Par quoi commencer pour commenter la nomination de Gabriel Attal au poste de premier ministre et le tintouin médiatico-politique ? D’abord dire que, franchement, on s’en fout pas mal. Sous la Ve République à la sauce Macron, le Président décide tout et le Premier ministre sert à appuyer sur le bouton du 49-3 pour faire passer les lois sans débat parlementaire. Mais les bourgeois et les sous-bourgeois ne voient pas les choses comme ça : pour eux, la nomination d’Attal ressemble au jour où leur gendre a eu son premier CDI chez Axa. Les éditocrates adorent Attal comme ils aiment leurs gosses, avec leurs joues roses et leur “ascension fulgurante”. Car c’est en ces termes qu’est salué le parcours de Gabriel Attal, qui est le “plus jeune premier ministre” (Macron était le plus jeune président, il n’est désormais apprécié que par les plus vieux, mais passons) et que même le chef du Parti Socialiste, Olivier Faure (je ne sais pas si vous voyez qui c’est), qualifie de “jeune homme brillant”. C’est un terme qui revient au sujet d’Attal, “brillant”. Ce mot est révélateur des idées que la classe dominante raconte d’elle-même et se raconte à elle-même, et qu’elle projette sur ses “jeunes premiers”. Alors, brillant le jeune Attal ?
Les jeunes bourgeois ne peuvent que briller
Le qualificatif de “brillant” porte généralement sur le parcours scolaire et professionnel de quelqu’un. Il est chargé de jugement de valeur. On va rarement qualifier une personne très qualifiée dans le BTP ou la mécanique de “brillant”, et ce alors que la qualité des services rendus est souvent beaucoup plus facile à apprécier. Un parcours dit brillant comporte une série de titres scolaires et de postes prestigieux. Qu’en est-il pour Attal ? Fils d’un avocat puis producteur de cinéma, il grandit dans les beaux quartiers de Paris. Il fait sa scolarité à l’école Alsacienne, un établissement privé sélectif où la bourgeoisie envoie ses enfants pour qu’ils bénéficient d’un enseignement de pointe, comportant pédagogie alternative, nombreux voyages scolaires et ouverture internationale. Dans leur livre Fils et filles de… (2015), les journalistes Aurore Grotius et Anne-Noémie Dorion décrivent un établissement qui permet aux familles riches de réserver à leurs enfants un entre-soi complet et un enseignement respectueux de leurs personnalités, pour garantir les meilleurs résultats scolaires. On peut dire que l’école Alsacienne est la première étape de tout parcours “brillant”, mais que pour y parvenir il faut simplement être né au bon endroit.
Sans doute qu’Attal y a bénéficié de l’apprentissage de cette confiance de classe que le sociologue Shamus Khan, dans un livre passionnant consacré aux écoles privées nord-américaine, la Nouvelle école des élites, nomme “l’aisance” et qui ne consiste pas tant à posséder des savoirs spécifiques que d’être à l’aise pour les exprimer et se mouvoir, sûr de son bon droit et de son intelligence, dans le monde.
Il fait ensuite ses études à Sciences Po Paris, un établissement d’enseignement supérieur fondé à la même époque que l’école Alsacienne (après la Commune de Paris) et situé à quelques rues de là. Dans un livre enquête sur l’histoire de cette institution, le journaliste Mathieu Dejean la qualifie “d’école de la domination” : c’est le lieu où la bourgeoisie assure la mainmise de sa progéniture sur les médias, la politique et les grandes entreprises. Comme toutes les “grandes écoles”, ce système d’enseignement supérieur parallèle à l’Université et aux IUT réservé aux enfants aisés, Sciences Po existe avant tout pour donner un réseau, un titre (à parler, à diriger, à se faire respecter) et un sentiment de légitimité. Être diplômé d’une grande école, c’est bien être “brillant”, car cela fait briller dans un certain milieu privilégié qui reconnaît ce titre comme source d’interconnaissance sociale. Et dans le reste de la population, dont une partie croit, à tort, qu’on est plus “intelligent” quand on a fait Science po ou HEC… Alors qu’on y apprend pas des compétences inégalables ailleurs, mais une conformité sociale, effectivement unique aux institutions bourgeoises qui sont homologuées pour la garantir.
Les politiques ne subissent jamais leur (mauvais) bilan
A Sciences Po, Gabriel Attal a fait du militantisme politique, côté Parti Socialiste, dans la mouvance de Dominique Strauss-Kahn (le papa spirituel du macronisme). Là encore, aucun miracle de talent et d’intelligence : le militantisme durant les études supérieures est une pratique sociale avant d’être un “engagement” sacrificiel. On s’y construit son réseau, on y rencontre les adultes du parti pour lequel on milite et, disons-le franchement, on y trouve une sorte de prime à la médiocrité grâce à laquelle les plus tenaces et les moins passionnés politiquement sont ceux qui parviennent le plus facilement : car ce sont ceux qui vont savoir se positionner au bon moment pour la bonne personne, en le justifiant avec de belles formules de plus en plus creuses à mesure que leur parcours progresse.
