Le 25 novembre 2017 (Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes), Emmanuel Macron déclarait : “je me suis engagé à ce que la cause du quinquennat soit celle de l’égalité entre les femmes et les hommes, et notamment l’élimination complète des violences faites aux femmes“. Effectivement, l’égalité femmes-hommes est loin d’être acquise en France. Les violences sexistes et sexuelles sont inquiétantes : on compte plus d’une centaine de féminicides par an depuis des années ; et 94 000 femmes ont été victimes de viols ou de tentatives de viols en 2017. Les conditions de vie économiques et matérielles sont encore très inégalitaires : les femmes pauvres sont plus nombreuses que les hommes ; les femmes touchent 17% de moins que les hommes à temps de travail équivalent en 2018 ; elles sont bien plus nombreuses à occuper des temps partiels ; et concernant le temps de travail domestique, même si l’écart s’est réduit, elles y consacrent toujours plus de temps que les hommes.
Cinq ans après l’annonce de Macron, quel est le bilan de la grande cause du quinquennat ? Spoiler : les calculs sont pas bons, Manu.
1 – Un programme déjà peu ambitieux
Dans le programme de 2017 d’En Marche !, il était déjà mention de faire de l’égalité femmes-hommes la grande cause du quinquennat… sans programme dédié. Quelques mesures par-ci par-là sont intégrées dans des thématiques diverses : par exemple, il est question de redéfinir “le dialogue social. Les principes fondamentaux (durée légale du temps de travail, égalité professionnelle, salaire minimum…) resteront dans la loi.” Ce n’est pas l’ambition qui risque de les étouffer.
A l’aide d’une petite recherche du mot-clé “égalité” dans le document, on trouve quand même une mesure en rapport avec l’égalité professionnelle. Tenez-vous bien : “Nous publierons les noms des entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Nous testerons au hasard, et massivement, les entreprises pour vérifier qu’elles respectent bien la loi en la matière.” Des inégalités salariales structurelles et persistantes dans le monde du travail ? Pas de panique, Manu a la solution : mettre le nom des mauvais élèves sur Internet ! Tremble, CAC 40 !
La recherche “égalité” donne un dernier élément de programme sur la grande cause du quinquennat : “Nous ne tolèrerons plus les incivilités. Le harcèlement des femmes, les insultes, la dégradation du mobilier urbain, les crachats… Ces incivilités seront punies d’amendes immédiates et dissuasives.” Des millénaires que les femmes sont privées de tranquillité dans l’espace public, se font agresser dans un espace fait par et pour les hommes ? Pas d’inquiétude, Manu a tout rangé dans le doss fourre-tout “incivilités” : sus aux molards, aux tags, et au harcèlement ! Et ce, à coups d’amendes immédiates et dissuasives : une mesure inapplicable dans les faits, dont on peut discuter la pertinence, et toujours dans une logique de répression plutôt que de prévention du sexisme et des violences sexuelles.
Les mesures annoncées n’étaient déjà pas à la hauteur de l’enjeu d’une “grande cause”. Mais depuis son élection en 2017, Macron n’a pas fait preuve de vision sur la question de l’égalité, bien au contraire.
2 – Face aux mobilisations militantes, la non-vision du gouvernement
Si on avait dû s’en tenir à l’absence cruelle de vision du pouvoir en place sur l’égalité femmes-hommes, rien n’aurait probablement avancé. C’est grâce aux mobilisations militantes qu’ont émergé certains sujets urgents et essentiels.
Au sujet des violences sexuelles, la militante féministe Anna Toumazoff a par exemple réussi à faire émerger dans l’opinion publique les campagnes nationalement suivies comme #UberCestOver en 2019 (suite à des témoignages d’agressions sexuelles et de viols par des chauffeurs Uber sur des clientes), #SciencesPorcs en 2021 (suite à des témoignages d’agressions sexuelles et de viols dans les Instituts d’Etudes Politiques (IEP), dont beaucoup étaient connus des administrations), et #DoublePeine en 2021 (sur les conditions de prise de plainte pour agressions sexuelles et viols dans un commissariat). Ces mobilisations ont obligé le gouvernement à se positionner en urgence… quand il s’est positionné. D’ailleurs, Darmanin ment quand il dit que toutes les plaintes pour violences au sein du couple donnent lieu à une garde à vue et à des poursuites ; plusieurs enquêtes et diagnostics prouvent le contraire. Quant aux IEP, quelle réponse du gouvernement ? Mettre en place des inspections dans les établissements, ok, mais qu’en est-il de la protection immédiate des victimes traumatisées et/ou précarisées, de la prévention systématique du sexisme dans les institutions, du combat acharné contre la culture du viol, de l’exclusion systématique des agresseurs du milieu dans lequel ils sévissent ?
