Le meurtre horrible du jeune Thomas à Crépol fait renaître les incessants débats sur l’insécurité, sur fond de récupération raciste par l’extrême droite. Est-il possible de comprendre l’insécurité à gauche ? Existe-t-il une voie entre le déni et parler comme la droite réactionnaire ? Tentative.
La droite et l’extrême droite ne parlent que de ça mais ne règlent jamais les problèmes d’insécurité et de criminalité
Les progrès de la droite et de l’extrême droite s’expliquent, bien sur, par une longue histoire raciste, par les inégalités sociales mais aussi par le pourrissement du quotidien créé par l’insécurité , le sujet mérite donc d’être développé.
Sur ce thème, la gauche est généralement partagée entre deux écueils. Le premier consiste à jouer la surenchère répressive au point de contredire ses valeurs et surtout de valider les solutions de l’adversaire qui font préférer, à un électeur doué de logique et convaincu par ce discours, l’original à la copie. Le second consiste à nier le problème, par exemple en parlant de “sentiment d’insécurité” et en s’’appuyant sur des chiffres peu représentatifs qui minimisent les faits, ou encore ne jamais aborder le sujet ou botter en touche en parlant d’autres problèmes.
L’enjeu principal ne consiste pourtant pas à nier l’insécurité mais à décentrer un petit peu et rappeler qu’elle n’est pas l’unique problème, loin s’en faut. Aussi pénible soit-elle pour les populations et les classes laborieuses, il est important de la mettre en perspective avec les autres problèmes auxquels nous sommes aussi confrontés : chômage, bas salaires, exploitation au travail, urbanisme en faveur de la bourgeoisie, destruction de l’environnement dont nous subissons directement les effets, appauvrissement des services publics, rapports néo-coloniaux avec les pays pauvres… Agir sur ces problèmes, si cela ne règle pas tout, permet par ailleurs de réduire de manière notable l’insécurité à moyen terme.
L’autre argument d’importance est de rappeler, malgré les discours d’efficacité et les propositions ultra répressives de la droite, que, dans ce domaine aussi, cette dernière a des résultats absolument pourris. Voilà un constat que beaucoup s’abstiennent de faire mais qui est pourtant éloquent : les méthodes brutales de lutte contre la criminalité et les violences proposées par la droite et l’extrême droite ne fonctionnent absolument pas.
Quelques exemples :
- L’élection du quasi-fasciste Jair Bolsonaro au Brésil, au prix d’un effondrement de l’Etat de droit et d’une militarisation du pays, n’aura abouti à faire baisser le taux de morts violentes intentionnelles seulement… d’1,76 point . Autant dire que l’on est loin des effets d’annonces spectaculaires. Surtout lorsque l’on prend en compte que cette tendance était déjà à la baisse un an avant son élection, et que les facteurs explicatifs de cette nouvelle baisse ne sont pas spécialement à chercher du côté des politiques que Bolsonaro a mises en place.
- Malgré l’accession au pouvoir de Rodrigo Duterte aux Philippines (juin 2016 – juin 2022), qui disait s’inspirer d’Adolf Hitler pour sa politique de lutte contre la criminalité et la drogue, et sa méthode qui a conduit à la mort de 7 000 personnes dont plus de 4 000 par exécutions sommaires par des milices, la criminalité et les enlèvements continuent d’augmenter.
- Donald Trump, pro-armes et partisan de la “méthode forte”, soutien jusqu’au-boutiste d’une police aux actes racistes ultra-fréquents, et à la politique extrêmement hostile vis-à-vis de l’immigration (construction d’un mur, etc), aura vu son mandat se terminer par une augmentation de près de 30% des homicides sur un an en 2020, soit 21 500 homicides (59 par jour). Malgré tous ses discours sur le laxisme du Parti Démocrate, Trump n’aura absolument pas mis fin à l’extrême violence criminelle de son pays, au contraire.
Il faut dire que les méthodes proposées par la droite et l’extrême droite, loin de régler l’insécurité, sont même en partie propices à l’augmenter :
- Réduire les aides sociales, les services publics, faciliter les licenciements et les bas salaires, laisser prospérer les paradis fiscaux, favoriser la gentrification et la ghettoïsation créent autant de conditions propres à la prospérité du crime organisé.
- Les mesures visant à armer la population et à laisser circuler ces armes augmentent les meurtres par armes à feu
- Généraliser la prison pour des délits mineurs, revenant à mettre des petits délinquants, jeunes, au contact de criminels, dans un environnement ultra-violent tout en cassant largement leurs chances de réinsertion future, fait de cette dernière une véritable école du crime.
- Le harcèlement policier et les violences policières créent un ressentiment extrême, bien plus favorable aux explosions de violence qu’à sa disparition.
Il est par ailleurs à noter que certaines formes d’insécurité désintéressent totalement la droite : inceste, violences conjugales, violences sexistes, violences policières, insécurité routière, violences transphobes… La définition dominante du terme “insécurité” exclut en réalité des catégories entières de la société car leur souffrance ne colle pas avec le narratif de droite d’une insécurité implicitement lié à la pauvreté et/ou à l’immigration.
