La réforme des retraites, qui se résume à ce stade au recul de l’âge de départ à la retraite, est l’obsession de Macron qui en a fait une affaire personnelle. C’est aussi l’étendard de la bourgeoisie et de toutes les forces politiques conservatrices depuis plusieurs décennies. La majorité des Français s’y oppose et pourtant ce sont eux qui auraient mal compris. Vraiment ? Passage en revue des arguments les plus courants en faveur de la réforme, tous mensongers.
1 – « Il est impératif d’allonger la durée de cotisation pour sauver le système de retraites »
C’est un argument phare de la réforme, mais il n’a pas toujours été au cœur du discours de Macron et de ses ministres. En 2019, lors de la première tentative de réforme (censée instaurer un « système par points », souvenez-vous), l’objectif n’était pas de nature financière, mais « d’équité » entre les salariés (sauf les policiers, dont le régime spécial était sauvé, ça alors). Il y a quelques mois, il ne s’agissait pas de sauver le système de ses déficits mais de pouvoir financer d’autres dépenses publiques, « l’école, la santé, le climat » décrivait Le Monde en septembre, sans plus de précisions.
Mais désormais, c’est le classique argument de l’équilibre financier du régime qui revient sur la table. Or, rien ne permet de dire qu’il est en péril. Pas même le dernier rapport du Comité d’Orientation des Retraites (COR), daté de septembre 2022 et qui affirme que “les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite” : c’est écrit noir sur blanc dans son dernier rapport, page 9. Concrètement, ce rapport présente 4 scenarii possibles de trajectoires budgétaires pour notre régime de retraite, et un seul présente de forts déficits, sans pour autant créer de péril imminent. Il faut aussi pointer les limites de ce genre de projection : elles ne tiennent pas compte d’éventuels changements systémiques forts comme ceux liés à la crise climatique ou à un changement de système économique, dont on ne peut pas connaître l’impact sur l’équilibre du régime. On reste dans les bornes étroites de l’imagination d’un groupe de technocrates.
Enfin, le gouvernement feint de croire que l’allongement de la durée de cotisation est la seule et unique façon d’améliorer l’équilibre financier du régime. En réalité, d’autres solutions existent, comme la hausse des cotisations salariales et patronales : d’abord en augmentant les salaires, ce qui augmente(ra) mécaniquement le volume de cotisations. Ou bien en décidant de relever le pourcentage de cotisations payées : l’économiste Michaël Zemmour démontre par exemple que pour amener le système à l’équilibre d’ici 2027, il faudrait augmenter les cotisations de 0,8 point d’ici là, ce qui représente 14€ par mois pour un salarié au SMIC. C’est évidemment discutable, mais le gouvernement ne se gêne ordinairement pas pour nous faire payer davantage. S’il n’y pense pas, c’est qu’il ne veut pas réellement rééquilibrer le système : ce qu’il veut vraiment, c’est nous faire travailler davantage sans mettre à contribution le patronat.
Nous savons donc ceci :
- Aucune étude ne démontre de menace sérieuse pour l’équilibre des finances de notre régime de retraites, quand bien même le nombre de retraités augmente.
- Le gouvernement n’est pas au clair sur la raison de la réforme, tantôt il dit que l’enjeu n’est pas financier, ensuite il dit vouloir dégager du budget pour d’autres secteurs (sans préciser clairement lesquels), tantôt il agite l’argument du péril financier.
- Or, rien ne démontre que le système est en péril.
- Et il est tout à fait possible de le rééquilibrer par d’autres moyens. En bref, l’argument financier, c’est de la foutaise.
2 – « On vit plus longtemps, il faut donc travailler plus longtemps »
Voici le vrai-faux argument de « bon sens » de tous les partisans du report de l’âge de départ. Il a l’apparence de la logique, mais l’apparence seulement.
Tout d’abord, l’espérance de vie n’est pas la même pour tout le monde : certaines catégories de la population vivent moins longtemps… à cause de leur travail : il y a le cas extrême des égoutiers, dont la surmortalité est avérée, mais aussi, d’une façon générale, des ouvriers, dont l’espérance moyenne de vie est inférieure de 6 ans à celle des cadres (cela vaut pour la population masculine, l’écart est moindre concernant les femmes). Des tendances se développent et ont un impact sur l’espérance de vie : le travail de nuit, qui concerne deux fois plus de salariés qu’en 1990, a en la matière un impact décisif.
