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Régulièrement, journaux et magazines nous l’annoncent : l’insécurité serait « LE » sujet de 2022. Du moins, c’est le souhait d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen et de leurs clones. C’était déjà le cas en 2002, en 2007, en 2012 et en 2017. Ce qu’il reste de la gauche pousse généralement des cris d’orfraie : « Quoi ? Encore l’insécurité ! Ca suffit d’imposer des thèmes de droite dans le débat public ! ». Sauf que l’insécurité n’est pas un thème de droite. L’insécurité est un problème central de la vie en société, qui pèse au quotidien sur les personnes. Chez Frustration, nous aimons briser les tabous, car nous n’en pouvons plus du politiquement correct. C’est pourquoi il faut en parler.

Commençons par la première des insécurités, contre laquelle notre pays fait de moins en moins et qui, pourtant, règne dans la plupart des foyers : la peur de ne pas pouvoir finir le mois. C’était le déclencheur d’un des plus grands mouvements sociaux de notre époque: celui des Gilets jaunes. Pourtant, les pourfendeurs de l’insécurité n’en parlent pas. Pire, ils augmentent cette insécurité. Dès cet automne, l’application prévue par le gouvernement de la réforme de l’assurance-chômage va faire baisser de 300€ en moyenne l’allocation d’un demandeur d’emploi ex-smicard. 300€. Comment terminer son mois et payer toutes ses charges quand on passe de 900 à 600€ mensuels ?

L’insécurité sociale tue des dizaines de milliers de personnes par an, avec la bénédiction du RN et de LREM

Quand on sait que le chômage tue entre 10 et 14 000 personnes par an et qu’un chômeur décède 3 fois plus qu’un actif, une telle réforme est, de fait, criminelle. Elle augmente considérablement l’insécurité dans ce pays. Or, cette réforme de 2018 a été votée par les députés LREM, tandis que les députés RN se sont abstenus.  Veulent-ils vraiment en finir avec l’insécurité sociale ? Au contraire.

Lutter contre l’insécurité était l’un des objectifs de la réforme la plus anticapitaliste que nous ayons connu en France. La Sécurité sociale avait pour but, dès sa création, de permettre aux gens de ne plus vivre dans la peur permanente du lendemain. Cette assurance collective contre les risques de la vie avait en outre pour caractéristique de mettre à contribution les responsables de ces risques. C’est ainsi que les accidents du travail et les maladies professionnelles, qui touchent encore chaque années des dizaines de milliers de personnes (et provoquent 1 à 2 décès par jour) sont financés par les cotisations des employeurs seulement.

Parler de sécurité implique l’évaluation des risques qu’encourent les personnes et la responsabilisation de ceux qui les provoquent : le patronat, dans le cas de la Sécurité sociale, a été mis face à ses responsabilités, après plus d’un siècle à se servir des travailleuses, femmes, hommes, enfants, comme chair à canon.

A mesure que la Sécurité sociale, les services publics ou le droit du travail sont réduits, l’insécurité progresse en France. Au cours de l’année 2020, les pauvres sont ceux qui ont subi le plus de pertes de revenus.

L’insécurité sanitaire, un phénomène qui augmente (mais il ne faudrait pas vexer les médecins !)

La crise du covid a aussi renforcé un phénomène qui existait déjà avant et dont on ne s’étonnera pas que LREM ou RN ne parlent jamais : l’insécurité sanitaire. Les pauvres sont ceux qui sont le plus touchés par le Covid, mais ce sont aussi, en temps normal, ceux qui ont le moins accès à des soins de qualité. Entre les professionnels de santé qui refusent les bénéficiaires de la couverture universelle, les dépassements d’honoraires ou les déserts médicaux (qui sont de plus en plus nombreux), il devient difficile de se faire soigner quand on n’est pas aisé dans ce pays. La peur de la maladie, pour soi et ses proches, la torture d’une mauvaise prise en charge, la galère de la prise de rendez-vous et le cauchemar de l’avance du montant des soins et une réalité pour beaucoup, et les baisses successives du budget de l’assurance-maladie ne vont pas arranger les choses.

L’insécurité sociale par la précarité et les faibles revenus et l’insécurité sanitaire par le faible accès au soin et l’exposition à des facteurs environnementaux comme l’alimentation industrielle et une épidémie comme le covid : il s’agit là clairement des deux formes d’insécurité qui touchent le plus de monde et le plus gravement. C’est une insécurité létale mais souvent discrète et vécue dans la solitude.

