“Vos Frustrations” est une rubrique créée pour que nos lectrices et lecteurs nous racontent leur cri du cœur du moment, le sentiment d’injustice qui les habite ou ce qu’ils ont vécu au travail ou dans leur quotidien. Aujourd’hui, nous publions la frustration de Jérémy, enseignant au lycée et qui est confronté au port du masque obligatoire durant ses cours.
J’ai 30 ans, je suis professeur de SES en lycée. J’ai cinq classes dont certaines à 35. C’est donc 166 élèves que je dois connaître, soit une moyenne de 33,2 élèves par classe.
Il m’est presque impossible de faire cours avec un masque. L’addition de la chaleur à l’aberration d’effectifs surchargés conjuguée au port du masque m’étouffe.
Je parle à la première personne et n’ai pas vocation à représenter l’ensemble de mes collègues. En effet, après discussions, je dois reconnaître que certains de mes collègues le supportent. Tant mieux pour elles/eux.
Jeudi, j’enseignais devant une classe de seconde en début d’après-midi. Il faisait chaud, la salle était surchargée, les élèves semblaient déjà assommés. C’était mon premier cours, je devais donc les placer selon un plan de classe, expliquer mon fonctionnement pédagogique et présenter la matière. Bref, un monologue de plusieurs dizaines de minutes, comme nous notre métier nous demande parfois de faire. Après 20 minutes, je suffoquais, je ne pouvais plus terminer mes phrases. J’essayais péniblement de reprendre mon souffle mais j’avais l’impression de ne plus recevoir assez d’air. J’ai commencé à avoir la tête qui tournait. J’ai hésité à prévenir les élèves (que je connaissais depuis 20 minutes), j’y ai renoncé, je me suis assis, j’ai tenu bon mais ne me souviens plus vraiment de comment les minutes qui ont suivies se sont déroulées. J’ai surement dû continuer ma présentation, comme un zombie.
J’ai pensé à l’argument répété sans cesse pour justifier le port du masque : les chirurgiens ou infirmiers le font bien depuis toujours. Oui, mais 1, ce n’est pas un concours d’endurance et 2, eux ne doivent pas faire en sorte que leur voix couvre une salle bondée où il fait chaud.
Je ne suis pas un « anti-masque », j’estime que ce n’est pas à moi de me poser ces questions. En revanche, le port obligatoire de ce masque, qu’il soit utile ou non, rend mes conditions de travail très difficiles. Au point de me poser la question : vais-je pouvoir être professeur cette année ? Je n’ai pas envie de démissionner, ni d’un arrêt maladie. J’aime mon boulot, j’ai envie de le faire.
Je resterai ici sur les soucis « physiques » du masque, côté prof. J’aurais aussi pu parler de ceux côté élève (des malaises réguliers, comment se faire des ami.e.s lorsque nos sourires sont cachés, etc) comme des soucis pédagogique : reconnaître les élèves, absence d’expressions du visage de l’enseignant qui font partie de la pédagogie, absence d’expressions du visage de l’élève qui donnent une indication sur la compréhension, deviner qui chuchote quand on ne voit pas les bouches… j’en oublie.
J’ai deux revendications :
1) Il faut ré-autoriser les profs à enlever le masque à leur bureau. Il n’est pas acceptable de demander d’arbitrer entre sa santé et la règle.
2) Il faut réduire les effectifs. D’ailleurs, en période ou non de virus, parler de bienveillance et de suivi personnalisé dans une classe de 35 est du pur foutage de gueule. Dans une classe à 35, la seule pédagogie valable pour survivre côté prof est celle de l’autoritarisme forcé qui consiste à dégommer le premier élève qui chuchote un peu trop fort. Nous ne faisons pas d’éducation militaire et ne voulons pas devenir une usine qui transformerait des enfants en adultes ultra-dociles.
Jérémy Guichard