Les plus pauvres sont les plus touchés par la mortalité précoce. Selon le chercheur en sociologie Alessio Motta, à 65 ans, un tiers des 5% les plus pauvres sont déjà décédés, contre 6% des 5% les plus riches. Plus on augmente l’âge de départ à la retraite, moins les pauvres peuvent y survivre…
Ces conditions de travail difficiles engendrent des incapacités de travailler (suite à des maladies professionnelles ou des accidents du travail, dont la France est la triste championne d’Europe) bien avant la retraite, tandis que le manque d’attractivité des seniors pour les entreprises crée du chômage : par conséquent, selon la DREES (organisme statistique rattaché au ministère de la santé), seules 58% des personnes arrivés à la retraite étaient en emploi l’année précédant leur retraite. Les autres sont en incapacité, au chômage ou, dans une proportion de plus en plus faible avec les années, en préretraite. Il y a une grosse inégalité entre les femmes et les hommes : 69% des hommes nés en 1946 étaient en emploi au moment de la retraite contre 54% des femmes, qui sont davantage touchées par les incapacités de travailler, nous dit la DREES.
On y apprend enfin que 51% des femmes nées en 1946 ont connu des années de non-emploi (chômage, maladies, absences etc.) entre 50 et 67 ans, et voient par conséquent leurs droits à la retraite dégradés. C’est le cas de 41% des hommes nés en 1946.
Plus d’un tiers des personnes qui arrivent à la retraite dans le système actuel sont susceptibles d’avoir des droits à la retraite moindres et certaines sont contraintes de travailler après 62 ans. Imaginez ce que cela donnerait avec un départ fixé à 65 ans ! Encore plus de personnes n’y parviendront pas, et auront des retraites très dégradées. Et pas n’importe qui : les femmes plus que les hommes, les ouvriers et les employés plus que les cadres. L’injustice est flagrante.
Ensuite, c’est parce que l’on travaille moins longtemps que l’on peut vivre plus longtemps. Des conditions de travail dégradées sont un fort déterminant de l’espérance de vie : le stress régulier ainsi que les horaires décalés ont un impact très significatif. Or, tant que nos organisations du travail sont aussi pathogènes, que les contre-pouvoirs salariés et sanitaires y sont de plus en plus faibles comme c’est le cas depuis plus de dix ans, on ne peut pas espérer que cela s’améliore.
3 – « Pour ceux qui ont des métiers difficiles, on prendra en compte la pénibilité »
Le grand jeu des gouvernements, face à cet argument, est de dégainer la « prise en compte de la pénibilité ». Ils nous avaient déjà fait le coup la dernière fois, et nous y avions répondu : créer une usine à gaz de la reconnaissance de la pénibilité d’un emploi, c’est diviser les travailleurs, et transformer une logique collective – la sécurité sociale pour toutes et tous – en revendication individuelle, fort difficile à obtenir (nos carrières n’étant jamais de longs fleuves tranquilles).
Le débat est politique : avec tous les gains de productivité gagnés – terme économique pour désigner le fait qu’une personne qui travaille en France produit plus de richesses aujourd’hui qu’il y a trente ans – que doit-on faire ? En profiter pour travailler moins longtemps et ainsi vivre mieux, ou bien travailler toujours plus et vivre moins longtemps en bonne santé, certains moins que d’autres ?
4 – « Macron a été élu sur cette réforme, il ne fait qu’appliquer son programme »
Durant le premier tour de l’élection présidentielle 2022, le président-candidat assumait effectivement de vouloir repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Mais durant sa campagne de second tour, pour s’attirer les électeurs de gauche face à Le Pen, il a infléchi son discours, parlant d’une retraite à 64 ans.
Mais qu’importe finalement : le second tour de l’élection présidentielle n’a pas donné à Macron un électorat de convaincus. C’est pour empêcher Marine Le Pen d’accéder au pouvoir que ceux qui ont voté pour lui l’ont fait, tandis que les autres s’abstenaient massivement, pas pour ses beaux yeux et encore moins pour sa réforme des retraites. Les Français ont été tellement peu convaincus par son programme qu’ils étaient deux tiers à souhaiter qu’il n’ait pas de majorité parlementaire pour l’appliquer. Dont acte : il n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale et doit donc gouverner à grand coup de 49.3. On ne voit vraiment pas quelle légitimité démocratique il aurait à imposer un report de l’âge de départ à la retraite auquel… seuls 11% des Français se disent “très favorables” !
Il faut de toute façon arrêter avec la légitimité d’un président à appliquer son programme : nous sommes toutes et tous lassés d’un système qui donnerait le droit au candidat en tête, tous les 5 ans, de faire absolument tout ce qu’il veut, avec le soutien des forces de police. Ce n’est pas ça la démocratie : élu ou pas, si Macron fait passer sa réforme, il se comportera comme un despote. Ce faisant, nous aurons toute légitimité à nous soulever contre lui.