Évidemment, ce n’est pas de cette insécurité là que souhaitent parler Macron, Le Pen, et les journalistes qui leur lèchent les bottes en reprenant leur « thématique » sans les interroger. Ils veulent évidemment parler de la violence physique entre personnes, de la criminalité, des cambriolages… Autant de choses qui diminuent depuis des décennies. 

On se tue deux fois moins en France qu’il y a 20 ans… Mais la société “s’ensauvage”

Les médias aiment particulièrement faire grossir le phénomène. Le JDD remporte la palme avec un article épatant cette semaine. Son titre ? “SONDAGE. Pour 86% des Français, la lutte contre l’insécurité sera importante dans leur vote en 2022”. Quand on ouvre l’article, que découvre-t-on ? Que la santé et l’éducation de leurs enfants sont les deux sujets prioritaires pour les sondés, suivi en 3e position par la “sécurité”, quasiment à égalité avec le chômage et la précarité. Le chiffre de 86% a été ensuite repris par le reste de la presse, dont le Sud-Ouest. Encore une belle leçon d’éthique journalistique.

Et même si BFM TV et consorts nous donnent régulièrement l’image d’un pays à feu et à sang, on se tue deux fois moins en France aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Les coups et blessures remonteraient légèrement à partir de 2019, mais ça pourrait être lié à des chiffres plus importants concernant les violences contre les femmes : mais ça, ces deux partis s’en foutent complètement, non ? En 2019, 142 310 personnes ont été victimes de violences conjugales (les victimes sont à 88% des femmes) et c’est un phénomène d’insécurité majeure. Mais pour la droite, ce sont les féministes « trop extrêmes » le problème.

Soyons réalistes : les partis politiques bourgeois que sont LREM et RN, mais aussi la droite et ses satellites, n’en ont jamais rien eu à foutre de l’insécurité qui pèse sur les gens. La lutte contre l’insécurité nécessitant la recherche de responsables, ni l’insécurité sociale ni l’insécurité sanitaire ne font l’objet de leurs préoccupations. Pour lutter contre la première, il faudrait faire passer à la caisse les actionnaires et les patrons, c’est-à-dire leurs bailleurs de fonds. Contre la seconde, il faudrait contraindre un peu plus les professionnels de santé à s’installer ailleurs que sur la côté Atlantique et dans le 16e arrondissement de Paris, et financer un système de santé public de qualité. Or, les médecins composent une grande partie de notre personnel politique, à tout niveau. Et les coupes budgétaires sont un dogme partagé, du RN au PS. Lutter contre les violences sexistes et sexuelles ? Ces gens pensent que le patriarcat est une invention féministe et refusent de considérer le caractère structurel de ces violences.

Macron et Le Pen s’en foutent de l’insécurité dans nos vies

Tous ces partis bourgeois préfèrent se pencher sur l’insécurité liée à la criminalité, alors même que ses formes les plus graves baissent depuis des décennies et qu’elle fait beaucoup moins de morts, parce que cela n’implique pas de s’en prendre aux dominants. Ni les médecins qui refusent les soins aux pauvres, ni les patrons qui font prendre des risques à leur salariés, ni les actionnaires qui pillent les subventions pour ensuite délocaliser et licencier ne seront inquiétés. 

L’insécurité au sens macroniste et frontiste du terme se concentre sur un phénomène réel mais marginal, jamais précisément documenté, qui permet de charger la mule des prolos et, tant qu’à faire, des racisé.e.s de ce pays. En parlant toujours de « l’insécurité » au sens large, sans jamais citer de chiffres mais en faisant appel à des ressentis ou des images comme « l’ensauvagement », nos dirigeants souhaitent nous opposer les uns et les autres et nous empêcher de considérer la responsabilité des dominants dans ce qui nous arrive.

Or, la classe dominante prospère sur les risques sociaux, physiques et sanitaires qu’elle nous fait courir. Le covid, dont les pauvres meurent plus, n’est qu’une manifestation de plus de ce fait là. Si notre système hospitalier n’avait pas été laminé ces dix dernières années, si la poursuite de la machine productive capitaliste n’avait pas été le seul but de nos dirigeants, moins d’entre nous seraient décédés. La lutte contre l’insécurité ne passe donc pas par l’augmentation du nombre de policiers, mais par la diminution du nombre de bourgeois.