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La cour administrative d’appel de Bordeaux a déclaré “illégales” quatre méga-bassines, dont celle de Sainte-Soline. La raison ? Celles-ci menaceraient une espèce d’oiseaux protégée. 
Dans les faits, il s’agit d’une victoire décisive du mouvement écologiste radical. Les luttes victorieuses n’étant pas légion, elles invitent à tirer des leçons, en l’occurrence d’une méthode qui a semblé faire ses preuves. 

Mais… c’est quoi une “méga-bassine” ?

Dans son article du 31 mars 2023, Nicolas Framont expliquait précisément ce qu’est une “méga-bassine” :

Le terme de “bassines” traduit assez mal sa réalité : il s’agit d’un chantier de construction de dizaines d’immenses retenues d’eau dont la surface moyenne est celle de 8 terrains de foot. L’objectif semble, si l’on ne se penche pas du tout sur le sujet, assez basique : stocker l’eau en surplus l’hiver pour pouvoir irriguer les cultures l’été. (…)

Techniquement, comment ça marche ? Contrairement à ce que l’on entend parfois dans les médias, ces retenues d’eau ne servent pas à stocker l’eau de pluie. Le plus gros du remplissage se fera en pompant dans les nappes phréatiques (les réserves souterraines d’eau douce qui se trouvent dans les couches poreuses du sol et de la roche) et dans les cours d’eau. Le gros mensonge des défenseurs du projet tient à une fausse explication de bon sens puisque “de toute façon, l’eau serait perdue si elle n’était pas stockée dans ces bassines”. C’est oublier qu’il existe un cycle naturel de l’eau et qu’une eau qu’on laisse dans les sols participe à l’éco-système et qu’en retirant cette eau dite “en surplus” on appauvrit à moyen terme les sols. Pour le naturaliste et directeur de recherche au CNRS Christian Amblard, le stockage d’eau dans des retenues aggrave la sécheresse. Rejetée dans l’océan Atlantique, elle contribue également à son équilibre. Enfin, une eau stockée dans un immense bassin, dans une région où l’on connaît des pics de températures à 40°, s’évapore. De récentes études portant sur les lacs américains parlent d’une évaporation de 20 à 60 % d’une eau stagnante. 

Enfin, ces immenses retenues sont une privatisation de l’eau qui profite à certains agriculteurs au détriment d’autres. Selon la Confédération paysanne, le deuxième syndicat agricole opposé au projet, seuls 6 % des agriculteurs du territoire seraient raccordés aux retenues d’eau. Bien que cette ressource stockée serait accaparée par un petit nombre d’acteurs privés, 70 % du financement du projet serait public. Il coûterait au contribuable des dizaines de millions d’euros, alors qu’il accentuerait la sécheresse dans la région et que cette ressource serait donc privée. 

Les méga-bassines sont donc un gros projet capitaliste à la Française : au profit de quelques-uns, financé par l’Etat… et défendu par lui.

Et les Soulèvements de la Terre ?

Un mouvement s’est particulièrement illustré durant cette lutte. Celui des Soulèvements de la Terre.

Les Soulèvements de la Terre sont un collectif écologique, fondé en 2021, opposé aux projets d’infrastructures qui détruisent l’environnement (contournement autoroutier de Rouen, la future ligne Lyon-Turin, l’exploitation du sable à des fins industrielles à Nantes…). Le terme de collectif est important car ce dernier n’a pas à proprement parler d’existence légale. 


Le collectif a des méthodes d’action moins institutionnelles que d’autres organisations écologistes. En effet, les Soulèvements de la Terre pratiquent non pas la violence mais la désobéissance civile. Ils s’en prennent à des objets, font du démantèlement. Les Soulèvements de la Terre font partie d’une certaine tendance de l’écologie qui, voyant l’inaction totale des gouvernements face à l’action destructrice du capital, faisant courir à l’humanité un danger d’extinction, cherche de nouvelles méthodes à la hauteur de l’urgence. Cette tendance est notamment inspirée, entre autres, des travaux du suédois Andréas Malm et de son ouvrage Comment saboter un pipeline.

La lutte de Sainte-Soline : une répression inouïe 

Le 25 mars 2023, les Soulèvements de la Terre avaient organisé une mobilisation contre les projets de méga-bassines de Sainte-Soline. 

La répression de la mobilisation a été d’une violence absolue. Elle fut même dénoncée par le rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement. Parmi les plus de 200 blessés graves côté manifestants en 1h30, on comptera deux personnes dans le coma. Ce sera notamment le cas de Serge, suite à l’envoi d’une grenade MGL2. Pourtant les secours furent empêchés de travailler par la police comme le démontrera Médiapart.  Des produits marquants furent également arbitrairement utilisés par les forces de l’ordre contre les manifestants, afin de les contrôler avec des lampes UV et de pouvoir les arrêter ensuite.

