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Depuis plusieurs mois, le monde paysan est en ébullition : au début cantonné à plusieurs journées d’action organisées par les puissants syndicats patronaux FNSEA et Jeunes Agriculteurs, il s’est transformé en mouvement de colère un peu plus spontané qui met en œuvre des actions choc de blocage des flux de circulation, en particulier dans le Sud-Ouest du pays. Dans le reste de la population, on pointe – à juste titre – l’attitude des autorités locales et nationales qui auraient été bien plus répressives si ce genre d’action avaient été le fait de syndicalistes, d’écologistes et de gilets jaunes. D’autres, à gauche, s’inquiètent des contradictions du mouvement : les revendications pour un niveau de vie décent se mêlent à un discours antiécologique, la concurrence internationale est critiquée mais les représentants officiels du monde paysan – comme le président de la FNSEA Arnaud Rousseau – sont proches des grands groupes qui en bénéficient… Et pourtant, en montrant aux agriculteurs que nous sommes avec eux, nous pouvons contrer le mal que les gouvernements et les industriels nous font à nous tous.

1 – Les racines de la colère

Tout le monde sait que la vie d’une agricultrice ou d’un agriculteur français est difficile. Il s’agit pour commencer d’un métier pénible sur le plan physique, qui expose à de nombreux accidents du travail et maladies professionnelles. Dans certains secteurs, comme l’élevage, les amplitudes horaires sont très importantes et il est très difficile, en particulier pour les petits exploitants, de prendre des congés. Cette réalité est de mieux en mieux connue du reste de la population mais de façon souvent superficielle : les épisodes de “l’Amour est dans le pré” ne permettent que peu de comprendre la situation réelle des paysans participants à l’émission tandis que le film à succès “Au nom de la terre”, où Guillaume Canet incarne un agriculteur débordé qui finit par se suicider, ne permet quasiment pas de comprendre les racines du problème. Quant au traitement médiatique des difficultés du monde paysan, il laisse souvent à désirer, comme nous l’expliquions dans cet article. Tout semble fait pour ne pas aborder les sujets qui fâchent, et qui risquent d’exposer les industriels de l’alimentation, les gouvernements successifs et l’entièreté du modèle agricole français et européen qui déconne à plein tube. La preuve infaillible du caractère malsain du système est le taux de suicide des agriculteurs, nettement supérieur au reste de la population (Le risque de mortalité par suicide est supérieur de 43,2% à  celui des autres travailleurs, selon la Mutualité Sociale Agricole). Cela signifie que l’organisation de tout un secteur conduit les producteurs à mettre fin à leurs jours tellement ils se sentent pris à la gorge et sans perspective d’avenir. Le taux de pauvreté chez les agriculteurs est de 18% (14,5% dans la population générale) et leurs revenus ont chuté en moyenne de 40% en trente ans, selon le ministère de l’agriculture. 

Dans le mouvement social actuel, plusieurs grands problèmes sont mis en avant à travers les revendications, sur les réseaux sociaux et sur les pancartes des paysans mobilisés partout dans le pays : 

  • La complexité administrative et la charge mentale qui l’accompagne. C’est une des revendications les plus entendues car elle est activement relayée par les gros syndicats comme la FNSEA et les JA (on verra plus loin pourquoi). La plupart des agriculteurs sont des indépendants ou des petits patrons et ils font face à de nombreuses institutions extérieures qui leur demandent des comptes : le ministère de l’agriculture, qui contrôle par exemple le bon usage des produits chimiques, les chambres d’agricultures, qui régulent l’installation, la transmission et les formalités liées à la vie d’une entreprise agricole, l’attribution des terres etc. les banques qui attribuent les crédits aux paysans ou encore la Mutualité Sociale Agricole (MSA) à qui les agriculteurs doivent déclarer leur chiffre d’affaires, qui fixe ensuite le montant des cotisations et qui assure l’ensemble des prestations qui, pour le reste de la population, est confié à la Sécurité Sociale. C’est peu dire que les procédures administratives sont lourdes, nécessitent beaucoup de temps et exposent forcément à plus d’erreurs que lorsque l’on est salarié et que l’on a à faire à moins d’institutions (son employeur, les impôts et la Sécurité sociale, pour faire vite). Les faibles revenus des agriculteurs expliquent aussi qu’il leur soit difficile voire impossible, comme des chefs d’entreprise classiques, d’externaliser ou de confier les tâches administratives à un salarié expert du sujet. Or, “C’est la charge mentale au niveau administratif qui tue petit à petit” expliquait à BFM TV Camille Beaurain, autrice d’un livre-témoignage où elle raconte ce qui a mené au suicide de son mari agriculteur.  C’est un constat partagé par Solidarité Paysan, une association qui lutte contre la détresse des paysans en apportant soutien moral et administratif aux paysans en difficulté, et pour laquelle j’ai eu la chance d’être bénévole : les agriculteurs qui contactent l’association sont souvent submergés par des impayés, des relances et une accumulation de difficultés administratives face auxquelles ils n’arrivent plus à faire face. Cette anxiété administrative plombe le moral et finit par alimenter l’idée qu’on ne va plus jamais s’en sortir.

