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Depuis l’épidémie de Covid, l’arrivée de sous-bourgeois et bourgeois Parisiens dans des petites et moyennes villes rurales enthousiasme autant qu’elle inquiète. Ces municipalités attirent, contribuant au développement de nouveaux services, mais éloignent et excluent encore un peu plus la classe laborieuse locale de son centre et de ses onéreux commerces. Ces néoruraux, pour l’essentiel issus des classes dominantes et dont la vision de la campagne reste citadine et bourgeoise, font évoluer les campagnes à leur image et les rendent dépendantes de leurs attentes. Bernay, en Normandie, illustre parfaitement ces évolutions qui ont lieu dans de nombreuses communes du pays. 

À peine arrivé dans la toute petite gare de Bernay, un espace « work-station » détonne et attire notre attention. Un peu plus loin, aux abords du centre-ville, affiché sur le portail d’un parc municipal, on peut lire que « la wifi est disponible et gratuite ». « On n’a pas de PC portable et on n’a jamais télétravaillé de notre vie, mais c’est gentil d’y avoir pensé ! », ironise une aide-soignante à la retraite, Mireille*, bernayenne depuis une trentaine d’années et installée à la terrasse d’un café, à proximité du parc. Lucide, elle sait très bien qu’elle n’est pas la cible de tels dispositifs, « je ne prends jamais le train, je n’étais même pas au courant qu’il y avait cet espace de travail et la wifi dans le parc », ajoute t-elle. 

La cible, ce sont les Parisiens des classes dominantes, de jeunes cadres ou des chefs d’entreprise qui viennent s’installer dans cette ville de 9951 habitants, à une heure trente de Paris en train. Un argument de taille pour ces néoruraux : « J’ai pris une carte du réseau ferroviaire, j’ai retiré la grande banlieue à une heure de Paris et retranché tout ce qui était à plus de deux heures du cercle que j’ai tracé avec un compas; j’avais 12 villes sous les yeux et plusieurs mois pour toutes les visiter, en mode week-end AirBnB. Compiègne, Nogent, Montargis, Blois. On cherchait une petite ville et on est tombés sur Bernay », raconte le cadre en informatique à la BNP et ex-parisien Nicolas, venu s’installer il y a déjà dix ans, bien en avance sur son temps. Comme lui, depuis le premier confinement du printemps 2020, ils sont très nombreux à venir s’installer dans cette petite ville de Normandie, malgré « l’absence de recul chiffré », renseigne la mairie. La grande majorité d’entre eux télétravaille et effectue des allers-retours Paris-Bernay. Dans le train, il bénéficient de la 4G et de portes-bagages au-dessus des sièges parfaitement adaptés pour y glisser leur petite sacoche noire de cadre pressé, mais aucun autre bagage trop encombrant. 

Attractivité, attractivité, attractivité

«Bobo, le bien, le bon, le beau» – un tiers lieu éco-responsable -, des espaces de « coworking », un hôtel des entrepreneurs pour organiser des séminaires d’entreprise… À proximité de la zone industrielle de la ville, les espaces « chill » dans des hangars abandonnés, où l’on sert de la bière bio lors d’« afters-work », se sont multipliés et ont remplacé des quartiers d’usine. La ville s’adapte à ses nouveaux locataires, mais bénéficie d’autres atouts : un climat tempéré en ces temps de réchauffement climatique, à une heure de la mer en train – Deauville, ville balnéaire prisée des parisiens fortunés -, une architecture médiévale conservée et une ville peu onéreuse, au regard du niveau de vie élevé des cadres parisiens. «Bernay, c’est la campagne à la ville», résume fièrement Cédric*, enseignant et habitant de longue date.

La petite bourgeoisie locale mise alors sur la recherche d’attractivité pour attirer ces nouveaux résidents. Ou plutôt, de nouveaux « clients », pour Benoît Négrier, ex-directeur de la communication de l’Intercom Bernay « Terres de Normandie », qui observe une « vraie vague évidente depuis le premier confinement ». Bernay, dont la population est vieillissante et légèrement en déclin1, comme dans la plupart des petites villes de campagne2, espère attirer une classe parisienne aisée. Celle dite des «créatifs», urbaine, relativement jeune – trentaine et quarantaine -, aisée, connectée et domiciliée dans de grandes villes comme Paris, Londres ou encore Amsterdam3. Bernay, nouvelle place to be

« Bernay, c’est la campagne à la ville »

