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Pendant que France Télévision diffusait la nuit des Molières de la Comédie française, l’armée israélienne a déclenché son offensive tant redoutée contre Rafah. Les premiers rapports font état de bombardements extrêmement intenses, de multiples familles totalement éradiquées, de 54 morts et d’une centaine de blessés. Un bilan provisoire qui ne prend pas en compte les enfants encore sous les décombres, mais simplement les corps ayant été ramenés à l’hôpital. Le matin, Israël diffusait l’image d’un tank pénétrant dans la ville en écrasant le panneau de bienvenue « I love Gaza ». L’occupation du principal poste-frontière a également provoqué l’interruption de l’acheminement des convois d’aide humanitaire déjà insuffisants pour empêcher la famine de se généraliser dans l’enclave.

Netanyahou a justifié cette décision en invoquant la nécessité de faire pression sur le Hamas pour qu’il libère les otages. Problème, quelques heures plus tôt, l’organisation avait déjà accepté un accord promettant la libération de tous les otages contre la fin des hostilités. La cruauté orwellienne du gouvernement israélien a été dénoncée par le quotidien israélien Haaretz, qui accuse Netanyahou d’avoir volontairement fait capoter les négociations. Et par les familles des otages qui ont manifesté auprès de dizaines de milliers d’Israéliens le soir même à Tel-Aviv. Leurs revendications ? Arrêt des hostilités contre Rafah, signature immédiate de l’accord de libération des otages et démission du gouvernement. Cette contestation a été très durement réprimée par la police. Il faut croire que les manifestants n’avaient pas écouté le discours « courageux » de la chroniqueuse Sophia Aram à la cérémonie des Molières, prononcé quelques heures après le communiqué de l’ONU confirmant « une famine totale » dans le nord de Gaza. Sophie Aram devait être en train de mémoriser son texte lorsque les premiers bombardements massifs de Rafah firent taire les manifestations de joie spontanées ayant gagné la ville à l’annonce de la décision du Hamas d’accepter les termes de l’accord.

Courage” et “impertinence” bourgeoise

 « Courageux » c’est le mot répété par les principaux admirateurs du discours de « l’humoriste », aux côtés du qualificatif « impertinent ». L’arc du fan-club va des socialistes Jérôme Guedj et Carole Delga à l’essayiste proche d’Éric Zemmour Gilles William Goldnadel.

Il faut dire que le moment appelait au courage. Son collègue Guillaume Meurice venait d’être mis à pied suite à la répétition d’une blague visant le Premier ministre israélien, malgré le classement sans suite prononcé par la justice. Le Monde nous apprenait récemment que l’émission de Charline Vanhoenacker où intervient Guillaume Meurice allait voir son budget sévèrement réduit en dépit de son succès massif. L’autre émission « courageuse » et « impertinente » de la radio publique, « La Terre au Carré », sera déprogrammée, car trop « écoanxieuse » et déplaisante au gouvernement. Cette vague de licenciement s’étend à de nombreuses voix de l’antenne ayant pour point commun le fait de pratiquer le reportage et d’être issue du terrain. Un tour de vis qui s’expliquerait par un souci de plaire au pouvoir et de se plier aux critiques issues de l’extrême droite, la présidente de radio France Sibyle Veil étant – selon l’enquête de Médiapart – obsédée par les critiques émergeant du compte twitter macroniste @Medias_citoyens.

Au moment où le gratin du monde de la culture applaudissait le discours “courageux” de Sophia Aram, l’armée israélienne diffusait son entrée dans Rafah, où sont piégés des centaines de milliers de civils palestiniens

Encore un peu et des slogans « Rasez Gaza ! » fusaient du public dans une forme d’orgie collective.

La censure des voix dissidentes de France Inter s’inscrit dans un contexte plus global d’attaque contre le service public et une vague de « maccarthysme à la française » qui vise toute opposition à la politique israélienne. L’interdiction des meetings de campagne de Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon, les interviews en forme d’interrogatoire conduit de manière raciste contre cette dernière, les convocations par la police des opposants de gauche, l’interdiction de manifestation contre le racisme et la répression policière inouïe qui s’abat sur les étudiants mobilisés s’inscrivent dans une dérive autoritaire bien documentée.

