Quand on vit dans un régime autoritaire, regarder ce qu’il se dit et se passe ailleurs dans des pays plus démocratiques est une démarche qui aide à sortir de l’impression de matraquage idéologique que l’on subit. Nos grands médias sont très branchés comparaison internationale quand il s’agit de dénoncer nos droits sociaux, mais quand cela devient moins flatteur pour notre gouvernement, l’info reste bien plus nationale. Après tout, un député de la majorité présidentielle peut tranquillement dire, au sujet de bombardements massifs qui ont déjà tué près de 4000 enfants à Gaza : “je ne suis pas pour un cessez le feu, Israël a le droit de se défendre contre le terrorisme, c’est une réponse légitime”, tout en souhaitant que cela se fasse ” dans le respect du droit international”… ce qui n’est pas le cas, puisque l’armée israélienne utilise du phosphore blanc contre Gaza, un produit chimique incendiaire dont l’usage contre des cibles civiles est interdit par les traités internationaux. La position du gouvernement français est totalement illisible, puisqu’après avoir assuré Netanyahou, le premier ministre d’extrême droite au pouvoir en Israël, de son soutien inconditionnel voir d’une aide militaire, il déplore désormais mollement les massacres en cours assurant les victimes de sa ” compassion”. Qu’en est-il en dehors de nos frontières ? Des gouvernements osent dire les choses bien plus clairement, tout comme l’opposition israélienne à Netanyahou.
1 – l’ONU parle de “crimes de guerre”, ses experts pensent que le peuple palestinien “court un grave risque de génocide”.
Fondée en 1945, l’Organisation des Nations Unis a pour but de “Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix” (Article 1 de la charte des Nations Unis). Cette organisation a été contournée à plusieurs reprises par les Etats-Unis, notamment en 2003 lors de l’invasion de l’Irak par le président George W. Bush. A l’époque, la France avait défendue l’organisation, mais ce temps-là semble révolu.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit ” atterré” par les frappes israéliennes sur un camp de réfugiés en début de semaine, faisant 195 morts. Le Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU a estimé mercredi soir que ces bombardements pourraient constituer “des crimes de guerre”, “compte-tenu du nombre élevé de victimes civiles et de l’ampleur des destructions”. Tout en condamnant très clairement l’attaque du 7 octobre, et en rappelant l’impératif de libération des otages toujours détenus par le Hamas, le secrétaire général de l’ONU appelle dans un communiqué à ” un cessez-le-feu humanitaire immédiat et à un accès humanitaires continu, sans entrave, sécurisé et en quantité suffisante pour répondre aux besoins créés par la catastrophe qui se déroule à Gaza.”
Craig Mokhiber, directeur du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme à New York, a quitté son poste et dans une lettre de démission, citée par le quotidien britannique Guardian (mais à ce jour, aucun grand média français), il déclare ” Une fois encore nous voyons un génocide se dérouler devant nos yeux et l’organisation que nous servons semble impuissante à le stopper”. Pour qualifier la situation à Gaza, il parle dans sa lettre ” d’un cas exemplaire de génocide“. Sa démission avait déjà été annoncée avant l’attaque du 7 octobre et les évènements qui ont suivi.
Jeudi 2 novembre, des experts de l’ONU parmi lesquels la rapporteuse spéciale sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés ont estimé que le peuple palestinien courrait “un grave risque de génocide”. Selon la RTBF, ces experts indépendants sont mandatés par le Conseil des droits de l’homme mais ne parlent pas au nom de l’ONU. Ils estiment qu’ “il est temps d’agir maintenant. Les alliés d’Israël portent également une responsabilité et doivent agir maintenant pour l’empêcher de prendre cette voie désastreuse”
2 – En Amérique latine, les gouvernements stoppent leurs relations diplomatiques avec Israël
La Bolivie a été le premier pays à couper ses relations diplomatiques avec Israël. Le gouvernement de Luis Arce a déclaré “avoir pris la décision de rompre les relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël, en signe de rejet et de condamnation de l’offensive militaire israélienne agressive et disproportionnée menée dans la bande de Gaza”. Peu après, le gouvernement chilien de Gabriel Boric a rappelé son ambassadeur en Israël en dénonçant une ” punition collective” contre les habitants de Gaza.