les agriculteurs qui contactent Solidarité Paysan sont souvent submergés par des impayés, des relances et une accumulation de difficultés administratives face auxquelles ils n’arrivent plus à faire face. Cette anxiété administrative plombe le moral et finit par alimenter l’idée qu’on ne va plus jamais s’en sortir.

  • La concurrence internationale déloyale : depuis les années 1960, le secteur agricole français est ouvert à la concurrence internationale, d’abord au niveau européen puis à l’échelle de l’ensemble du globe. Ces dernières décennies, ce processus de “mondialisation” des échanges a été choisi par des gouvernements qui ont conclu des traités de libre-échange. En novembre dernier, le Parlement européen a ratifié un accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle Zélande : concrètement, cet accord met fin aux droits de douane que pratiquaient les deux zones l’une envers l’autre et va permettre d’intensifier les échanges commerciaux. Sauf que les produits exportés de la Nouvelle Zélande vers l’UE sont principalement de nature agricole : “L’exportation de viande rouge et de produits laitiers, sur lesquels les négociations ont été rudes, devraient générer plus de 500 millions d’euros’ supplémentaires pour la Nouvelle-Zélande dans les sept ans à venir” indique ainsi le journal New Zealand Herald. Vous avez bien lu : la viande rouge et les produits laitiers, c’est-à-dire ce que produisent actuellement les éleveurs français, lesquels sont déjà la catégorie d’agriculteurs la plus pauvre (25% de taux de pauvreté). Le gouvernement français, qui a soutenu l’accord avec la Nouvelle-Zélande, a donc choisi de sacrifier les producteurs de viande et de produits laitiers au profit d’un autre secteur qui bénéficie, lui, des exportations, notamment le vin. Dans tout processus d’ouverture internationale il y a des gagnants et des perdants : dans le cas de l’agriculture française, des producteurs de vin réputés (comme le Bourgogne) ou de Cognac (les agriculteurs les plus riches dans l’ex-région Poitou-Charente) ont tout à gagner de la concurrence internationale, puisqu’ils disposent d’un terroir unique. En revanche, les éleveurs, eux, ont tout à perdre. Enfin, les accords de libre échange sont toujours injustes, puisque les normes de production ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre et que c’est le pays le moins favorable socialement et environnementalement qui sera le plus compétitif… sans compter l’aberration écologique que constitue l’importation de viandes et de produits laitiers depuis l’autre bout du globe quand on peut produire la même chose localement. 

En novembre dernier, le Parlement européen a ratifié un accord de libre-échange entre l’Union européenne et la Nouvelle Zélande : concrètement, cet accord met fin aux droits de douane que pratiquaient les deux zones l’une envers l’autre et va permettre d’intensifier les échanges commerciaux. Sauf que les produits exportés de la Nouvelle Zélande vers l’UE sont principalement de nature agricole

