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Mardi 25 janvier 2022, l’ignoble Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur par ailleurs accusé de viols, annonçait avoir lancé la procédure de dissolution de Nantes Révoltée. Cette annonce vient intensifier le vertige autoritaire dans lequel nous sommes plongés depuis au moins une dizaine d’années. Au-delà de la solidarité évidente envers un autre média indépendant, nous comprenons bien, à Frustration Magazine, que l’interdiction d’un média n’est toujours qu’un début, et que si nous laissons faire bien d’autres suivront, pourquoi pas le nôtre un jour. 

Nantes Révoltée : c’est quoi ?

Nantes Révoltée est un média autonome, c’est-à-dire indépendant des partis politiques, des subventions de l’Etat, et non dépendant d’entreprises – ce que devrait être tout média un peu sérieux ne désirant pas être victime d’influences.

Ce dernier est très actif sur les réseaux sociaux, couvrant les mouvements sociaux (comme les Gilets Jaunes) et écologistes (par exemple Notre Dame des Landes), en particulier à Nantes, ville extrêmement active de ce point de vue, mais également au-délà. Engagé contre les injustices, il effectue également un travail de veille important sur les violences policières, l’extrême droite et les liens entre les deux

Nantes Révoltée est suivi par plus 200 000 personnes sur Facebook, ce qui en fait un média très populaire. 

Le média avait, entre autres, joué un rôle tout à fait crucial lors de la mort de Steve Maia Caniço, animateur périscolaire de 24 ans, suite à la charge policière contre des jeunes réunis pour danser un soir de Fête de la musique. Il avait ainsi relevé, parmi beaucoup d’autres choses, les liens de la police locale avec les groupuscules d’extrême droite, ou fait découvrir les blagues abjectes de celle-ci sur le sujet.

Frapper et emprisonner les opposants, interdire les manifestations, dissoudre les médias contestataires

Si la police française fait preuve d’une extrême violence à l’encontre des opposants politiques, comme dénoncé par l’ONG Amnesty International, ainsi que par l’ensemble des organisations internationales (ONU, Parlement Européen, Conseil de l’Europe, Cour européenne des droits de l’homme…), et des associations de défense des droits humains (Ligue des Droits de l’homme, Action Chrétienne pour l’abolition de la Torture…), elle démontre une hargne particulière à Nantes, en particulier depuis 2014 et la manifestation de février contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes restée célèbre comme un test grandeur nature des nouvelles méthodes policières à l’oeuvre désormais partout. Trois manifestants avaient d’ailleurs perdu un oeil, ce qui semble être devenu un risque normal pour quelqu’un souhaitant manifester en France depuis. 

Parmi les vitrines dégradées celle du magasin Zara, dont les preuves ont été apportées que le groupe s’approvisionne en textile auprès de fournisseurs utilisant le travail forcé des Ouïghours.

C’est dans ce contexte extrêmement tendu que des manifestations régulières contre les violences policières se déroulent à Nantes depuis près de 8 ans. Mais comme dans toute bonne dictature (ou “démocratie autoritaire” et autres euphémismes que les bourgeois affectionnent pour ne pas réaliser ce qui est pourtant droit devant eux, leur fameux “sens de la nuance”) : l’Etat ne se contente de pas de mettre en prison ses opposants, mais interdit également les manifestations contestataires, comme par exemple la marche blanche en hommage à Steve, les manifestations contre la “Loi Sécurité Globale”, les rassemblements de gilets jaunes… 

Mais comme si cela ne suffisait pas, l’Etat cherche désormais à interdire les médias ayant informé de la tenue de ces manifestations : c’est ce qui est reproché à Nantes Révoltée

Et d’ailleurs quel est le bilan de cette manifestation contre les violences policières et l’extrême droite, décrite comme chaotique, qui aurait tant “dégénéré” pour reprendre le terme préféré des journaleux ?

Les révélations sur les comportements de la police sont TOUJOURS le fait des médias indépendants comme Nantes Révoltée. 

