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Tu as toutes les compétences pour avancer dans tes projets. Les solutions sont en toi. Fais-toi confiance.” Ces phrases génériques, nous sommes sûrement nombreux à les prononcer de temps à autre. Il faut dire qu’elles sont commodes à placer dans les conversations. Comme la fois où, à court de conseils, nous tentions une petite formule percutante à l’adresse de ce collègue en galère qu’on aime bien :  “Fais-toi confiance, Michel”. C’est bref et ça sonne sympa. Pourtant, cette expression peut s’avérer ambiguë. Elle postule que les individus seraient les acteurs autonomes de leur propre confiance. Rien n’est moins sûr. Retour sur un énoncé répandu. 

Cette injonction à se faire confiance est utilisée un peu partout. Très présente dans le monde du travail, on la retrouve également dans le champ de la psychologie. Sujet incontournable du développement personnel, on ne compte plus les ouvrages qui lui sont consacrés. La confiance en soi est, semble-t-il, un thème vendeur. “Confiance en soi en 21 jours”(Chantal Labeste), “Le pouvoir de la confiance en soi” (Brian Tracy), “Avoir confiance en soi sans se prendre la tête” (Nicole Prieur),… La thématique paraît se décliner en une infinité de variations et de méthodes miracles. Les influenceurs YouTube ne sont pas en reste. Les chaînes de coaching font florès. Leurs vidéos aux titres racoleurs s’accompagnent parfois d’une imagerie viriliste et musculeuse. “5 tips pour avoir confiance en soi”, “La clé d’une haute confiance en soi”, “3 choses INDISPENSABLES pour avoir ULTRA confiance en soi”… 

Max a « accompagné des centaines d’entrepreneurs » et va te donner confiance « en 5min » : qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?

Comment définir cette expression ? Difficile, tant il apparaît que cet énoncé sonne creux. 

La confiance en soi est souvent présentée par le développement personnel comme un tout indivisible. “Carine ? Elle a a confiance en elle. Point barre.” Cette vision d’un état permanent essentialisé à l’ensemble d’un vécu est une représentation erronée. La confiance en ses propres ressources est toujours dépendante d’un contexte d’application. Je peux ainsi manquer de confiance en moi dans certains domaines (ex : le calcul mental, m’exprimer en public,…) et être très confiant dans d’autres (ex : mes goûts musicaux, ma façon de me coiffer,…). 

La confiance en soi  : un luxe social ?

La confiance en soi est très corrélée à des composantes matérielles : une condition sociale précaire, un statut socioprofessionnel fragile ne rendent pas possibles les conditions d’une assurance en soi. Faire profil bas, s’écraser devant l’employeur en posture de domination sont des comportements davantage répandus. La garantie d’un emploi fixe, d’un frigo rempli, d’un salaire décent contribuent à ma sécurisation matérielle et psychologique. 

Peu importe les sujets qu’elle aborde, la bourgeoisie, notamment médiatique, renvoie une image de personnalités extrêmement sûres d’elles. Sans doute l’origine de cela est à trouver, entre autres déterminations, dans le parcours d’études des classes dominantes. Le postulat des grandes écoles (Sciences Po,…) consiste bien souvent à envisager leurs élèves comme des “happy few” : des personnalités d’exception, le dessus du panier, l’élite de la nation, les forces vives de demain. Voilà de quoi faire enfler quelques chevilles. 

La confiance en soi est très corrélée à des composantes matérielles : une condition sociale précaire, un statut socioprofessionnel fragile ne rendent pas possibles les conditions d’une assurance en soi.

En 2019, paraissait une étude de chercheurs de l’Université de Virginie (États-Unis) et publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology. Menée sur un échantillon de 150 000 personnes aux États-Unis et au Mexique, l’étude suggère que les différences de classes sociales ont des effets puissants sur le sentiment de confiance en soi des individus. Après différentes données récoltées auprès des cobayes (revenus financiers, niveau d’instruction, position sociale), ceux-ci se sont vus proposer un test cognitif, une simulation d’entretien d’embauche et une auto-évaluation de leur niveau de compétence sur une échelle de 1 à 100. Il apparaît que, comparativement aux individus de classe sociale modeste, les individus de classe sociale aisée sont plus confiants. 