  • Les prix trop bas : c’est une revendication qui apparaît sur tous les blocages à travers le pays. Les agricultrices et agriculteurs français ont globalement le sentiment de ne pas être suffisamment rémunérés pour leur travail. Effectivement, ils sont pour la plupart pris dans un système où ils ne sont pas maîtres du prix de vente de leurs produits et sont contraints de vendre à prix cassés leurs productions à des industriels bien plus forts qu’eux. Début janvier, le géant de l’agro industrie Lactalis a annoncé unilatéralement une baisse du prix du lait qu’elle achète aux producteurs. Ces derniers ne peuvent pas, individuellement, protester. Lactalis est pourtant une très grande entreprise française. Son PDG, Emmanuel Besnier, est l’un des hommes les plus riches du pays, avec une fortune estimée à plus de 25 milliards de dollars par le magazine Forbes. Pourtant, les producteurs de lait français gagnent en moyenne 25 100 euros par an… C’est dire si le gâteau est mal réparti ! Les agriculteurs mobilisés en Haute-Saône ne s’y sont pas trompés : le 23 janvier, ils sont allés déverser une grande quantité de déchets devant les bâtiments de Lactalis. Depuis les années 90, les prix de vente des productions agricoles ont considérablement baissé, car la production agricole s’est intensifiée, a augmenté et s’est internationalisée. Parallèlement à cela, le secteur agroalimentaire s’est densifié, de grandes entreprises puissantes comme Lactalis et des groupes comme Unilever, Danone, Nestlé se sont structurés. A l’autre bout de la chaîne, la grande distribution a révolutionné la consommation alimentaire en proposant des prix bas et en offrant à ses actionnaires un parfait contrôle de la chaîne de production. Des grandes fortunes se sont constituées sur cette fortification de l’agro alimentaire et de la grande distribution : les Leclerc, Mulliez (Auchan), Besnier (Lactalis) se sont engraissés… pendant que toute une partie du monde agricole, lui, restait composé de petits exploitants qui ne font plus le poids face à de tels géants. Selon l’Observatoire français des prix et des marges, seul 10%, en moyenne, du prix de vente d’un produit agricole revient aux producteurs. 

Le PDG de Lactalis, Emmanuel Besnier, est l’un des hommes les plus riches du pays, avec une fortune estimée à plus de 25 milliards de dollars par le magazine Forbes. Pourtant, les producteurs de lait français gagnent en moyenne 25 100 euros par an…

  • Des charges trop élevées : Parallèlement à ça, certaines charges ont augmenté, et de façon particulièrement forte ces deux dernières années avec l’inflation : En 2022, le prix des intrants utilisés par les exploitants pour leur activité agricole a augmenté de 25,9 %, selon le ministère de l’agriculture. Par “intrants” on désigne les engrais et amendements (dont les prix ont augmenté en 2022 de … 74,8 % !), l’énergie et des lubrifiants (+ 41,6 %), et les aliments pour animaux (+ 24,9 %). Comment ne pas comprendre que les agriculteurs se sentent étranglés ? Forcément, lorsque le ministre des finances Bruno Le Maire a annoncé la fin de l’avantage fiscal des agriculteurs sur le gazole non routier (GNR), la colère a franchi un cap. Comme au début du mouvement des gilets jaunes, les agriculteurs se mobilisent contre une taxation qui a des motifs écologiques (désinciter l’utilisation des énergies fossiles) mais qui va d’abord peser sur des gens qui sont déjà au bord du gouffre.
  • Vivre des aides ou vivre de son travail ? La lourdeur des procédures administratives qui pèsent sur les agriculteurs français tient notamment au fait qu’une partie très significative de leur revenu est étroitement liée à l’obtention d’aides, à commencer par la fameuse PAC, pour “Politique Agricole Commune”. Les aides PAC ont originellement été établies dans l’après-guerre pour relancer le secteur agricole et pousser à sa modernisation. Mais depuis les années 90, les aides PAC servent en réalité à compenser la faiblesse des prix et les effets de la concurrence internationale. Il s’agit de maintenir une agriculture et de la pousser, timidement, à se réformer, notamment pour s’adapter aux évolutions environnementales. Il faut imaginer la complexité des dossiers : si une partie des aides PAC sont associées à des paramètres assez clairs comme le nombre d’hectares, d’autres critères sont liés à l’utilisation des pesticides, au mode de production etc. On imagine bien que pour un exploitant isolé, remplir chaque année des dossiers de subvention qui assurent toute une partie de ses revenus est particulièrement stressant… La dépendance aux aides PAC mine le moral des agriculteurs qui ont l’impression de ne pas réellement vivre de leur travail et de dépendre de l’évolution de la réglementation en la matière, qui est changeante. De plus, la faiblesse de leurs revenus rend 10% d’entre eux dépendants des prestations sociales que sont le RSA et la prime d’activité…. quand ils y ont recours, puisque, selon nos confrères de Reporterre, ils seraient 50 à 60% à ne pas demander les aides auxquelles ils ont droit. La nécessité des aides PAC et des prestations sociales mine le moral du monde paysan et nourrit la complexité administrative dont ils se sentent victimes. 

