Une petite musique est diffusée dans les reportages et les articles : le bilan d’Emmanuel Macron serait bon, comme en témoigne la baisse continue du taux de chômage et des prévisions de croissance correctes. La hausse du nombre de millionnaires et l’enrichissement considérable des actionnaires tendrait à montrer que le pays est un champion du capitalisme. « La réussite discrète de l’économie française » titrait Courrier International début août, reprenant un article du magazine britannique The Economist. Les membres du gouvernement ne sont pas en reste : le 27 août, Gérald Darmanin déclarait « Nous avons un bon bilan pour les classes populaires et moyennes, même s’il n’est pas toujours compris ». D’où viennent alors les difficultés financières dans nos entourages, pour nous-mêmes, et ce sentiment général que les choses vont mal, très très mal ? N’avons-nous « pas compris » tout le bonheur que nous vivons ? Pour cette rentrée, nous vous proposons notre bilan économique et social de la situation du pays. Disons-le d’emblée : elle est catastrophique.
« L’économie va bien »… Mais pour qui ?
En juillet dernier, le ministre de l’économie Bruno Le Maire se félicitait de la « performance remarquable » de l’économie française cette année. Pensez-vous, le PIB a augmenté de 0.5% au deuxième semestre. Un tel résultat « montre le succès de la politique économique que nous avons engagée depuis 2017 avec le président de la République » s’est réjoui le ministre.
Tout d’abord, notons qu’il prend l’indicateur qui l’arrange, car il en existe un autre qui en dit long : la balance commerciale, c’est-à-dire la différence entre ce que nous importons et ce que nous exportons. Bruno Le Maire n’en parle pas car elle est très déficitaire, et les secteurs où le pays est excédentaire où il produit vers l’extérieur, ne sont pas prometteurs : le tourisme nous tire par exemple vers le haut, avec un excédent de 2.4 milliards d’euros, mais à quel prix et pour combien de temps ? Lorsque l’invasion de locations touristiques rend les zones littorales et certaines villes inabordables pour celles et ceux qui y travaillent, et alors qu’il est de plus en plus avéré que le tourisme de masse est insoutenable d’un point de vue écologique et qu’il entretient des emplois faiblement rémunérés, on peut douter de l’intérêt d’une telle performance.
L’augmentation du PIB, dont il parle, la fameuse croissance, ne dit quant à elle pas grand-chose de la santé d’un pays, de nombreux économistes l’ont montré depuis des années. D’abord parce qu’elle ne prend pas en compte les nombreux échanges non monétaires ou profitables qui interviennent dans une société (entraide, travail gratuit, etc.) mais surtout parce qu’elle ne dit rien de la répartition de cette manne.
Or, dans une économie capitaliste comme la nôtre, la richesse produite est captée par une minorité tandis que les autres n’en voient quasiment plus la couleur. Et ce phénomène s’en renforcé depuis que Macron est au pouvoir : chaque année, un nouveau record de distribution de dividendes est atteint. Sur ce même deuxième trimestre où le PIB a donc augmenté de 0.4%, les dividendes distribués en France ont cru de 13.3% par rapport à l’année précédente. Cela veut dire que la captation de la richesse par quelques-uns avance beaucoup plus vite que la richesse produite au niveau national. Cela montre aussi que plutôt que d’investir dans l’économie, comme ils aiment qu’on décrive leur rôle, les actionnaires préfèrent accumuler. Ils se gavent, et c’est à ça que notre travail, désormais, sert principalement, car le gouvernement a mis en place les règles qui favorisent ce phénomène. Et la France est championne, car l’augmentation des dividendes est beaucoup plus forte qu’ailleurs, en Europe (9,7% de hausse) comme dans le monde (4.9%).
Cela permet au passage de rappeler que nous ne sommes pas, comme les idéologues bourgeois aiment le dire, dans une « économie de marché », où le dynamisme économique et les « lois du marché » alloueraient les richesses aux endroits qui les produisent. Nous vivons dans une économie de prédation ou, avec le soutien de régimes politiques, une classe sociale se nourrit de ce que nous produisons. En ce moment, nous en payons doublement le prix, car cette exploitation de notre travail distribuée ensuite en dividende se double d’une inflation record qui nous extorque le peu que nous gagnons, alors que plus rien ne la justifie. Selon l’association de consommateur UFC Que choisir, se nourrir en France coûte aujourd’hui 25 % plus cher qu’en janvier 2022…
Dire « l’économie va bien » n’a aucun sens. Il y a leur économie, et la nôtre. La nôtre, celle des travailleurs salariés ou indépendants, ou des chômeurs, va très mal, comme nous allons le voir.