Cédric*, enseignant et habitant de longue date

Au centre d’affaires, près de la gare, on y trouve une location de bureaux – environ dix euros par mois le mètre carré -, dont l’objectif est de capter des personnes extérieures. Durant l’entretien d’une dizaine de minutes, Benoît Négrier prononcera le terme «attractivité» une dizaine de fois. Pour faire face à « la paupérisation grandissante de Bernay en quinze ans, il faut niveler par le haut avec des CSP+ pour créer de nouveaux services, sans oublier quand même le quotidien des locaux ». Et ajoute, d’un air satisfait : « On a fait des ateliers google (référencements, profils, etc), à destination de personnes qui ont des micro-entreprises, avec l’Echo – ndlr : le quotidien local. On souhaite également développer le tourisme d’affaires, on veut vraiment miser là-dessus ». Des activités qui plairont, sans nul doute, à notre ex aide-soignante Mireille. 

À l’instar du cadre en informatique Nicolas, les néoruraux télétravaillent et sont toujours employés à Paris. En quoi peuvent-ils stimuler l’activité, doper les services publics ou créer de nouveaux emplois intéressants, bien payés et aux bonnes conditions de travail ? Bernay est, encore aujourd’hui, un désert médical, avec seulement une petite poignée de médecins traitants pour un peu plus de 9000 habitants – davantage si on comptabilise les villages alentour. Depuis le 18 janvier 2022, Jonathan Gouin, âgé de 32 ans, est l’un des rares médecins traitants du coin. À son arrivée, il avait accumulé plus de 1300 demandes, en seulement deux semaines : « La moyenne en France, c’est 800 patients par médecin. Depuis, j’en accepte encore, malgré mes 60 heures de consultation par semaine, pour atteindre 1200 patients. Et j’en refuse encore tous les jours ! » Un rendez-vous avec un gynécologue ? Direction Lisieux, à 30 minutes en voiture de Bernay, et prier pour qu’il ne soit pas disponible seulement dans deux mois.  

Surtout, « attractivité » rime avec consommation. Et ils consomment, les Parisiens. La maire de droite Marie-Line Vagner en est donc « ravie » : « On a vu, avec le Covid, l’arrivée massive de Parisiens. Ils ont une manne financière plus importante, ils consomment beaucoup dans le centre-ville. Pour nous, c’est un vrai plus. Ils ont racheté pas mal de propriétés, des restaurants ont ouvert, on n’avait pas d’offre importante et de qualité avant ». Parmi ce « nous » employé par la maire, les promoteurs immobiliers, qui se frottent les mains depuis l’arrivée de ces vagues massives. A Bernay, on compte neuf agences immobilières. Un chiffre très élevé selon Pierre Ringenbach, agent immobilier chez Orpi : « Un ami m’a dit “il n’y a que des agences et des banques chez vous !” » L’« euphorie » des parisiens dès la sortie du premier confinement a « naturellement fait monter les prix, ayant des moyens supérieurs aux locaux, de beaucoup même, selon la typologie du bien », telles que les maisons « typées normandes », pour lesquelles les néoruraux ont les moyens financiers de réaliser certains travaux de rénovation. Stéphanie*, institutrice, constate que la valeur de son bien est passée, en deux ans, de 142 000 euros à 230 000 euros, « on ne pourrait même pas l’acheter aujourd’hui ! », s’indigne-t-elle. « Les locaux achètent ainsi très peu et attendent de pouvoir le faire peut-être dans quelques années, même si je ne crois pas que le marché de l’immobilier va redescendre », précise Pierre Ringenbach, avant de poursuivre, pragmatique, « tous les mois, la concurrence est forte sur le marché, en mode qui va remporter la vente, ce qui fait grimper les prix de tout le monde, donc on doit surévaluer les biens quand même, on n’a pas le choix… ».

« On a vu, avec le Covid, l’arrivée massive de Parisiens. Ils ont une manne financière plus importante, ils consomment beaucoup dans le centre ville. Pour nous, c’est un vrai plus. Ils ont racheté pas mal de propriétés, des restaurants ont ouvert, on n’avait pas d’offre importante et de qualité avant. »

Marie-Line Vagner, MAIRE DE BERNAY

En plus des promoteurs immobiliers, des boutiques et des restaurants à destination de ces classes dominantes urbaines, situés dans le centre ville, profitent également de cette nouvelle manne financière. C’est le cas de la petite boutique de mode haut de gamme « Mod’l ». Sa propriétaire Asani Merita confie, sourire aux lèvres, qu’elle a eu « plein de nouvelles clientes depuis le Covid ». Les prix des vêtements de sa boutique sont relativement élevés, mais pas pour l’ex-chef d’entreprise et parisienne Christine, installée depuis deux ans. Âgée de 64 ans, elle habite dans une maison proche de son centre équestre afin de profiter d’une « vie sans stress ». « Ils ont de l’argent et une façon de consommer qui est différente, et ne font pas les timides contrairement aux locaux qui peuvent être plus fermés », analyse, sans ménagement, la propriétaire. Sa boutique apporterait un petit côté « chic » à la ville, « qui l’eût cru ! ». Sa source d’inspiration ? La « mode parisienne » qui serait, aujourd’hui, le « sport chic »

