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L’adoption d’un couvre-feu dans les métropoles est un aveu de nullité de la part de Macron, en plus de tester à nouveau notre capacité à accepter une aveugle soumission. Pendant ce temps, l’explosion des inégalités sociales et l’augmentation monstrueuse de la pauvreté est en train de faire de nombreuses victimes.

Ma mère, Fatima, regarde ses factures avec une grande attention, au centime près, lunettes sous les yeux. “Avec 650 euros de RSA, dont la pension alimentaire est déduite, par mois et à deux, ce sera encore des patates et des œufs à midi !”, s’amuse t-elle, gardant le sourire. Agée de 58 ans et atteinte d’un léger handicap au bras qui l’empêche de travailler comme aide maternelle, elle vit à Caen avec ma petite sœur âgée de 22 ans, Inès, dans un petit HLM. Elles ont aussi une aide personnalisée au logement (APL) d’une centaine d’euros. Un tiers des mères seules vivent sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec des revenus de moins de 1063 euros par mois.

Que propose Macron ? 150 euros de prime avec 100 euros de plus pour chaque enfant pour les six semaines à venir, en “faveur” des personnes qui disposent du RSA et d’une APL. Alors que l’on sait désormais, ô surprise, que la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) s’est accompagnée d’un fort accroissement de la fortune des 0,1 % des Français les plus riches. Les précaires auront quelques miettes, à défaut d’une véritable justice sociale et fiscale.

On apprend, jeudi 15 octobre par Matignon, que seuls les bénéficiaires du RSA et de l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) toucheront cette aide de 150 euros. Si vous cumulez RSA et APL, comme ma mère, vous toucherez finalement que 100 euros. “C’est de pire en pire…”, me souffle Inès, dépitée. Lorsque l’on vit à dix euros près, cette baisse est loin d’être un simple détail comptable.

Depuis cet été, les temps s’aggravent. Ma sœur ne peut plus exercer ses activités artistiques le soir depuis le confinement, afin de gagner un peu “d’argent de poche familial”. Ayant trouvée un job rémunéré à un peu plus de 600 euros, le RSA baisse automatiquement d’environ 300 euros. Une perte importante certes légèrement compensée par les primes d’activité, mais enclenchées seulement à partir de… début 2021. 23% des Français éprouvent des difficultés financières pour manger trois repas par jour, selon le Secours populaire. Ma mère en mange un seul et unique par jour. 

Sur les années 2019 et 2020, combien de morts du chômage sont encore à prévoir ?

Dans le cadre des plans sociaux qui pleuvent actuellement sur le pays, près de 57.000 ruptures de contrats de travail sont envisagées par les entreprises contre 18.500 en 2019 sur la même période. Ces plans peuvent être largement évités car ni justifiés, ni nécessaires, comme nous l’avions démontrés. Combien d’hommes, de femmes et de familles, voient ainsi leurs vies bousillée et gâchée ? Selon la Banque de France, 800 000 suppressions d’emplois sont attendues au total en 2020. En 2016, l’on comptait déjà 14 000 morts imputables au chômage, selon un rapport du Cese. Reprenant une étude de l’Inserm, il précise que “10 à 14 000 sont imputables au chômage en France par maladies chroniques, hypertension, rechute de cancer”. Sur les années 2019 et 2020, combien de morts à prévoir encore, dans l’indifférence générale ?

La santé des moins riches a pourtant déjà été largement sacrifiée. On le savait déjà, mais l’enquête nationale EpiCov, lancée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et publiée cette semaine, le confirme. On y apprend également qu’au début de l’épidémie, les 10% les plus riches étaient les plus touchés et qu’au mois de mai, après deux mois de confinement, la tendance s’inverse car ce sont les plus pauvres qui étaient les plus exposés à la maladie (et notamment les personnes issues de l’immigration post-coloniale). On a pu, comme d’habitude, compter sur eux pour aller bosser sans qu’ils puissent télétravailler, tandis que la fraude patronale au chômage partiel s’élevait à six milliards d’euros. Sans compter les 20 milliards d’euros offerts aux grandes entreprises du pays, mais également les pertes colossales dues au Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) mis en place par ce cher socialiste François Hollande.

