En mai dernier, le rappeur américain Macklemore sortait un titre intitulé “Hind’s Hall”, que nous avions chroniqué, et qui était devenu presqu’instantanément une hymne de la lutte de soutien aux Palestiniens en Occident. Depuis, le massacre des Gazaouis par Israël s’est poursuivi, tout comme le soutien américain à celui-ci. Israël attaque maintenant également le Liban, tuant, là aussi, des centaines de civils. C’est dans ce contexte que le chanteur a récidivé et sorti Hind’s Hall 2, accompagné cette fois d’Anees, artiste d’ascendance libano-palestinienne et de MC Abdul, jeune rappeur gazaoui de 16 ans.
La Nakba (1948), les massacres de Sabra et Chatila (1982) et de Rafah (2024)
Le premier verset est signé Anees et commence ainsi :
“I say Free Falasteen Because I know of every massacre we suffered The Nakba, Sabra, Shatila and Rafah” (Je dis ‘Libérez la Palestine’ parce que je connais chaque massacre que nous avons subi : la Nakba, Sabra, Chatila et Rafah)
Anees ré-historicise ce à quoi nous assistons aujourd’hui. En évoquant des moments marquants du colonialisme et du bellicisme israélien, il rompt avec le narratif qui ferait débuter le conflit auquel nous assistons par les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023, ou par les attaques/ripostes du Hezbollah depuis le Liban, narratif qui est de toute évidence à l’avantage du colonisateur en ce qu’il masque son immense responsabilité et tous les crimes de masse dont il s’est lui-même rendu coupable auparavant.
Il cite ainsi trois moments dont nous allons parler plus en détails car particulièrement importants dans le contexte actuel.
Comme l’explique l’Institut du Monde Arabe, la Nakba, « la “catastrophe” en arabe, désigne la période de dépossession, d’expulsion, de destructions, de pillages et de massacres à l’encontre des Palestiniens à la fin du mandat britannique sur la Palestine ». C’est, entre 1947 et 1948, près de 800 000 Palestiniens qui seront chassés de chez eux suite à la création d’Israël en mai 1948. L’Etat israélien interdit depuis ce jour le retour des réfugiés, dont certains vivent dans des camps depuis 1948, et c’est donc ce droit au retour qui est exigé, chaque année, par les Palestiniens, lors d’une “marche du retour”.
Comme le dit justement Le Monde, « la Nakba a déstabilisé le Proche-Orient tout entier, implantant en son cœur un État perçu par les Arabes comme un prolongement du colonialisme occidental ».
Le massacre de Sabra et Chatila fut, lui, perpétré au Liban en septembre 1982, dans le cadre de l’invasion du Liban par Israël. L’objectif de l’invasion (nommée par les israéliens “opération Paix en Galilée”) était d’anéantir les franges de la résistance palestinienne réfugiée au Liban, celle de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Précisions à ce stade qu’à la différence du Hamas et du Hezbollah, l’OLP n’est pas considérée par la France comme une organisation terroriste mais bien comme le représentant légitime du peuple palestinien, qui entretient des relations diplomatiques notamment avec la France.
Entre le 16 et le 18 septembre 1982, les milices chrétiennes des Phalangistes libanais (sortes de néofascistes libanais) pénètrent, à Beyrouth, alors que la ville est occupée et contrôlée par Israël, dans deux camps de réfugiés palestiniens, Sabra et Chatila, et en massacrent, pendant trois jours, les occupants sans défense, hommes, femmes et enfants. Les hommes sont fusillés contre des murs, les enfants égorgés, les femmes violées, torturées et tuées. Les bilans varient et le nombre de victimes estimé se situe entre 800 et 5 000 morts.
Les images et témoignages du massacre furent tellement immondes qu’ils créèrent des remous dans le monde entier, même jusqu’en Israël où des milliers de personnes manifestèrent le 26 septembre à Tel-Aviv. C’est ainsi que l’on appris, par la commission d’enquête en Israël, que le ministre de la Défense, le général Sharon (qui fut, plus tard, Premier ministre d’Israël entre 2001 et 2006), avait pris la décision d’envoyer les milices chrétiennes (alliées d’Israël) sur les camps de Sabra et Chatila.