Il en est de même pour les féminicides, qui sont relayés au quotidien par les collectifs féministes : c’est grâce à la pression médiatique qu’ils exercent, notamment l’organisation de manifestations (le collectif NousToutes a fait descendre plus de 50 000 personnes dans la rue le 20 novembre 2021), que le sujet et le terme même de “féminicide” sont arrivés dans l’espace public et dans la bouche des ministres, même si le sujet peine encore à émerger dans le débat présidentiel. Pour rappel, le nombre de féminicides par conjoint ou ex était de 143 en 2017, 123 en 2018, 153 en 2019, 102 en 2020 et 113 en 2021. En réaction à cette situation gravissime, Marlène Schiappa a lancé le 3 septembre 2019 (admirez la com : 3/9/19, en référence au numéro d’appel le 39 19) le Grenelle des violences conjugales.
De ce mois de réflexion, ont émergé 30 mesures, notamment la mise à l’abri des femmes victimes de violences conjugales, unanimement réclamées par les collectifs féministes. Le rapport de 2019 annonce : “ Les 1 000 nouvelles solutions de logement et d’hébergement que nous avions annoncées seront bien ouvertes à partir de janvier 2020.”” Et le gouvernement d’annoncer de nouveau, dans le dossier de presse de novembre 2021, la création de “1 000 places supplémentaires en 2021, portant le total du parc à 7 800 places d’ici la fin de l’année 2021. Au total, depuis 2017, le nombre de places d’hébergement a progressé de 60 %.” Sur le papier, une hausse de 60% en 4 ans, ça fait joli. Mais c’est tellement insuffisant par rapport aux ordres de grandeur et à l’urgence : dans ce rapport de 2021 de la Fondation des Femmes et du réseau Fédération Nationale Solidarité Femmes (réseau qui gère le 39 19), il est précisé que “pour répondre pleinement aux besoins, le nombre de places devrait être multiplié de 3 à 5 fois et le budget de 5 à 8 fois pour atteindre entre 398 et 663 Millions d’euros”.
Et c’est bien péremptoire, pour un gouvernement qui a failli mettre en concurrence l’association gestionnaire du 39 19 par l’ouverture d’un marché public, de se vanter du “déploiement de dispositifs extrêmement concrets et qui produisent déjà leurs effets”.
3 – “Un violeur à l’Intérieur, un complice à la Justice”
Sur l’égalité femmes-hommes, le décalage entre la communication du gouvernement et les faits réalisés ressemble donc à peu près à une fosse océanique. Nicolas Hulot est visé en 2008 par une plainte pour viol, révélée par le magazine Ebdo en 2018 alors qu’il est ministre de la Transition Ecologique d’Edouard Philippe : le gouvernement le soutient dur comme fer.
Déjà peu crédible dans sa lutte pour l’égalité, le quinquennat Macron assène ensuite un coup fatal à sa “grande cause” en nommant Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur dans le gouvernement de Jean Castex en juillet 2020. Darmanin est pourtant accusé de harcèlement, de viol et d’abus de faiblesse par deux femmes, et les investigations pour l’une des deux affaires sont toujours en cours au moment où il est nommé au gouvernement. Mais pas d’inquiétude : si le ministre est toujours en exercice aujourd’hui, c’est parce que Macron ne veut pas d’une société de “l’inquisition”, et qu’il lui a parlé “d’homme à homme”, donc il est sûr qu’il est irréprochable. Pourquoi enquêter quand on peut régler ça entre couilles ?!
La nomination d’Eric Dupond-Moretti au poste de garde des Sceaux lors du même remaniement a fait l’effet d’une cerise sur le gâteau des misogynes, au vu des propos antiféministes et sexistes d’une bêtise à pleurer de la part de l’avocat.
4 – Des actions symboliques sans grande efficacité… et des réalités urgentes
Pour maintenir un semblant d’illusion que le gouvernement s’occupe vraiment de l’égalité entre les genres, les équipes de Macron ont quand même sorti du chapeau quelques tours de passe-passe.
