C’est une séquence dont seule BFM TV a le secret : en plein débat public sur la nécessité de lutter contre “l’absentéisme” des fonctionnaires, le député macroniste Karl Olive apparaît dans sa campagne, en veste mi-saison, bien loin de l’hémicycle où se tient la discussion autour du budget du pays. Interrogé sur son absence en plein dans cette séquence, il “assume le fait de ne pas faire le concours Lépine de la présence à l’Assemblée Nationale quand on n’a pas grand-chose à y faire de façon concrète et alors qu’on peut être plus efficace dans nos collectivités et faire avancer le texte en commission”. Comme d’habitude, les macronistes remportent le prix des phrases qui ne veulent rien dire puisque le concours Lépine est un concours d’invention, donc aucun rapport. Ensuite, on pourrait rappeler que si les députés sont élus dans des circonscriptions, ils ne sont en rien élus locaux et n’ont donc en théorie rien à faire “dans nos collectivités”. Les députés n’ont globalement aucun compte à rendre sur leur taux de présence – parfois ridiculement bas – à l’Assemblée. C’est pareil au Sénat : un sénateur accusé d’avoir drogué à son insu une députée ne siège plus mais perçoit entièrement sa rémunération. Le procès du Rassemblement National montre qu’il en est de même au Parlement Européen. Mais est-ce là dessus que l’attention du gouvernement se porte ? Pas du tout : ce sont les arrêts maladies des fonctionnaires qui sont au cœur du débat public. Ils seraient trop nombreux et il faudrait augmenter les jours de carence dans la fonction publique.
Un traitement médiatique mensonger de “l’absentéisme”
L’absentéisme est le terme utilisé par les politiques et par les journalistes, qui ne se posent pas la moindre question sur le choix de ce mot. Il rappelle d’abord le système éducatif : un élève absentéiste, c’est un élève qui sèche les cours, qui contrevient à l’obligation scolaire. En utilisant ce terme, on fait comme si tous les arrêts de travail étaient tendanciellement abusifs.
L’accusation d’abus est devenue, ces dernières décennies, le principal argument de la réduction progressive de la protection sociale. Le procédé est très simple : on pointe celles et ceux qui abusent du système pour critiquer celui-ci, et ce, sans prendre le temps de prouver et de quantifier l’ampleur de la fraude supposée. Les profiteurs du RSA, ceux du chômage, ceux des allocations sociales… On mélange le tout, on en parle comme une évidence et surtout on ne parle jamais de celles et ceux dont la fraude volontaire est la plus coûteuse pour la sécurité sociale : les patrons qui fraudent les cotisations et les professionnels de santé qui exagèrent leurs facturations. Oui, comme nous le montrions dans cet article, c’est ça qui nous coûte le plus, et pas la “fraude des usagers”… Dans le cas des arrêts maladie, le terme “absentéisme” permet de ne même plus parler de “ceux qui abusent”. La pratique en elle-même devient par extension abusive, et qu’importe le fait qu’elle soit ultra encadrée, puisqu’un arrêt maladie s’obtient après consultation d’un médecin, et pas par l’opération du saint esprit.
Les abus potentiels sont déjà ultra anticipés, à l’excès, par l’assurance-maladie. Des visites de contrôles peuvent se faire au domicile des personnes en arrêt, une contre-visite peut être demandée par l’employeur. Les médecins eux-mêmes sont contrôlés, au point que certains d’entre eux dénoncent un véritable “harcèlement”. On est donc très loin d’une pratique abusive incontrôlée, au contraire !
Il y a un domaine où le terme d’absentéisme au travail est utilisé sans connotation négative ou soupçon d’abus de masse : la santé au travail, discipline pour laquelle l’absentéisme est un critère de mesure utilisé par les services de ressources humaines. Le taux d’absentéisme d’une entreprise peut-être aussi utilisé par les représentants du personnel (le CSE, qui a les prérogatives de l’ex-CHSCT) pour estimer le caractère accidentogène ou pathogène d’une organisation du travail. Quand le taux d’absentéisme est élevé, et si cela s’accompagne d’un important turn-over, on peut supposer que l’entreprise rend les gens malades ou les expose à des accidents du travail. Cela sert le plus souvent à pointer la responsabilité de l’employeur qui, selon le Code du travail, est responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés.
Le cadrage politique et médiatique de “l’absentéisme” diffère complètement de cette approche : les absences pour arrêts maladies sont d’abord traitées comme une tare des salariés, et surtout des fonctionnaires, et une preuve de leur manque d’engagement au travail. Ils seraient trop souvent malades et, plutôt que de se demander pourquoi ils le sont, on essaie de les décourager de l’être. C’est le plan du nouveau ministre de la fonction publique, Guillaume Kasbarian, qui porte ce projet : il envisage d’économiser 1,2 milliard d’euros avec l’augmentation des jours de carence dans le secteur public, de 1 à 3, et par le plafonnement à 90 % de la rémunération les trois premiers mois d’un congé maladie ordinaire, contre 100 % à l’heure actuelle.
