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En voulant exister encore un tant soit peu, car devenus insignifiants au possible, les sénateurs de la droite et du centre ont une nouvelle fois montré toute l’étendue de leur inhumanité et de leur xénophobie flagrante.

L’extrême droite l’a longtemps fantasmé, nos chers sénateurs ont (encore) exaucé son souhait. En actant la suppression de l’Aide Médicale d’État, dispositif essentiel de solidarité primaire qui permet aux personnes migrantes de recevoir des soins gratuitement (selon un principe déontologique) et sans conditions, les sénateurs de droite et du centre, sous couvert d’arguments tous plus ridicules et démontables les uns que les autres, ont remis au jour leur inhumanité éhontée, sous des relents de xénophobie.

Rappelons cinq faits primordiaux sur l’Aide Médicale d’État :

1 – L’AME n’est ni un facteur d’attractivité, ni un dispositif de « tourisme médical »

En complément de nombreuses études menées – visiblement ignorées – sur l’AME, un récent rapport remis par Claude Evin, ancien ministre socialiste à tendance rocardienne, et Patrick Stefanini, ancien directeur de campagne de Valérie Pécresse ou encore François Fillon montre, par ses premières conclusions, que ce dispositif n’est ni un prétendu « appel d’air » (l’argument phare – et d’une immensément faible rigueur scientifique – défendu en séance par nos grands hommes), ni une trop grande charge financière.

50% des étrangers qui pourraient prétendre à l’Aide Médicale d’Etat n’en font pas la demande

Toujours selon ce rapport, 50% des étrangers qui pourraient y prétendre n’en font pas la demande. Cette estimation, déjà très éloquente par la grandeur de la proportion, est vraisemblablement basse : selon MSF, 8 personnes sur 10 n’ont aucune couverture maladie alors qu’ils pourraient être éligibles à l’AME, tout simplement parce qu’une grande majorité de ces personnes ne savent pas qu’elles peuvent en bénéficier, et pour la plupart ne savent même pas qu’elles sont atteintes d’une maladie parfois grave.

Enfin, selon une enquête menée en 2019, la santé apparaît comme un motif marginal d’immigration (9,5% évoquent des raisons de santé comme motif).  La solidarité, quelle plaie…

2 – L’AME est un dispositif de solidarité et d’humanité

En plus de cette évidence, apparemment ignorée par nos grands humanistes, la suppression de ce dispositif place les soignants dans une situation éthique totalement désastreuse et inacceptable. Car, faut-il encore le rappeler : qui est en première ligne lorsqu’il s’agit de délivrer les soins, de soulager les souffrances, de faire de la prévention ?

Nos deux « élus de la République » Marie Mercier et Jean-François Rapin, médecins de profession, et visés par une plainte devant l’Ordre National des Médecins, ont-ils oublié leurs années d’internat et les dispositions du serment d’Hippocrate ? “Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions”, “Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera”

3 – Supprimer l’AME n‘a aucun intérêt économique

Comme dit précédemment, le coût de l’AME s’élève à 1,2 milliards d’euros, soit 0,4% des dépenses de santé. Sa suppression entraînerait très probablement encore plus d’errances diagnostiques, et, in fine, une charge financière beaucoup plus élevée pour les hôpitaux, qui sont déjà soumis à de fortes contraintes budgétaires, validées quinquennat après quinquennat.

4 – L’AME ne représente pas de risque démontré pour le système de santé

Au contraire, cet amendement absurde et injuste entraîne un immense risque en matière de santé publique. L’AME permet de soigner les individus en amont et désengorge de ce fait les hôpitaux. La suppression de l’AME affaiblit donc de manière conséquente le système de santé.

5 – Le dispositif annoncé en remplacement – l’Aide Médicale d’Urgence – est du foutage de gueule pur et simple

Le dispositif de remplacement, l’AMU, est centrée sur la prise en charge des situations les plus graves ou d’urgence et soumise à un paiement de droit de timbre ; toujours plus de restrictions, toujours plus d’exclusion.

Les sénateurs, eux, nous coûtent hyper cher :

Bon, admettons. Admettons que nous soyons un peu durs avec nos « sages ». Il en va, bien souvent, de la simpliste idée reçue que ces derniers croulent sous les privilèges financiers et matériels. Sauf que, quand Mediapart les interroge, ceux-ci, effrontés par l’insolence extrême des questions, répondent de manière tout aussi simpliste… voire ne répondent pas !