Sophia Aram disposait d’une tribune exceptionnelle pour rétablir un peu de dignité et d’équilibre dans le débat public. Qu’a-t-elle dit de si « courageux » ?

« Nous qui partageons la liberté de pousser un cri sur toutes les chaînes de France ou de hurler nos indignations sur tout et n’importe quoi dans des tribunes, dont la plupart sont cosignés par Annie Ernaux, je pense que nous devrions aussi faire attention à nos silences. Dans le brouhaha de nos indignations faciles, le silence, même relatif, après ce 7 octobre, dans lequel 1 200 Israéliens ont été massacrés, est assourdissant.  Et s’il est évident que nous partageons tous ici les appels au cessez-le-feu. Comment être solidaires des milliers de civils morts à Gaza sans être aussi solidaires des victimes israéliennes ? Comment exiger d’Israël un cessez-le-feu sans exiger la libération des otages israéliens ? Comment réclamer le départ de Netanyahou sans réclamer celui du Hamas ? »

Loin de provoquer les sifflements ou le silence gêné du public, ces propos ont suscité des applaudissements nourris, les caméras de France Télévision capturant des expressions de joie sur les visages des bourgeois réunis sous les dorures des Folies Bergères. Encore un peu et des slogans « Rasez Gaza ! » fusaient du public dans une forme d’orgie collective.



Ce que le moment Aram dit de la psyché bourgeoise

Les civils israéliens « massacrés », ceux de Gaza simplement « morts ». Comment expliquer une telle déconnexion, une telle outrance ? Peut-être qu’à force de regarder CNews, ces bourgeois n’ont pas entendu parler de la décision de la CJI ordonnant à Israël de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour éviter un risque de génocide, considéré comme « probable ». Où du rapport intitulé « Anatomie d’un génocide » rédigé par la rapporteuse spéciale de l’ONU ? Quid de l’enquête des médias israéliens décrivant par le menu la torture et le viol systématique perpétré contre les prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes depuis le 7 octobre, où une quarantaine de détenus sont morts dans d’atroces souffrances ? Des images de prisonniers de guerre – parfois des enfants – montrés dans des situations d’humiliations s’apparentant à de la torture ? Des amputations des bras et des jambes régulièrement menées sur ces prisonniers du fait de leurs conditions de détentions ? De la torture à mort du chirurgien et chef du service orthopédique de l’hôpital Al Shifa ? Des fosses communes où ont été retrouvés des cadavres d’enfants encore ligotés ? Des révélations de la presse israélienne reprise par France 2 et LCI attestant l’emploi généralisé de l’Intelligence artificielle pour cibler les membres présumés du Hamas, préférentiellement lorsqu’ils rentrent dans leurs familles, à l’aide de bombes non guidées qui détruisent des immeubles entiers. On parle d’un système qui tue aussi bien le suspect identifié par l’IA (avec un taux d’erreur de 10 %) que sa famille et ses voisins, avec un seuil de pertes civiles autorisées allant de 15 à 300 femmes et enfants en fonction de l’importance de la cible. Au-delà du fait que cela fasse voler en éclat l’argument des boucliers humains avancé pour justifier les 45 000 morts et disparu ainsi que les centaines d’amputations pratiquées sur des enfants sans anesthésie, ne s’agit-il pas d’une « approche génocidaire », pour reprendre les mots de Amos Goldberg, universitaire israélien spécialiste de la Shoah ?  Quid de l’assassinat délibéré des 7 humanitaires occidentaux qui avaient ému jusqu’à Joe Biden ? Des deux massacres de civils commis à des points de distribution d’aide alimentaire et documentés par la presse occidentale ? Ou simplement, du fait qu’Israël « assume » affamer 2 millions de civils ?

Peut-être qu’à force de regarder CNews, ces bourgeois n’ont pas entendu parler de la décision de la CJI ordonnant à Israël de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour éviter un risque de génocide, considéré comme « probable ».