C’est Le Monde qui nous l’apprend : 2 vitrines abîmées et une altercation avec deux personnes dans un bar accueillant des militants d’extrême droite.  Parmi les vitrines dégradées celle du magasin Zara, dont les preuves ont été apportées que le groupe s’approvisionne en textile auprès de fournisseurs utilisant le travail forcé des Ouïghours. Alors un vote de posture qui ne sert à rien sur la reconnaissance du “génocide des Ouighours”, ça oui, par contre une vitre cassée d’un groupe tirant bénéfice de l’esclavagisation en camps de travail de cette communauté, ça, certainement pas ! 

Dans tous les cas, l’évidence voudrait qu’un média ne puisse pas être tenu responsable des agissements d’un événement qu’il couvre : d’autant plus qu’en démocratie, la responsabilité d’un acte considéré délictueux en manifestation est individuelle et non pas collective.  

L’objectif du gouvernement : des médias aux ordres, tous possédés par les milliardaires dont il est au service.

Bref, comme on le savait déjà, pas besoin d’attendre Le Pen ou Zemmour pour avoir des autoritaires au pouvoir, et on rigole d’avance de ceux qui parleraient dans quelques mois de faire “barrage au fascisme” en votant Macron. 

Bien sûr, comme toujours, rien à attendre des “journaux” des milliardaires (ou dépendant entièrement de leur régie publicitaire et donc du capital, ou des subventions de l’Etat, pas la peine de nous la faire) qualifiant, comme Libération ou Marianne, Nantes Révoltée de “groupe Antifa”. Au delà du fait quand même étrange de considérer comme péjoratif le terme “antifasciste” ce qui permet de toujours situer sans trop se tromper quelqu’un politiquement, ce type de terme posé sans aucune once de vérification permet de donner toute sa validité à celui de “journalisme de préfecture“, c’est-à-dire des bons à riens, des fainéants relativement ignares et incultes, se prétendant journalistes mais se contentant de recopier avec la servilité la plus démonstrative possible les brèves et le lexique que leur fournissent la préfecture et le Ministère de l’Intérieur. Face à l’interdiction d’un média contestataire, disparu le sens bourgeois de la nuance : pas la peine d’aller sur place, pas la peine d’aller couvrir ces manifestations, pas la peine d’aller discuter avec la rédaction de Nantes Révoltée, pas la peine non plus de résumer comme nous venons de le faire une partie de leur travail et de ce que nous devons à leurs articles. 

La logique est la même que pour celle de la soi-disant “lutte contre l’islamogauchisme” à l’oeuvre à l’université : interdire les médias indépendants, dangereux pour les pouvoirs (policiers, politiques, économiques) en les qualifiant d’ “Antifas” (une fois que l’étiquette est collée, plus besoin de démontrer, plus besoin d’argumenter) et autres termes flous du même genre, tout en prétendant à la préservation de la pluralité grâce à une diversité de façade de médias : 20 Minutes, Le Monde, BFM, CNews… Tous possédés par une dizaine de milliardaires et vomissant à l’infini les mêmes banalités de la bourgeoisie autoritaire. C’est sûr qu’avec de pareils “chiens de garde”, les préfectures peuvent dormir sur les deux oreilles. 

Nantes Révoltée n’est, bien sûr, pas le premier média d’opposition visé : convocations répétées et perquisitions à Médiapart, journalistes entendus par les services de renseignement, arrestations et tabassage de journalistes, désindexation des pages par Facebook sans explication… mais constitue une énième mais très inquiétante poursuite de la fascisation en cours. 

Comment aider ? 

Plusieurs pistes si vous souhaitez agir pour défendre Nantes Révoltée, et à travers eux l’existence de médias libres :

  • Participer à la désintox : contrecarrer le discours officiel et les mensonges de l’Etat qui visent à légitimer cette interdiction violant tous les droits politiques les plus élémentaires dans une démocratie, à savoir ne pas faire face à l’arbitraire de la police, le droit de manifester, s’exprimer librement. Pour se faire vous pouvez partager cet article ou d’autres sur le sujet. 
  • Soutenir financièrement les médias indépendants, et particulièrement Nantes Révoltée, à la hauteur de vos moyens. Cela les aidera à faire face aux suites judiciaires → Pour faire un don à Nantes Révoltée c’est ici


Rob Grams