Le Hezbollah, groupe armé et parti politique islamiste et chiite, dont on parle beaucoup aujourd’hui, est précisément né durant et en réaction à l’occupation israélienne au Liban.
Rafah est une ville palestinienne qui servait, dans le cadre des massacres que perpétue depuis un an l’armée israélienne contre la population palestinienne, de refuge pour les populations civiles gazaouies et était l’un des points d’entrée pour l’aide humanitaire. Après avoir fait fuir les Gazaouis vers Rafah, qui est passée en quelques mois de 280 000 habitants à près d’1,4 million, Israël s’est mis à bombarder la ville. L’Etat israélien a donc bombardé, le 26 mai 2024, un centre pour personnes déplacées (le camp de Tal Al-Sultan), brûlant vif des dizaines de réfugiés dans leurs tentes. Le bilan fut d’environ 50 morts et plus de 180 blessés. Les civils n’avaient, bien sûr, reçu aucun ordre d’évacuation. Les bombes de 110 kilos larguées sur des civils provenaient quant à elles des Etats-Unis. Ce bombardement était intervenu seulement trois jours après que la Cour internationale de justice ait demandé à Israël de cesser son offensive à Rafah, en application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Le 28 mai, et malgré l’indignation mondiale, Israël a réitéré et bombardé un second camp de déplacés, tuant au moins une vingtaine de personnes.
Comme l’expliquait Médecins sans frontières, “il n’y a plus d’hôpital pleinement opérationnel à Rafah, l’hôpital koweïtien ayant également été mis hors service à la suite d’une frappe aérienne qui a tué deux membres de son personnel.” De plus, “l’opération terrestre” à Rafah avait entraîné, selon Le Monde, “la fermeture du passage frontalier avec l’Egypte, vital pour l’acheminement de l’aide humanitaire”.
On le voit : il existe une continuité historique dans les massacres et les invasions menés par l’Etat d’Israël.
MC Abdul : un témoin direct de l’horreur à Gaza
Le second verset de Hind’s Hall 2 est signé Mc Abdul. Mc Abdul est un rappeur palestinien né en 2008, et qui s’est fait connaître en 2020 alors qu’il n’avait que 11 ans grâce à des vidéos où il chante et fait connaître le quotidien à Gaza.
Dans son verset, celui-ci décrit très directement l’horreur que fait subir Israël aux habitants de Gaza :
“My moms calling (Ma mère appelle)
She’s telling me she’s kinda scared (Elle me dit qu’elle a un peu peur)
I hear the bombs falling (J’entends les bombes tomber)
I smell the death up in the air (Je sens la mort dans l’air)
My uncle lost his children (Mon oncle a perdu ses enfants)
I lost my cousins (J’ai perdu mes cousins)”
La question du génocide
Mc Abdul qualifie le massacre de son peuple par Israël de génocide :
“I’ve seen massacres (J’ai vu des massacres)
I’m grateful to be alive (Je suis reconnaissant d’être en vie)
You appreciate life (On apprécie la vie)
When you survive a genocide (Quand on survit à un génocide)”
Le terme “génocide” désigne un acte intentionnel visant à détruire tout ou une partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel.
Dans le cas des Palestiniens, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour les territoires palestiniens, Francesca Albanese, a rendu un rapport au titre explicite : “Anatomie d’un génocide” tandis que la Cour internationale de justice des Nations unies a reconnu un “risque de génocide”.
Plusieurs historiens israéliens qualifient également ce qu’il se passe à Gaza de génocide. C’est le cas, par exemple, d’Omer Bartov, historien israélien-américain et spécialiste de la Shoah, d’Amos Goldberg, auteur d’un article intitulé “Oui, c’est un génocide”, ou encore de Ilan Pappé, auteur du livre Le Nettoyage ethnique de la Palestine.
