Hier matin, samedi 7 octobre 2023, le Hamas, groupe politique palestinien qui contrôle la bande de Gaza (territoire côtier de la Palestine, extrêmement densément peuplé, sous énormes difficultés humanitaires, avec des frontières verrouillées par Israël et l’Egypte) a lancé une attaque de grande envergure contre des cibles militaires et civiles israéliennes, tirant plus de 5 000 roquettes et tuant des centaines de personnes.
À la suite de cette attaque, Israël a lancé une réplique massive, tuant également des centaines de civils.
Le contexte : l’oppression coloniale de la Palestine
Le colonialisme est une situation de terrorisme permanent contre les populations, opérée par un Etat et une armée. Parfois la population colon est aussi victime d’attaques, de bien moindre intensité, sous forme de répliques. C’est ce qui s’est passé ce matin.
Absolument toutes les populations victimes du colonialisme se livrent à des actes “terroristes” à certains moments. Toutes. Les populations européennes l’ont fait aussi chaque fois qu’elles ont subi des invasions.
La colonisation israélienne place la population palestinienne dans une situation d’extrême misère. Comme le note le sociologue Mathieu Rigouste, elle frappe tous les aspects de la vie quotidienne des Palestiniens : accès à l’eau, travail, logement, circulation… Sur l’eau par exemple, le gouvernement israélien et les compagnies privées israéliennes mettent des restrictions sévères sur l’accès à l’eau laissant la majorité des palestiniens de la Cisjordanie (territoire palestinien situé à l’est d’Israël) sans eau courante.
L’armée israélienne, de son côté, commet régulièrement des exactions contre les populations civiles palestiniennes. Les bombardements de civils, les vols de terre, les assassinats sont aussi courants qu’assez peu documentés par les médias français. Sans compter la journée d’hier, c’est près de 250 civils palestiniens qui ont été tués depuis janvier dernier dont plus d’une trentaine d’enfants.
Le moralisme n’aide pas à penser la guerre
Le seul moyen de protéger les deux populations et que la guerre cesse, c’est que le gouvernement de l’Etat agresseur, ici Israël, cesse sa politique de colonisation. Tout le reste, la mise en scène d’indignations – par ailleurs très sélectives – est de la moraline inutile.
Se situer sur un axe purement moral, comme le fait une gauche qui ne semble plus exister que sur ce terrain, n’a donc aucun intérêt politique.
Celles et ceux qui ont une drôle de mécanique d’empathie, celle-ci ne semblant s’adresser qu’à la population israélienne et jamais à la population palestinienne, doivent comprendre que c’est l’intérêt aussi de la population israélienne que l’impérialisme cesse.
On ne choisit pas où on naît et on n’est jamais coupable d’exister : toute mort d’un civil est une tragédie injuste et épouvantable.
Pour donner du sens à son indignation, il faut alors identifier les causes et les coupables avec justesse. Et dans ce cas-ci ce sont les Etats impérialistes qui organisent la guerre, le colonialisme, l’oppression et l’apartheid.
François Xavier Bellamy, figure importante de la droite, déclarait : “Des otages par dizaines, des civils massacrés, des corps mutilés et exhibés… Ceux qui déplorent sans condamner, ceux qui renvoient dos à dos, ceux qui justifient sans le dire, prennent en réalité fait et cause pour la barbarie du Hamas”.
Mais ce qu’il décrit, c’est la guerre. La guerre est barbare et atroce. Elle déshumanise jusqu’aux victimes. Le FLN, qui luttait pour l’indépendance de l’Algérie, tuait des civils (français et algériens), la résistance française torturait des français collabos, tondait les femmes à la sortie de la guerre, des ukrainiens ont appelé la mère d’un jeune soldat russe mort pour se moquer d’elle…c’est toujours sale et ignoble. Si on veut que tout cela cesse – et en vérité tout le monde ne le veut pas – il faut voir qui a les clés en mains : tant que l’oppression de la Palestine durera, plus ces derniers seront réduits au désespoir, plus il y aura d’attaques contre Israël.
Le deux poids deux mesures en faveur d’Israël
Après les attaques du Hamas, l’armée israélienne a réalisé des frappes aériennes massives sur la bande de Gaza tuant des centaines de civils et encore davantage de blessés. Autour de 17h, on dénombrait au moins 198 morts et 1 600 blessés dans le cadre de cette opération qu’elle a nommée “épée de fer”. Les forces israéliennes ont notamment frappé l’hôpital indonésien et une ambulance devant l’hôpital Nasser, tuant soignants et malades, comme dénoncé par Médecins sans Frontières. Elles ont également réduit en cendres la “Tour Palestine”, centre des médias internationaux.