Couvre-feu, la France au garde-à-vous

“Nous n’avons jamais vécu une situation pareille depuis la Seconde Guerre mondiale, et il y a urgence”, affirme la responsable associative de Secours populaire. En septembre 2020, leur baromètre de la pauvreté ne fait pas plus de vague que cela dans le petit monde médiatico-politique, plus prompts à applaudir les soignants. Quelques dépêches, ici ou là. Rien de plus. Des soignants qui manifestent ce jeudi 15 octobre contre leurs conditions de travail qui se détériorent, malgré les leçons de la première vague de Covid-19, et réclamer des lits de réanimation et du personnel hospitalier. Ils bénéficieront, à la place, de fermetures de bar et d’un “couvre-feu” autoritaire et discriminant : les non télétravailleurs/euses paieront la note des ratés de l’exécutif (facs, écoles, entreprises, hôpitaux, transports) et l’expression métro, boulot, dodo n’aura jamais été aussi vraie car, cette fois, juridiquement contraignante. Notons, au passage, que des couvre-feux existaient déjà en Guadeloupe sans que cela indigne pour autant la France métropolitaine.

Décidément, Emmanuel Macron vit dans une start-up nation, où l’on organise des “party” comme en école de commerce parisienne ou à Sciences po. Derrière cette politique d’un gouvernement bourgeois, c’est l’expérimentation permanente de notre capacité à accepter des restrictions de liberté toujours plus grandes. Dans les rues de Paris, en attendant, les files d’attente pour les distributions alimentaires continuent de s’allonger, en plus des précaires pré-confinement : familles monoparentales (femmes seules pour l’essentiel, comme Fatima), personnes âgées, étudiant(e)s, mais aussi intérimaires, ou travailleurs indépendants, selon le Secours populaire. Les jeunes travailleurs et travailleuses de moins de 25 ans ne bénéficieront d’aucune aide d’urgence, car sans enfants et ne peuvent prétendre au RSA.

On n’en peut plus de vos grands discours paternalistes sur l’argent, la pauvreté, la morale

Pendant ce temps, et après avoir disserté sur le “monde d’après” à longueur de tribunes gonflantes, ou la “République” et “l’universalisme”, certain.e.s pensent déjà aux régionales en 2021, à “l’union de la gauche” en 2022… Ils s’agacent de l’énième polémique raciste sur twitter issue de la chaîne Cnews, ou se réjouissent du Pape et de ses récentes déclarations sur le néolibéralisme et les pauvres, déclarations qui concurrencent celles de l’acteur Vincent Lindon quelques mois plus tôtJuste avant de retourner, en bon comédien qu’il est, sa veste comme il se doit.

Les grands discours paternalistes sur l’argent, la pauvreté, la morale, comme si ceux-ci pouvaient avoir la moindre importance et, surtout, incidence sur nos vies, notre quotidien et nos luttes, n’en finissent plus de pleuvoir eux aussi. “Ô peuple précaire de France, votre Salut est entendu par les bourgeois de ce monde et ta rédemption de gueux et de gueuse, lavée et dissoute à jamais”. Je ne suis pas certain que, dans l’immédiat, l’immédiat seulement bien sûr hein, mon entourage familial, ou les personnes dans des situations comparables (croyantes ou non, par ailleurs), y soient particulièrement sensibles. Ma foi, je me trompe peut-être.

Pour visibiliser ces difficultés du quotidien, que l’actualité en continue balaie d’un revers de la main, notre rubrique “Vos Frustrations” l’a permis et le permet toujours. 

En complément de nos propres recherches, il suffit de nous écrire afin de pouvoir témoigner, dans l’anonymat le plus total si vous le souhaitez, à l’adresse suivante : redaction@frustrationmagazine.fr. Car des situations semblables à celle que nous avons décrite, il y’en a des milliers, partout en France. Cela peut ainsi prendre la forme d’un court témoignage, ou bien d’un petit entretien. 

Pour consulter les précédents témoignages de notre catégorie “Vos Frustrations” : https://www.frustrationmagazine.fr/category/vos-frustrations/ 

Selim Derkaoui