Le coût de l’AME s’élève à 1,2 milliards d’euros, soit 0,4% des dépenses de santé.

Ainsi, il serait tout à fait fantaisiste de rappeler que chaque sénateur, selon le très gauchiste journal Le Point, dispose d’aller-retours illimités en 1ère classe, de six voyages (aller-retours) en avion vers n’importe quelle destination, d’une pension mensuelle moyenne de 4.400€, soit 3.000€ de plus que la retraite moyenne des Français (et, accessoirement, 3.222€ de plus que la retraite moyenne des femmes)… avec souvent plusieurs décennies de travail en moins, et une pénibilité extraordinairement moindre.

Aucun problème cependant pour voter en masse en faveur de l’immonde réforme des retraites de Macron, dont l’injustice a été démontrée à de maintes reprises, et que, par ailleurs, ils n’auront jamais à en subir les conséquences, ayant un régime de retraite à part, bien protégé dans le creux de leurs fauteuils rouges.

Faut-il attendre que l’un d’entre eux, tombé malencontreusement en contact avec un de ces veules « profiteurs des aides sociales », contracte de ce fait une pathologie contagieuse ? Car, à toutes fins utiles, les agents pathogènes ne possèdent pas encore de récepteurs suffisamment développés pour reconnaître les individus porteurs ou non de papiers d’identité : l’AME permet(tait) en outre d’éviter, ou de ralentir, la propagation de maladies potentiellement graves et contagieuses. 

Reprenons à nouveau l’exemple de l’Espagne, très instructif en ce sens : la restriction de l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière, votée en 2012 et abrogée en 2018, a entraîné une augmentation de l’incidence (nouveaux cas) des maladies infectieuses et une surmortalité, en plus de n’avoir aucun effet bénéfique prouvé économiquement parlant. 

Tremblez, sénateurs, vous avez commis une erreur !

Passons sous silence la logique validation de ce dispositif par le politicien nous servant de ministre de l’Intérieur ; le gouvernement s’est montré d’une prévisible fébrilité au moment d’exprimer leur opposition à cette suppression. Petit florilège : 

  • « Une erreur », « une faute » ; les mots du ministre de la Santé Aurélien Rousseau résonnent certainement encore entre les murs du Palais Bourbon
  • Agnès Firmin – Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, n’a pas non plus été la dernière pour taper du poing sur la table : « le gouvernement est très attaché à l’AME », dont le retrait n’avait, tenez-vous bien, « rien à faire » dans le projet de loi sur l’immigration. On frissonne encore devant un tel rappel à l’ordre

Rappelons leur, à toutes fins utiles, que le gouvernement ne s’est pas officiellement opposé à l’amendement introduit par ses alliés de toujours, majoritaires à la chambre haute. Malgré la molle opposition d’une quinzaine de ses représentants lors du vote, il préfère s’en remettre à la « sagesse » des sénateurs. Lesquels sénateurs du groupe RDPI (macronistes), faussement opposés à la mesure, ont voté dans une écrasante majorité en faveur de la totalité du projet de loi immigration, fortement durci par leurs collègues pointant juste sur leur droite ! Nous voilà fort rassurés.

Une fatalité ?

Mais en fin de compte, pourquoi écrire ce texte, lorsque l’on sait que cette mesure de suppression est tout simplement le symptôme d’une vieille idéologie conservatrice et xénophobe ? Pourquoi s’indigner de l’absence de réaction concrète du gouvernement lorsque l’on connaît la capacité de tripatouillage politique de Gérald Darmanin (un coup main dans la main avec la droite, un coup main dans la main avec l’extrême droite) ?

La voie à une annulation de la mesure par le gouvernement a été ouverte ; l’Assemblée Nationale se penchera à son tour sur le texte dès le 11 décembre. Une annulation de restriction de l’AME avait déjà été prononcée à la chambre basse en 2018, après un amendement du très progressiste sénateur LR Roger Karoutchi.

Mais dans un contexte de glissement autoritaire de plus en plus visible, de banalisation d’une des idées phares de l’extrême droite, de politiques toujours plus en la défaveur des plus précaires, et des gages monstrueux donnés par les sénateurs macronistes, faut-il seulement attendre quelque chose de ce gouvernement ? Ou bien faudra-t-il descendre une nouvelle fois dans la rue ?


Adrien Pourageaud


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