Pourtant cette attaque n’est, elle, pas considérée comme “terroriste” par les médias dominants et la classe politique alors qu’elle en a les caractéristiques : la “punition” collective, massacrer aveuglément et indistinctement des civils etc.
Non seulement seules les victimes civiles israéliennes suscitent l’indignation, laissant comme un blanc-seing pour le massacre des civils palestiniens, mais si dans le meilleur des cas on se contente de renvoyer dos-à-dos les protagonistes, on est toujours dans un cas de “deux poids deux mesures” car, comme le dit Usul “dans un contexte de colonisation, forcément asymétrique, condamner « toute les violences » n’est pas le move smart, neutre et mesuré que vous croyez.”
Concrètement le Hamas lance des attaques sur des cibles civiles et militaires en disant se défendre. L’armée israélienne massacre « en réplique » des civils en disant se défendre. Notre classe politique ne condamne que les premières et fait abstraction du contexte colonial.
Nous devons leur demander également : “Pourquoi ne pas condamner de façon inconditionnelle les bombardements en cours contre les civils palestiniens ? Pourquoi cette hiérarchie des vies civiles ?”
Toute mort civile est une tragédie et il ne s’agit pas de rapports comptables : toutefois, si l’on se situe sur un plan purement moral, aucune raison que les morts civiles israéliennes soient beaucoup plus documentées et suscitent beaucoup plus d’indignation que les morts civiles palestiniennes…
Mettre à distance les questions religieuses, se concentrer sur l’oppression coloniale
On le sait : le sujet du conflit israélo-palestinien est extrêmement glissant, et prendre position n’expose qu’à des coups, parfois assez bas.
Il l’est, parmi plein d’autres raisons, à cause de la dimension religieuse (ou “raciale”) qu’on tente de lui faire recouvrir. Il faut dire tout cela est entremêlé : Israël se revendique “l’Etat des juifs”, les groupes de résistance palestiniens se revendiquent de l’islam ou de l’islamisme… En France, certains juifs défendent la politique israélienne avant tout par attachement personnel à un Etat qu’il considère comme la garantie d’une sécurité collective pour le peuple juif après des siècles d’antisémitisme, certains musulmans défendent la Palestine y compris car pour des raisons religieuses ils se sentent particulièrement en solidarité avec le peuple palestinien, certains défendent aveuglement Israël parce qu’ils sont islamophobes et qu’ils défendront tout Etat qui tue des arabes, certains groupes antisémites jouent avec opportunisme le soutien à la Palestine pour trouver des recrues…
Autant que faire se peut il faut se tenir à distance de tout ça. Il ne faut pas se laisser intimider par l’assimilation “soutien à la Palestine = antisémitisme”, car ça n’a aucun rapport. C’est ce type de confusion qu’essayent souvent de mettre en place les politiciens qui soutiennent la colonisation israélienne. C’est par exemple ce que faisait l’ancienne ministre de Hollande, Laurence Rossignol à propos du député France Insoumise Louis Boyard, disant, en réaction à un de ses tweets : “Les juifs sont toujours responsables de ce qui leur arrivent. C’est une constante du discours antisémite.” Sauf que le tweet de Louis Boyard ciblait nommément “l’Etat israélien”. Et l’Etat israélien n’est pas “les juifs”. Ce n’est d’ailleurs même pas “les israéliens”. Tout comme Laurence Rossignol, lamentable et oubliée ministre du gouvernement Valls, n’était pas « les français ».
Pour le dire plus simplement soutenir les ukrainiens ce n’est pas être russophobe, soutenir à l’époque l’indépendance de l’Algerie ou de l’Indochine ce n’était pas être « anti-français », soutenir les palestiniens ce n’est pas être antisémite, ni même « anti-israëliens ». C’est s’opposer au colonialisme, partout.
Les hésitations de la gauche : la Nupes toujours à la ramasse
On peut bien sûr s’émouvoir de la mort de civils innocents. Le faire sur Twitter ne sert pas à grand chose comme on l’a dit, mais si cela peut rassurer sur notre commune humanité alors soit.
Mais cela devient étrange quand la condamnation des attaques du Hamas n’est pas contextualisée par la situation de colonisation et d’apartheid à laquelle est soumise la population palestinienne, qui en est la cause, ni accompagnée de la condamnation au moins aussi vigoureuse des massacres à l’encontre de la population palestinienne. Seule, elle prive cette indignation de solutions (la fin de la colonisation), pire, elle semble justifier par avance toutes les exactions qui seront commises par l’armée israélienne soi-disant “en réponse”.