Une crise diplomatique intense s’est installée entre le gouvernement israëlien et celui du président colombien Gustavo Petro. Premier président de gauche de la Colombie depuis des décennies, Petro a multiplié les déclarations comparant les bombardements et le siège de Gaza par l’armée israélienne au nazisme. Suite aux tensions avec Israël, il a déclaré, dimanche 15 octobre, “si les relations diplomatiques avec Israël doivent être suspendues, alors qu’on les suspende. Nous ne soutenons pas les génocides”. Cette décision est d’autant plus notable qu’elle met le président colombien en difficulté face à son opposition qui souligne les liens économiques entre les deux pays, notamment sur le plan militaire : Israël équipe l’armée de l’air colombienne.
3 – En Europe, tout le monde n’est pas comme Macron
En façade, les 27 pays de l’Union Européenne ont une position similaire : les ministres des affaires étrangères des Etats membres se sont accordés en faveur d’une proposition de ” trêve humanitaire” à Gaza. Mais d’importantes divergences existent en réalité, ce qui fait relativiser l’idée d’un front commun de “l’Occident” au côté d’Israël. Pour s’en rendre compte, il faut regarder le vote des gouvernements européens lors du vote à l’ONU de la résolution proposée par la Jordanie le 27 octobre dernier. Ce texte, à portée symbolique, appelle à une “trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue”, à ce que toutes les parties respectent le droit international et à une aide continue et sans entrave dans la bande de Gaza. Le texte a été adopté par l’Assemblée Générale des Nations Unies à 120 voix pour, 14 contre et 45 abstentions. Côté européen on trouve les positions suivantes :
La France a voté pour, avec quelques réserves exprimées mais de façon surprenante et en contradiction totale avec les propos de Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée Nationale qui avait, lors d’un déplacement en Israël, exprimé le ” soutien inconditionnel” de notre pays aux opérations militaires en cours. Ou encore d’Emmanuel Macron qui avait carrément imaginé une utilisation de l’alliance militaire contre Daesh en soutien à l’armée israélienne, avant d’être tempéré par l’Elysée. La position de la France est décidément illisible.
L’Allemagne et l’Italie se sont abstenus, considérant que le texte ne condamnait pas suffisamment l’attaque du 7 octobre. La Croatie et l’Autriche ont voté contre, le Portugal et l’Espagne ont voté pour.
Le gouvernement espagnol a des positions très critiques de l’action d’Israël, ainsi que sa population : dimanche dernier, 35 000 personnes ont manifesté à Madrid en faveur des Palestiniens et pour un cessez-le-feu. La ministre du travail était présente parmi les manifestants. Pour rappel, en France, les manifestations dans la capitale sont jusqu’à présent interdites et, le week-end dernier, 2000 personnes ont été verbalisées et dispersées par la force à Paris. Tout en appelant de façon récurrente à la libération des otages détenus par le Hamas, le premier ministre Pedro Sanchez a exprimé ses ” doutes légitimes” sur le respect du droit international par Israël. Dans la coalition gouvernementale au pouvoir, la dirigeante du parti de gauche radicale Podemos et ministre des droits sociaux Ione Belarra a demandé que “face à la tentative de génocide menée par l’État d’Israël à Gaza, le gouvernement espagnol poursuive Benyamin Netanyahou devant la Cour pénale internationale pour crimes de guerre“. Pour elle, le siège et les bombardements de Gaza constitue un ” génocide organisé”. Une position qui, en France, vaudrait scandale d’Etat.
4 – En Israël, Netanyahou est dans la tourmente
Le quotidien israëlien Yediot Ahraronot a révélé lundi 30 octobre que le premier ministre Benjamin Netanyahou avait été prévenu dès 2016 de la possibilité d’une attaque de type du 7 octobre. Le ministre de la Défense de l’époque, Avigdor Liberman, prévenait dans un document de 11 pages de l’existence d’un scénario très similaire à ce qu’il s’est produit il y a moins d’un mois. “Le Hamas a l’intention de porter le conflit en territoire israélien en envoyant un nombre important de forces bien entraînées – comme les commandos de la Nukhba par exemple – en Israël pour essayer de capturer une communauté israélienne – ou peut-être même plusieurs communautés – à la frontière de Gaza et de prendre des otages” écrivait Lieberman dans ce document.