Evidemment, et comme d’habitude, cette répression sanglante s’est accompagnée de nombreux mensonges d’Etat. Darmanin déclarant par exemple : “Ce ne sont jamais eux (ndlr : les policiers et gendarmes) qui, en premier, iraient dans les rues à Sainte-Soline, trouveraient des personnes dans un champ et les attaqueraient”. Sauf qu’une séquence très claire de Complément d’Enquête prouvera rapidement le contraire en montrant les policiers tirer sur un cortège familial et pacifique…

Il déclarera également qu’ “aucune arme de guerre n’a été utilisée par les forces de l’ordre à Sainte-Soline”, fake news qui sera débunkée par Amnesty International, puisque 4 000 grenades de désencerclement et lacrymogènes furent tirées, ainsi que des LBD, et que ces grenades et les LBD sont bien considérés comme du matériel de guerre selon le code de la sécurité intérieure. 

S’il y autant de fichés S en manifestations, c’est simplement parce que… le pouvoir fiche S ses opposants, c’est-à-dire les fait surveiller par ses services de renseignement, préférant leur faire jouer un rôle de police politique plutôt que d’utiliser ces ressources pour, au hasard, prévenir les nombreux attentats dont la France est menacée

On entendra aussi parler de “manifestants avec des haches et des marteaux” dont on ne verra jamais la moindre image. Généralement ce genre d’accusations repose sur des paysans arrêtés avec leurs boîtes à outils dans leurs voitures… De la même façon le chiffre de “200 personnes fichées S” présentes à la manifestation sera abondamment communiqué par le pouvoir et les médias aux ordres : mais s’il y autant de fichés S en manifestations, c’est simplement parce que… le pouvoir fiche S ses opposants, c’est-à-dire les fait surveiller par ses services de renseignement, préférant leur faire jouer un rôle de police politique plutôt que d’utiliser ces ressources pour, au hasard, prévenir les nombreux attentats dont la France est menacée que ce soit de la part des islamistes ou de l’extrême droite… 

Ce même reportage de Complément d’enquête permettra également de découvrir un responsable policier dire, face caméra, que la police arrête arbitrairement les gens en manif puis qu’ensuite, c’est la justice qui trie”, en dehors de toutes les règles élémentaires de l’Etat de droit. 

Graffiti « No bassaran » (inspiré de la célèbre proclamation No pasarán) en soutien à la lutte contre les méga-bassines et en référence à la manifestation du 25 mars 2023 à Sainte-Soline, sur un mur du centre-ville de Nantes. Crédit : Skimel, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Maître Carbon de Seze, avocat pénaliste et membre de la commission Libertés et Droits de l’Homme du Conseil national des barreaux, avait expliqué, de manière assez limpide sur le plateau de BFM TV, plusieurs des mensonges d’Etat (“qui croit les communiqués d’un ministère de l’Intérieur ? Personne”) et la dimension illégale de la répression. En tout, cette répression aura coûté aux contribuables 5 millions d’euros selon l’Humanité, soit un coût supérieur au coût total de la méga-bassine elle-même… 

Les petits chiens de garde de la gauche bourgeoise, à l’image de Quotidien (TF1 – groupe Bouygues) s’en sont évidemment pris avec virulence aux Soulèvements de la terre et à ses militantes et militants. Invités sur le plateau le 7 juin 2023, elles et ils ont dû faire face aux fake news de Yann Barthès, ce dernier reprenant à trois reprises Léna Lazare, l’une des portes-paroles du mouvement, pour lui dire que l’eau de la nouvelle retenue du domaine skiable de la Clusaz (Haute-Savoie) n’est pas pompée et donc ne serait pas une bassine. Ce qui est évidemment faux comme expliqué par Mickaël Correia dans Médiapart.
D’une manière générale, Yann Barthès a repris tous les réflexes des “journalistes” larbins du pouvoir et du patronat, assimilant le militantisme pacifique à un crime, les salariés au patronat, posant zéro question sur l’écologie et le propos politique tenu par ses invités.

La victoire : les méga-bassines déclarées “illégales”

Après cette répression démentielle lors de la mobilisation du 25 mars 2023, l’Etat ne s’était pas arrêté là. Des arrestations des membres des Soulèvements de la Terre s’étaient poursuivies pendant les semaines et mois suivants, avec notamment l’appui de la Sous-Direction Anti-Terroriste.

