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« On gagnera si on peut rassurer. Et si on parle à la France qui réussit ». On dirait du Macron ? Eh bien, c’est du Bardella.  Il aime caresser les patrons dans le sens du poil, et ces derniers le lui rendent bien. Malgré les nombreuses mesures pro-entreprises mises en œuvre par Emmanuel Macron, une partie des milieux d’affaires se tourne désormais vers le Rassemblement National. Pour les attirer, Jordan Bardella a largement modéré sa critique de l’Union européenne et tourné son discours économique vers des positions néolibérales, comme à l’époque de Jean-Marie Le Pen. Il continue à faire semblant de défendre l’intérêt de la population, en mettant en avant de rares mesures « sociales », qui sont en réalité des escroqueries, profitant exclusivement aux entreprises. On vous explique tout.

Les milieux d’affaires sont ingrats. Ils n’en ont jamais assez. Depuis quelques mois, certains propriétaires d’entreprises se tournent vers le Rassemblement National, malgré les nombreuses mesures en faveur des entreprises mises en place par Macron ces dernières années. « Du côté des entreprises (…), tout ce dont elles rêvaient, ou presque, Emmanuel Macron le leur a donné. Sur le plan fiscal d’abord : baisse de 33 % à 25 % du taux de l’impôt sur les sociétés et fin de la surtaxe exceptionnelle (16,3 milliards d’euros rendus), baisse des impôts de production (11,1 milliards d’euros), suppression de la CVAE (7,8 milliards d’euros, net d’effet positif sur l’IS), pérennisation et montée en puissance des exonérations du CICE (5,2 milliards)… », résument les Échos.  « Les entreprises, enfin, ont obtenu, dès 2017, la simplification drastique du Code du travail qu’elles réclamaient à cor et à cri, notamment pour plafonner les indemnités de licenciement et sécuriser les embauches », ajoute le quotidien.

On ne saurait mieux dire. Les mandats de Macron ont été d’une grande efficacité ; aucun gouvernement n’avait jusqu’alors été aussi loin dans une politique pro entreprise. Mais ça n’est pas assez pour une partie du grand patronat. Les résistances des Gilets jaunes, la forte opposition à la réforme des retraites et l’absence de majorité absolue à l’Assemblée lui font craindre une impossibilité future de poursuivre les réformes. Une partie de la bourgeoisie bascule ainsi vers le RN. C’est le cas de grands patrons comme Bolloré, ou Henri Proglio, ex-PDG d’EDF et Veolia, mais aussi des petits patrons. En 2022, selon l’IFOP, Marine Le Pen a obtenu 51 % des suffrages des « artisans, commerçants et petits chefs d’entreprise » au second tour de 2022. Ce n’est pas un hasard si Jordan Bardella a passé une partie de sa campagne européenne à faire le tour des fédérations patronales.

Pour Marine Le Pen, les patrons sont « le poumon de la France »

Pour séduire les milieux patronaux, le RN a progressivement abandonné toute critique radicale de la construction européenne. Historiquement, le FN était favorable à la sortie de l’Union européenne. A partir des années 2010, le parti a nettement évolué sur cette question. Lors des élections européennes de 2014, Marine Le Pen a commencé à défendre l’idée d’un référendum sur la sortie de l’UE, plutôt qu’une sortie immédiate et inconditionnelle. Depuis 2020, le RN n’évoque plus la perspective de quitter l’UE ou l’euro, mais propose plutôt de réformer les institutions européennes de l’intérieur.

Un visuel signé Pascal Fitard

Ensuite, le RN est peu à peu revenu aux propositions économiques néolibérales de Jean-Marie Le Pen, qui avait été en partie et temporairement abandonnées pour conquérir l’électorat ouvrier au tournant des années 2010, sous l’influence notamment de Florian Philippot, qui fut vice-président de cette formation politique entre 2012 et 2017. Le RN avait alors essayé de tenir les deux bouts : rassurer les entreprises, tout en affichant des promesses sociales. Rappelons qu’en 2017, le FN proposait l’abrogation de la loi Travail, ce que même le Front Populaire aujourd’hui n’ose plus faire.

Changement de ton en 2022, Marine Le Pen allant devant le Medef pour dire aux grands patrons qu’ils sont « le poumon de la France ». Pour les élections présidentielles de cette année-là, il ne restait déjà plus aucune mesure « sociale » à part la nationalisation des autoroutes et une réforme des retraites plus favorables que le cadre légal en vigueur. Une fois élus à l’Assemblée nationale, les membres du RN n’ont eu de cesse de faire des votes contre les classes laborieuses. Ils ont voté notamment contre : le blocage des prix des produits de première nécessité, la gratuité des cantines scolaires pour les plus modestes, le gel des prix des loyers, la hausse du SMIC et l’indexation des salaires sur l’inflation.