Le procureur de la Cour pénale internationale, qui demande des mandats d’arrêts à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant son ministre de la Défense, parle lui plutôt de “crimes de guerre” et de “crimes contre l’humanité”.
In fine, la terminologie n’est pas l’essentiel, c’est le réel du massacre : l’Etat d’Israël massacre des civils dans des proportions qui dépassent n’importe quelle opération à but militaire, en violation de toutes les normes du droit international et de la morale la plus élémentaire. Il le fait dans un but de terreur et de conquêtes coloniales de territoires, couplé à une idéologie raciste.
Les conditions de vie (ou de survie) atroces à Gaza
Mc Abdul évoque les conditions de vie à Gaza :
“Got a problem with a system (J’ai un problème avec un système)
That doesn’t want us existing (Qui ne veut pas de notre existence)
Turn a city to a prison (Qui transforme une ville en prison)
That’s missing living conditions (Sans conditions de vie décentes)”
Les conditions de vie à Gaza, une des zones les plus densément peuplées au monde, étaient déjà épouvantables avant le 7 octobre 2023.
Cela fait en effet plus de 17 ans que la bande de Gaza est sous blocus israélien.
En novembre 2022, le journal Ouest-France décrivait “un enfermement total” dans lequel “une majorité des deux millions d’habitants survivent dans le plus grand dénuement”.
En août 2023, l’ONU notait que “les habitants de Gaza sont confrontés à des pénuries d’électricité (…) pouvant durer jusqu’à 12 heures par jour”.
L’ONG de lutte pour les droits de l’homme, Human Rights Watch, rappelait, elle, que “la politique de bouclage d’Israël empêche la plupart des habitants de Gaza de se rendre en Cisjordanie (…) Israël empêche également les autorités palestiniennes d’exploiter un aéroport ou un port maritime à Gaza. Les autorités israéliennes y restreignent aussi fortement l’entrée et la sortie des marchandises”.
Comme le décrivait Ouest-France, “un haut mur de béton ou de grillage, bardé de caméras et de capteurs, enserre (…) la bande de terre de 40 km de long sur 6 à 12 km de large” auquel il faut ajouter le survol permanent de drones de surveillance.
C’est notamment ce qui fait que le qualificatif de “prison à ciel ouvert” s’est répandu (depuis les massacres de 2023-2024, on parle parfois maintenant de “cimetière à ciel ouvert”…).
C’est toute l’économie gazaouie qui est détruite par le blocus. Comme l’expliquait l’article de Ouest-France en 2022, les “agriculteurs de Gaza ne peuvent plus exporter leurs fruits et leurs légumes en Israël, donc les prix se sont effondrés. À l’inverse, le blocus a renchéri le coût du fioul nécessaire pour pomper l’eau du puits, comme le prix des engrais.” Même situation du côté des pêcheurs, qui doivent se partager une “minuscule bande maritime de 20 milles nautiques que leur concède le blocus israélien”.
Les médecins constataient également une forte progression des pathologies mentales.
Les conditions de vie atroces, inhumaines, dans lesquelles l’Etat colonial israélien a enfermé les Gazaouis pendant plus de dix ans, sont une donnée essentielle pour comprendre comment l’idéologie du Hamas a pu pénétrer au sein d’une population jeune, sans espoir, et rongée par une compréhensible colère.
Les attaques israéliennes massives et continues contre ce minuscule territoire depuis octobre 2023 ont énormément aggravé des conditions de vie qui étaient déjà catastrophiques.
Médecins sans frontières décrit la situation : “L’armée israélienne continue de pousser inexorablement les Gazaouis dans des zones qu’elle déclare sûres mais qui, en réalité, sont exposées aux bombardements et aux combats. Au 16 mai, 78% du territoire gazaoui était concerné par des ordres d’évacuation émanant d’Israël. Les Palestiniens de Gaza sont aujourd’hui pris en étau par les combats et entassés dans un réduit invivable où des familles entières tentent de survivre dans des conditions impossibles, sans aucune garantie de sécurité.” (…) “L’approvisionnement en eau est critique dans toute l’enclave. Faute de fuel, les usines de désalinisation fonctionnent au ralenti.” (…) “L’aide, quand elle n’est pas complètement entravée, entre au compte-goutte et ne peut en aucun cas répondre de façon adéquate aux besoins immenses des Palestiniens de Gaza.”
