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En 2017, Macron était déjà mal élu : gonflé par une unanimité médiatique et la passion quasi sexuelle que la bourgeoisie lui vouait, il nous a été imposé comme l’unique solution politique face à la montée de l’extrême-droite. Ce petit cinéma s’est reproduit à l’identique en 2022, malgré un bilan catastrophique, puisque cet homme a appauvri la population et insécurisé le pays, tout en le transformant, à l’international, en puissance coloniale arriérée réputée pour son inconséquence et son hypocrisie. Mais dès juin 2022, le président de la bourgeoisie a perdu sa majorité absolue et, depuis, il se débat pour conserver les pleins pouvoirs, malgré des mouvements sociaux réguliers et une détestation populaire grandissante mais grâce au soutien tacite de la majeure partie des forces politiques, extrême droite et gauche bourgeoise incluses.

La farce est la suivante : la majeure partie de nos politiques veulent conserver Macron au pouvoir, en particulier les socialistes. Mais puisqu’il est impopulaire et illégitime, il leur faut multiplier les contorsions politiciennes pour y parvenir. Ainsi, le PS, parti bourgeois historique, fait un va-et-vient continuel entre Macron et son opposition. Ainsi la droite républicaine prétend le combattre mais y envoie chaque année un nouveau ministre. Ainsi le RN doit s’afficher en opposant numéro 1 mais a tacitement soutenu le gouvernement Barnier jusqu’au 4 décembre . Malgré ces manœuvres, le pouvoir est désormais affaibli comme jamais : il n’y a même plus de gouvernement actif. Face à cet état de fait, plusieurs attitudes sont possibles : s’en foutre royalement, continuer d’espérer de certains lambeaux de la classe politique de gauche qu’elle agisse avec courage ou bien, à son échelle, participer à la ruine du système et à son remplacement par autre chose.

1 – La censure ce n’est pas le chaos mais au contraire un peu de paix

Sur les plateaux TV, les éditocrates et politiques ont le visage tendu. Ils parlaient du vote possible d’une censure du gouvernement Barnier comme d’une catastrophe planétaire et, depuis qu’elle a eu lieu, sont endeuillés. C’était pourtant parfaitement prévisible : après la dissolution de juin dernier, Macron a fait fi de tous les usages et a refusé de confier la formation d’une coalition gouvernementale à l’union hétéroclite de gauche – le NFP – arrivénl.

La farce est la suivante : la majeure partie de nos politiques veulent conserver Macron au pouvoir, en particulier les socialistes. Mais puisqu’il est impopulaire et illégitime, il leur faut multiplier les contorsions politiciennes pour y parvenir.

C’est ce parti qui a fait tomber le gouvernement, qu’on le veuille ou non, car ses dirigeants ont fini par estimer que leur soutien n’était peut-être plus intéressant politiquement pour eux, après avoir été pourtant très favorable à Barnier et ses ministres. La possible future inéligibilité de Marine Le Pen après un long procès pour détournement de fonds a dû jouer un rôle dans ce revirement. Le RN doit en permanence surjouer l’opposition, mais c’est toujours plus difficile puisque d’année en année Macron les rejoint sur tous les sujets. Ce parti a fini par juger qu’être la caution d’un budget de la sécurité sociale et de l’Etat ultra violent et inégalitae pouvait leur faire du mal électoralement.

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Les classes laborieuses ont plus intérêt à une absence de gouvernement qu’à un gouvernement qui continuent de détruire leurs droits et leur pouvoir de vivre.

La chute du gouvernement et la fin de ses textes budgétaires est une excellente nouvelle pour la population française. Dans ces lois, le gouvernement prévoyait des mesures violentes, voire criminelles, contre les fonctionnaires, salariés et allocataires des minima sociaux. Ce budget promettait d’être encore plus brutal que les précédents.

