, terme avec lequel on nous a bassiné pour justifier la propension de Macron à placer ses potes millionnaires à la tête de ses ministères, devient ministre des Sports et des JO en 2022.

On peut légitimement s’étonner de sa promotion à la tête de l’éducation nationale, n’ayant à priori aucune compétence dans le domaine. Car, après un an d’exercice, quel bilan a-t-on pu tirer de son action au ministère des Sports, hormis avoir annoncé, avec mépris, virer les étudiants de leurs logements pendant les JO, aucune mesure concrète n’est à son actif  ? Voilà, rien. Mais comme nous le disons souvent, puisqu’aucun acteur important (média, institutions, etc.) n’interroge la compétence et le bilan des politiques, ils peuvent revenir où bon leur semble et quand bon leur semble, n’importe où : les bourgeois couvrent mutuellement leur médiocrité en se délivrant mutuellement des brevets de compétence qui ne reposent sur aucun fait tangible.

Dans la continuité de la nullité caractéristique de la macronie, Amélie Oudéa-Castéra a donc, hier, fait grand bruit avec une déclaration de deux minutes, devant les micros, Gabriel Attal pointant à ses côtés, que l’on retranscrit ici tant elle est révélatrice :

Question : “Sur la scolarisation de vos enfants au lycée Stanislas qu’on a apprise aujourd’hui, c’est un lycée qui condamne l’homophobie (lapsus, le terme recherché devait être « homosexualité »), qui condamne l’avortement dans ces enseignements, qui prône la non-mixité, est-ce que dans votre vision de l’enseignement, ça révèle quelque chose ?

Réponse de la ministre : “Non là, vous êtes totalement dans le procès d’intention, alors moi je vais vous dire, je vais pas esquiver votre question. La première chose que j’ai envie de relever, c’est que d’abord, si on commence dès le premier jour comme ça sur des attaques personnelles, c’est aussi peut-être parce que ce matin ce que j’ai pu exprimer était assez inattaquable sur le fond, alors très bien, on va aller sur le champ du personnel, eh bien allons-y. Moi, je vais vous dire pourquoi nous avons scolarisé nos enfants à l’école Stanislas, je vais vous raconter brièvement cette histoire, celle de notre aîné, Vincent. Vincent qui a commencé comme sa maman à l’école publique, à l’école Littré. Et puis, la frustration de ses parents, mon mari et moi, qui avons vu des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées, et à un moment, on en a eu marre, comme des centaines de milliers de familles qui, à un moment, on fait un choix d’aller chercher une solution différente. On habitait rue Stanislas, scolariser nos enfants à Stanislas était un choix de proximité et depuis, de manière continue, nous nous assurons que nos enfants sont non seulement bien formés, avec de l’exigence dans la maîtrise des savoirs fondamentaux, qu’ils sont heureux, qu’ils sont épanouis, qu’ils ont des amis, qu’ils sont bien, qu’ils se sentent en sécurité, en confiance. C’est le cas pour mes trois petits garçons, mes trois enfants, qui sont là-bas. Alors, je pense que, avant de stigmatiser les choix des parents d’élèves, il est important de rappeler que l’école, c’est celle de la République, et que la République travaille avec tout le monde, dès lors qu’on est au rendez-vous de cette exigence et de ses valeurs. Voilà.”

Absolument rien ne va dans sa réponse plutôt agressive, à une question qui allait d’ailleurs obligatoirement lui être posée (on croyait pourtant que les macronistes étaient des champions en com’…). La ministre se contente de cracher son mépris de classe sur l’école publique, en nous expliquant benoîtement, après de longues secondes d’éléments de langage grossiers, qu’elle a collé ses enfants dans l’un des pires établissements du pays : le complexe scolaire Stanislas. Raison évoquée : les professeurs de son école publique (l’école Littré), ce ramassis de feignasses, sont trop absents et pas assez remplacés : « un paquet d’heures pas sérieusement remplacées », « on en a eu marre ». Réalité : un grossier mensonge de la ministre sur ce soi-disant “paquet d’heures pas sérieusement remplacées”, débunké par l’ancienne enseignante du collège Littré, qui a eu en classe ses enfants.

Stanislas est un établissement privé ultra-catho (et ultra-bourgeois), dans lequel règne un univers sexiste, homophobe et très autoritaire, entre intervenants proches de la Manif pour tous et membres de l’Église invités pour promouvoir les thérapies de conversion (interdites par la loi).

Au-delà de sa réponse, très symptomatique de sa déconnexion totale avec le réel – elle habite rue Stanislas et ose justifier sa décision comme étant un choix de proximité –, elle n’a bien entendu aucun mot ni aucune empathie pour les enseignants dont les conditions de travail se dégradent de jour en jour. Mais, bien entendu, cette situation n’est pas leur faute. De toute façon, rien n’est jamais leur faute. Si les services publics tombent les uns après les autres, c’est sûrement à cause du wokisme.