« Un petit producteur local très sympathique ! »

Les locaux de Bernay désertent le centre-ville la semaine. Ils prennent le bus ou la voiture matin et soir pour aller travailler, notamment à l’hôpital public, le plus important employeur de la ville, comme dans de nombreuses petites municipalités rurales – avec les centres commerciaux -, et vivent dans les quartiers populaires alentour, comme Bourg-le-Comte ou le quartier du Stade. C’est lors du marché du samedi matin qu’ils viennent dans le centre-ville et croisent les néoruraux, sans pour autant se côtoyer. Les cadres parisiens apprécient faire leurs courses dans un « marché atypique d’un village comme Bernay », racontent, enthousiastes, Mathieu et Cécile, un couple de trentenaires, « on fait du repérage quelques jours pour devenir propriétaire d’une petite maison ». Ce jour-là, ils en ont profité pour acheter quelques légumes bios d’un petit producteur local « très sympathique ! ». 

Cette agriculture bio est particulièrement présente sur le marché et les prix sont, par conséquent, assez élevés. Les locaux aux revenus modestes se tournent alors vers des discounts pour faire leurs courses alimentaires, implantés à l’extérieur de la ville, comme les « très sympathiques » Lidl ou Aldi. Le marché est davantage « un lieu de sociabilité que de consommation pour nous », explique celui que l’on surnomme Hibou, âgé de 34 ans et qui vit à Bernay depuis plusieurs années. Il y a beaucoup de gens sur le marché qu’il ne reconnaît pas aujourd’hui : « Les Parisiens, on les reconnaît au premier coup d’œil ! », s’amuse t-il, « l’attitude, le look BCBG propre sur eux, des vêtements colorés… Les locaux, moins aisés, c’est le contraire : des habits ternes et ils portent parfois des joggings ». Hibou décrit les néoruraux parisiens comme on décrirait la sous-bourgeoisie citadine, dont fait partie l’artiste et professeure de musique Christelle*, au salaire parisien avoisinant les 3000 euros net – ce que gagne également son compagnon. Âgée de 46 ans, elle effectue des allers-retours réguliers Paris-Bernay depuis décembre 2021 et loue son logement à Paris. Cela lui permet d’acheter sa maison sur deux étages et de pouvoir, enfin, réaliser son « propre potager ». « J’attends que mes enfants terminent très bientôt leur scolarité pour m’installer définitivement à temps plein », précise-t-elle. 

« Les Parisiens, on les reconnaît au premier coup d’œil ! L’attitude, le look BCBG propre sur eux, des vêtements colorés… Les locaux, moins aisés, c’est le contraire : des habits ternes et ils portent parfois des joggings. »

HIBOU, 34 ANS

Pour des adolescents et des jeunes actifs, l’absence de vie nocturne, de magasins ouverts 24h sur 24 et la possibilité de se faire livrer à n’importe quelle heure peuvent être en effet assez mal vécues. « Il y a une exigence de la part des néoruraux d’un mode de vie citadin et libéral qui peut nuire à nos acquis sociaux, sur certains secteurs de la vie commune, qui ne sont pas adaptés ici : manger après 14h, le dimanche où tout est fermé… », alerte Pascal Didtsch, « une pression sociale nouvelle ». Le tissu social d’une petite ville à la temporalité plus lente, garante de certains acquis sociaux, serait menacée par l’importation d’un mode de vie cadre de la « start-up Nation » parisienne, où tout va toujours plus vite. L’organisation du travail n’est pas la même dans une petite ville de campagne comme Bernay, où des employés et des commerçants risquent de « s’exploiter eux-mêmes, se disant qu’il faudra travailler plus, mais pour quel résultat ? », déplore le conseiller municipal. 