Les deux seules mesures « sociales » du RN profiteront aux entreprises pas aux salariés

Aujourd’hui que le pouvoir est à portée de main du RN, ses mensonges sur sa prétendue défense de l’intérêt de la population apparaissent encore plus clairement. Il ne reviendra pas sur la réforme des retraites de 2022. Le retour à la retraite à 60 ans pour les personnes ayant travaillé avant 20 ans, l’une des mesures du programme de 2022, ne figurera pas dans la plateforme des législatives actuelles. Les deux seules réformes d’apparence sociale qui restent à ce jour dans le programme du RN sont l’incitation à la hausse des salaires et la baisse de la TVA. Les deux mesures sont complètement bidon. La première prévoit d’« exonérer de cotisations patronales les hausses de 10 % des salaires inférieurs à 3 Smic ». Une mesure purement incitative, qui n’impose rien aux entreprises, et qui ne sera pas suivie d’effets. Aucune entreprise n’accorde de tels niveaux de hausse générale de salaires, on voit mal comment cette exonération suffirait à les convaincre de le faire, d’autant plus qu’elles bénéficient déjà d’énormément de suppressions de cotisations sociales. C’est de la pure communication, qui n’engage à rien, et qui se résume à une subvention aux entreprises.

Seule autre réforme proposée par le RN dans son projet actuel qui pourrait apparaître, à première vue, sociale : la baisse de la TVA sur le carburant, sur l’énergie, l’électricité, le gaz et le fioul, ainsi que sa suppression sur 100 produits alimentaires et hygiéniques. En réalité, cette idée est un cadeau de plus aux entreprises. Les baisses de TVA leur profitent, car plutôt que de les répercuter sur leur prix, elles ont tendance à maintenir leur prix et à ainsi améliorer leur marge. Cela a été maintes fois documenté, notamment en ce qui concerne le bilan de la baisse de TVA dans la restauration mise en œuvre en 2009. Ainsi, ce que propose le RN, c’est en réalité un transfert d’argent (12 milliards d’euros d’après le RN) des caisses de l’État vers les entreprises. Autre mensonge de Jordan Bardella : il prétend, dans sa profession de foi, « combattre les déserts médicaux », alors qu’à l’Assemblée nationale les élus RN ont voté, l’année dernière, contre la proposition de loi régulant l’installation des médecins.

Jean-Philippe Tanguy, président du groupe RN à l’Assemblée, vient carrément de proposer que les services de la poste soient désormais réalisés par Amazon

Le RN va ces derniers jours encore plus loin dans sa politique patronale : Bardella enchaîne les déclarations où il s’engage à « arrêter la prolifération des normes excessives pesant sur les entreprises ». Il n’a plus que le mot flexibilisation à la bouche, même si rien n’est détaillé pour le moment dans son programme. La déréglementation concernera aussi les services publics : Jean-Philippe Tanguy, président du groupe RN à l’Assemblée, vient carrément de proposer que les services de la poste soient désormais réalisés par Amazon, pour économiser les 300 millions d’euros que coûte le service public postal. Autre nouvelle obsession de Bardella depuis qu’il est premier ministrable : la dette. « Si je deviens Premier ministre, je récupère un État dont la dette est à un niveau record », a-t-il notamment déclaré, anticipant déjà ses futurs arguments pour ne mettre en œuvre aucune mesure sociale s’il parvient au pouvoir. « « Si on ne rassure pas d’ici à quatre ans, il y a le risque qu’on soit confronté à une augmentation des taux d’intérêt. Moi, c’est ce que je souhaite éviter », déclarait-il déjà avant les élections européennes. La messe est dite.

Une haine profonde des syndicats

Le gouvernement commence à s’inquiéter de ce patronat qui ne s’oppose plus au RN. «  Il faut que les chefs d’entreprise disent « que […] si ce programme-là passe, on ferme nos usines et on supprime des emplois », insiste notamment Bruno Le Maire. « Votre programme économique est le plus marxiste qui n’ait jamais été proposé en France depuis une quarantaine d’années », s’était-il d’ailleurs enflammé à l’Assemblée quelques jours avant, en s’adressant aux élus RN à l’Assemblée nationale. Évidemment, c’est une stratégie du gouvernement pour renvoyer dos à dos les « deux extrêmes » : le programme du RN n’a absolument rien de marxiste. Il ne comprend en réalité aucune mesure de redistribution, rien qui aidera la population au quotidien. Ce n’est pas un hasard si aucun programme économique n’est présenté sur le site du RN. Même en 2022, rien de précis n’avait été diffusé, car le RN préfère rester dans le flou, pour faire croire à la population que ses propositions vont l’aider, tout en rassurant les patrons. Gageons que cette duperie sera suffisamment dévoilée pour que RN ne franchisse pas, dans quelques semaines, la dernière marche qui le sépare du pouvoir. Sinon on va vraiment tous morfler, car ce qui est clair, c’est la haine que vouent les dirigeants du RN au monde du travail.   « Les syndicats sont les croque-morts du monde économique et du travail, ils ne servent à rien », affirme notamment Louis Alliot, vice-président du RN, tandis que Marine Le Pen considérait, pendant la bataille contre les réformes des retraites de l’année dernière, que les syndicats « défendent leurs intérêts propres et pas l’intérêt des Français ». C’est cela le plus inquiétant : l’indigent programme social du RN tente vainement de masquer le mépris profond qu’ont ses dirigeants pour la population. Des mesures de répression terrible s’abattront sur les mouvements sociaux dès qu’il sera élu. Heureusement, il est encore temps d’y échapper.   


 Guillaume Etiévant


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