Quel que soit le rôle que le RN a joué dans tout ça, la chute du gouvernement et la fin de ses textes budgétaires est une excellente nouvelle pour la population française. Dans ces lois, le gouvernement prévoyait des mesures violentes, voire criminelles, contre les fonctionnaires, salariés et allocataires des minima sociaux. Ce budget promettait d’être encore plus brutal que les précédents. Le travail d’amendements important mené par la gauche a été complètement balayé par les macronistes, qui ont d’ailleurs déserté les bancs de l’hémicycle pendant toute la durée des débats, comme nous le rappelions dans cet article. La chute des textes et du gouvernement qui les a portés est une excellente chose. Ce n’est pas « le chaos » que les politiques comme Ruffin décrivent mais bien un moment de pause dans l’œuvre destructrice de Macron. Et donc une respiration pour toutes et tous.

2 – La fin inévitable et souhaitable du NFP

Le Nouveau Front Populaire est une alliance de circonstance qui s’est formée à un moment particulièrement critique de notre histoire politique puisque le RN était annoncé gagnant des élections législatives de juin-juillet. C’est une alliance hétéroclite composée de deux courants de la gauche que tout, dans le fond comme dans la forme, oppose. D’un côté la gauche de rupture, composée de LFI et de l’extrême gauche, qui veut mettre fin aux politiques de confiscation des richesses par la bourgeoisie et qui, sur le plan sociétal et international, occupe des positions alternatives à celles de Macron. De l’autre une gauche bourgeoise, composée du PS, des dirigeants du PCF et d’une grande partie des écologistes, qui est très proche des positions macronistes mais maintient, pour des raisons électorales, une identité culturelle de gauche, principalement pour ne pas disparaître et continuer – il faut dire les choses clairement – à grailler de la politique. Si cette gauche bourgeoise est aussi prégnante dans notre vie politique et médiatique malgré ses résultats dérisoires à la dernière présidentielle, c’est qu’elle est le parti de la sous-bourgeoisie culturelle, celle qui se sent de gauche pour des raisons esthétiques et morales, mais dont le portefeuille s’accorde très bien avec une politique macroniste.

Si cette gauche bourgeoise est aussi prégnante dans notre vie politique et médiatique malgré ses résultats dérisoires à la dernière présidentielle, c’est qu’elle est le parti de la sous-bourgeoisie culturelle, celle qui se sent de gauche pour des raisons esthétiques et morales, mais dont le portefeuille s’accorde très bien avec une politique macroniste.

Glucksmann censure
Une plateforme bien minimale pour ne pas braquer les actionnaires. Si Glucksmann existe à gauche, c’est d’abord pour créer ce genre de moment de ralliement à l’ordre bourgeois.

Le NFP a été une énorme entourloupe politique, mais elle était certainement incontournable, au moment où il a été créé, pour un parti comme La France Insoumise, puisqu’il serait apparu comme responsable d’une victoire du RN. LFI a tout de même dû accepter un programme très peu avancé et le retour en force du Parti socialiste à l’Assemblée nationale. À cause du NFP, la gauche bourgeoise a reconstitué ses forces en prétendant proposer une alternative au macronisme et à l’extrême-droite. Bref, le NFP a fait perdre des années dans l’indispensable opération d’effacement de la gauche bourgeoise, dont le bilan d’opposant et surtout de gouvernant du pays est calamiteux, n’en déplaise à celles et ceux qui oublient toujours les mesures pro-capitalistes mises en place sous Mitterrand et les immenses régressions sociales entreprises sous Hollande.

À cause du NFP, la gauche bourgeoise a reconstitué ses forces en prétendant proposer une alternative au macronisme et à l’extrême-droite. Bref, le NFP a fait perdre des années dans l’indispensable opération d’effacement de la gauche bourgeoise.

