Le mardi 17 septembre 2024, l’Etat d’Israël a fait exploser au Liban, à distance, des appareils de communication piégés, tuant une dizaine de personnes dont plusieurs enfants, et en blessant des milliers d’autres, dont de très nombreux civils. Celui-ci a réitéré le lendemain, tuant cette fois une vingtaine de Libanais et en blessant 450 autres. Violation avérée du droit international, ce qui aurait été considéré comme une attaque terroriste abjecte de la part de n’importe quel pays ou groupe armé non-occidental est décrit ici comme une “prouesse technologique”, “un message fort”, une “merveille d’intelligence”, une opération “spectaculaire”, etc. Retour sur un deux poids deux mesures aussi habituel qu’affligeant.
Ce qu’il s’est passé : Israël déclenche des milliers d’explosions au Liban
Le mardi 17 septembre, Israël a donc fait exploser des bipeurs (des appareils de communication) au Liban faisant 12 morts, dont deux enfants et quatre professionnels de santé travaillant dans la banlieue de Beyrouth, et environ 2 800 blessés.
Le mercredi 18 septembre, celui-ci a réitéré en faisant exploser des talkies-walkies, tuant 20 personnes et en blessant 450 autres. Certaines des explosions se sont déroulées pendant des obsèques.
Ces attaques massives visaient le Hezbollah mais comme toujours sans aucun égard pour les civils. Le Hezbollah est un groupe paramilitaire islamiste libanais, considéré comme terroriste dans de nombreux pays dont la France, né après l’invasion israélienne du Liban en 1982. Malgré le retrait des troupes israéliennes en l’an 2000, des territoires restent disputés. C’est le cas de ce qu’on appelle les “fermes de Cheeba” dans le Sud-Liban qui sont occupées par Israël. Il s’agit d’un emplacement stratégique à proximité du point de triple frontière entre la Syrie, le Liban et Israël. Le Golan, région syrienne annexée par Israël en 1981 après son invasion en 1967, est un autre territoire disputé, cette annexion n’étant pas reconnue internationalement et l’ONU la considérant comme “nulle et non avenue”. Il abrite désormais des colonies de peuplement israéliennes. La Syrie étant un soutien du Hezbollah, ce dernier lance parfois des attaques contre les positions militaires israéliennes dans le Golan occupé.
Le deux poids deux mesures permanent en faveur d’Israël : des attaques terroristes deviennent des “prouesses technologiques”
Alors qu’on aurait du s’attendre à une condamnation unanime en France, d’autant que l’apologie de terrorisme est strictement encadrée, on se rend compte que cela ne s’applique pas si le coupable est Israël.
C’est ainsi que l’on a vu le consultant Mathias Ulmann parler d’une “opération de hacking phénoménal”, d’une “prouesse technologique” et d’un “message fort”. Autant de termes qui, si on les appliquait, par exemple, au 11 septembre 2001, vaudraient immédiatement une visite de la DGSI et une garde-à-vue prolongée. Mais l’Etat d’Israël, lui, semble avoir le droit de déclencher des explosions dans un territoire étranger et de faire des milliers de victimes dont de très nombreux civils, car son attaque terroriste est “un message fort”.
“Prouesse technologique” c’est aussi le terme employé par l’avocat d’extrême droite G-William Goldnadel sur Europe1 qui parle également d’une opération “difficilement critiquable moralement”. C’est vrai ça, que pourrait-il bien y avoir de “moralement critiquable” dans le fait de tuer des Libanais ? Dans la morale néofascisante actuelle, ce n’est pas le fait de tuer des civils qui est “moralement critiquable”, c’est de tuer des civils occidentaux ou israéliens – les vies des civils musulmans, arabes, libanais, palestiniens ne pouvant être considérés que comme des “victimes collatérales” ou “des boucliers humains”.
Xavier Gorce, dessinateur médiocre de pingouins réacs, adoré de la fachosphère et des plateaux télé de la bourgeoisie de gauche, s’en est aussi donné à cœur joie parlant d’une “merveille d’intelligence, d’ingéniosité et d’élaboration” et d’une “frappe micro-chirurgicale épargnant les civils”. Doit-on comprendre que Fatima Abdallah, fillette de 10 ans tuée dans son salon, n’était pas une civile ?
