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Les profits explosent tandis que les salaires stagnent et le “pouvoir d’achat” baisse en raison de l’inflation : le capitalisme nous frappe tous de sa violence et médias comme politiques jouent les étonnés. 3 minutes pour comprendre l’origine de cette situation et les façons simples d’y mettre fin. 

Les profits ont une fois de plus explosé en 2021, tandis que les salaires ne suivent pas cette courbe :

Les profits cumulés des entreprises du CAC 40 (les 40 plus grandes capitalisations françaises) ont excédé 137 milliards d’euros en 2021. Les entreprises du CAC 40 ont versé aux actionnaires près de 70 milliards d’euros la même année, sous la forme de dividendes ou de rachat d’actions. Soit une hausse de 15% par rapport au précédent record historique de 2007 (57 milliards d’euros). En sachant qu’en 2021, c’est le bénéfice de l’année 2020 qui est versé et celui-ci était en partie dû aux aides publiques (activité partielle notamment).


Les dividendes et les rachats d’actions : deux modalités de rémunération des actionnaires.  
  • Les dividendes sont la partie du profit net annuel de l’entreprise qu’ils se versent directement dans leur compte en banque. 
  • Les actionnaires peuvent demander à l’entreprise qu’ils détiennent qu’elle leur rachète une partie de leurs actions et les détruise. Cela augmente ainsi leur rémunération immédiate et cela soutient le cours de bourse, car il y a du coup moins d’actions en circulation. Ce mécanisme est autorisé en France depuis 1998, sous le gouvernement Jospin. Une fois de plus, ce sont les socialistes qui ont mis en place cette déréglementation financière. 

De nombreuses entreprises ont gelé les salaires en 2021. En France, la médiane d’augmentation des salaires ne s’est établie qu’à 1,4% en 2021. Cela signifie que la moitié des Français ont été augmenté de plus de 1,4% et la moitié des Français de moins de 1,4%. 

Cela est d’autant plus insupportable que le niveau d’inflation, dû en particulier à la hausse des coûts de l’énergie et aux pénuries de matières premières, a été très élevé (2,8% sur un an).

Cette situation était-elle prévisible ?

La presse et le gouvernement font semblant de s’en étonner. M. Le Maire a affirmé souhaiter que le rebond de la croissance française de 7 % en 2021 se traduise enfin « en espèces sonnantes et trébuchantes pour tous ceux qui travaillent » en sachant pertinemment que ça n’arrivera pas. Le Monde y a même consacré sa une cette semaine, sans à aucun moment faire le lien de causalité entre cette situation et les politiques mises en place ces dernières années. Ce n’est pas très juste tout ça, ose courageusement affirmer France Inter

Cette situation était prévisible, elle ne vient pas de nulle part. Déjà le patronat avait tout au long de l’année 2021 diffusé sa propagande sur le fait qu’il fallait faire attention, car la hausse des salaires allait créer de l’inflation. Le président du Medef avait par exemple asséné qu’« une augmentation des salaires , c’est aussi une augmentation des prix ». À travers le 20ème siècle, on ne constate pourtant pas de corrélation systématique entre les hausses de salaires et les périodes de fortes inflations. Nous vous invitons à lire l’excellent article de Romaric Godin à ce sujet dans Mediapart.

Derrière cet argument bidon, se cache la volonté pour le patronat de ne pas augmenter les salaires pour ne pas diminuer leur profit. Il ne souhaite en aucun cas modifier le partage de la valeur ajoutée pour que sa répartition aille davantage vers les salaires et moins vers les profits. Pire encore, aujourd’hui la situation sanitaire a donné le prétexte à de nombreux grands groupes pour faire des plans de licenciements, pour réaliser des économies sur le dos des salariés et ainsi augmenter les profits. C’est cette alliance de casse sociale et de croissance économique qui créent les profits très importants des entreprises cette année.

Une fiction a été mise en avant selon laquelle les négociations permettraient cette hausse des salaires. Certains partis politiques se prétendant de gauche en font d’ailleurs l’une des thématiques de leur campagne présidentielle. Yannick Jadot s’engage à mettre en place des « négociations pour revoir à la hausse les échelles des salaires », Christiane Taubira  à « consulter les partenaires sociaux ». Les deux n’ont pas l’air de savoir que cette obligation légale de négocier les salaires annuellement dans les entreprises existe depuis des décennies, mais n’aboutit le plus souvent qu’à des augmentations nulles ou dérisoires.  