Impossible d’imaginer que le gratin de la culture française n’ait pas vu passer ces informations, les bourgeois lisent la presse et écoutent France Inter, où Sophia Aram peut combler les « silences assourdissants » devant des millions d’auditeurs sans risquer de se faire convoquer par sa direction.

Peut-être que les sous-entendus et attaques implicites contenus dans son discours ne leur sautent pas aux yeux, épris de leurs suffisances et outrés par tous ces agitateurs qui occupent les facs ou osent employer le mot « génocide » pour parler des massacres et crimes de guerre en cours à Gaza. Mais il n’y a pas besoin de lire entre les lignes pour juger le discours de Sophia Aram comme une bouillie immonde emplie de contre-vérité.

Contrairement au dernier argument auquel les pro-massacre se raccrochent, tout le monde appelle bien à la libération des otages

D’abord, tout le monde appelle bien à la libération des otages, à commencer par leurs familles tabassées par la police du gouvernement israélien au moment précis ou Sophia Aram osait cette « impertinence ». Mais c’est également ce que disent les étudiants de Science-Po, les Insoumis, Rima Hassan ou l’infâme Mélenchon pendant que l’armée israélienne tue ses propres otages agitant des drapeaux blancs au prétexte qu’elle les avait confondu avec des civils palestiniens.

« Comment exiger d’Israël un cessez-le-feu sans la libération des otages ». Mais Sophia, tu n’étais pas encore sortie de ta loge que le Hamas venait tout juste d’accepter pour la énième fois la libération des otages contre un cessez-le-feu, sans exiger la garantie d’Israël que la boucherie ne recommencerait pas après.

Le public des Molières pendant que Sophia Aram accablait les opposants aux massacres coloniaux perpétués par le gouvernement israélien avec le soutien de la France. On cherche les grimaces, les sifflets, la consternation… en vain

« Comment réclamer le départ de Netanyahou sans celui du Hamas ». La France ne livre pas des armes aux Hamas, elle ne commerce pas avec le Hamas, elle ne refuse pas d’établir des sanctions économiques ou diplomatiques contre le Hamas. Elle n’a pas de levier ou moyen de pression pour réclamer le départ du Hamas ou infléchir sa politique. Du reste, malgré l’absence notoire du Hamas en Cisjordanie, Israël y commet ce qu’un reportage du New York Times qualifiait de « nettoyage ethnique » en plus des nombreux crimes de guerre documentés par la presse occidentale, dont les meurtres d’enfants abattus dans le dos tout juste confirmés par une enquête de la BBC.

Ce moment Aram capture parfaitement l’ambiance qui traverse la classe bourgeoise française, tout aussi incapable de s’opposer aux crimes et atrocités quotidiennes subies par les Palestiniens de Gaza et des territoires occupés que de souffrir la moindre remise en cause de sa complicité 

Malgré la censure et l’hystérie médiatique qui s’abat sur ceux qui expriment une solidarité envers les victimes palestiniennes (plus de 1,2 million de morts et disparut rapportés à la population française), Sophia Aram vient nous parler d’un silence assourdissant dont serait l’objet les victimes du 7 octobre. Au moment précis où leurs proches manifestent sous les lacrymogènes de Netanyahou.

Dans ce contexte, comment expliquer autrement que par une forme de jouissance raciste et génocidaire le tonnerre d’applaudissements et les tweets de félicitations issus des dominants ? Ce moment Aram capture parfaitement l’ambiance qui traverse la classe bourgeoise française, tout aussi incapable de s’opposer aux crimes et atrocités quotidiennes subies par les Palestiniens de Gaza et des territoires occupés que de souffrir la moindre remise en cause de sa complicité, que ce soit de la part de l’opposition parlementaire, d’une réfugiée palestinienne courageusement placée en position éligible sur une liste électorale ou de la jeunesse étudiante qui se mobilise.

S’il y a bien un silence de plus en plus assourdissant, c’est celui de la bourgeoisie française. En refusant de dénoncer les crimes commis par le régime de Netanyahou, elle s’en rend complice. Mais ne supporte pas qu’on le lui fasse remarquer. 


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