2 – L’hypocrisie du gouvernement et des médias face à la colère des paysans 

A l’heure actuelle, la mobilisation des agricultrices et agriculteurs est soutenue par l’intégralité des partis politiques et par une bonne partie des médias, y compris les plus à droite. Il semble bien que la radicalité des actions – blocages des autoroutes, dégradation des bâtiments publics, voire même l’explosion d’un bâtiment de la Direction générale de l’environnement de l’Aude, à Carcassonne, n’empêchent donc pas les bons bourgeois qui nous gouvernent de continuer de soutenir la mobilisation. Même les préfets, habitués à réprimer violemment les manifestations de tout type et de toute fraction de la population (gilets jaunes, cheminots, infirmières, pompiers, écologistes…) sont très complaisants envers le mouvement et leur assure une protection. Ainsi, le mardi 23 janvier, la police a organisé une escorte des tracteurs et autres véhicules venus larguer du fumier et des déchets devant des banques et des bâtiments publics, une séquence qui a suscité la surprise sur les réseaux sociaux. 

Comment expliquer une telle complaisance des autorités politiques et médiatiques et que faire de ça ? Tout d’abord, il faut bien comprendre qu’elles n’ont pas vraiment le choix : d’abord, le mouvement est extrêmement populaire auprès de la population française. Selon l’institut Elabe, qui a fait un sondage le 24 janvier, le mouvement est approuvé par 87% de la population. C’est encore davantage que le mouvement des gilets jaunes dans ses débuts (approuvés par 73% des sondés). On y apprend que la population a une excellente image des agriculteurs et une forte empathie pour ses difficultés. Mais ça ne suffit pas à expliquer l’attitude du gouvernement : s’en prendre violemment à la mobilisation contre la réforme des retraites, pourtant ultra populaire, ne lui avait posé aucun problème.

Par contre, les préfets et le gouvernement savent que l’équipement des agriculteurs et leur détermination ne pourront pas être combattu aussi efficacement que des manifestants non motorisés et moins organisés. Car le rapport de force en faveur de la mobilisation est très très important, ne serait-ce que parce que le mouvement s’étend à l’Europe entière. Peu de professions arrivent à faire cela, et les paysans européens l’ont fait. Le mouvement de blocage a débuté en Allemagne, où des milliers de paysans se sont mobilisés au début du mois de janvier, simultanément à une exceptionnelle grève des cheminots. Le mouvement s’étend désormais à la Roumanie, à la Pologne, aux Pays-Bas… et il débute en Belgique la semaine prochaine

Le gouvernement est lié à l’industrie agroalimentaire, comme il l’est avec toutes les grandes entreprises : le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, a nommé une lobbyste de l’ANIA (Association nationale des industries alimentaires, premier lobby de l’agroalimentaire) au poste de conseillère communication.

Bref, il est logique que le gouvernement fasse tout pour s’attirer la sympathie des agriculteurs français… sauf qu’ils voient bien quel est le bilan pour eux de 7 ans de macronisme : le gouvernement a soutenu activement deux accords de libre-échange qui vont contribuer à la concurrence déloyale que dénoncent les agriculteurs. Il y a le récent accord avec la Nouvelle Zélande, que j’ai déjà évoqué plus haut, mais aussi celui avec la zone de libre-échange sud américaine MERCOSUR, qui va favoriser l’exportation vers l’Europe de produits agricoles, ou avec le Maroc, qui va favoriser la concurrence sur les fruits et légumes. Là encore, le gouvernement choisit de sacrifier les agriculteurs français au profit d’autres secteurs : l’accord avec le MERCOSUR vise explicitement à favoriser l’exportation d’automobiles européennes vers l’Amérique du sud. Le gouvernement n’a eu aucune politique volontariste pour réformer ou réorienter les aides PAC, qui continuent de favoriser les plus grosses exploitations agricoles (parce qu’elles sont basées notamment sur la surface exploitée)  et donc à creuser les inégalités. 

Le gouvernement est lié à l’industrie agroalimentaire, comme il l’est avec toutes les grandes entreprises : le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, a nommé une lobbyste de l’ANIA (Association nationale des industries alimentaires, premier lobby de l’agroalimentaire) au poste de conseillère communication. La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) a simplement exigé qu’elle n’entre pas en contact avec son ancien employeur… avec qui le ministère traite régulièrement. 

3 – Des représentants officiels du monde paysan qui jouent un double jeu 

Dès le début de la mobilisation, Gabriel Attal, le premier ministre, s’est empressé de recevoir Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles est le premier syndicat des agriculteurs exploitants (plus de 50% des voix lors des élections de représentants dans les Chambres d’agriculture), il est donc, pour le moment, l’acteur clef de la mobilisation. Mais face aux revendications de plus en plus claires des agriculteurs mobilisés, notamment sur la question centrale du revenu et le rejet de la concurrence internationale, il est de plus en plus clair que la FNSEA pousse son propre agenda. 