De la gentrification rurale 

De nouvelles demandes écologiques et d’aménagement du territoire témoignent également de cette importation d’un mode de vie citadin. Le phénomène porte un nom: la « greentrification4 », ou la gentrification rurale. La sociologue Greta Tommasi raconte dans un écrit intitulé « une fleur au service de l’entre-soi dans le Périgord » comment des cadres néoruraux, dans une commune en Dordogne, ont instrumentalisé la question écologique contre la classe laborieuse locale. Ils ont ainsi prétexté la présence d’une fleur rare à préserver sur un terrain de construction de logements sociaux afin d’empêcher la construction de ces derniers, plus que par une réelle conscience écologique. 
« On revoit les emplacements des bus pour faciliter la venue en ville, on intègre de la mobilité douce, il y a des pistes cyclables autour de Bernay, de la végétalisation », énumère la maire Marie-Line Vagner. Même s’il peut y avoir des effets positifs sur la mobilité urbaine, la voiture reste nécessaire pour aller travailler ou se rendre chez son gynécologue à 30 minutes. « Ils ont finalement une vision très citadine de la ruralité, ces néoruraux ! », s’amuse Pascal Didtsch. Pourtant, cette petite ville rurale est loin d’être aussi polluante et polluée qu’une capitale comme Paris. Dans la mesure où les loyers et les prix d’achat augmentent dans le centre du fait de l’arrivée des Parisiens qui télétravaillent la plupart du temps, cela contribue au développement de la voiture – les bus sont certes gratuits, coûtant moins chers à la collectivité, mais restent peu nombreux – pour se déplacer, tandis que les prix des carburants augmentent fortement depuis janvier 2022. La majorité des Français vit de plus en plus loin de son lieu de travail – l’hôpital public de Bernay, par exemple -, et c’est l’Agence nationale de la cohésion des territoires qui nous l’apprend : entre 1982 et 2008, la distance moyenne entre domicile et le travail a augmenté de 9 à 14,7 km5
Bernay, « c’est la campagne à la ville », confiait Cédric. Avec la bourgeoisie néorurale, c’est le XIe arrondissement parisien à la campagne. Nicolas, le cadre en informatique à la BNP, qui vit à Bernay depuis maintenant dix ans, a été surpris par la facilité de s’intégrer au « microcosme bernayen », qui ressemblerait à celui d’un « quartier en métropole ».

Cette gentrification inquiète Pascal Didtsch, le plus « ancien conseiller municipal de la ville », comme il se présente lui-même. « On a une gentrification qui transforme les conditions d’accueil des gens précaires qui vont plus facilement dans des locations peu onéreuses et se retrouvent plus à la périphérie ». Si on se promène dans Bernay, il nous est impossible de rater ce charismatique sexagénaire aux cheveux longs et aux lunettes rondes. Blagueur et bavard, il connaît l’histoire de la ville sur le bout des doigts et s’arrête toutes les minutes pour saluer quelqu’un qui passe dans la rue. Il s’alarme d’une forme de « cannibalisation » des commerces qui sont plutôt inspirés de grandes villes, au détriment des traditionnels qui disparaissent. « Il y a de nouvelles choses qui apparaissent, comme un nouveau cinéma, et la population rajeunit un peu», tempère t-il, « mais il ne faut pas que ça ne bénéficie qu’à une partie de la population ! ». La bourgeoisie locale, en somme, bien loin du fantasme d’une supposée « France périphérique » opposée à la « France des grandes villes » et en particulier aux quartiers populaires – aux Arabes et aux Noirs, pour faire simple. 

N’en déplaise à la sociabilité heureuse de Nicolas, un amer sentiment d’exclusion se développe peu à peu chez de nombreux locaux des milieux laborieux. Une lecture de classe face au phénomène des néoruraux en France s’impose, au-delà du coq qui chante trop tôt le matin dans des villages et dérange les nouveaux arrivants Parisiens, mais occupe la presse bourgeoise en manque de folklore rural dépolitisant

Stéphanie, institutrice dans la périphérie de Bernay depuis sept ans et originaire de Normandie, considère que cette bourgeoisie parisienne fait « grandir la misère sociale ». Une misère qu’elle côtoie au quotidien dans ses salles de classe, car « les miséreux sont encore plus nombreux mais noyés, cachés ». Le lundi, une majorité de néoruraux vont à Paris, lors de leurs allers-retours quotidiens. Les commerces sont fermés, il n’y a quasiment personne dans les rues, une véritable « ville fantôme », selon Pascal Didtsch. Plusieurs personnes plus ou moins âgées attendent de recevoir leur café à 50 centimes près d’une église, comme Jacques*, retraité de 65 ans qui touche le minimum vieillesse. La misère sociale, jusque-là rendue invisible, apparaît. 