A partir de 8 euros par mois, vous pouvez consulter la master class de Michel Onfray pour cesser de se dévaloriser. Vous voyez c’est pas compliqué.

Dans les classes supérieures, les gens sont encouragés à se différencier des autres, à exprimer ce qu’ils pensent et ressentent et à énoncer avec confiance leurs idées et leurs opinions, même lorsqu’ils manquent de connaissances précises. En contraste, les personnes de la classe ouvrière sont conditionnées pour embrasser les valeurs de l’humilité, de l’authenticité et de la conscience de sa place dans la hiérarchie” (Peter Belmi, chercheur et directeur de l’étude

Qu’une telle étude soit ratifiée par une institution aussi libérale et consensuelle que l’Université de Virginie a de quoi amuser. Que ladite étude soit passée dans la grande broyeuse managériale pour mieux légitimer des enseignements  en leadership, commerce et sciences politiques sera, en revanche, moins surprenant. Fallait-il attendre autre chose d’un lieu de perpétuation de l’ordre social ? 

Remplacer la confiance en soi par la confiance de classe

Dans le monde du travail, cette recommandation “bienveillante” ne serait-elle pas, en quelque sorte, la formulation managériale d’une injonction autrement plus triviale faite aux travailleurs : celle de se sortir les doigts et de passer à l’action ? “Personne ne pourra le faire à ta place. Fais-toi confiance !

N’est-elle pas une injonction voilée au renoncement ? “Laisse tomber tes lubies. Tu t’épuises pour pas grand chose, fais-toi confiance

Ne s’agirait-il pas également d’une rhétorique pour légitimer les inégalités de genre ? “Les femmes n’ont pas assez confiance en elles”. En présentant le manque de confiance en soi comme inhérent au genre féminin, la problématique est ainsi abordée selon des coordonnées bien particulières. En effet, dans une telle logique, le manque de confiance n’est plus la résultante d’injustices structurelles (écarts de salaire, discrimination à l’embauche, …) ou institutionnelles (blagues misogynes, harcèlement sexuel au travail,…) mais bien d’un manquement du côté des femmes. Ce qui revient à faire porter à celles-ci l’entière responsabilité du problème et de ses solutions, à un niveau individuel et psychologique. 

Sur le site de « France Travail » (ex Pôle Emploi), vous trouvez toute la matière pour adopter un « état d’esprit positif » après une énième menace de radiation. Sympa non ?

« Dans les classes supérieures, les gens sont encouragés à se différencier des autres, à exprimer ce qu’ils pensent et ressentent et à énoncer avec confiance leurs idées et leurs opinions, même lorsqu’ils manquent de connaissances précises.« 

Peter Belmi

La confiance en soi est sociale : c’est par une expérience éprouvée dans mon cercle amical que je me découvre drôle ou pertinent dans certains domaines. C’est à travers le regard d’autrui, famille, collègues, amis que je densifie mes propres potentialités. La ressource est relationnelle. En contrepoint de la confiance individuelle prônée par le développement personnel se trouve une confiance de classe. Celle-ci se développe dans  les espaces du lien social : le collectif, un groupe de collègues solidaires, des amis que l’on a plaisir à retrouver pour s’encourager mutuellement à l’occasion d’un entraînement sportif ou de quelque événement ponctuel ou quotidien, à la terrasse d’un café ou sur un rond-point.

Au cours du XXe siècle, le mouvement ouvrier a su donner à ses membres une confiance de classe fondée sur une mise en valeur de son rôle dans la société (“Nous les travailleurs”), une mission commune (renverser le patronat et le capitalisme), des valeurs de solidarité et de partage qui nous faisaient sentir supérieurs aux bourgeois et à leur morgue. Cette puissance des travailleurs n’a pas totalement disparu, tant s’en faut. Elle fait même toujours l’objet d’une grande peur bourgeoise. Il suffit, pour finir de s’en convaincre, d’observer avec quelle véhémence les dominants n’ont de cesse de dévaluer la cohésion de la classe laborieuse. Leurs stratégies sont grossières et bien connues : division, clivage et dérivatifs. Prendre la mesure de la cohésion de notre classe nous offre la perspective tangible d’un commun aux forces immenses. Faisons-nous – collectivement – confiance.


Maxime Devars


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