Pauvreté : une hausse continue
Que penser des « performances » d’une société qui laisse dans la rue 300 000 personnes, alors que plus de 3 millions de logements sont vacants ? Le nombre de sans-abris a été multiplié par deux en dix ans, ce qui signifie que la responsabilité du gouvernement est très grande. Occupé à protéger les intérêts des propriétaires en faisant adopter une loi anti squat, promulguée en juillet dernier, il va encore favoriser les expulsions et contribuer à mettre davantage de gens dans les rues.
Les enfants sont de plus en plus touchés par l’extrême pauvreté : à ce jour, 1 990 enfants sont sans logement, soit 20 % de plus que l’an dernier (1 658), et 2,5 fois plus qu’en janvier 2022, selon le baromètre national de l’Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité, publié le 30 juillet.
D’autres indices de forte pauvreté sont apparus : en avril dernier, une étude portant sur les 30% de Français les moins aisés montrait que 42% d’entre eux se privaient d’au moins un repas par jour depuis le début de l’inflation. L’écrasante majorité d’entre eux ont réduit leurs achats alimentaires. Dans de nombreux départements, les Restos du cœur voient de nouvelles personnes arriver en masse. Dans la Marne, 30% de demandes supplémentaires ont été enregistrée cet été. Mais à cause de l’inflation des produits alimentaires, l’association elle-même est en grande difficulté : elle a annoncé début septembre qu’elle allait devoir réduire de 150 000 le nombre de ses bénéficiaires pour tenir le coup financièrement.
La pauvreté produit des effets sur la santé physique comme mentale : devoir compter le moindre euro contribue à des troubles anxieux qui peuvent s’aggraver avec le temps. Ces dernières années, la santé mentale des Français, en particulier des jeunes, s’est dégradée, comme l’indique la dernière étude de Santé Publique France.
La réforme de l’assurance-chômage, qui réduit la durée d’indemnisation, et celle du RSA, qui augmente les contraintes qui pèsent sur les allocataires des minima sociaux, sont deux facteurs d’augmentation de la pauvreté. Le message de ces deux évolutions est clair : obéissez ou bien crevez de faim. C’est le pays « avancé » dans lequel nous vivons.
Santé : anatomie d’une chute
En 2000, la France se partageait la première place, avec l’Italie, du classement des systèmes de santé du monde. Depuis, elle a largement décroché, occupant la 15e place en 2017. Au-delà de cette logique de classement, n’importe qui ayant eu à faire à notre système de soin a pu constater une forte dégradation. Le plus spectaculaire concerne les hôpitaux, où il est devenu possible de mourir sur un brancard, après des heures d’attentes vaines. Selon le syndicat SAMU-Urgences France, dont l’ex dirigeant n’était autre que l’éphémère ministre de la santé François Braun, il y aurait désormais 100 à 150 morts à l’hôpital par an pour défaut de soin. Des gens abandonnés à leur sort, alors que leurs proches les croient « pris en charge » par une institution qui n’a plus les moyens de le faire.
La situation de l’hôpital est connue de tout le monde : des effectifs insuffisants en raison d’un départ massif des soignant.e.s qui, malgré des mouvements de protestation récurrents depuis l’élection de Macron, sont maltraités et mal payés. Le départ est devenu le dernier mode de résistance, et les conséquences sont terribles : cet été, de nombreux départements avaient des services d’urgence tout bonnement fermés. La seule réponse concrète du gouvernement pour tenter d’endiguer cette situation a été de rendre les urgences payantes : depuis le 1er janvier 2022, il faut s’acquitter de 19,60€, non remboursés par l’assurance maladie. Les mutuelles s’en chargent, mais 3 millions de personnes n’en ont pas. Et ce sont évidemment les plus pauvres.