The Simple Life 

Vers midi, à l’abri bus, Vanessa*, âgée de 54 ans, attend sa navette pour rejoindre son quartier, à la périphérie de la ville. Fatiguée, levée depuis 5h du matin, elle revient de l’hôpital public. Elle est agent d’entretien et travaille également chez des particuliers la journée pour alléger ses fins de mois difficiles. Lorsque l’on évoque les néoruraux, Vanessa ne mâche pas ses mots : « Les Parisiens, on ne les côtoie pas du tout, tout augmente avec eux. Ils repartent souvent le dimanche et le lundi, et reviennent le mercredi ou le jeudi. Nous, les prolos, on reste seuls ici, avec les retraités. Ils votent chez nous alors qu’ils ne connaissent pas du tout nos réalités. Pour nous, c’est tous les jours la merde ! » Une partie non négligeable des néoruraux rencontrés au cours de cette enquête retournent à Paris passer la longue période hivernale de novembre à mars, à l’exception des fêtes de fin d’année. Ils sont à la recherche d’une forme d’authenticité tendance film de Noël diffusé sur Netflix : la cheminée composée de ses bûches, le décor champêtre environnant, les pierres murales. En somme, la campagne l’hiver sans ses aléas quotidiens : problèmes pour se chauffer, absence de vie culturelle, sociale et nocturne, commerces et médecins lointains. S’ils tentent l’aventure hivernale, leur nouvelle vie « The Simple Life » peut s’avérer fastidieuse et certains préfèrent ainsi rebrousser chemin avant d’enchaîner les épisodes dépressifs, ce qui arrive assez fréquemment.

« Les Parisiens, on ne les côtoie pas du tout, tout augmente avec eux. Ils repartent souvent le dimanche et le lundi, et reviennent le mercredi ou le jeudi. Nous, les prolos, on reste seuls ici, avec les retraités. Ils votent chez nous alors qu’ils ne connaissent pas du tout nos réalités. Pour nous, c’est tous les jours la merde ! »

VANESSA*, 54 ANS

Au premier tour de la présidentielle de 2022, Emmanuel Macron arriva en tête avec un peu plus de 30% des voix, soit cinq points de plus que Marine Le Pen et 13 points de plus que Jean-Luc Mélenchon. Aux législatives de juin et juillet 2024, Renaissance fait 56% et le Rassemblement national progresse légèrement : 43% et il arrive en tête dans toute la circonscription. L’avenir de Bernay se joue-t-il entre les mains des néoruraux parisiens ? « Je ne pense pas qu’on sera trop dépendants des néoruraux, à l’avenir. On les écoute, on les écoutera, mais tout le monde également. On prend des cabinets d’études qui connaissent bien la société et celle de demain, même si ça coûte un peu cher… », relativise la maire. Dans un bar du centre-ville, un barman s’exclame, fataliste : «Les néoruraux, c’est l’avenir de la ville, on est obligés de composer avec eux, qu’on les apprécie ou pas, on n’a pas vraiment le choix. » Un client rétorque : « Depuis quand de riches Parisiens doivent décider de notre sort ? Faut pas non plus se laisser marcher dessus ! » Plusieurs clients abondent en son sens. Le début de quelque chose ?

* Les prénoms ont été modifiés. Si autant d’habitants souhaitent préserver leur anonymat, c’est parce que « tout le monde se connaît ». A contrario, les néoruraux parisiens ont moins peur d’être reconnus car de manière générale, être à visage découvert est moins risqué pour les classes dominantes : il y a peu de chance que leur employeur les sanctionne – ils sont parfois leur propre employeur – et si les relations se dégradent avec leur voisinage, ils peuvent aisément partir vivre ailleurs ou retourner à la capitale. D’autant plus qu’afficher leur nouveau mode de vie dans la presse leur permet de gagner en capital symbolique.


SELIM DERKAOUI

Photo : La charentonne à Bernay. Par Stanzilla — Travail personnel, CC BY 3.0

  1. «Recensement. Bernay passe sous la barre des 10 000 habitants», Actu.fr, 8 janvier 2021. ↩︎
  2. «Les trajectoires de décroissance démographique des villes petites et moyennes en France (1962-2016)», «Population, temps, territoires», Ivan Glita.  ↩︎
  3. «Grandes villes et bons sentiments», Le Monde diplomatique, Benoît Bréville, novembre 2017. ↩︎
  4.  «Socio-cultural representations of greentrified Pennine rurality», «Journal of Rural Studies», octobre 2001, D.P.Smith and D.A.Phillips. ↩︎
  5. Évolution de la distance et de la durée des déplacements du domicile vers un lieu de travail fixe et régulier, 1982, 1994 et 2008, «Observatoire des territoires», 2022. ↩︎

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