Le gouvernement macroniste avait également initié la dissolution du mouvement. Cette décision avait par la suite, en novembre 2023, été définitivement annulée par le Conseil d’Etat, ce qui avait déjà marqué une première victoire. Les juges avaient estimé qu’« aucune provocation à la violence contre les personnes ne peut être imputée aux Soulèvements de la Terre ».

Les juges avaient estimé qu’« aucune provocation à la violence contre les personnes ne peut être imputée aux Soulèvements de la Terre ».

Bien que la bassine de Sainte-Soline soit déjà construite et prête à fonctionner, la Cour administrative d’appel a jugé que les réserves visées menaçaient la survie de l’outarde canepetière, un oiseau des plaines agricoles de Poitou-Charentes. Les quatre bassines sont frappées d’illégalité. En effet, une dizaine d’associations environnementales avaient attaqué les autorisations délivrées par l’État pour construire les bassines de la région. Concrètement : l’eau stockée dans la seule bassine dont la construction est finalisée pourra être utilisée par les agriculteurs concernés, mais il ne sera pas autorisé de remplir de nouveau la bassine. 

Cette victoire amène à des conclusions : alors que notre classe politique et médiatique a rabâché l’inanité des méthodes d’action de désobéissance civile des Soulèvements de la terre, force est de constater que celles-ci ont, d’une part, su résister à une répression policière et institutionnelle d’une brutalité inouïe, et d’autre part remporté une victoire décisive. Le mouvement écologiste a su, dans cette lutte, se détacher des injonctions permanentes aux formes inutiles de la protestation : marches symboliques avec crachats de feu, jonglerie et dépôts de fleurs devant les CRS par Marine Tondelier, voter pour Europe Ecologie les Verts etc. Tous ces faux actes politiques qui servent à ré-institutionnaliser des combats concrets et matériels et donc à les neutraliser. 

Le mouvement écologique a su, dans cette lutte, se détacher des injonctions permanentes aux formes inutiles de la protestation : marches symboliques avec crachats de feu, jonglerie et dépôts de fleurs devant les CRS par Marine Tondelier, voter pour Europe Ecologie les Verts etc. Tous ces faux actes politiques qui servent à ré-institutionnaliser des combats concrets et matériels et donc à les neutraliser. 

Ce que nous disent les Soulèvements de la Terre c’est qu’on ne peut pas attendre que ce soit nos représentants et représentantes qui fassent de la politique à notre place. Si l’on veut avoir une chance minime d’enrayer la machine destructrice du capitalisme, en train d’anéantir les conditions de vie planétaires, il faut prendre la chose à bras le corps, par nous-mêmes, accepter l’idée que des décisions comme celles de la construction de méga-bassines ont été prises sans aucune consultation populaire et dans le seul but de servir les intérêts de l’industrie agro-alimentaire et n’ont donc aucune légitimité démocratique.
Ce ne sont pas les écologistes qui sabotent et cassent, ce sont les capitalistes, les industriels et les grands patrons de l’agriculture intensive qui sabotent, cassent, notre santé, notre environnement, nos paysages, nos modes de vie. À leur extrême violence, à leur privatisation de ce qui nous appartient, il est légitime et normal de leur opposer notre désobéissance. Ce n’est que comme ça que nous pourrons arriver à des résultats, la preuve en est, et non pas en espérant peser à gauche dans la prochaine coalition extrême-droitisée du gouvernement Bayrou ou du futur énergumène qui finira bien par le remplacer à la manière d’un clone.

Un écho aux victoires de Notre-Dame-des-Landes, de Sivens et des Gilets jaunes

Par ailleurs, il est important de noter que cette victoire ne vient pas seule. D’autres mouvements ont recouru, au cours des dix dernières années, à l’action directe, au rapport de force et à la désobéissance civile, chaque fois avec des résultats. 

Dans les années 1960, un projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes avait été lancé, le début d’une lutte qui a duré 50 ans. En 2009 s’était montée une ZAD (zone à défendre) devenue un modèle pour toutes celles qui ont suivi. Il s’agissait d’une occupation politique de la zone de construction. Les objectifs de la ZAD dépassaient largement l’annulation du projet d’aéroport et tentaient de mettre en place des manières de vivre altercapitalistes ici et maintenant, avec toutes les limites mais aussi toute l’inventivité que cela suppose. La violence de l’Etat contre les zadistes a été d’une violence absolument inouïe, annonçant tout ce qui a suivi (la mort de Rémi Fraisse à Sivens, la répression du mouvement contre la Loi Travail puis des Gilets Jaunes, Sainte-Soline etc). En effet, ce dernier ne supporte pas l’idée que des zones, même extrêmement limitées et finalement assez inoffensives, échappent à son contrôle. En 2018, le projet a été officiellement abandonné, et la ZAD n’a pas survécu avec une double dynamique de répression-évacuation et de régularisations de certains habitantes et habitants. C’est donc une victoire en demi-teinte, mais l’Etat et Vinci ont été contraints de reculer. 