Parmi les problèmes les plus préoccupants : la faim qui pourrait se transformer en famine. Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres déclarait en mars dernier qu’« 1,1 million de personnes sont confrontées à des niveaux catastrophiques de faim à Gaza – c’est la crise alimentaire la plus vaste et la plus grave au monde ». Le procureur de la Cour pénale internationale avait considéré qu’Israël utilise délibérément la famine comme arme de guerre.
Qui “sert” qui ? La Maison Blanche sert-elle les sionistes ou Israël sert-il la Maison Blanche ?
Macklemore chante lui le troisième verset qui commence ainsi :
“They done woke up the world now (Ils ont réveillé le monde maintenant)
We know who you serve at the White House (On sait qui vous servez à la Maison-Blanche)”
“On sait qui vous servez à la Maison Blanche” est une formulation ambiguë.
On peut y lire “la Maison Blanche sert les intérêts d’Israël”. Pris au premier degré, cela est en grande partie vrai : les Etats-Unis apportent un soutien massif et essentiel à Israël, à la fois financier, militaire et diplomatique.
Toutefois, cette formule peut aussi opérer une confusion si elle signifie que “la Maison Blanche sert les sionistes”. Pourquoi confusion ? Car c’est plutôt l’inverse. Le colonialisme israélien est venu servir les intérêts occidentaux (tout en s’autonomisant avec ses dynamiques propres). Si on ne comprend pas cela, on ne comprend pas pourquoi tout semble en effet autorisé à Israël, à tel point que le Parti démocrate aille jusqu’à mettre en danger sa propre réélection. Kamala Harris, vice-présidente des Etats-Unis et candidate démocrate à l’élection présidentielle, a d’ailleurs eu des mots très clairs après la riposte iranienne contre Israël le 1er octobre 2024 : “Nous n’hésiterons pas à agir pour défendre les forces américaines et nos intérêts”.
Cette erreur analytique de Macklemore (ou en tout cas ce que l’on peut déduire de cette formule prise telle quelle) peut malheureusement avoir des conséquences fâcheuses si on en déroule le fil : s’imaginer que la première puissance impérialiste du monde serait « inféodée aux sionistes », donc à un corps particulier au sein de l’Etat qui dicterait sa loi, c’est à la fois naïf sur la capacité des impérialistes américains à défendre avant toute chose leurs intérêts propres, mais c’est surtout reprendre, sûrement sans le vouloir et inconsciemment, un vieux narratif antisémite.
Clarifions donc : si les puissances impérialistes occidentales soutiennent Israël c’est parce qu’Israël est la pointe avancée des intérêts capitalistes occidentaux au Proche-Orient. Si le soutien à Israël fait désormais, et de manière étonnante lorsque l’on connaît son histoire, partie du logiciel de la majorité de l’extrême droite, ce n’est pas non plus à cause de l’inféodation aux sionistes, mais à cause d’un raisonnement en terme de choc des civilisations qui vient masquer les réalités coloniales et les dynamiques capitalistes. Ce qui serait donc en jeu pour cette extrême droite : une guerre à mort entre « judéo-chrétiens » et « musulmans ».
Cela ne veut pas dire, bien sûr, qu’il n’existe pas des capitalistes américains pro-israéliens mettant une pression ferme, et d’ailleurs au grand jour, sur la politique extérieure américaine, mais que ne considérer que cette variable explicative est à la fois simpliste et source de confusion.
Mais alors quels sont les intérêts américains en Israël ?
