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“Municipales à Paris : Buzyn affiche sa fibre sociale” nous informait le Figaro le 23 février : elle compte s’occuper des personnes âgées et planter des arbres. L’AFP nous renseigne que “l’aile gauche” du parti de gouvernement LREM a fondé un “collectif social démocrate”, “qui réunit des députés LREM à la fibre sociale”.

Les politiques eux-mêmes raffolent du qualificatif, surtout à l’approche des élections municipales où chacun tente d’apparaître comme quelqu’un de simple, les yeux tout plein de projets et le cœur sur la main : “C’est une équipe efficace et organisée », a souligné la chef de file qui n’a pas peur de dire qu’elle est « de droite avec la fibre sociale ».” nous raconte le Télégramme au sujet de la liste “Pontivy avec envie”. Le Dauphiné mentionne quant à lui une candidate vexée de voir écartée de sa liste “un politique humaniste, habité par la fibre sociale” : parfois la fibre sociale vous habite, elle est là, c’est plus fort que vous.

Derrière ces tronches de politicards sans vergogne se cachent en fait un petit chaton tout mignon et au grand cœur

Généralement, quand un politique a la fibre sociale, c’est aussi un grand humaniste (un humanisme qui l’habite aussi d’ailleurs). Les deux termes vont de pair, car ils ont pour point commun de ne pas vouloir dire grand chose. Avoir la fibre sociale, ce n’est pas être socialiste, attention aux amalgames. Avoir la fibre sociale c’est, comme Agnès Buzyn, pouvoir faire voter chaque année les plus gros plans d’austérité pour l’hôpital public et l’assurance maladie tout en posant en photo à côté de personnes âgées aux vêtements ringards et qui sont certainement des pauvres, brrr.

Avoir la fibre sociale, c’est pouvoir mettre des bancs anti-SDF dans sa ville mais pourtant se soucier des pauvres, quand ils sont bien français, qu’ils font des efforts et qu’ils travaillent même avec un salaire de misère… et que l’on peut poser en photo à côté d’eux.

Avant on disait plutôt “faire du social” ou “s’intéresser aux questions sociales’”. Ça ne mangeait pas de pain non plus, ça impliquait de ne pas tout péter mais d’y aller doucement. Désormais, les bourgeois cassent absolument tout de notre modèle social et s’en vantent, et donc ne peuvent plus trop dire qu’ils “font du social”. En revanche, ils peuvent garder une “fibre”, rien qu’une fibre.

La “fibre sociale”, de l’achat de bonne conscience pour hauts cadres d’entreprise 

Une fois encore, nos amis journalistes et macronistes n’ont rien inventé : ils se sont contentés de reprendre un terme très courant dans le monde des hauts cadres de l’entreprise privé. Déjà en 2006, une assemblée d’experts en communication d’entreprise conseillait de “jouer la fibre sociale pour redorer son image”. La démarche s’est popularisée pour devenir un véritable label d’entreprise, le RSE pour “responsabilité sociale et environnementale”, une démarche de communication ayant donné du travail à toute une génération de diplômés en bullshit.

Certains grands patrons sont devenus des experts de la démonstration de possession d’une grosse fibre sociale. C’est le cas d’Howard Schultz, fondateur et patron de la chaîne de vente de café marketé où l’on se fait tutoyer de force : Le Point nous racontait l’année dernière qu’il était “un patron activiste à la fibre sociale”. Pensez-vous, il vient des bas fonds et maintenant sa fortune est estimée à 3.4 milliards de dollars, ce qui l’a poussé à écrire un livre à l’angle très original : “From the Ground Up” (“Partir de rien“) (tout simplement). Il a soutenu le mariage homosexuel, a accordé une assurance santé à ses salariés, “même ceux travaillant à mi-temps”, précise le Point, estomaqué devant tant de bonté. Il a créé des bourses scolaires pour les méritants, il a engagé des anciens combattants… Bref, ce n’est plus une fibre sociale, c’est carrément un câble sous-marin du cœur !

Lui est un patron activiste, parti de rien et avec une fibre sociale, et vous vous êtes un salarié privilégié qui veut la sécurité sociale

On apprend tout de même que le cher homme fait partie du puissant lobby de la restauration qui s’oppose férocement aux grèves qui agitent le secteur pour obtenir une revalorisation des salaires et, très impliqué dans le parti démocrate, il critique vertement le projet d’assurance-maladie universelle portée par Bernie Sanders, qu’il juge “irréaliste”.

Car c’est bien ça la fibre sociale, dans le fond : le pouvoir bourgeois de pouvoir accorder de l’aide à ceux que l’on choisit, à ceux qui le “méritent”, et pas de laisser l’Etat ou la sécu le décider à votre place. Le pouvoir de donner de l’argent où l’on veut mais de payer moins d’impôt. Mais c’est surtout le pouvoir de choisir à quel moment on veut être “social” et à quel moment on veut rester un bâtard de capitaliste qui s’en met plein les poches sur le dos de la société et de la planète. 

Il n’y a pas à dire : Agnès Buzyn a bien une “fibre sociale”.