Dans les années 1960, un projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes avait été lancé, le début d’une lutte qui a duré 50 ans. En 2009 s’était montée une ZAD (zone à défendre) devenue un modèle pour toutes celles qui ont suivi. Il s’agissait d’une occupation politique de la zone de construction. Les objectifs de la ZAD dépassaient largement l’annulation du projet d’aéroport.

À Sivens, il s’agissait de construire “un barrage de plus d’un million et demi de mètres cubes d’eau dressés sur près de 40 hectares pour irriguer la vallée et les parcelles agricoles”. Des militantes et militants écologistes avaient alors investi les lieux du chantier pour en empêcher la construction : une nouvelle “zone à défendre”. Lors d’une manifestation en octobre 2014 sur le site, Rémi Fraisse, militant de 21 ans, est mort pendant la répression policière, touché par un tir de grenade. Comme toujours, et alors que nous parlons d’un opposant trouvant la mort dans une manifestation, l’impunité de l’Etat et de la police fût quasi-totale, à tel point que nous n’avons pas vraiment le droit de dire qu’il a été “tué par la police”. Les journalistes sous dictature sont donc contraints de trouver toutes sortes de formules alambiquées, la plus courante étant “mort après avoir été touché par une grenade”.
Quelques mois plus tard, le projet initial a été définitivement abandonné. Bien sûr, là encore il s’agit d’une “victoire” en demi-teinte puisqu’elle a coûté la vie d’un camarade et parce qu’un second projet, de “Sivens light”, a vu le jour, mais par l’occupation du site du chantier et la manifestation, le mouvement a atteint quelques objectifs. 

Les Gilets jaunes enfin, en occupant les ronds-points, en bloquant les axes routiers, en menant des actions radicales dans les centre des grandes villes, ont effrayé la bourgeoisie et la classe politique. Ils n’ont pas obtenu leurs revendications principales – RIC, démission de Macron et rétablissement de l’ISF – mais ont réussi à faire reculer le Président sur la taxe carbone et à avoir une augmentation de la prime d’activité. C’est peu, mais c’est aussi plus que beaucoup de mouvements sociaux classiques et syndicaux nationaux des dernières années. 

L’A69 : prochaine victoire ?

Dans sa chronique très complète sur le sujet, Clément Sénéchal expliquait pour Frustration en quoi le projet de l’A69, projet autoroutier de 53 km qui doit relier Castres à Toulouse pour un gain d’une vingtaine de minutes par rapport à l’existant, est un “ravage écologique et social”, commandité par Pierre Fabre, un magnat de l’industrie pharmaceutique, et appuyé par la macronie. 

En réaction plusieurs ZAD ont éclos, avec une particularité : il s’agit de ZAD suspendues, les militantes et militants grimpant aux arbres des bois qui devaient être détruits pour le chantier. Des bâtiments désaffectés ont aussi été occupés. Là encore la répression a été très sévère. 

Le projet de l’A69, projet autoroutier de 53 km qui doit relier Castres à Toulouse pour un gain d’une vingtaine de minutes par rapport à l’existant, est un “ravage écologique et social”, commandité par Pierre Fabre, un magnat de l’industrie pharmaceutique, et appuyé par la macronie.

Le lundi 16 décembre 2024, les collectifs ont déposé un référé devant le tribunal administratif de Toulouse demandant la suspension immédiate des travaux. Réponse d’ici à un mois. Le juge statuera sur le fond en février prochain

La décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux d’annuler les méga-bassines constitue une victoire importante pour les Soulèvements de la Terre et le mouvement écologiste radical en général. Ce jugement met en lumière l’efficacité de l’action directe et de la désobéissance civile, confrontée à une répression violente mais qui, au final, a permis de protéger l’environnement et de remettre en question un dispositif capitaliste destructeur. Cette victoire, tout comme celles de Notre-Dame-des-Landes et de Sivens, incarne un espoir : celui d’un changement porté par des luttes concrètes, loin des compromis institutionnels.


Rob Grams

Crédit Photo : Graffiti à Nantes, « Nous sommes les Soulèvements de la Terre en colère », début avril 2023. – Skimel, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons


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