Tout d’abord, les Etats-Unis sont en conflit avec l’Iran. L’Iran possède la quatrième plus grande réserve de pétrole et la deuxième plus grande réserve de gaz naturel au monde, mais la politique de l’Iran de nationalisation des industries stratégiques et de limitation de l’accès des entreprises étrangères, en particulier américaines, réduit les opportunités d’investissement et de profit pour les multinationales américaines. L’Iran joue également un rôle clé dans l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). L’Iran, avec son objectif de contrebalancer l’influence des États-Unis et de ses alliés, pourrait pousser l’OPEP à adopter des politiques contraires aux intérêts des grandes multinationales occidentales. Le rapprochement de l’Iran avec la Chine, en particulier, est aussi perçu comme une menace, car il ouvre un accès stratégique à des investissements dans le secteur énergétique iranien, au détriment des intérêts américains.
Ce détour par l’Iran est important car il est l’une des raisons du soutien américain à Israël qui sert de contrepoids à l’influence iranienne, qui pourrait menacer la sécurité des routes d’exportation de pétrole et influencer les prix mondiaux de l’énergie. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Etats-Unis s’appuient sur Israël pour détruire le Hamas et le Hezbollah qui sont soutenus par l’Iran.
Également s’agissant des intérêts énergétiques américains, Israël a récemment développé des relations diplomatiques avec plusieurs pays du Golfe, dont les Émirats arabes unis et Bahreïn, à travers les accords d’Abraham. Ces nouveaux liens facilitent la mise en place de partenariats qui stabilisent l’accès aux ressources énergétiques pour les américains. Les États-Unis, avec l’appui d’Israël et d’autres alliés, ont un intérêt à garantir la sécurité des voies maritimes comme le détroit d’Ormuz, par où transite une grande partie du pétrole mondial. Israël, par sa capacité de renseignement et sa collaboration militaire, contribue à cette sécurité maritime.
De plus avec la découverte de gisements de gaz naturel offshore en Méditerranée orientale (comme Leviathan et Tamar), Israël est devenu un acteur énergétique régional. Bien que cette production soit modeste par rapport aux géants pétroliers de la région, elle contribue à diversifier les sources d’énergie pour l’Europe, ce qui est favorable aux intérêts américains, qui cherchent à réduire la dépendance européenne envers le gaz russe.
Les États-Unis et Israël collaborent aussi étroitement sur des technologies de défense avancées, comme le système de défense antimissile Dôme de Fer. Israël est un laboratoire de tests militaires qui permet aux États-Unis d’améliorer leur propre technologie.
D’une manière générale, Israël est un centre d’innovation technologique, notamment dans les domaines de la cybersécurité, de la médecine, et des technologies vertes. Dans la sécurité on peut par exemple citer l’acquisition de la startup israélienne Talon CyberSecurity pour renforcer ses capacités de cybersécurité par Palo Alto Networks. En termes de technologies vertes, Israël est un leader mondial en matière de désalinisation et de technologies de gestion de l’eau. La société israélienne IDE Technologies a construit certaines des plus grandes usines de désalinisation en Californie, comme l’usine de Carlsbad, qui fournit de l’eau potable à des centaines de milliers de personnes. Bref, les États-Unis tirent profit des avancées israéliennes et des partenariats économiques bilatéraux.
De la même façon, si la France macronisée soutient Israël, ce n’est pas parce qu’un BHL fanatisé fait la tournée des plateaux TV, parce que Macron ne serait que « le pantin de Rothschild », « du CRIF » ou d’on ne sait qui d’autres, mais bien, d’une part, parce que les capitalistes français considèrent que cela est dans leur intérêt – comme l’alignement atlantiste avec les Etats-Unis est généralement leur intérêt – et d’autre part parce qu’il est intéressant pour l’extrême droite en hégémonie idéologique de porter le narratif de la guerre de civilisations qui ferait rage au Proche-Orient de la même manière qu’elle ferait rage en France, et de nous habituer, de nous conditionner à la déshumanisation des Arabes, de légitimer et normaliser le massacre de Musulmans.
Les intérêts capitalistes français en Israël sont du même ordre que ceux des Etats-Unis.