Pour briller dans le militantisme de jeunesse, il faut larbiner et conspirer, surtout dans le PS des années 2010. Est-ce brillant ? Ça se discute. Mais cela paye, puisqu’Attal obtient un stage au cabinet de Marisol Touraine, alors députée PS, puis un emploi de conseiller ministériel dans son cabinet lorsqu’elle est nommée ministre de la santé en 2012. C’est là que “l’ascension fulgurante” commence, au sein d’un parcours absolument classique dans le monde politique français. On est d’abord collaborateur parlementaire puis conseiller ministériel puis secrétaire d’Etat puis ministre. Tout ça sans exercer un seul métier se situant hors du domaine de la politique et du 7e arrondissement de la capitale.
Qu’a fait Gabriel Attal, à quelle grande œuvre a-t-il contribué ? Comme conseiller ministériel, il a participé de près ou de loin aux actions de Marisol Touraine. Ministre de la santé d’un gouvernement “de gauche”, elle a effectivement lancé un petit progrès social avec la généralisation du tiers payant dans tous les cabinets médicaux du pays… mesure qui a été supprimée, avant son entrée en vigueur, par sa successeure macroniste Agnès Buzyn en 2017. Sous Marisol Touraine, des milliers de postes ont été supprimés dans l’hôpital public, contribuant ainsi à l’état de délabrement dans lequel il se trouve désormais. Gabriel Attal fait-il partie des conseillers qui travaillaient à justifier ces économies impopulaires et injustifiables ?
Qu’importe : en politique française, personne n’est vraiment comptable de son bilan. Les politiques bourgeois ont le “droit à l’erreur” et le “droit à l’oubli” puisqu’il est très rare que les journalistes rappellent leur bilan autrement que par quelques formules creuses, comme “ascension fulgurante” dans le cas de Gabriel Attal. Après tout, nous vivons dans un pays où Manuel Valls est encore invité partout et Jérôme Cahuzac, fraudeur fiscal et parjure, peut ramener sa fraise et dire qu’il a bien le droit de reprendre une vie politique normale.
Que retiendra-t-on de Gabriel Attal comme éphémère ministre de l’éducation ? Quelle recette miracle a-t-il mis en place pour redresser un service public à la dérive ? L’interdiction de l’Abaya et l’expérimentation du port de l’uniforme. Brillant ? Ou réactionnaire et raciste ?
Conclusion : dans une société de classe, tout ce qui brille pue
Dans son essai à succès Crépuscule, l’avocat et camarade de classe d’Attal Juan Branco dresse de lui le portrait d’un jeune opportuniste aux dents longues, qui a gravi les échelons, mue par rien d’autres que l’ambition et sans être doté du moindre talent, ce qui choque profondément l’auteur. Dans son livre comme dans les suivants, il dénonce les faux semblants de la clique au pouvoir et appelle de ses vœux le retour d’une classe politique et technocratique pour qui le talent et le mérite seraient la véritable clef de leur légitimité. Mais, sans doute trop imprégné des illusions de sa classe sociale (et par sa propre prétention à être un type génial), l’avocat rebelle oublie que Gabriel Attal n’est rien d’autre que le parfait prototype d’un jeune bourgeois “brillant”, c’est-à-dire qui brille aux yeux de sa classe sociale, de ses écoles, de ses partis politiques, de son univers étroit.
Oui, Attal est réellement brillant, il miroite la perfection bourgeoise. Et ni la banalité de son parcours, ni son réel bilan merdique ne viendront entacher cela. Mais parce qu’il brille, il pue. Il pue le réseau, la cuillère en argent dans la bouche, l’exclusivité scolaire, l’entre-soi des beaux quartiers, la politique de classe bourgeoise, qu’elle soit de droite ou “de gauche”. Il dégage l’odeur écoeurante des salons dorés et des lacrymos. Seules sauront l’effacer celle des pétards de manif, des braseros de piquet de grève et des feux de joies d’émeutes.
Nicolas Framont
Frustration est un média indépendant, 100% financé par ses lectrices et lecteurs. Vous êtes 1100 à donner chaque mois la somme de votre choix pour nous aider à continuer et à grandir, merci ! Vous pouvez les rejoindre, pour la durée de votre choix, et cotiser ainsi afin que tout le monde ait accès à Frustration gratuitement. C’est par ici !