Tant pis pour l’école publique et les prolétaires qui y mettent leurs enfants ; s’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à aller dans le privé. Tant pis pour les profs, ces feignants, qui bénéficient des vacances scolaires et osent encore se plaindre. Tant pis pour les élèves, qui n’ont pas eu le mérite de naître au bon endroit et d’hériter d’une confortable place au conseil d’administration de la société familiale. Mais clairement, comme ce n’est pas leur électorat, pourquoi se soucier d’eux ?

Une déconnexion sociale dans la droite continuité de la macronie

La ministre nous annonce donc, penaude, que ses trois enfants sont désormais tous scolarisés au collège Stanislas. Si vous ne le connaissez pas, c’est un établissement privé ultra-catho (et ultra-bourgeois), dans lequel règne un univers sexiste, homophobe et très autoritaire, entre intervenants proches de la Manif pour tous et membres de l’Église invités pour promouvoir les thérapies de conversion (interdites par la loi). Plus largement, il est depuis 20 ans l’objet de diverses affaires judiciaires, dont tentatives de viol par des anciens éducateurs et agressions sexuelles et consultations de sites pédopornographiques par un ancien cadre du collège. Bref, un établissement si recommandable que Mediapart a récemment enquêté et a reçu de nombreux témoignages d’anciens élèves, racontant les humiliations et les souffrances vécues au sein de cette structure.

Une ministre des JO (pardon, des sports) nommée à la tête d’un « superministère » de l’Éducation nationale et des JO (des sports), six mois avant le début de la compétition ; le message envoyé est on ne peut plus clair. Rien à foutre de l’éducation et de l’école publique. Priorité aux JO et à rendre la capitale la plus belle possible pour les nombreux touristes qui viendront se faire pigeonner par les propriétaires et les restaurateurs, quitte à faire passer des lois liberticides à outrance.

Mais tout ça serait beaucoup moins drôle si les trois précédents ministres n’avaient pas de palmarès similaire concernant leur parcours scolaire et celui de leurs enfants. Prenons, au hasard, les trois précédents ministres de l’Éducation nationale sous Macron :

·  Jean-Michel Blanquer : a fait sa scolarité à l’école puis au collège Stanislas, et a terminé à Sciences Po

·  Pap Ndiaye : a ses deux enfants scolarisés à l’Ecole Alsacienne

·  Gabriel Attal : a réalisé tout son parcours à l’école alsacienne puis n’a strictement jamais bossé de sa vie et est directement entré en politique

Dégommer le public, mettre ses enfants dans le privé

Dans les faits, les réformes de Blanquer n’ont eu aucun effet positif : la réduction des effectifs dans les classes de primaire n’a pas permis de pallier les difficultés scolaires, la réforme du lycée a aggravé les inégalités de genre, notamment en mathématiques, et le métier d’enseignant n’a en rien été revalorisé. Le passage de Pap Ndiaye a été remarqué par son inexistence, et Attal, à part faire valider l’interdiction de l’abaya à école, n’a concrètement rien fait part de la com’. Et contrairement à ce que veulent nous faire croire certains éditocrates, tous les ministres de l’Éducation nationale sous Macron ont souvent finis très impopulaires auprès des syndicats d’enseignants.

Dans la réalité, des centaines d’emplois sont supprimés chaque année, les salaires des enseignants continuent de baisser, certains sont contraints de travailler plus pour être un peu augmentés, d’autres sont totalement laissés l’abandon, parfois jusqu’à l’horreur meurtrière. Et le gouvernement porte une immense responsabilité là-dedans.

Dans la réalité toujours, ce gouvernement enchaîne les mesures antisociales, s’acoquine avec l’extrême droite et leur déroule le tapis rouge en faisant voter ses idées, se permet et étale ses velléités obsessionnelles sur le prétendu islamo-gauchisme, prétendument présent au sein des universités publiques (qu’ils n’ont pas ou très peu fréquentées).

Mais, pour enfoncer une porte ouverte, n’attendons évidemment strictement rien de notre nouvelle ministre. Les prochaines mesures à attendre sont la suppression de 125 classes du premier degré à Paris, et autant de postes d’instituteurs pour la rentrée prochaine. Revalorisations salariales, amélioration des conditions de travail, soutien à l’école publique, prise en compte des immenses inégalités présentes dès la naissance pour l’intégrer au modèle éducatif ? Que dalle. Usul a très bien résumé la situation actuelle, et qui dure depuis des décennies, dans l’un de ses tweets en réaction aux déclarations de la ministre : « Les bourgeois ne s’occuperont correctement du public que quand ils seront contraints d’y mettre leurs gosses. » On ne saurait mieux dire.

Étant donné que les priorités affichées de la nouvelle ministre, et du gouvernement, sont les JO et non pas l’éducation, le privé et non pas les services publics, l’entre-soi bourgeois et non pas la solidarité, allons-nous jouer le jeu et célébrer la grande fête populaire qu’on nous présente pour cet été ? Ou bien allons-nous nous souvenir de l’immense casse sociale qui a lieu depuis six ans et demi, et s’élever en conséquence contre ce qui semble être leur fierté, à savoir un rassemblement élitiste ?


Adrien Pourageaud


abonnement palestine israel