Des entreprises françaises collaborent étroitement avec des start-ups israéliennes, en particulier dans les domaines des technologies de pointe telles que la cybersécurité, les technologies médicales, et les fintech. Par exemple, la société française Thales, spécialisée dans la défense et la sécurité, a racheté des entreprises israéliennes dans le domaine de la cybersécurité. Des entreprises françaises d’armement, telles que Safran et Airbus, ont des liens forts avec Israël. Autre exemple, Elbit Systems, une entreprise israélienne spécialisée dans l’électronique de défense, collabore avec des groupes français pour fournir notamment des drones et des systèmes de communication avancés.
Veolia de son côté a investi dans des projets de désalinisation et de traitement des eaux usées en Israël tandis que des entreprises françaises, telles que EDF Renouvelables, sont impliquées dans le développement de projets d’énergie solaire en Israël. BNP Paribas et Crédit Agricole, investissent dans des entreprises israéliennes en phase de croissance, en particulier dans le secteur technologique. Des entreprises comme Accor Hotels ont investi dans des hôtels en Israël
Notre ennemi – le colonisateur Israélien et ses soutiens – mobilise un imaginaire raciste. Face à celui-ci, la solution est donc toujours de décaler et de restituer les termes réels de la situation, et surtout pas de lui faire miroir en reprenant des tropes antisémites. La colère rend parfois moins vigilant et pourtant il faut l’être car l’extrême droite antisémite est toujours en embuscade pour livrer des explications simplistes à la situation qui permettent d’en masquer les enjeux réels (les dynamiques coloniales de l’Occident impérialiste).
Ainsi, autant que cela est possible, l’expression sur ce sujet demande de la précision pour éviter de tomber dans les pièges tendus par nos ennemis – que ce soit les pro-israéliens ou l’extrême droite antisémite – et que des grilles de lectures que nous ne partageons pas s’immiscent dans les interstices laissées par des formules suggestives.
La division raciste : un atout pour le capitalisme
Toutefois, Macklemore est tout à fait conscient de l’agitation raciste créée et voulue par la classe capitaliste, ainsi que sa fonction.
“Capitalism killing us (Le capitalisme nous tue)
That’s something we can’t afford (C’est quelque chose qu’on ne peut pas se permettre)
They want us to hate each other (Ils veulent qu’on se déteste)
in the interest of war (dans l’intérêt de la guerre)
Afraid of the mosque (effrayés par les mosquées)
And afraid to light the menorah (et effrayés d’allumer la ménorah)”
La division raciste du monde vient justifier pour les capitalistes à la fois les inégalités au sein des sociétés occidentales mais aussi les dynamiques impérialistes et coloniales à l’échelle internationale. C’est ce que Macklemore a bien compris en désignant la peur des mosquées ou de la menorah (qui est le nom du chandelier à sept branches du Temple de Jérusalem, l’un des symboles du judaïsme).
Kamala Harris, candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine, soutient Israël
Dans son verset, Macklemore prend directement à partie la candidate à la succession de Joe Biden, Kamala Harris :
“Hey Kamala (Salut Kamala)
I don’t know if you’re listening (Je ne sais pas si tu écoutes)
But stop sending (Mais arrête d’envoyer)
Money and weapons (De l’argent et des armes)
Or you ain’t winning Michigan (Sinon tu ne gagneras pas le Michigan)
We uncommitted (On est “indécis” / “non-engagés”)
And hell no we ain’t switching positions (Et non, on ne change pas de position)”
De toute évidence, la victoire de Donald Trump ne serait en rien une bonne nouvelle pour les gazaouis ou les libanais. Toutefois, la perspective d’une défaite du Parti Démocrate en raison d’une démobilisation d’un électorat dégoûté par le soutien américain à des massacres de masse de civils, est l’un des rares moyens de pression dont dispose le mouvement pro-palestinien états-unien et qu’utilise ici Macklemore.
Le soutien des Etats-Unis au colonialisme israélien a été constant depuis la création de l’Etat d’Israël. Comme nous l’apprend TV5 Monde, “entre 1946 et 2023, Israël a reçu environ 260 milliards de dollars américains, selon un rapport du Congrès américain publié au mois de mars.” Cela en fait le pays qui a reçu le plus de ressources de la part des Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En 2016, Barack Obama avait, lui, signé un accord consacrant 38 milliards de dollars d’aide militaire pour Israël pour la décennie 2017-2028, permettant à Israël d’acheter des avions de combat américains qui sont ensuite utilisés pour bombarder les civils palestiniens.