Le lien entre immigration et crime organisé : une certitude contestable
Dans le débat public droitisé, le lien entre insécurité et immigration est présenté comme évident et incontestable. Et pourtant, même lorsqu’il s’agit d’une insécurité qui proviendrait de populations immigrées, ce lien de causalité est contestable.
- En Suède par exemple, lors des dernières élections, l’extrême droite a gagné sur le thème de la guerre des gangs qui fait rage dans la périphérie de Stockholm. Elle s’est attelée à mettre un signe égal et à lier immigration et montée du crime organisé, au point que cela devienne synonyme pour certains. Pourtant si le crime organisé est parfois essentiellement présent dans les milieux immigrés, cela n’a rien d’une constante, permettant de délier les deux phénomènes et ne pas confondre une corrélation avec une causalité. Si le phénomène des gangs en Suède s’est effectivement essentiellement manifesté dans les banlieues pauvres des villes, où sont surreprésentés les habitants en provenance de l’immigration qui n’ont pas les moyens de vivre ailleurs – signifiant par là aussi qu’ils en sont également les premières victimes, ce qu’il est toujours bien de rappeler -, cela n’est pas une vérité générale que l’on retrouverait partout.
- En Irlande et en Pologne, le hooliganisme est un problème majeur d’insécurité, qui ne provient aucunement de personnes immigrées (les hooligans s’adonnant fréquemment, au contraire, à des actes racistes).
- En Russie, “la mafia russe”, nom donné à un ensemble divers d’organisations criminelles, dispose d’un pouvoir absolument effrayant et fait preuve d’une violence endémique. Ses membres sont blancs et slaves, comme les aime l’extrême droite.
- L’extrême droite aime bien prendre l’exemple du Japon qui n’aurait pas de problème d’insécurité car assez homogène culturellement. Si le Japon est un pays sûr, le crime organisé est loin d’y être absent, avec plus de 23 000 yakuzas selon les dernières données.
- En Italie, les mafias italiennes et la Cosa Nostra sicilienne, à l’influence absolument tentaculaire et cause majeure de la criminalité dans le pays, ne sont aucunement liées à l’immigration et préexistaient absolument aux immigrations plus récentes.
- En Colombie, les cartels de drogue sont gérés par des Colombiens et aucunement liés à un phénomène d’immigration.
La liste pourrait continuer.
Pour son documentaire, Donald Macintyre a passé trois ans avec la mafia de Manchester. Coupable de trafic de drogue, de rapt, de racket, de meurtres, de subornation de témoins, elle pourrit la vie des habitants et n’a aucun lien avec l’immigration
Le point commun entre plusieurs des phénomènes criminels cités précédemment, dans des pays aux cultures pourtant extrêmement différentes, sont leurs conditions sociales d’apparition : les banlieues d’Europe de l’Est, aussi blanches que soient leurs populations, ressemblent aux banlieues françaises, qui ressemblent aux banlieues de Suède.
Ne pas nier l’insécurité mais la comprendre est le plus sûr moyen de la combattre
Cela revient à dire une banalité, mais une banalité “politiquement incorrecte” pour reprendre l’expression favorite de la droite : la concentration de problèmes sociaux, le chômage et la pauvreté en particulier, sont un terrain propice au développement du crime organisé et des phénomènes de gangs.
C’est le moment de dire que ce partage du territoire n’a rien de naturel : les centres-villes gentrifiés pour les cadres et la bourgeoisie, et les classes populaires reléguées en périphérie, où l’on retrouve les chômeurs et les travailleurs pauvres obligés de venir en ville tous les jours pour exercer les métiers les moins valorisés et les moins bien payés, au service des premiers, c’est le modèle capitaliste de la ville.
Autre point d’importance, en tant qu’organisation capitaliste, le crime organisé suit le même type de division du travail : tous les risques et les sales besognes sont délégués aux plus démunis, à qui l’on fait miroiter une ascension qui n’arrivera jamais, et les vrais bénéfices sont pour ceux qui les exploitent et blanchissent leur argent grâce à un système financier très favorable à l’opacité.
Par ailleurs, ce crime organisé, qui tourne le plus souvent autour de la drogue et de la prostitution, a besoin de débouchés. Autant dire qu’en ce domaine, les consommateurs ne se limitent ni aux immigrés, ni aux pauvres… La demande créant l’offre, il serait, de plus, un peu de mauvaise foi de ne pas faire reposer la responsabilité du problème à tous ceux qui en tirent avantage, et qui sont loin d’être sous-représentés dans la bourgeoisie de droite. Comme on le voit par exemple avec nos sénateurs cocaïnomanes, défoncés à l’ecstasy et accusés d’agressions sexuelles…
Nier purement et simplement l’insécurité est blessant et énervant pour celles et ceux qui en sont victimes (et est d’ailleurs un paradoxe par rapport à certains phénomènes dénoncés par la gauche : harcèlement de rue, guet-apens contre les gays…). Épouser pour autant les solutions et discours de la droite est suicidaire et d’une stupidité sans nom. Notre rôle est de prendre en compte le réel mais de lui donner les justes explications sur les causes, faire comprendre qu’il n’y a pas de solutions miracles, et que celles qu’on nous propose, racistes et autoritaires, ne font qu’aggraver les problèmes qu’elles prétendent combattre.
Rob Grams