Les soins courants et la prévention, qui requièrent de consulter un médecin généraliste ou spécialiste se dégradent fortement en réseau de l’expansion des déserts médicaux. Si l’on prend l’exemple du département de la Charente-Maritime, « En prenant en compte l’offre médicale accessible à moins de 45 minutes de route, nous dit l’association UFC Que choisir dans sa dernière analyse, 18,9 % des enfants du département vivent dans un désert médical pour l’accès à un pédiatre ». C’est aussi le cas de « 33,3 % des femmes résidant dans la Charente-Maritime (qui) vivent dans un désert médical pour l’accès à un gynécologue”. C’est parfois pire : dans la Sarthe, 90% des médecins généralistes ne prennent plus de nouveaux patients. Cette situation touche aussi les banlieues des grandes villes.
Dans certains secteurs, la situation sanitaire du pays stagne ou se dégrade : c’est le cas de la santé dentaire, qui n’a rien d’anodin. 45% des Français renoncent à des soins en raison de leur coût, selon la Mutualité Française. Qu’a prévu le gouvernement ? De baisser la part de remboursement sécu des soins dentaires, de 70 à 60%. Ce sera aux complémentaires de compenser ce reste à charge.
Encore plus inquiétant, une étude de l’Observatoire de Santé a montré que la mortalité infantile progressait en France, et particulier en Ile de France. L’organisation des services de santé est mise en cause. Le suivi et le soin sont de plus en plus indigents, ce qui favorise cette mortalité. Cet indicateur a un sens : il nous montre les conséquences du « progrès » macroniste fantasmé sur l’état réel d’un pays.
Le tableau serait incomplet si nous omettions le problème des pénuries de médicaments. Selon une étude de France Assos Santé, “37% des Français ont été confrontés à une pénurie de médicaments en pharmacie” en 2023. Comme nous l’expliquions dans cet article, ces pénuries sont liées à la délocalisation de toute une partie de la production de médicament hors de France et à l’appétit financier des géants de l’industrie pharmaceutique. Certains admettent même que la pénurie leur permet de faire pression sur les Etats pour obtenir de meilleurs prix d’achat. Avec succès, dans notre cas : l’Amoxicilline, indispensable médicament antibiotique, va voir son prix augmenter de 10%, au terme d’un accord entre l’Etat et les fabricants. La démission est totale.
Travail : plus de risques, moins d’argent
Le gouvernement se réjouit chaque mois de la baisse du nombre de chômeurs. Et il est vrai que le nombre de chômeurs s’est stabilisé autour de 7.1%, moins que ce que nous avons pu connaître il y a plusieurs années. Mais le « halo du chômage », c’est-à-dire toutes les personnes qui recherchent un emploi sans être comptabilisées comme chômeur (parce qu’elles sont à temps partiel ou en emploi précaire ou parce qu’elles ne sont plus comptabilisées par Pôle Emploi) augmente de façon très régulière. Au premier trimestre 2023, elles étaient 1.95 millions, bien plus qu’en 2021 (1.5 millions). Le chômage de masse ne disparaît pas : mais les chômeurs sont forcés d’occuper des emplois précaires, insuffisants pour gagner leur vie et vivre dignement.
Mais comme le taux de chômage a été l’unique indicateur de bonne santé sociale du pays utilisé ces vingt dernières années, tout le reste est passé à la trappe. Qu’importe que les travailleurs pauvres et précaires soient bien plus nombreux : ce qui compte aux yeux des bourgeois, c’est qu’ils soient occupés. Aussi, se réjouir de la baisse du taux de chômage n’a pas de sens s’il ne s’accompagne pas d’une plus grande prospérité pour toutes et tous.
Parallèlement à ça, l’emploi dit stable a été dégradé et précarisé par les récentes évolutions législatives : en 2016 puis 2017, coup sur coup, le droit du travail a été considérablement affaibli par les socialistes (loi El Khomri notamment) puis les macronistes (Ordonnances Pénicaud). Désormais, nous en payons tous le prix : il est plus facile d’être licencié, moins facile de s’organiser sur son lieu de travail, moins facile d’être défendu.