Joe Biden en a rajouté une couche avec une nouvelle aide militaire de 13 milliards de dollars en avril 2024, puis une nouvelle livraison d’armes à hauteur d’1 milliard de dollars pour aider au massacre en mai 2024. En août, les Etats-Unis approuvaient de nouveau une vente de 20 milliards de dollars d’armement, et en septembre une aide financière de 8,7 milliards de dollars pour soutenir “ses efforts militaires”.
Dans les élections américaines, le Michigan est ce qu’on appelle un “swing state” c’est-à-dire un “Etat pivot”. Cela signifie qu’il fait partie des Etats “indécis” où le vote n’est pas acquis ni au camp démocrate, ni au camp républicain. Emporter cet État peut donc avoir un rôle décisif dans la victoire à la présidentielle.
Dans le Michigan, les sondages donnent Donald Trump et Kamala Harris au coude à coude.
Quand Macklemore dit “We uncommitted” c’est en référence au mouvement Uncommitted qui s’est créé pendant les primaires démocrates pour faire pression pour changer la politique américaine de soutien à Israël. Celui-ci a déclaré qu’il ne soutiendrait pas Kamala Harris.
Or on compte dans le Michigan “350 000 Arabo-américains”, une communauté et un électorat qui se sent, souvent, solidaire de l’horreur vécue par les Palestiniens, et maintenant les Libanais. Marie Mallet, spécialiste des groupes minoritaires aux Etats-Unis, affirmait que le vote de cette communauté pourrait être “décisif”. En effet, il y a quatre ans, le président démocrate Joe Biden n’avait emporté le Michigan qu’à 150 000 voix d’écart contre son concurrent républicain. 20 Minutes cite par exemple le cas d’Abdullah Hammoud, maire démocrate de Dearborn, une ville de plus de 100 000 habitants proche de Détroit, qui appelle à l’abstention, alors même qu’il était auparavant un fervent soutien de Joe Biden. Celui-ci a déclaré “si sauver la démocratie veut dire soutenir le terroriste Netanyahou, alors ça vaut le coup de sacrifier la démocratie américaine ». Concrètement, le soutien des “Arabo-américains” au Parti démocrate est passé de 59% en 2020 à 17% en 2023.
Ces propos sont une réponse au chantage immonde auquel se livre le Parti Démocrate, qui n’est pas sans rappeler le chantage au “barrage républicain” ici en France. C’est justement à Détroit (principale ville du Michigan) en août qu’un discours de Kamala Harris avait été interrompu par des militants du mouvement Uncommitted, clâmant « Nous ne voterons pas pour le génocide ». Plutôt que de prendre au sérieux la revendication de ces derniers, celle-ci avait répondu avec un cynique “You know what? If you want Donald Trump to win, then say that, otherwise I’m speaking.” (« Vous savez quoi ? Si vous voulez que Donald Trump gagne, dites-le. Sinon, c’est moi qui parle »). Voilà le choix qu’offre la gauche américaine à celles et ceux qui veulent que les massacres cessent : ou bien l’extrême droite trumpesque et la poursuite des massacres à Gaza et au Liban, ou bien la gauche libérale et…la poursuite des massacres à Gaza et au Liban. Au chantage à Trump de la part de Kamala Harris, une partie de l’électorat tente de répondre par un autre “chantage” : ou bien un changement de politique vis-à-vis de Gaza ou bien la défaite électorale.
Le message de Macklemore : retrouver notre humanité commune
Le verset de Macklemore se termine par un rappel de notre humanité commune, qu’une vie vaut une autre vie. Ce qui pourrait passer pour une banalité est pourtant mis à mal par une intense propagande raciste qui ne considère les vies arabes que comme des “dommages collatéraux” ou des “boucliers humains”.