Parler “d’ingéniosité” quand on parle de meurtres, d’assassinats de masse, d’exactions qui ont touché de nombreux civils, traduit un niveau de déshumanisation et de barbarie extrêmement avancé.
L’Express, visiblement prêt à sortir les popcorns devant les corps de Libanais déchiquetés, parle lui d’une “opération spectaculaire”.
L’ignoble Meyer Habib, ancien député des français de l’étranger dont nous avions fait le portrait, lui, en rigole, fidèle à lui-même, partage la photo des suites d’une explosion et parle du biper comme du “meilleur des laxatifs”.
Noémie Issan-Benchimol, normalienne en philosophie et étude hébraïques, très active sur les réseaux sociaux pour servir de caution de gauche au discours pro-israélien, partage elle le fil de l’auteure Céline de Roany tentant laborieusement de dire que ces attaques seraient conformes au droit international.
On appelle “hasbara” (qui signifie “explication” en hébreu) ces gens qui se font les relais permanents de la propagande israélienne et sur laquelle s’appuie, très ouvertement, l’Etat d’Israël pour toujours tenter de justifier, auprès de l’opinion occidentale, l’injustifiable.
On avait vu un bon exemple de cette propagande lorsque l’Iran avait riposté par une attaque de drones, qui n’avait tué personne, à l’assassinat de seize personnes, dont des diplomates, dans le bombardement de son consulat à Damas. Cette riposte était alors présentée ici comme “une agression” de la part de l’Iran.
La réalité : une énième exaction de la part d’Israël et une violation évidente du droit international
En vérité, ce n’est pas le fait d’être musulman ou islamiste qui détermine si une action est terroriste, c’est la nature de l’action en elle-même. Si des attaques terroristes sont commises par le camp occidental dont fait partie Israël, cela reste du terrorisme.
C’est précisément pour cela que le droit international (qui parle plutôt de “crimes de guerre”) édicte des règles qui sont valables pour tout le monde. Et face à la propagande israélienne qui prétend que l’Etat d’Israël serait au dessus de toutes les lois, c’est bien le droit international qu’il s’agit d’opposer, droit qui ne peut pas être tordu à sa guise comme se l’imagine par exemple Céline de Roany.
Le Haut-Commissaire de l’ONU a lui été très clair, affirmant que les responsables “devront rendre des comptes” et précisant que “le ciblage simultané de milliers de personnes, qu’il s’agisse de civils ou de membres de groupes armés, sans savoir qui était en possession des engins ciblés, où ils se trouvaient et dans quel environnement ils se trouvaient au moment de l’attaque, constitue une violation du droit international des droits de l’homme et, dans la mesure où il est applicable, du droit international humanitaire”
Dans la continuité, Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, a déclaré être “profondément alarmé par les informations selon lesquelles un grand nombre d’appareils de communication ont explosé au Liban et en Syrie, tuant au moins 11 personnes, dont des enfants, et en blessant des milliers. Tous les acteurs doivent faire preuve d’une retenue maximale pour éviter toute nouvelle escalade.”
Les violations du droit international de la part d’Israël ne sont pas une exception. En ce domaine, Israël est l’un des États les plus criminels au monde.
Le lendemain des attaques, le 18 septembre, l’Assemblée générale de l’ONU exigeait le départ d’Israël des territoires palestiniens occupés dans les 12 mois et appelait à des sanctions, notamment la fin de la fourniture d’armes à Israël et des importations venant des colonies. Human Rights Watch, ONG se battant pour le respect des droits humains, demande également un embargo sur les armes à destination d’Israël.
La Cour de Justice Internationale (CJI) avait, elle, estimé que « la présence continue d’Israël dans le territoire palestinien occupé est illicite » et que l’Etat d’Israël était dans « dans l’obligation d’y mettre fin (…) dans les plus brefs délais ».