D’abord en 2018 avec la loi Avenir professionnel, on a vu arriver l’index égalité professionnelle, mesure qui oblige les entreprises de plus de 50 salarié.e.s à effectuer une notation des écarts salariaux entre hommes et femmes dans l’entreprise, avec une obligation de résultat. Si l’obligation de résultat est une avancée, les limites du dispositif sont nombreuses, notamment en matière de méthodes de calcul et de mesures correctives (qui sont applicables seulement à partir d’une note inférieure à 75/100).
Quant aux actions symboliques peu efficaces, la parité fièrement revendiquée par le gouvernement est toute relative : elle est quasiment respectée en termes de nombres de femmes et d’hommes au gouvernement, et encore, pas exactement ; elle l’est encore moins si on se concentre sur les ministères régaliens (Défense, Intérieur, Justice, Economie, Affaires étrangères), le compte n’y est pas.
D’autant plus que mettre des femmes au pouvoir pour qu’elles appliquent des mesures de droite, ce n’est pas la priorité : les réalités des besoins sont bien plus urgentes et vitales. Qu’il s’agisse des LGBTIphobies, de l’inceste, des inégalités salariales, des conditions de travail des travailleur.se.s du sexe, de la précarité des femmes travailleuses ou retraitées, il y a du pain sur la planche…
Citons néanmoins quelques avancées : après de laborieux débats, la loi de bioéthique et sa mesure phare, l’ouverture de la Procréation Médicalement Assistée pour toutes les femmes, a été votée en juin 2021. Une autre victoire législative pour les personnes LGBTI+, c’est la loi interdisant les thérapies visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne (connues sous le terme de “thérapies de conversion”) qui vient d’être promulguée, et ce, malgré que Marlène Schiappa ait “très bien reçu” des militantes transphobes oeuvrant contre l’interdiction des thérapies de conversion pour les personnes trans.
En revanche, la déconjugalisation de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH), revendiquée par les collectifs de personnes handicapées, soutenue par de nombreux universitaires, est toujours boudée par les députés. Il s’agit pourtant d’une mesure qui permettrait de limiter la dépendance financière des personnes handicapées à leur conjoint.e, puisque leur allocation est actuellement calculée en prenant en compte les revenus du ou de la conjoint.e si la personne vit en couple. D’un montant maximal de 903,60€ (ce qui est en-dessous du seuil de pauvreté), l’AAH peut diminuer alors même que le ou la conjoint.e ne gagne même pas un SMIC (à partir de 1 065,55€ de revenus du ou de la conjoint.e, l’allocation diminue, voire tombe à zéro).
Le pouvoir en place pinaille pour quelques euros, pendant que des vies entières de personnes précaires et opprimées sont conditionnées à des moyens quasi inexistants. En 2021, la dépense de l’Etat en faveur de l’égalité femmes-hommes était de 0,05 milliard d’euros, soit 0,2% du budget des Services du Premier ministre (31 Md€), qui représentent eux-mêmes 5% des dépenses de l’Etat.
Pourtant, des solutions existent à tous les problèmes que l’on vient de citer, et l’argent est le nerf de la guerre. En Espagne par exemple, le budget consacré aux violences faites aux femmes a permis de faire baisser les féminicides au sein du couple depuis une vingtaine d’années, et leur arsenal juridique est bien plus complet et efficace que celui de la France.
Bilan : la “grande cause” du quinquennat, c’est du blabla. Le gouvernement en place est bien trop bourgeois pour œuvrer réellement à des politiques féministes : trop d’hommes puissants à ménager, trop d’affaires sordides à étouffer… Patriarcat, capitalisme et racisme s’imbriquent en toute logique dans ce système : ces hommes blancs, bourgeois, hétéros, n’ont non seulement jamais connu les oppressions, mais ce sont eux-mêmes qui les perpétuent dans leurs vies privées et publiques, dans leurs opinions, dans leurs votes. En agitant des mots sans contenu dans les médias pour donner une illusion de considération, ou en nous vomissant carrément à la gueule, ils ne veulent dans le fond qu’une chose : que rien ne change.
Mais sur le terrain, à l’instar des militant.e.s que nous estimons (Fatima Ouassak, Matthieu Foucher et bien d’autres), nous serons toujours plus nombreux et nombreuses à lutter contre les discriminations, l’oppression patriarcale, capitaliste et raciste. Macron, ne nous libère pas… on s’en charge !
Un grand merci à Alizée pour sa relecture éclairée.