Par exemple, concernant le libre-échange et l’accord avec la Nouvelle Zélande, le syndicat demeure très poli : “Nous serons vigilants à ce que les secteurs de production sensibles que sont la viande bovine, la viande ovine et les produits laitiers ne soient pas victimes d’importations qui dérèglent les marchés, écrit la FNSEA au sujet du traité de libre-échange. La Nouvelle Zélande continue à utiliser des produits tels que l’atrazine interdits en Europe. Il est indispensable que l’UE applique la réciprocité des normes, et que par des contrôles robustes aux frontières, le chapitre de l’accord dédié au développement durable ne soit pas qu’un miroir aux alouettes !”  Il y a une belle ambiguïté dans ce communiqué : la FNSEA ne rejette pas en bloc une concurrence internationale dont ses adhérents pâtissent et elle demande “la réciprocité des normes”, sans préciser qui doit s’aligner sur qui… De telle sorte que le modèle ultra productiviste de l’agriculture néo-zélandaise pourrait être, pour la FNSEA, à imiter… On comprend bien que pour l’agro industrie qui profite des coûts de production agricole les plus faibles possibles, la réduction des normes environnementales soit un potentiel effet positif du libre-échange… Mais en quoi cela serait-il favorables aux agriculteurs français qui, comme beaucoup le disent sur les blocages, comme le relèvent nos confrères de Reporterre à qui des paysans bloqueurs de l’autoroute A64 ont déclaré : “on voudrait mettre en place des normes écologiques sur nos exploitations, c’est juste qu’il n’y a aucun accompagnement ou trop peu de financements pour cela”.

La FNSEA ne rejette pas en bloc une concurrence internationale dont ses adhérents pâtissent et elle demande “la réciprocité des normes”, sans préciser qui doit s’aligner sur qui… De telle sorte que le modèle ultra productiviste de l’agriculture néo-zélandaise pourrait être, pour la FNSEA, à imiter

La FNSEA et une partie de la classe politique profitent de la mobilisation pour stigmatiser le discours écologiste qui aurait nuit fortement à la condition des agriculteurs français. “La France était la première puissance agricole et on a sacrifié notre agriculture sur l’autel de la bobo-écologie parisienne” a ainsi déclaré le député LR Olivier Marleix. Depuis plusieurs années, à travers le concept d’”agribashing”, la FNSEA a fait de l’opposition aux mesures écologiques son cheval de bataille, et entend amener cette question comme revendication principale de la mobilisation actuelle. Pourtant, on ne peut pas dire que ce soit une politique écologiste qui se soit appliquée en France ces dix dernières années : l’interdiction du glyphosate, ce pesticide cancérigène, a été repoussée de 10 ans avec le soutien du gouvernement Macron, tandis que la gendarmerie nationale a créé, en coopération avec la FNSEA, une cellule chargée de lutter contre l’activisme écologique et antispéciste. Le gouvernement a aussi créé un nouveau label, Haute Valeur Environnemental (HVE) qui permet aux exploitations agricoles de toucher des aides réservées auparavant à l’agriculture biologique mais sans devoir respecter autant de contraintes en termes d’arrêt d’utilisation de substances chimiques. Bref, l’écologie agricole n’est pas au pouvoir, loin de là, et affirmer donc que les paysans seraient d’abord victimes des normes environnementales est un pur mensonge.

Mais pourquoi la FNSEA l’agite-t-elle, ce mensonge, alors qu’elle est au service des agriculteurs ? Alors qu’il est censé représenter tous les agriculteurs, dans leur diversité, la FNSEA est dirigée par des industriels. Son actuel président, Arnaud Rousseau, dirige aussi le conseil d’administration du groupe Avril, un groupe agro industriel international d’origine française spécialisé dans l’alimentation humaine, l’alimentation animale, l’énergie et la chimie renouvelable. Il possède des filiales comme Puget (huile d’olives), Lesieur ou Matines (les œufs). Le conflit d’intérêt est clair : cet homme est chargé de défendre des paysans que son propre groupe a plutôt intérêt à ne pas trop rémunérer, à diriger et à maintenir sous sa coupe. Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que la FNSEA dirige la colère des paysans pour obtenir une réduction des normes environnementales et un alignement sur une concurrence internationale plus productiviste.