Or c’est bien ce qu’ont fait une grosse partie de nos responsables de gauche, à l’image de Sandrine Rousseau et d’Europe Ecologie les Verts qui se contentent de condamner les ripostes des groupes palestiniens et déplorent uniquement les victimes israéliennes.
Le Parti Socialiste est encore pire. Sa candidate à l’élection présidentielle 2022 et maire de Paris, Anne Hidalgo a éteint la Tour Eiffel en hommage aux victimes israéliennes, sans un mot pour les nombreuses victimes palestiniennes. Jamais la Tour Eiffel n’a été éteinte pour les milliers de morts palestiniens des dernières décennies. Le député Jérome Guedj parle lui comme François-Xavier Bellamy : “Aux idiots utiles des terroristes du Hamas qui les exonèrent en relativisant au nom de l’impasse politique du conflit israélo-palestinien, de la poursuite de la colonisation, de Netanyahu… vous me dégoûtez . Qu’on en trouve à gauche est insupportable.” Il montre là son incapacité à penser, ce qui est pourtant particulièrement utile en cas de guerre, car analyser une situation n’est pas “exonérer” quoi que ce soit. Prenons l’exemple de la population ukrainienne, qui dispose beaucoup plus de la sympathie de notre classe politique que celle de la Palestine. Il se trouve en Ukraine des milices néo-nazies qui se battent aux côtés des ukrainiens et qui commettent des exactions depuis une dizaine d’années. Est-ce que cela rend légitime le massacre de la population ukrainienne et l’invasion de l’Ukraine par la Russie ? Non.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie renforce ces groupes extrémistes, leur donnent des arguments. Leur existence ne change pas qui est responsable de la situation d’invasion et d’occupation (la Russie), ni ne signifie qu’il faille faiblir sur ce qui est juste (le retrait immédiat des troupes russes).
Le mouvement ouvrier, “la gauche” en général, a toujours eu un rapport compliqué aux questions de l’impérialisme et du colonialisme. Toutefois il y a une longue tradition politique anticoloniale et il en va de notre cohérence : le colonialisme est une des formes les plus brutales de l’oppression et il doit être combattu partout. Aujourd’hui, la colonisation de la Palestine est une des plus violentes.
Dans ce marasme, peu de forces politiques de premier plan en France tiennent la barre. La France Insoumise, loin d’être exemplaire sur beaucoup de sujets, fait partie de celles-ci. Elle ne s’écrase pas, comme elle se refuse à le faire sur les violences policières et l’islamophobie, alors même qu’il n’y a que des coups à prendre et des votes à perdre. Elle adresse ses pensées à toutes les victimes et demande la fin de la colonisation. Même chose du côté de plus petits partis comme le NPA ou Révolution Permanente.
Ces hésitations on les retrouve également à l’international, alors que Bernie Sanders, leader de la gauche du Parti Démocrate aux Etats-Unis, s’est contenté de dénoncer uniquement les attaques du Hamas, Jeremy Corbyn, leader du Parti travailliste britannique de 2015 à 2020, a lui déclaré qu’il fallait un cessez-le feu immédiat et a rappelé que la fin de l’occupation est le seul moyen pour mettre un terme au cycle de violences et d’arriver à une paix durable. De son côté Yanis Varoufakis, économiste et ancien ministre du gouvernement Syriza en Grèce, disait que le chemin pour mettre un terme à la perte tragique de vies innocentes commence par “une étape cruciale : la fin de l’occupation israélienne et de l’apartheid”.
Quelle solution ?
Les solutions sont pourtant connues depuis longtemps…
Pour que la paix revienne, il faut appliquer le droit international, c’est-à-dire que l’Etat d’Israël cesse l’occupation et la colonisation, qu’il détruise le mur, lève le blocus de Gaza et cesse l’apartheid contre la population palestinienne.
Que faire depuis la France ?
Nous sommes en France et nous n’avons que peu de prise sur la situation de guerre causée par le colonialisme de l’Etat d’Israël.
Les juifs français, tout comme les musulmans français, n’ont rien à voir là-dedans, peu importe leurs opinions sur le sujet ou leurs affinités personnelles pour une population ou l’autre.
Néanmoins le gouvernement français est un fervent défenseur des actions du gouvernement d’extrême droite israélien et n’aide en rien la population palestinienne. C’est sur ce point que nous pouvons faire pression. Isoler davantage Israël en faisant pression sur son gouvernement et sur ses alliés (les Etats-Unis en tête) est la principale chose que nous pouvons faire pour peser et contraindre Israël à revoir ses positions extrémistes et meurtrières.