Lors des derniers mois, c’est par la grève que les plus importantes hausses de salaires ont été obtenues ; on pense notamment au groupe Mulliez qui a dû accorder 3% d’augmentation aux salariés de Décathlon et 4% à ceux de Leroy Merlin suite à des grèves et des actions syndicales.

Si les salaires n’augmentent pas, c’est en partie parce que les réformes du droit du travail ont liquidé une grande partie des droits des syndicalistes, et qu’ils ont beaucoup moins de moyens pour peser dans le rapport de force avec les employeurs, en particulier depuis les ordonnances Macron de 2017. Le droit du travail est souvent un thème peu mis en avant dans les campagnes présidentielles car la plupart des candidats n’y connaissent rien et n’ont jamais été salariés eux-mêmes. Ils y voient donc une grande complexité et ne préfèrent pas trop en parler. Par contre, une fois arrivés au pouvoir, l’une des premières mesures prises est de s’y attaquer : la (mal-nommée) Loi de Sécurisation de l’Emploi, qui a facilité les licenciements économiques, a été l’une des premières lois de Hollande. Les ordonnances Macron ont été la première réforme du dernier quinquennat. Dans les deux cas, ces candidats avaient pourtant à peine évoqué le sujet pendant leur campagne. Cela permet de contenter le Medef et la Commission européenne, qui exigent ce type de réformes, à peu de frais, et sans grande opposition politique.

Quelles solutions face à cela ?

  • Indexer les salaires sur l’inflation, c’est-à-dire faire en sorte que les salaires augmentent automatiquement parallèlement à la hausse des prix. Ce qu’on appelle l’échelle mobile des salaires a existé en France de 1952 à 1982, quand Mitterrand a mis fin à cet héritage fondamental de notre modèle social au nom de la modernisation du pays. Et cela existe encore dans certains pays, en Belgique, par exemple.
  • Construire un code du travail qui renforce les syndicats face au patronat : aujourd’hui les NAO (négociations annuelles obligatoires) imposent de négocier, mais ces négociations peuvent aboutir simplement à un désaccord entre syndicats et l’employeur, qui du coup exerce la politique salariale unilatéralement. Des augmentations générales (au-delà de l’inflation) devraient être une obligation légale, hors motif économique détaillé par l’employeur et accepté par les syndicats. Par ailleurs, les syndicats devraient avoir pour interlocuteurs dans ces négociations les réels décideurs (dirigeants de groupe, actionnaires, etc.), qui ne sont souvent pas basés en France, ce qui n’arrive quasiment jamais aujourd’hui.
  • Socialiser progressivement les entreprises : les mesures visant simplement à réduire la rémunération et le pouvoir lié à la détention du capital (fiscalité dissuasive, diminution des droits conférés par la propriété, plafonnement des dividendes, extension des droits des salariés, etc.) n’attaquent pas la source de l’exploitation et seraient facilement susceptibles d’être abrogées si une majorité au pouvoir le souhaitait. Il faut donc viser l’abolition de la rémunération du capital, et non pas uniquement « mieux répartir les richesses ». Une proposition pour cela pourrait être de socialiser le capital des entreprises progressivement par la loi.  
profits salaires 2021

Concrètement, chaque année, 60% du bénéfice réalisé serait la propriété collective du CSE (ou d’un Conseil des salariés spécifique) et resterait dans les fonds propres de l’entreprise. Cette part des fonds propres donnerait lieu à l’émission de nouvelles actions de l’entreprise, qui octroierait au Conseil des salariés les droits de vote équivalent à leur pourcentage de détention de l’entreprise lors de l’Assemblée générale des actionnaires. Ces titres, appelés actions du travail, ne donneraient pas droit à dividende et seraient incessibles, c’est-à-dire qu’ils ne pourraient pas être vendus. Cela permettrait de substituer progressivement les capitaux rémunérés par des capitaux non rémunérés. Sur les 40% restants, les actionnaires pourraient soit se les verser en dividendes, soit les affecter aux fonds propres de l’entreprise. Avec ce système, plus les actionnaires se verseraient des dividendes, plus ils en perdraient rapidement la propriété et donc le contrôle.


Guillaume Etiévant