Depuis que le gouvernement est tombé, la plupart de ses cadres, y compris Olivier Faure qu’une partie des militants de gauche adulait pour une raison qui nous échappe encore, s’empresse de multiplier les déclarations favorables à une alliance avec le macronisme. Les dirigeants du PS se sont même rendus vendredi à l’Elysée pour prêter allégeance à Macron et espérer une petite place dans un prochain gouvernement dont ils ne réclament même pas la direction. On a vu des serpillères plus élégantes que ça. Les personnalités écologistes s’en sont également données à cœur joie, comme Cécile Duflot, ex-dirigeante EELV et désormais présidente de l’ONG sociale-démocrate Oxfam, qui souhaite la création d’une « coalition climat et sociale avec le bloc central », et sans LFI !

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« Prendre ses responsabilités » dans le langage politicien c’est toujours trahir le mandat de ses électeurs, qui ont voté NFP pour en finir avec le macronisme.

Le « bloc central », c’est le terme poli pour désigner les gens qui continuent de soutenir le génocide en Palestine, qui ont voté des lois racistes, qui ont organisé l’appauvrissement de la population et l’enrichissement continuel des grandes fortunes. Et les dirigeants de la gauche bourgeoise voudraient nous faire croire qu’un compromis intéressant avec ces gens-là serait possible. C’est vraiment la gauche qui aime perdre : au moment où Macron est affaibli et la bourgeoisie décidément à court d’idée pour continuer à nous pourrir la vie, la gauche molle vient à leur secours !

C’est vraiment la gauche qui aime perdre : au moment où Macron est affaibli et la bourgeoisie décidément à court d’idée pour continuer à nous pourrir la vie, la gauche molle vient à leur secours !

En réalité, les dirigeants socialistes, écologistes ou même François Ruffin, qui prône également ce type d’alliance avec les macronistes (il veut “travailler avec toutes les personnes qui ont été membres du front républicain”), savent bien qu’ils n’obtiendront rien des partisans de Macron en cas de gouvernement avec eux. Mais tous ont une obsession, pour des raisons politiques ou personnelles : ne surtout pas laisser grandir la gauche de rupture. Celle-ci, principalement incarnée par LFI, a continué de croire, pendant toute ces années, qu’elle pourrait bénéficier sur le long terme de tels alliés. C’est une erreur qui se répète dans le temps, sans qu’aucune conclusion ne soit tirée, et c’est un spectacle désolant et navrant. Comment expliquer cette croyance apparemment naïve et continue dans les bénéfices possibles d’une alliance entre ces deux gauches ? 

D’abord, parce que c’est un sacrifice de la construction politique de long terme d’une hégémonie de gauche radicale au profit de l’obtention, à court terme, de nouveaux députés. C’est ce qui a poussé LFI a accepter la NUPES comme le NFP. Ensuite, cette croyance provient de la peur réelle du danger d’extrême-droite qui pousse à des compromis. Le problème, c’est que ces compromis sont toujours, au bout du compte, des compromissions, et ce sont ces compromissions qui rendent la gauche cacophonique et inaudible pour les classes laborieuses qui continuent alors de s’en détourner.

3 – Gouvernement faible, peuple fort

On le dit et le redit : la vie politique institutionnelle n’occupe qu’une petite place dans l’histoire de notre vie individuelle et collective. C’est bien pour ça que la majorité des personnes s’en désintéressent. C’est un spectacle globalement ennuyeux, envahi par les affects et intérêts individuels de celles et ceux qui y jouent, et particulièrement décevant. Heureusement, la politique, ce n’est pas que la politique institutionnelle. C’est aussi et surtout tout ce que les gens font pour défier l’ordre dominant et créer des choses nouvelles. Les grèves sont en augmentation, le refus du surtravail et le sabotage gangrènent la productivité capitaliste, l’affirmation féministe et queer enrage les conservateurs, les mouvements écologistes radicaux sont en passe de mettre en déroute le projet d’autoroute A69… beaucoup n’attendent pas que telle ou telle majorité parlementaire se constitue pour agir, et c’est tant mieux. La fin du projet A69 laissera par exemple bien plus de traces dans le combat écologiste que la prochaine tambouille qu’initiera le parti écologiste pour se recycler dans la séquence actuelle.

