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Grasse, Bois-d’Arcy, Réau… Dans plusieurs maisons d’arrêt à travers la France, l’atmosphère se tend, tandis que les mesures de confinement se font plus drastiques.

Dans tous les établissement, les parloirs sont clos, à la suite du message adressé par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, aux agents du ministère de la Justice. Les détenus n’ont plus le droit de sortir de leur cellule, si ce n’est pour une petite promenade – “et encore”, confie un surveillant d’une prison francilienne. 

Les promenades se font en petits groupes et pour une durée réduite. Le sport en extérieur serait lui aussi autorisé, mais restreint. Toutes les activités intérieures (cours, ateliers, formations, etc.) sont également suspendues. 

Plusieurs débuts de mutineries

“On essaye de faire de la pédagogie, de garder une certaine harmonie”, décrit un autre surveillant. Peine perdue, aux yeux de Florial, de l’association L’Envolée : “Il y a des débuts de mutineries dans tous les sens dans différentes prisons”. Il craint un scénario à l’italienne où plusieurs détenus sont décédés. 

Et si l’on en croit les informations régulièrement actualisées du site Actu Pénitentiaire, des détenus ont déjà refusé de réintégrer leurs cellule dans plusieurs prisons. Les ERIS (Équipes régionales d’intervention et de sécurité) seraient déjà “débordées” et des forces de l’ordre appelées en renfort.  A Grasse, quatre tirs de sommation auraient même été réalisés, selon une source syndicale interrogée par France 3, alors que des affrontements étaient en cours.

A la Santé également, des détenus ont refusé de retourner dans leurs cellules après la promenade, comme on le voit sur cette vidéo diffusée par L’Envolée.

C’est bien la suspension des parloirs qui a suscité le plus d’inquiétude et de colère. “Les parloirs, ce n’est pas seulement un échange, une discussion, c’est aussi du linge propre qu’on apporte à son proche incarcéré, du linge sale avec lequel on repart, des livres qu’on apporte etc. pour faire en sorte que son quotidien soit moins pénible”, décrit Matthieu Quinquis, président de la commission pénale du Syndicat des Avocats de France.

La prison surchargée, un “foyer infectieux”

“Difficile que ce ne soit pas vécu comme de la punition, soupire Pierre, un autre membre de L’Envolée, dehors on fait l’expérience d’une petite perte de liberté, mais eux vont rester 22 sur 24 heures en cellule, en promiscuité, dans un milieu pathogène et anxiogène”. Il alerte sur le “foyer infectieux” que pourrait devenir la prison.

“Ils vont se trouver dans des conditions de quartier d’isolement, sauf qu’on est dans des endroits où certains sont jusqu’à trois voire six en cellule”, s’inquiète-t-il. Une surpopulation “structurelle” pour la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a condamné la France en janvier pour les conditions de détention dans ses établissements surpeuplés.

De quoi faire rapidement monter la crainte chez les détenus, car le personnel, lui, continue bien sûr de faire des allers-retours entre l’intérieur et l’extérieur, tandis que les mesures de prévention sont très difficiles à mettre en place. Les gels hydroalcooliques, par exemple, ne sont pas distribués, l’alcool étant interdit.

A Fresnes, qui héberge 2100 détenus pour 1300 places, l’un d’eux est déjà décédé du Covid-19, lundi, 10 jours à peine après son arrivée en détention. Difficile d’établir la chaîne de transmission, mais selon Le Parisien, cinq personnes auraient été testées positives, dont une surveillante et deux infirmières.

A la prison de la Santé, pas de cas avéré, mais déjà quelques cas suspects selon plusieurs témoins. Le confinement a été déclenché mardi soir. Un gardien explique que “ceux qui avaient des permissions de sortie restent à l’intérieur”

Théo*, lui, est en semi-liberté. Seul contact avec l’extérieur : son téléphone portable. Ils sont tolérés dans cette section en cette période exceptionnelle. Il espère pouvoir sortir cet été, mais craint que cela soit compromis du fait du ralentissement probable des activités judiciaires.

Avocats, juges et magistrats en surchauffe

“C’est très difficile. On est très peu nombreux dans les juridictions à pouvoir se déplacer. Les quelques-uns qui sont là gèrent seuls toutes les urgences”, raconte Cécile Dangles, présidente de l’Association nationale des juges d’application des peines. “On attend des ajustements du gouvernement au niveau législatif pour pouvoir travailler plus rapidement”, se désespère la juge, entre deux dossiers.

“Les consignes du ministère sont incompréhensibles”, adhère Amélie Morineau, présidente de l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus. Alors que la ministre vient finalement d’annoncer que les avocats pourront aller voir leurs clients au parloir, elle ne comprend pas que cela puisse se faire dans ces conditions : “des parloirs de 4 mètres carrés, voire seulement 2 mètres carrés, sans fenêtres et sans aération souvent vétustes dans les vieux établissements, alors que ni nous ni les détenus n’ont de mesures de protection”, s’indigne-t-elle.

Mercredi, avec d’autres organisations, notamment le Syndicat des avocats de France et celui de la magistrature, ils ont tiré la sonnette d’alarme dans un communiqué. Pour eux, aucun doute :

“Face au risque de crise sanitaire et sécuritaire, il faut aujourd’hui permettre à un maximum de personnes de sortir immédiatement de ce vase clos.”

C’est aussi ce que recommande Adeline Hazan, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Il s’agirait selon elle “de réduire la population pénale à un niveau qui ne soit pas supérieur à la capacité d’accueil des établissements en proposant, adoptant ou suscitant toute mesure utile pour favoriser les sorties de prison et limiter les entrées”.

Devant l’entrée de la prison de la Santé, Myriam attend son frère, qui arrive au bout d’un période de 4 mois de prévisionnelle. “Il devait aller au tribunal [mercredi], pour déterminer s’il pouvait sortir, mais ça a été annulé”, raconte-t-elle. Finalement, le jugement s’est déroulé par visioconférence, mardi matin, et son frère a été libéré.

“L’avocat nous a dit qu’ils faisaient sortir plus de monde avec le coronavirus pour éviter que ce soit trop la merde”, rapporte Myriam. En effet, face aux risques de propagation et de rébellion, en raison des restrictions et de la surpopulation, des juges des libertés et de la détention, ainsi que des juges d’application des peines déploient spontanément des stratégies.

“A notre niveau, on préconise de faire sortir un maximum de ceux qui ont de reliquats de peine inférieurs à six mois, explique Anne-Sophie Wallach, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, et que les juges d’application des peines puissent faire des audiences sans débat contradictoire pour rendre la décision d’aménagement de peine.”

Détenus, personnels pénitentiaires, juges… Tout le monde est dans le flou, et ça risque de ne pas tenir comme ça très longtemps. D’autant que, comme d’autres institutions telles que l’hôpital public, elles accumulent les difficultés structurelles depuis plusieurs années déjà.

*Les prénom ont été modifiés

Léa Guedj