Ce rapport de force défavorable aux salariés français s’est traduit par une grande faiblesse salariale. Alors que partout en Europe les salaires ont augmenté, sous pression de l’inflation, ce n’est globalement le cas en France. Le gouvernement a aggravé ce phénomène car il a favorisé l’octroi de faibles salaires. En effet, depuis 2008, de très nombreux dispositifs d’exonérations de cotisations patronales en remplacement se succèdent et se cumulent, et sont regroupés sur les salaires équivalents ou légèrement supérieurs au SMIC. Dès lors, « ces politiques créent des trappes à bas salaires (Lhommeau, Méry, 2009). Parce que les baisses de cotisations diminuent à mesure que le niveau de salaire augmente, des effets de seuil empêchent de voir progresser les revenus des personnes dont les employeurs bénéficient de baisses de cotisations. » explique l’économiste Bruno Palier, « Le mécanisme de baisse du coût du travail par la baisse des cotisations maintient donc de nombreux salariés dans des niveaux de revenus concentrés entre 1 et 1,5 SMIC »
Il existe donc une politique nationale en faveur du maintien des bas salaires. Celles et ceux qui en profitent sont les actionnaires : des salaires bas garantissent des dividendes élevés et, comme on l’a déjà vu, ils ne se privent pas en la matière.
Mal gagner sa vie et risquer de perdre son travail pousse à s’accrocher à son job et à ne pas faire de vague. Si l’on combine ce fait avec la réduction des prérogatives des syndicats et des représentants du personnel dans les entreprises, ainsi que la réduction comme peau de chagrin de l’inspection du travail, on comprend pourquoi la France est devenue championne d’Europe de la mort au travail. La mortalité au travail y est deux fois plus forte que la moyenne européenne. C’est une évolution récente, qui apparaît à partir de 2018, c’est-à-dire l’année où les réformes du code du travail votées précédemment ont produit leurs effets.
Au-delà de la mortalité, la souffrance au travail est en progression constante : en mars dernier, une étude montrait que 44% des salariés français s’estimaient en situation de détresse psychologique. Il faut dire que les contre pouvoir au management toxique, aux pressions de toutes sortes et au chantage à l’emploi sont moins forts qu’avant. Que compte faire le gouvernement face à cette épidémie de détresse ? Il veut réduire le nombre d’arrêts maladie liés à cette souffrance, qu’il a renommé « arrêts de complaisance ».
Forcer les gens à rester dans un emploi où ils sont mal payés et maltraités, et les faire travailler plus longtemps : c’est la feuille de route du gouvernement pour la suite du quinquennat.
Un bilan de régime bourgeois en roue libre
L’idée que le capitalisme est un système efficace qui génère de la prospérité et du progrès humain est largement contredite par les faits décrits plus haut. Quand on laisse le capitalisme fonctionner selon ses principes – l’enrichissement de ceux qui possèdent sur le dos de ceux qui bossent – cela produit des conséquences économiques et sociales lamentables.
C’est le cas en ce moment. Notre pays est dirigé par un ex banquier d’affaires omnipotent, en contact étroit avec les grands capitalistes que compte la France, et il s’emploie avec zèle et une passion certaine à leur offrir le plus possible. Pour donner un semblant de volonté de faire le bien de tous, le gouvernement peut utiliser des indicateurs qui sont très insuffisants pour saisir l’état réel du pays, comme la croissance du PIB ou le taux de chômage. Il dispose même de journalistes et d’économistes suffisamment complaisants pour aller raconter que tout va bien. De notre côté le noir pessimisme qui nous étreint toutes et tous en ce moment, cette sensation que la vie nous échappe et que tout enthousiasme collectif est derrière nous correspond bien à la réalité d’un bilan dont ce gouvernement devrait avoir honte. Mais il ressent de la fierté : la fierté d’enrichir ses semblables, et d’humilier encore davantage celles et ceux qu’il méprise.
Il n’y a plus rien à attendre, rien à demander, rien à espérer. Il n’y a pas de situation limite en-deçà de laquelle « ça va péter », « ça ne tiendra pas », « ils vont devoir se reprendre ». Ils continueront à nous tirer toujours plus bas et à transformer un pays prospère et redistributif en paradis pour riches touristes et gros propriétaires. Tant que nous ne les mettrons pas à terre.
Nicolas Framont