Alors que le pays est en guerre, un mouvement en faveur de la démission de Netanyahou s’organise, y compris parmi les gens proches de ses idées politiques. Un contexte qui n’est jamais précisé en France y contribue : le pays sort d’un mouvement social sans précédent contre le gouvernement et son projet de réforme du système judiciaire. Fragilisé par cette crise, Netanyahou est donc aussi accusé de n’avoir pas su anticiper l’attaque du 7 octobre.
Moshe Radman, leader du mouvement contre la réforme de l’institution judiciaire, accuse publiquement Netanyahou d’être “le père du Hamas”. Il n’est pas le seul à attribuer au premier ministre une politique visant à favoriser le Hamas au détriment des groupes politiques plus pacifiques pour contrecarrer la stabilité d’un Etat palestinien autonome.
Le massacre en cours à Gaza est fortement critiqué en Israël, parfois plus fortement que nous avons le droit de le faire en France : pour l’écrivain israëlien Michel Warschawski, figure de la gauche pacifiste, “Nous avons dépassé les crimes de guerre, nous sommes face à un crime contre l’humanité à Gaza. La Cour pénale internationale doit s’en saisir.” Il rejoint ainsi la ministre espagnole Ione Belarra…
La pression internationale peut stopper le massacre en cours
Que déduire de ce tour d’horizon international ? Qu’il n’y a quasiment qu’en France (et aux Etats-Unis) qu’il semble impossible de critiquer ou de conditionner le “droit d’Israël à se défendre”. Qu’il est possible pour des gouvernements d’à la fois condamner fermement l’attaque du Hamas et d’appeler Israël à cesser son massacre. En France, tout politique ou personnalité publique qui ose critiquer la terreur imposée par le gouvernement israélien se voit attribuer une complaisance avec le Hamas. Le niveau d’intimidation idéologique qui pèse sur les rares qui condamnent l’action d’Israël, comme la France Insoumise (un député de la majorité demande carrément à ce que Mélenchon soit “fiché S”), est sans précédent, et on ne trouve pas de tels exemples à l’international. Même en Israël il est encore possible de s’élever contre ce qu’il se passe.
Il est certain que tout gouvernement a son propre agenda, et que les réactions diplomatiques sont liées à des contextes nationaux. Mais en France, ce curseur semble poussé très loin : notre classe dominante tente de bâillonner toute opposition et, au passage, de régler ses comptes avec la population musulmane, accusée systématiquement d’être la source principale de l’antisémitisme (comme si, il y a plusieurs décennies, ce n’était pas la police française qui avait fait du zèle pour Hitler). La gauche en prend pour son grade, et les libertés publiques, à commencer par la liberté de manifester, pâtissent du contexte. La réalité c’est que Netanyahou est de plus en plus seul, y compris dans son propre pays. Ce dirigeant d’extrême droite, qui invoque des motifs religieux aux massacres perpétrés à Gaza, peut chuter si la pression internationale continue de s’exercer. A nous de continuer, partout et tout le temps, à exposer l’horreur de sa politique.
Nicolas Framont
Frustration est un média indépendant engagé qui vit grâce au soutien de ses lectrices et de ses lecteurs. Ce mode de financement nous donne une indépendance totale qui nous permet de mener à bien notre mission : saper le discours bourgeois, visibiliser la lutte des classes en cours, et imaginer, dans la joie et la fierté, une société sans classes, le tout sans cesser de combattre le racisme systémique et le patriarcat.
Frustration est un média indépendant engagé qui vit grâce au soutien de ses lectrices et de ses lecteurs. Ce mode de financement nous donne une indépendance totale qui nous permet de mener à bien notre mission : saper le discours bourgeois, visibiliser la lutte des classes en cours, et imaginer, dans la joie et la fierté, une société sans classes, le tout sans cesser de combattre le racisme systémique et le patriarcat.
Pour nous aider, à la hauteur de vos moyens, c’est par ici :