Combattre les arrêts pour dégrader la santé des travailleurs
Doit-on perdre son temps à démontrer la stupidité de ce projet ? D’abord, le ministre fait comme si les arrêts maladies étaient globalement abusifs, avec une utilisation particulièrement légère, alors qu’ils sont le résultat d’un diagnostic médical. De plus, les études montrent que les gens ont davantage tendance à venir travailler malades qu’à utiliser abusivement leurs arrêts. L’argument de l’alignement du public sur le privé ne fonctionne pas non plus : ce n’est pas le cas partout. Par exemple, en Alsace-Moselle, qui bénéficie d’un régime de sécurité sociale séparé du reste du pays, le salaire est maintenu intégralement pour tous dès le premier jour d’arrêt. Une inégalité dont personne ne parle jamais. Ensuite, certaines conventions collectives prévoient des cas différents : la branche des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil (Syntec) prévoit l’indemnisation par exemple les salariés dès le premier jour d’arrêt et pendant 90 jours, à condition toutefois d’avoir un an d’ancienneté dans l’entreprise. D’autres entreprises cotisent à des dispositifs de prévoyance complémentaires qui permettent cette prise en charge. Ainsi, le ministère de la santé estime à deux tiers la proportion de salariés du privé qui ne subissent pas les jours de carence.
En dehors de ces mensonges, le principe même du jour de carence est complètement contraire à l’esprit du code du travail, qui fait de l’employeur le responsable de la santé au travail. En faisant payer les salariés et les assurés sociaux, on dédouane le patronat et les responsables du secteur public de leur responsabilité. Par exemple, en France, contrairement à la Belgique, l’épuisement professionnel ou burn out n’est pas reconnu comme une maladie professionnelle (c’est possible dans de rares cas qui nécessitent une procédure de reconnaissance longue et fastidieuse). En Belgique, où il est mesuré, le nombre de burn out a augmenté de 43% en 5 ans. L’épuisement professionnel, on l’expliquait dans cet article, n’est pas un simple coup de fatigue. C’est un épuisement émotionnel particulièrement activé par des organisations du travail violentes, frustrantes et/ou absurdes. Tiens, ça ne nous rappelle rien ? Si, celles des fonctionnaires de la santé, de l’éducation ou du social qui ne cessent de voir leurs conditions de travail se dégrader, parallèlement à la qualité du service rendu et leur rémunération réelle.
Si l’on veut lutter efficacement contre l’absentéisme au travail, il faut revoir son organisation et sa finalité. Mais ce n’est pas ce que compte faire le gouvernement. Sa mesure est donc purement idéologique : elle sert à envoyer un signal aux institutions européennes et à son électorat de droite : ici, on maltraite les fonctionnaires.
L’impunité absentéiste de notre classe dirigeante
Revenons à ce cher Karl Olive : au nom de quoi un député peut-il décider d’aller “en circonscription” au moment de la discussion du vote d’un texte essentiel, le budget de l’Etat ? Au nom de sa liberté totale de le faire. Certains vont même jusqu’à sécher l’ensemble des textes, comme François Hollande, l’ex-président redevenu député, qui n’a voté qu’une seule fois depuis le début de la nouvelle législature. Il ne risque pas grand-chose : les députés absents plus de deux fois par mois en commission s’exposent à une retenue de 25 % sur leur indemnité de fonction, sauf exceptions justifiées. Mais il existe une technique bien rodée qu’on peut observer lorsqu’on a travaillé là-bas, comme ça a été mon cas pendant deux ans : venir signer la feuille de présence en début de séance de commission et s’en aller.
Ce n’est pas la seule exception incroyable de la vie d’un ou d’une députée : on pourrait évoquer la consommation d’alcool sur son lieu de travail, puisqu’une buvette bien pourvue se trouve à deux pas de l’hémicycle, mais aussi une caisse d’assurance-chômage particulière qui n’est pas affectée – ça alors – par les différentes réformes du chômage votées par les macronistes. Ou d’avoir accès à un médecin réservé quand d’autres connaissent les déserts médicaux. Ceux qui votent nos lois ne sont pas affectés par les conséquences de leurs décisions.
Bien entendu, malgré cette absence de contrainte sur leur assiduité, certains députés sont plus actifs que d’autres. Ainsi, si François Hollande a voté une fois, Mathilde Panot a participé à plus de 100 scrutins…
Le contrôle de l’absentéisme au travail pèse d’abord sur les subordonnés. Dans la fonction publique, ce sont surtout les femmes les moins qualifiées et les moins bien rémunérées dont le gouvernement veut réduire les absences, alors qu’elles font des métiers physiquement pénibles, comme le rappelle Médiapart.
Plus on s’élève dans la hiérarchie sociale, plus on est libre de faire ce que l’on veut de son temps au travail : le pointage ne concerne jamais les chefs, qui n’ont pas à rendre de compte sur leur temps de travail, qui peuvent prétexter des déjeuner d’affaires “avec des clients potentiels” pour s’extraire à tout moment du temps contraint. Devoir justifier ses heures de travail, c’est un truc de pauvres. Les députés, eux, répondent en général qu’ils préfèrent agir « en circonscription » auprès de leurs électeurs, et ce alors que leur mandat est national et qu’ils n’ont aucun pouvoir local. Mais cela à deux avantages : en circonscription ils font ce qu’ils veulent et en plus ils peuvent bosser à leur propre réélection en se montrant sur les marchés.
Les députés des partis qui soutiennent le président et le gouvernement putschiste l’ont bien compris : lors du vote du budget, le texte le plus important de l’année, leur taux d’absentéisme est monté jusqu’à 87%, selon Le Monde. Une info qui n’a pas fait les gros titres, alors qu’on parle de gens qui touchent 5841 euros net d’indemnités et dont tous les frais sont pris en charge par le contribuable. Ironie du sort, ce sont eux qui vont voter des lois qui vont faire perdre des jours de salaire à des institutrices, assistantes maternelles, éboueurs et égoutiers malades !
Mais il n’arrivera rien aux députés du centre et de la droite, ils le savent bien. Ceux qui font les règles sont ceux qui ne les subissent pas : c’est valable dans le monde du travail comme en politique.
A quand le pointage pour les députés et l’analyse de l’absentéisme des chefs et des patrons ?
Nicolas Framont
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