La question des moyens et des fins
La condamnation des crimes du Hamas le 7 octobre 2023 a été (quasi)unanime en France, contrairement à ce qui est parfois dit.
La cause palestinienne est aussi légitime que légale. Légitime car il s’agit de résister au colonisateur israélien, légale car la résistance, y compris armée, à la colonisation est reconnue dans le droit international.
Toutefois, s’en prendre à des civils désarmés, ce qui a été l’option privilégiée du Hamas lors du 7 octobre, est tout aussi illégal que moralement condamnable.
Au cours des derniers mois, il est pourtant devenu évident que pour les élites occidentales (médias, classe politique), ce qui a posé problème avec le 7 octobre n’est pas le fait que des civils aient été massacrés, mais que ce soit des civils israéliens qui aient été massacrés. Comme si la morale politique et le droit de la guerre élémentaires qui impliquent de ne pas tuer des civils désarmés ne s’appliqueraient que s’il s’agissait de civils israéliens.
En effet, toutes les horreurs possibles ont été dites pour déshumaniser “l’ennemi”, pour que les Palestiniens, et maintenant les Iraniens et les Libanais, ne puissent pas, eux aussi, être considérés comme des “civils innocents”. Les crimes israéliens sont pourtant d’une ampleur sans aucune comparaison : l’Etat d’Israël a tué entre dix et cents fois le nombre de civils tués lors des attaques terroristes du 7 octobre. L’immoralité et l’illégalité des moyens barbares utilisés par Israël s’ajoute à un motif lui-même illégitime et illégal : la poursuite et l’accélération de la colonisation israélienne qui passe par le déplacement ou le meurtre de masse de la population palestinienne.
Pourtant, toutes les rhétoriques puantes peuvent être retournées : si les civils palestiniens sont les “boucliers humains du Hamas” et des “dommages collatéraux”, alors on pourrait tout aussi bien dire que “les civils israéliens seraient les boucliers humains de la colonisation israélienne” et qu’ils auraient été “les dommages collatéraux d’une opération qui a tué une minorité de soldats israéliens”. Si l’on dit que “la population de Gaza est co-responsable des crimes du Hamas” et qu’il est “difficile de distinguer un civil palestinien d’un terroriste car toute la population est pro-Hamas” alors on pourrait tout aussi bien dire que “les civils israéliens seraient complices de la colonisation israélienne en s’installant dans des territoires illégalement occupés”, rappeler “que la distinction civil israélien/combattant israélien ne serait pas évidente puisque tous les civils israéliens sont obligés de faire leur service militaire et donc de participer, militairement, à l’oppression des Palestiniens”.
Mais il ne faut pas tomber dans cette rhétorique qui justifie l’injustifiable : le droit international, qui sert de boussole, nous en préserve. Le procureur de la Cour de Justice Internationale demande l’arrestation et le jugement des criminels israéliens comme des criminels du Hamas, quand bien même les crimes d’Israël sont bien plus nombreux, car dans les deux cas, ceux-là se sont livrés à des exactions visant en majorité des civils.
Ce double standard flagrant dans le traitement des actes de violence, selon qu’ils sont commis par Israël ou par des acteurs non occidentaux, reflète une déshumanisation rampante des populations musulmanes. Les victimes civiles libanaises ou palestiniennes sont réduites à des “dommages collatéraux”, alors que des actions similaires commises contre des civils israéliens sont condamnées avec une sévérité morale absolue.
Le droit international, pourtant, ne distingue pas la nature des crimes de guerre selon la nationalité ou la religion des victimes. Il reste une boussole incontournable pour juger de tels crimes, quelle que soit l’identité des coupables. En appelant à des sanctions contre Israël et en exigeant des comptes pour ces violations répétées, l’ONU et des organisations internationales comme Human Rights Watch rappellent que nul ne devrait être au-dessus des lois. Mais tant que des termes tels que “prouesse technologique” ou “merveille d’intelligence” seront employés pour justifier l’injustifiable, la quête de justice et de paix demeurera incomplète, laissant place à une perte totale de crédibilité morale dans le respect des droits humains fondamentaux.
ROB GRAMS
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