“When will Congress decide (Quand le Congrès décidera-t-il)
a Palestinians life (Qu’une vie palestinienne)
Is just as precious (Est tout aussi précieuse)
as an Israelis (Qu’une vie israélienne ?)
We don’t own the earth (On ne possède pas la terre)
Don’t own the earth (On ne possède pas la terre)
We killing each other (On se tue les uns les autres)
Over some lines in the dirt (Pour quelques lignes dans la poussière)
We bleed the same blood (On saigne du même sang)
Feel the same hurt (On ressent la même douleur)
Palestinian life (Une vie palestinienne)
Does it have the same worth? (A-t-elle la même valeur ?)”
Ces propos rappellent ceux de Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales et professeur à Sciences Po, qui disait “On paye le fait qu’on n’arrive pas à concevoir qu’un humain vaut un humain. La douleur d’une famille palestinienne est identique à celle d’une famille israélienne. Le sentiment dans la région, c’est qu’il y a une inégalité de traitement et une indifférence aux causes du mal.”
Voilà qui tranche par exemple avec ceux, barbares, de Sarkozy Junior qui déclarait “Si le Hamas et le Hezbollah sont autorisés à se cacher derrière des civils innocents, cela enverra un message à tous les groupes terroristes dans le monde : les boucliers humains fonctionnent. Pour protéger les civils innocents à l’avenir, nous devons affronter et détruire ces groupes terroristes afin de montrer qu’une telle tactique inhumaine ne sera jamais tolérée. Cette vérité tragique est l’un des nombreux paradoxes auxquels nous sommes confrontés.(…) C’est pour ça qu’il faut malheureusement risquer et parfois même engendrer la mort des civils.”
Le paradoxe n’est pas là où Sarkozy pense qu’il est, car si on accepte l’idée que tuer des civils innocents peut être un mal nécessaire, que tous les moyens sont permis si la cause est juste, alors tout devient possible et ce sont, avec ce raisonnement, tout aussi bien les crimes de guerre du Hamas qui pourraient devenir légitimes en miroir, là où l’on devrait plutôt en appeler au droit international. Ce droit international reconnaît comme juste et légale la cause palestinienne mais comme illégaux et criminels les moyens qu’a utilisé le Hamas le 7 octobre 2023, tout comme ceux utilisés avec constance par Israël depuis ce jour-là, pour une cause elle-même illégitime et illégale (l’accélération de la colonisation).
“Hind’s Hall” : une référence à Hind Rajab, assassinée par Israël à l’âge de six ans
Comme Hind’s Hall première du nom, le titre de la chanson Hind’s Hall 2 fait référence au Hamilton Hall de l’Université de Colombia à New York. Celui-ci a été renommé par les étudiants Hind’s Hall afin de rendre hommage à Hind Rajab, petite fille palestinienne de 6 ans exécutée par les forces israéliennes en janvier 2024.
Une chanson qui finance l’UNRWA
Comme la précédente, l’argent collecté avec cette chanson va à l’UNRWA.
L’UNRWA (en français : l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) est un programme de l’ONU qui, depuis 1949, vient en aide aux réfugiés palestiniens à Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Concrètement l’UNRWA fait fonctionner des écoles et met à disposition du personnel soignant.
Les Etats-Unis avaient annoncé définancer le programme. Au-delà des financements, l’UNRWA, son personnel et ses infrastructures ont été une cible privilégiée de l’armée israélienne. Celle-ci a tué plus de 171 de ces agents de l’ONU et a bombardé plus de 140 de ses centres.
Il est possible de faire des dons à l’UNRWA à cette adresse : https://www.unrwa.org/
Hind’s Hall 2 appelle à reconnaître notre humanité commune. Cette chanson dénonce l’impérialisme et les dynamiques coloniales d’Israël et des Etats-Unis au Proche Orient pour nous rappeler que chaque vie humaine à une valeur égale, que ce soit en Israël ou en Palestine. Le choix de Macklemore de soutenir financièrement l’UNRWA montre que lorsque cela est possible la solidarité ne doit pas rester discursive mais se traduire en actions concrètes.
ROB GRAMS
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