La croyance dans la nécessaire union de la gauche provient de la peur réelle du danger d’extrême-droite qui pousse à des compromis. Le problème, c’est que ces compromis sont toujours, au bout du compte, des compromissions, et ce sont ces compromissions qui rendent la gauche cacophonique et inaudible pour les classes laborieuses qui continuent alors de s’en détourner.

Dans des séquences aussi foireuses, attendre trop de la politique institutionnelle peut mener à la déception et au désespoir. En se rappelant que les choses se jouent aussi – et surtout – ailleurs, on évite de perdre son énergie à attendre des autres de faire ce qu’il nous semble à nous le plus juste. Les réseaux sociaux, et notamment X, nous donnent une petite illusion de contrôle sur notre vie politique : on peut interpeller tel politicien, le maudire en public, l’invectiver ou au contraire l’encourager. Mais à la fin, c’est une discussion à la buvette de l’Assemblée nationale qui fera pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Et avant tout les rapports de force internes aux forces politiques et donc, très souvent, aux classes dominantes. Par conséquent, nos attentes seront souvent déçues. À Frustration, nous ne sommes pas dogmatiques : la politique institutionnelle, on se dit toujours que “ça ne coûte rien d’essayer”. Mais ce dans quoi nous souhaitons mettre notre énergie, c’est la construction par en bas d’une transformation révolutionnaire de la société. 

A69 ou censure
Une victoire de la mobilisation contre l’A69 aura infiniment plus de conséquences pour l’écologie que la prochaine gesticulation du parti Vert

On le dit et le redit : la vie politique institutionnelle n’occupe qu’une petite place dans l’histoire de notre vie individuelle et collective. C’est bien pour ça que la majorité des personnes s’en désintéressent. C’est un spectacle globalement ennuyeux, envahi par les affects et intérêts individuels de celles et ceux qui y jouent, et particulièrement décevant. Heureusement, la politique, ce n’est pas que la politique institutionnelle. C’est aussi et surtout tout ce que les gens font pour défier l’ordre dominant et créer des choses nouvelles.

Sur ce plan-là, où en est-on ? Nous avons eu plusieurs fois l’occasion d’en faire un bilan. Les organisations qui ont pignon sur rue ne sont pas en grande forme, quand elles restent fiables, ce qui n’est le cas que d’une partie d’entre elles, si l’on parle des syndicats ou des ONG. Les actions individuelles de désobéissance et de résistance se poursuivent, bien qu’elles soient dures à compter. Les tentatives de constitution des outils d’action collective alternatifs, débarrassées des vieux réflexes bureaucratiques du monde politicien continuent : 

  • Dans le monde du travail, le syndicat des gilets jaunes semble porter une perspective intéressante. 
  • Sur le plan de l’action écologiste, les Soulèvements de la terre continuent leur travail sans s’institutionnaliser. 
  • Dans la lutte contre l’extrême-droite, les groupes se sont multipliés dans de nombreuses villes de France et continuent de mener une action de long terme, non soumise aux agendas politiciens, de recul des idées racistes, sexistes ou homophobes.

Dans une perspective de rapport de force, c’est une très bonne chose que nous soyons privés de gouvernement légitime. Cela nous donne du temps, de l’énergie et, en face, nos adversaires ont moins de force pour répliquer.

Dans une perspective de rapport de force, c’est une très bonne chose que nous soyons privés de gouvernement légitime. Cela nous donne du temps, de l’énergie et, en face, nos adversaires ont moins de force pour répliquer. C’est le bon moment pour lancer des mouvements de grèves offensives, pour combattre l’enrichissement indu des propriétaires ou des actionnaires. Gouvernement faible, peuple fort ?


Nicolas Framont


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