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“C’est une réforme de bon sens” nous dit François Lenglet, l’économiste à lunettes, face à Yves Calvi sur RTL. Les deux bonshommes se marrent en parlant de la réduction d’un quart de la durée d’indemnisation des chômeurs lors d’une “période verte”, où le chômage serait faible et la vie plus facile. Cette réforme est tellement “de bon sens” qu’elle intervient sans que les deux précédentes, appliquées au cours des deux dernières années, n’aient pu être évaluées. Il faut dire que c’est la fuite en avant pour la bourgeoisie : continuer à détruire notre modèle social et économiser sur le dos des gens pour enrichir les riches, tant que “ça passe”, comme le théorisait l’ancien premier ministre Edouard Philippe.

De quoi s’agit-il ?

Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a annoncé qu’à partir du 1er février 2023, la durée d’indemnisation baisserait pour tout le monde de 25%. Jusqu’à présent, un jour de travail équivalait à un jour d’indemnisation chômage cotisé, avec une durée maximale de deux ans pour les moins de 55 ans (et 36 mois pour les seniors). C’est pour cela que l’on payait nos cotisations sociales pendant des années, jusqu’en 2018 : depuis, les salariés ne payent plus de cotisations pour leur propre chômage. Les cotisations salariales chômage ont été supprimées et le manque à gagner a été compensé par l’Etat, donc par le contribuable. A l’époque, c’était présenté par le gouvernement comme un formidable gain de pouvoir d’achat (20 balles par mois, dans mon cas, depuis amplement bouffé par l’inflation) mais il s’agissait d’une façon de reprendre le contrôle sur le système, auparavant géré conjointement par les syndicats et le patronat. 

Le gouvernement ne se gêne pas pour amputer un quart de ce pourquoi nous avons cotisé durant des années.

Pour autant, c’est toujours par notre travail que nous finançons le chômage : les employeurs paient des cotisations sur nos salaires. Et par nos impôts, nous finançons désormais l’assurance-chômage. Pourtant, le gouvernement ne se gêne pas pour amputer un quart de ce pourquoi nous avons cotisé durant des années.

Pour déguiser ce rapt de nos droits, le gouvernement annonce une condition dont la stupidité n’échappe qu’aux grands journalistes de ce pays : cette amputation d’un quart n’aura lieu que durant les “périodes vertes”, c’est-à-dire lorsque le chômage sera inférieur, comme c’est le cas en ce moment, à 9%. Les “périodes rouges” à 9% et plus, ou lorsque le chômage sera en progression de 0,8% par trimestre, verront le rétablissement de la durée standard. C’est vraiment nous prendre pour des lapins de six semaines : ce sont des organismes gouvernementaux qui délivrent ces chiffres, et les tactiques pour les minimiser sont nombreuses. Comme nous l’expliquions dans cet article, les chiffres officiels du chômage ne disent rien du type d’emploi créé (mal payé, à temps partiel subi, précaire, par exemple) et exclut de sa comptabilité tous les gens hors-jeu (le “halo du chômage” ! les personnes découragées non inscrites à Pôle Emploi, les personnes en formation, les temps très partiels subis etc.). 

Cette “période verte” ne tient pas non plus compte du fait que le chômage n’est pas réparti de la même manière sur le territoire, et qu’un taux national cache des disparités régionales. Ainsi, un taux de chômage faible en Bretagne pourrait pénaliser les chômeurs d’Occitanie, comme le démontre ce député FI face à un macroniste complètement désemparé face à ses arguments :

La “période verte” ne tient pas non plus compte des périodes de difficultés économiques comme celles que nous traversons : l’inflation galopante, en particulier des produits alimentaires, prend à la gorge tout le monde, en particulier les chômeurs dont on rappelle que la moitié ne sont plus indemnisés, tandis que les autres gagnent en moyenne 1050 par mois.

Nous forcer à accepter n’importe quoi : une réforme de soumission au patronat

Mais c’est toute la stratégie du gouvernement, quasi explicite : il s’agit de prendre les chômeurs à la gorge en les forçant à accepter n’importe quel job, qu’importe son lieu, sa nature, ses conditions.

Selon le ministère du Travail, il y aurait 373 100 emplois vacants au troisième trimestre 2022. Ce chiffre, agité sans cesse par le gouvernement pour montrer la force de son raisonnement, cache d’abord le fait que ces emplois vacants peuvent l’être pour de bonnes raisons : du temps très partiel, des conditions irréalisables…

Mais surtout, le nombre d’emplois vacants reste extrêmement inférieur au nombre de chômeurs : 3 164 200 inscrits en catégorie A à Pôle emploi au troisième trimestre 2022. Il faut y ajouter 2 206 900 exercent une activité réduite (catégories B, C) et 730 000 personnes qui sont dans les catégories D (en formation) et E (en contrat aidé ou en cours de création d’entreprise).Ce chiffre est encore inférieur au nombre réel de chômeurs, puisque nombre d’entre eux ne sont pas ou plus inscrits. Mais même en mettant ce chiffre en rapport avec le nombre d’emplois vacants (qui peuvent, une fois encore, être à temps très partiels), on obtient un emploi disponible pour 15 chômeuses et chômeurs ! La concurrence va être rude !

Ce trimestre, il y a un emploi vacant pour 15 chômeuses et chômeurs

Mais c’est précisément ce que le gouvernement veut, pour satisfaire le patronat, notamment celui de la restauration, qui subit la grande démission et aimerait retrouver un salariat soumis, prêt à tout pour travailler afin de ne pas crever de faim. Tout gouvernement attentif à l’intérêt de sa population aurait travaillé à augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail pour résoudre ce problème des “postes vacants”. Mais non, le nôtre préfère le chantage à la survie pour pousser à retourner au turbin à n’importe quel prix et dans n’importe quelles conditions.

Derrière la succession des réformes, l’objectif d’en finir avec l’assurance-chômage

Mais un objectif de fond demeure : économiser 4 milliards d’euros par an, ce que cette nouvelle réforme va permettre, comme les deux précédentes. Ce régime forcé vise à transformer un droit pour lequel nous cotisons et payons des impôts en un aumone très conditionné. 

Nos droits et nos protections collectives se réduisent, mais nous payons toujours autant, voire plus. Mais là où nos impôts et cotisations servaient à nous assurer mutuellement, ils servent de plus en plus à une seule chose : faire remonter la moula au patronat et aux actionnaires. Chaque année, l’Etat dépense 157 milliards d’euros pour le soutien aux entreprises privées. Et c’est nous qui coûtons cher ?

Cette réforme n’est qu’une étape. Cela continuera, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Du moins, tant que “ça passe”.


Nicolas Framont